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Décision n° 2015-725 DC du 29 décembre 2015 - Observations du Gouvernement

Loi de finances pour 2016
Non conformité partielle

Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs de recours dirigés contre la loi de finances pour 2016.

Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

***

I/ SUR LA SINCERITE DE LA LOI DE FINANCES

A/ Les députés et les sénateurs requérants soutiennent que la loi de finances pour 2106 serait insincère.

B/ Le Conseil constitutionnel ne pourra qu'écarter ce grief.

i/ sur les hypothèses économiques

Le Conseil constitutionnel juge que la sincérité des lois de finances se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre qu'elle détermine (décision n°2013-699 DC, cons. 3).

Le projet de loi de finances pour 2016 repose sur une hypothèse de hausse des prix de 1 % pour 2016.

Si le Haut Conseil des finances publiques a relevé, dans son avis du 25 septembre 2015, que la hausse des prix pourrait être inférieure si certains facteurs désinflationnistes devaient se réaliser, il a indiqué, que la prévision du Gouvernement était légèrement inférieure au « consensus des prévisionnistes » de septembre 2015, qui retenait une hausse de prix de 1,1 %.

Il a également constaté que l'accélération des prix des produits manufacturés et des services, sur laquelle repose cette hypothèse, était vraisemblable compte tenu des effets de la dépréciation de l'euro et d'une hausse plus forte des salaires en 2016.

L'hypothèse retenue par le Gouvernement ne peut donc être regardée comme relevant d'une intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre déterminé par la loi de finances.

Par ailleurs, comme le relèvent les sénateurs requérants, l'hypothèse de croissance retenue par le Gouvernement apparaît réaliste. On ne saurait donc reprocher au Gouvernement d'avoir manifestement surévalué les recettes fiscales en se fondant sur ce taux de croissance.

ii / Sur le solde structurel

L'article liminaire de la loi de finances pour 2016 comprend le tableau présentant l'état des prévisions de solde structurel et de solde effectif des administrations publiques.

Le solde structurel est le solde des administrations publiques corrigé des variations conjoncturelles, déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires. Il dépend du niveau de croissance potentielle.

Le Gouvernement a retenu comme hypothèse de croissance potentielle celle qui figurait dans la transmission du programme de stabilité à la Commission européenne le 15 avril 2015, soit 1,5 %, alors que la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 retenait une hypothèse de 1,3 % du PIB.

La loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques du 17 décembre 2012 permet de faire évoluer les hypothèses qui servent à calculer le solde structurel. L'article 7 de la loi organique prévoit cette possibilité en imposant au Gouvernement d'indiquer dans l'exposé des motifs du projet de loi de finances de l'année si ces hypothèses ont été modifiées par rapport à celles ayant permis de calculer le solde structurel de l'année dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques.

Une telle possibilité correspond d'ailleurs à l'objet de l'article liminaire qui est d'assurer l'information du Parlement (décision n°2012-658 DC du 13 décembre 2012, cons. 22).

Le Gouvernement a respecté les obligations fixées par l'article 7 de la loi organique en précisant, dans l'exposé des motifs de l'article liminaire dans le projet de loi, que la croissance potentielle de 2016, qui intervient dans le calcul du solde structurel, a été modifiée par rapport à la loi de programmation des finances publiques 2014-2019.

Le Gouvernement a réajusté les hypothèses de croissance potentielle de 0,2 point par an à compter de 2016 pour tenir compte de l'effet positif des réformes structurelles détaillées dans le Programme national de réforme (PNR), et notamment des impacts positifs de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

iii/ Sur l'incidence de la création d'un nouveau compte d'affectation spéciale et d'un nouveau programme en loi de finances rectificative.

Le Gouvernement a décidé d'une réforme d'ensemble du financement des charges de service public pour la fourniture de l'électricité et du gaz. Ces charges sont actuellement financées par la contribution au service public de l'électricité.

Cette réforme comporte deux volets.

Un volet fiscal substitue à la contribution au service public de l'électricité la taxe intérieure de consommation finale d'électricité, dont le champ est étendu.

Un volet budgétaire procède à la rebudgétisation des dépenses liées aux charges de service public en créant un compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » et un nouveau programme « Service public de l'énergie » au sein de la mission « Ecologie, développement et mobilités durables ».

