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Décision n° 2016-580 QPC du 5 octobre 2016 - Décision de renvoi CE

M. Nabil F. [Expulsion en urgence absolue]
Conformité

Conseil d'État

N° 398371
ECLI : FR : CECHR : 2016 : 398371.20160706
Inédit au recueil Lebon
2ème et 7ème chambres réunies
M. Clément Malverti, rapporteur
M. Xavier Domino, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats

Lecture du mercredi 6 juillet 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 avril et 20 mai 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. A...B...demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'ordonnance n° 1601713/9 du 23 février 2016 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande, présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 11 janvier 2016 prononçant son expulsion en urgence absolue, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment son article L. 522-1 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Clément Malverti, auditeur,

- les conclusions de M. Xavier Domino, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. B...;

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) » ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le ministre de l'intérieur a, par un arrêté du 11 janvier 2016, notifié et mis à exécution le 19 janvier, décidé l'expulsion en urgence absolue de M. A...B..., ressortissant algérien né le 5 août 1982, sur le fondement de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au motif notamment qu'il était susceptible à tout moment de fomenter ou commettre une action terroriste en France ou de lui apporter un soutien logistique ; qu'à l'appui de son pourvoi contre l'ordonnance du 23 février 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à la suspension de l'exécution de cet arrêté, M. B...demande que soit renvoyée au Conseil constitutionnel, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public » ; qu'aux termes de l'article L. 522-1 du même code : « I. - Sauf en cas d'urgence absolue, l'expulsion ne peut être prononcée que dans les conditions suivantes : / 1 ° L'étranger doit être préalablement avisé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ; / 2 ° L'étranger est convoqué pour être entendu par une commission qui se réunit à la demande de l'autorité administrative et qui est composée : / a) Du président du tribunal de grande instance du chef-lieu du département, ou d'un juge délégué par lui, président ; / b) D'un magistrat désigné par l'assemblée générale du tribunal de grande instance du chef-lieu du département ; / c) D'un conseiller de tribunal administratif » ; que l'article L. 523-1 de ce code dispose que : « L'arrêté prononçant l'expulsion d'un étranger peut être exécuté d'office par l'administration. » ; que l'article L. 523-3 du même code prévoit que : « L'étranger qui fait l'objet d'un arrêté d'expulsion et qui justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français en établissant qu'il ne peut ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays peut faire l'objet d'une mesure d'assignation à résidence dans les conditions prévues à l'article L. 561-1. Les dispositions de l'article L. 624-4 sont applicables. / La même mesure peut, en cas d'urgence absolue et de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique, être appliquée aux étrangers qui font l'objet d'une proposition d'expulsion. Dans ce cas, la mesure ne peut excéder un mois » ;

4. Considérant, en premier lieu, que l'arrêté prononçant l'expulsion de M. B... du territoire français en urgence absolue a été pris sur le fondement des dispositions de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que ces dispositions sont, par suite, applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que si le Conseil constitutionnel a, dans les motifs de sa décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, examiné les dispositions de l'article 18 de la loi n° 93-1027 du 24 août 1993 modifiant l'article 26 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, desquelles les dispositions de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont issues, et écarté les griefs mettant en cause la conformité à la Constitution de ces dispositions, il ne les a pas déclarées conformes à la Constitution dans le dispositif de sa décision ; que les dispositions mises en cause par la question prioritaire de constitutionnalité ne peuvent, par suite, être regardées comme ayant déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

6. Considérant, en troisième lieu, que M. B...fait valoir que les dispositions de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en permettant de prendre une mesure d'expulsion en urgence absolue sans laisser à la personne concernée la possibilité effective de saisir le juge administratif avant la mise à exécution de la mesure, méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif et sont entachées d'incompétence négative ; que la question soulevée présente un caractère sérieux ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée à l'encontre de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi de M. B...jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.