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Décision n° 2016-736 DC du 4 août 2016 - Saisine par 60 députés

Loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels
Non conformité partielle - réserve

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,

En application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés ont l'honneur de vous déférer l'ensemble de la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels telle qu'elle a été adoptée par le Parlement le 21 juillet 2016.

Ils estiment que la loi déférée porte atteinte à plusieurs principes et libertés constitutionnels.

A l'appui de cette saisine, sont développés les griefs suivants.

SUR L'ARTICLE 27

L'alinéa 6 de l'article 27 dispose que« lorsque des locaux ont été mis à la disposition d'une organisation syndicale pendant une durée d'au moins cinq ans, la décision de la collectivité ou de l'établissement de lui en retirer le bénéfice sans lui proposer un autre local lui permettant de continuer à assurer ses missions lui ouvre le droit à une indemnité spécifique » sauf disposition contraire de la convention que peut conclure la collectivité avec l'organisation syndicale concernée au sujet de cette mise à disposition.

Les requérants s'interrogent sur la conformité de cette obligation de dédommagement avec le principe de libre administration des collectivités territoriales tel qu'il est défini aux articles 72 et 72-2 qui disposent que les collectivités territoriales « s 'administrent librement par des conseils élus » et « bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement, (...) dans les conditions prévues par la loi ».

En effet, comme l'a rappelé la Cour de Cassation dans un arrêt du 3 juin 2010, l'occupation pour une période prolongée ne crée aucun droit au maintien dans les lieux, et ne peut être assimilée à un avantage acquis. Malgré la référence expressément faite à la possibilité d'une dérogation conventionnelle, il n'en reste pas moins que le principe porté par la loi du versement d'une indemnité spécifique, de la part de la collectivité, lorsqu'elle décide de mettre fin à la mise à disposition du local sans lui en proposer un autre, s'apparente à la création d'un poste de dépense à caractère général pour les collectivités territoriales.

Ce faisant, le législateur semble remettre en cause la liberté des collectivités territoriales dans l'utilisation de leurs ressources et dans l'exercice de leurs compétences. La jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle « le législateur peut définir des catégories de dépenses obligatoires pour les collectivités territoriales : ces obligations doivent être définies avec précaution quant à leur objet et à leur portée » (Décision n° 90-274 DC du 29 mai 1990) ne saurait s'appliquer totalement aux termes de l'article 27 de la présente loi. Si l'objet est en effet bien défini, ce n'est pas le cas de sa portée alors que le montant du versement n'est pas précisé et qu'il pourrait donner lieu à un précédent au bénéfice d'autres associations occupant des locaux appartenant à des collectivités.

Ce manque de précision dans la loi permet aussi aux requérants de soulever le grief de l'incompétence négative du législateur, qui, à défaut de mention explicite, délègue aux collectivités territoriales le soin de fixer cette indemnité sans même inscrire dans la loi un ordre de grandeur s'y appliquant.

SUR L'ARTICLE 64

L'article 64, issu d'un amendement retenu dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité en application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution en première lecture, a été réécrit, en nouvelle lecture, à la fois par le Rapporteur en commission et finalement par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité.

Aux termes de sa rédaction définitive, il tend à mettre en place une instance de dialogue social dans les réseaux d'exploitants d'au moins 300 salariés dont le contrat de franchise « contient des clauses ayant un effet sur l'organisation du travail et les conditions de travail dans les entreprises franchisées », sur demande d'une organisation syndicale représentative au niveau de la branche ou de la branche elle-même sous certaines conditions. A défaut d'accord à l'issue de la négociation engagée par le franchiseur, la loi définit les conditions de mise en place de cette instance et renvoie ses modalités de fonctionnement à un décret en Conseil d'Etat. Ses attributions consistent à recevoir une information du franchiseur sur ses décisions de nature à avoir des conséquences pour les salariés des franchisés et à formuler des propositions susceptibles d'améliorer leurs conditions de travail et d'emploi.

Au préalable, il apparaît aux requérants que cette instance de dialogue, qui devient obligatoire dans certains réseaux de franchise dès lors qu'elle est demandée- la demande menant à une négociation et, à défaut d'accord, à une mise en place aux conditions fixées par la loi- remet en cause le statut même de la franchise. En effet, chaque franchisé est un entrepreneur indépendant, lié par un contrat de distribution avec le franchiseur et non par un contrat de travail avec ce dernier. A ce titre, le franchisé est libre de déterminer les conditions d'exploitation de son entreprise et de gestion de son personnel. La nature de la relation commerciale qui unit franchiseurs et franchisés ne peut conduire à assimiler les réseaux de franchise à des unités économiques et sociales.

Or, au-delà-même de la question du lien juridique qui peut exister ou non entre les salariés du franchisé et le franchiseur, se pose celle de l'existence ou non d'une communauté de travail au sein du réseau, pouvant seule y justifier l'application du principe de participation que la mise en place de cette nouvelle instance de dialogue social est supposée incarner.

Dans cette perspective, les requérants estiment que cet article pourrait remettre en cause le huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, aux termes duquel « tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises », ce huitième alinéa liant le droit des salariés à la participation à l'existence d'une communauté de travail.

En effet, dans sa jurisprudence récente, le Conseil constitutionnel a jugé que « le droit de participer par l'intermédiaire de leurs délégués à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises a pour bénéficiaires, sinon la totalité des travailleurs employés à un moment donné dans une entreprise, du moins tous ceux qui sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail qu'elle constitue même s'ils n'en sont pas les salariés » et a censuré une disposition qui réservait aux seuls salariés liés par un contrat de travail à l'entreprise la qualité d'électeur aux institutions représentatives du personnel (décision no 2006-545 DC du 28 décembre 2006).

Il a également admis que le législateur « précise cette notion d'intégration à la communauté de travail afin de renforcer la sécurité juridique des entreprises et des salariés » en prévoyant une condition de présence continue d'un an ou de deux ans pour que les salariés mis à disposition puissent être électeurs ou éligibles dans l'entreprise où ils travaillent (décision n° 2008-568DC du 7 août 2008).

A l'aune de cette jurisprudence, il apparaît bien que la condition posée par le texte, c'est-à­ dire un contrat de franchise qui « contient des clauses ayant un effet sur l'organisation du travail et les conditions de travail dans les entreprises franchisées », ne permet pas de révéler l'existence d'une communauté de travail justifiant la mise en place d'une représentation du personnel commune à l'ensemble d'un réseau de franchise et donc la mise en œuvre du principe de participation au sein de réseaux de franchise en général.

Du fait de l'absence d'une communauté de travail, les salariés des franchisés ne peuvent que continuer à relever du droit du travail et de la convention collective de leur secteur et non d'une instance de dialogue qui assimile indirectement le réseau à un ensemble.

Outre le fait que les requérants estiment cette disposition contraire à la Constitution, ils soulignent qu'elle est de nature à créer une complexité incompréhensible susceptible même de contrevenir au principe d'intelligibilité de la loi. Elle est d'ailleurs contraire non seulement aux objectifs de la présente loi mais aussi aux objectifs de simplification affichés par l'actuel Gouvernement depuis 2012.

***

Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil Constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la compétence et la fonction que lui confère la Constitution.