Dans un souci de bonne information du Parlement, le Gouvernement a décidé de regrouper ces deux volets dans le projet de loi de finances rectificative pour 2015. La création d'un compte d'affectation spéciale dans cette loi est conforme aux règles fixées par la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. En effet, si la création d'un compte d'affectation spécial relève d'une loi de finances, elle peut intervenir en loi de finances rectificative, y compris lorsqu'elle prévoit que ce compte sera affectataire de recettes l'année suivante.

Le principe de sincérité budgétaire imposait, en revanche, au Gouvernement de faire inscrire les dépenses et les crédits correspondant au nouveau compte d'affectation spéciale et au nouveau programme en loi de finances 2016 avant son adoption définitive.

C'est précisément ce qu'a fait le Gouvernement, en déposant en nouvelle lecture, des amendements pour modifier les articles 23, 24 et 26 du projet de loi de finances ainsi que les états annexés, qui restaient en discussion à l'issue de la première lecture, pour tenir compte des prévisions de recettes et de dépenses du budget général liées à cette réforme.

Ces amendements ont ainsi permis d'assurer la coordination entre la loi de finances rectificative et la loi de finances.

Et le Gouvernement a régulièrement informé le Parlement pendant l'examen du projet de loi de finances pour 2016 de son intention de proposer l'intégration au sein du budget de l'Etat des dépenses et recettes relatives au service public de l'énergie.

Le secrétaire d'Etat chargé des transports, de la mer et de la pêche a ainsi indiqué, lors de l'examen des crédits relatifs à la mission « Ecologie, développement et mobilités durables » le 10 novembre 2015, que le Gouvernement entendait procéder, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2015, à la rebudgétisation des 6,3 Md€ de charges de service public de l'électricité pour mettre fin à leur traitement extra-budgétaire.

Ce point a également été indiqué lors de l'examen des crédits relatifs à cette mission en première lecture au Sénat. Et le Gouvernement a veillé, conformément aux préconisations du Conseil d'Etat, qui avait émis un avis favorable à la création de ce compte d'affectation spéciale dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances rectificative, de présenter une annexe explicative des modalités de financement en 2016 des charges budgétaires relatives au service public de fourniture de l'électricité et du gaz ainsi qu'à la transition énergétique contenant le même niveau d'information que les projets annuels de performance prévus à l'article 51 de la loi organique relative aux lois de finances.

Dans ces conditions, les sénateurs requérants ne sauraient soutenir que la création de ce compte d'affectation spéciale a porté atteinte à la sincérité des débats parlementaires.

II/ SUR L'ARTICLE 30

A/ L'article 30 de la loi déférée élargit la taxe sur les transactions financières aux opérations intra-journalières.

Les députés et sénateurs auteurs des saisines estiment que cet article méconnaît l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et qu'il est entaché d'incompétence négative. Les sénateurs requérants soutiennent en outre que cet article a été inséré à tort dans la première partie de la loi de finances.

B/ Tel n'est pas le cas.

La taxe sur les transactions financières, instituée par l'article 5 de la loi de finances rectificative pour 2012, est régie par l'article 235 ter ZD du code général des impôts.

Cette taxe impose les acquisitions des titres de sociétés dont le siège social est situé en France, qui sont cotées sur un marché réglementé et dont la capitalisation boursière dépasse un milliard d'euros.

L'article 235 ter ZD prévoit actuellement que la taxe s'applique aux acquisitions qui donnent lieu à un transfert de propriété constaté en fin de journée par l'inscription des titres au compte-titres de l'acquéreur, conformément aux dispositions de l'article L. 211-17 du code monétaire et financier.

Le législateur a souhaité que cette taxe puisse s'appliquer aux transactions intra-journalières à compter du 31 décembre 2016 en supprimant la condition d'appréciation du transfert de propriété fixée par l'article L. 211-17 du code monétaire et financier.

Contrairement à ce que soutiennent les auteurs des saisines, cette modification n'est pas de nature à entraîner une quelconque incertitude sur le fait générateur de la taxe.

La taxe s'appliquera à toutes les opérations d'acquisition de titres. Ces opérations matérialisent d'ailleurs un transfert de propriété au moment où elles sont conclues. Mais il ne sera plus nécessaire que ces transactions se traduisent par la constatation de l'inscription des titres au compte-titres de l'acquéreur à la fin de la journée.

Le deuxième alinéa du I de l'article 235 ter ZD définit d'ailleurs clairement les opérations concernées. Il indique que l'acquisition d'un titre s'entend de l'achat, y compris dans le cadre de l'exercice d'une option ou dans le cadre d'un achat à terme ayant fait préalablement l'objet d'un contrat, de l'échange ou de l'attribution, en contrepartie d'apports, des titres de capital concernés.

Le fait générateur est donc parfaitement défini.

L'article 30 ne modifie en rien les obligations qui pèsent sur les prestataires de services d'investissement qui sont redevables de la taxe sur les acquisitions de titres concernés, que ces prestataires soient français ou étrangers.

Il leur appartiendra de liquider la taxe auprès du dépositaire chargé de la gestion des titres. Pour les titres cotés en France, c'est la société Euroclear qui centralise, déclare et reverse la taxe au Trésor. Quand le titre est émis sur un marché réglementé étranger, les opérations de recouvrement reposent sur une base déclarative auprès de la direction des grandes entreprises.

L'extension de la taxe sur les transactions financières intra-journalières ne modifie nullement ces principes. Elle nécessitera, en revanche, la mise en place de dispositifs d'échanges d'informations avec Euroclear pour que cette société dispose de l'ensemble des données brutes sur l'ensemble des achats et des ventes.

Comme l'a relevé le rapporteur spécial du budget au Sénat, ces difficultés ne sont nullement insurmontables. Le Royaume-Uni a récemment mis en place avec succès un tel dispositif.

En cours de débat parlementaire, le législateur a pris en compte les délais de mise en œuvre du système d'information nécessaire à la gestion de la taxe en fixant la date d'entrée en vigueur de ce dispositif au 31 décembre 2016. Cette date correspond d'ailleurs à celle prévue au niveau européen pour généraliser l'application de cette taxe aux opérations intra-journalières dans le cadre d'une coopération renforcée.

A cet égard, le Gouvernement estime qu'on ne saurait reprocher à l'article 30 de figurer en première partie de loi de finances.

Le Conseil constitutionnel a déjà admis qu'une disposition sans impact sur l'équilibre budgétaire puisse figurer en première partie d'une loi de finances dès lors que cette insertion ne porte pas atteinte à la clarté et à la sincérité des débats relatifs à l'adoption de ces articles et qu'elle n'altère pas les conditions d'adoption des données générales de l'équilibre budgétaire (décision n°2010-622 DC du 28 décembre 2010).

Ces dispositions ont été introduites par amendement parlementaire. Elles prévoyaient initialement l'entrée en vigueur du nouveau dispositif au 1er janvier 2016, ce qui justifiait leur insertion en première partie de la loi de finances. Et ce sont précisément les débats relatifs à l'adoption de ces dispositions qui ont conduit à prévoir qu'elles n'auraient d'effet qu'en 2017 et n'affecteraient donc pas l'équilibre budgétaire de l'année 2016.

L'article 30 est donc conforme à la Constitution.

III/ SUR L'ARTICLE 33

A/ L'article 33 de la loi fixe le montant de la dotation globale de fonctionnement pour l'année 2016 à 33,2 Md€.

Les députés et les sénateurs requérants estiment que cet article porte atteinte à la libre administration des collectivités territoriales affirmée par les articles 34, 72 et 72-2 de la Constitution et méconnaît le principe d'égalité entre collectivités territoriales.

B/ Ces griefs ne pourront qu'être écartés.

Dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques pour 2014-2019, le législateur a décidé de faire contribuer les collectivités territoriales à l'effort de redressement des finances publiques de 50 Md€ à hauteur de la part des dépenses locales dans la dépense publique totale, soit 11 Md€ d'économies.

Dans l'optique d'offrir aux collectivités territoriales de la visibilité sur les concours financiers qui leur seraient versés, la loi de programmation a prévu que cette contribution serait répartie sur trois ans et qu'elle serait prélevée sur la dotation globale de fonctionnement. Après concertation avec le comité des finances locales, il a été décidé de répartir cette contribution au prorata des recettes totales des collectivités dans les comptes de gestion 2013. Ce choix présente l'avantage d'offrir de la prévisibilité sur les efforts à fournir pour chacune des catégories de collectivités territoriales pour les années 2015, 2016 et 2017.

Conformément à la loi de programmation, la loi de finances pour 2016 prévoit une contribution des collectivités territoriales au redressement des finances publiques de 3,67 Md€ et applique la même clé de répartition.

Le Gouvernement estime qu'aucun principe constitutionnel n'impose que la loi de finances, lorsqu'elle fixe le montant de la dotation globale de fonctionnement chaque année, tienne compte du poids des collectivités territoriales dans la dépense publique. De même, le principe d'égalité entre collectivités territoriales ne saurait, en tout état de cause, imposer au législateur d'actualiser la clé de répartition de l'effort demandé à chacune des catégories de collectivités territoriales chaque année.

L'article 34 de la Constitution réserve au législateur la détermination des principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources. Si, en vertu des articles 72 et 72-2 de la Constitution, les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils élus » et « bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement », elles le font « dans les conditions prévues par la loi ».

Comme l'a jugé le Conseil constitutionnel à l'occasion de l'examen de la loi de finances pour 2015, il est loisible au législateur de faire contribuer les collectivités territoriales à l'effort de réduction des déficits publics par le biais d'une réduction de la dotation globale de fonctionnement. Une telle réduction n'a pas pour effet de diminuer la part de leurs ressources propres et, partant, de porter atteinte à leur autonomie financière. Mais elle ne doit pas être d'une ampleur telle qu'elle entraverait la libre administration des collectivités territoriales (décision n°2014-707 DC du 29 décembre 2014, cons. 23).

Or, tel n'est pas le cas.

Pour chacune des catégories de collectivités, la baisse retenue par le législateur représentera 1,6 % des recettes totales. Il convient, à cet égard, de rappeler que la dotation globale de fonctionnement représente respectivement 18 %, 16 % et 21 % des recettes réelles de fonctionnement des communes, des départements et des régions.

Un tel effort ne peut être regardé, en lui-même, comme restreignant de manière excessive les ressources globales des collectivités territoriales.

Ainsi l'article 33 est conforme à la Constitution.

IV/ SUR L'ARTICLE 77

L'article 77 prévoit la possibilité pour les salariés percevant jusqu'à 1,34 SMIC de bénéficier d'une réduction dégressive du taux de contribution sociale généralisée.

Le législateur, en adoptant cet article, a entendu accroître le taux de recours à la prime d'activité en transformant une dépense en une réduction automatique de la contribution sociale généralisée afin d'augmenter le pouvoir d'achat des foyers les plus modestes.

Cette réduction dégressive s'appliquera automatiquement aux salaires compris entre 1 et 1,34 SMIC. Le taux de la réduction dégressive de CSG sera calculé chaque mois en fonction des revenus perçus depuis le début de l'année en les convertissant en équivalent temps plein pour l'année entière pour pouvoir les comparer au SMIC annuel.

Le Gouvernement, lors des débats de la première lecture, a fait valoir que ce dispositif, s'il répondait à un objectif d'intérêt général, soulevait plusieurs difficultés. Il a notamment fait valoir que cet article risquait de créer des différences de traitement entre les travailleurs salariés et des travailleurs non-salariés. Il a également indiqué qu'il posait des problèmes opérationnels importants en n'accordant le bénéfice de l'allègement d'impôt que sous la condition de respecter des critères de ressources et de charges évalués a posteriori. Il a donc indiqué qu'il ne pouvait y être favorable.

Une nouvelle version de l'article 77 a été adoptée en nouvelle lecture pour préciser notamment les modalités d'articulation entre la réduction de contribution sociale généralisée et le versement de la prime d'activité.

L'article 77 prévoit que la réduction de contribution sociale généralisée sera acquise aux travailleurs salariés dans deux cas :
-lorsqu'elle a donné lieu à une imputation sur la prime d'activité effectivement versée ;
-lorsque le revenu fiscal de référence est inférieur à un certain seuil fixé par la loi.

Le Gouvernement ne peut que constater que, dans chacun de ces cas, le dispositif ne garantit pas le respect des exigences constitutionnelles.

A/ L'article 77 n'épuise pas la compétence du législateur.

Le Conseil constitutionnel juge que la contribution sociale généralisée est une imposition de toute nature dont il appartient au législateur de fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement (décision n°90-285 DC du 28 décembre 2000, cons. 9).

Or, le législateur a renvoyé au pouvoir réglementaire le soin de fixer les règles déterminant le droit à la réduction dégressive de contribution sociale généralisée sur deux points.

D'une part, le lien entre la réduction dégressive de contribution sociale généralisée et la prime d'activité fait dépendre les conditions de perception d'une imposition d'une prestation sociale définie par voie réglementaire.

L'article L. 842-3 du code de la sécurité sociale, issu de l'article 57 du la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, prévoit que la prime d'activité sera fixée en fonction d'un montant forfaitaire, d'une fraction des revenus professionnels des membres du foyer et d'une ou plusieurs bonifications fixés par décret.

D'autre part, l'article 77 renvoie lui-même à un décret le soin de fixer les modalités selon lesquelles la réduction de CSG s'imputera sur la prime d'activité versée, imputation qui permettra que la réduction de contribution sociale généralisée soit acquise aux travailleurs salariés.

Le large renvoi qui est ainsi fait au pouvoir réglementaire ne permet pas au législateur d'épuiser la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution en matière fiscale.

B/ L'article 77 ne garantit pas le respect du principe d'égalité.

Le législateur a limité la possibilité de bénéficier d'une réduction de contribution sociale généralisée aux seuls travailleurs salariés sans l'étendre aux non-salariés.

Les travailleurs non-salariés peuvent également bénéficier de la prime d'activité, sous réserve qu'ils réalisent un chiffre d'affaires n'excédant pas un certain niveau. Et ils acquittent également la contribution sociale généralisée.

Au regard de l'objectif d'amélioration du recours à la prime d'activité afin d'augmenter le pouvoir d'achat, un traitement différencié des bénéficiaires de la prime d'activité selon qu'ils sont salariés ou indépendants ne repose sur aucune différence de situation en rapport avec l'objet de la loi.

Cette atteinte au principe d'égalité est d'autant plus importante que le dispositif mis en place par le législateur conduit à l'existence d'un droit à réduction dégressive de contribution sociale généralisée qui peut bénéficier aux salariés indépendamment du droit à la prime d'activité.

Le législateur a, en effet, prévu que la réduction dégressive de contribution sociale généralisée serait automatiquement acquise au salarié quand le montant du revenu fiscal de son foyer, défini au IV de l'article 1417 du code général des impôts, n'excède pas un certain seuil même s'il n'a pas droit à la prime d'activité.

Dans un tel cas de figure, l'article 77 permettra à un salarié de bénéficier d'une prime d'activité alors qu'un travailleur non-salarié, placé dans la même situation, n'en bénéficierait pas.

Dans ces conditions, le Gouvernement ne peut que constater que l'article 77 ne garantit pas le respect des exigences constitutionnelles.

V/ SUR L'ARTICLE 121

A/ L'article 121 de la loi déférée prévoit la transmission à l'administration fiscale par les grandes entreprises d'une déclaration indiquant la répartition, pays par pays, de leurs bénéfices et des principaux agrégats économiques, comptables et fiscaux.

Les députés auteurs de la saisine soutiennent que cet article méconnaît le principe d'égalité devant la loi proclamé par l'article 6 de la Déclaration de 1789 et qu'il porte atteinte à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789.

B/ Ces griefs ne pourront qu'être écartés.

1/ L'article 121 transpose dans la législation française le dispositif de déclaration pays par pays adopté dans le cadre du plan d'actions dit BEPS par 44 pays de l'organisation de coopération et de développement économiques en septembre 2015 et par le G20 en novembre 2015. Ce dispositif reposera au niveau international sur une architecture juridique dont les principes sont fixés par la convention multilatérale de l'OCDE et du conseil de l'Europe sur l'assistance administrative mutuelle dans le domaine fiscal de 1988 modifiée en 2010. Un accord technique précisant le mécanisme d'échange d'informations entre les Etats sera ouvert à la signature à Paris le 27 janvier 2016.

Cet accord international prévoit que les grands groupes internationaux déclarent la répartition pays par pays des agrégats économiques, comptables et fiscaux ainsi que les informations sur la localisation et l'activité des entités qui les constituent. Les agrégats comptables seront des agrégats classiques pour les groupes qui établissent des comptes consolidés (chiffre d'affaires total et intra-groupe, bénéfices, impôt sur les bénéfices, capital social, nombre d'employés, montant des actifs corporels et de la trésorerie).

Ces déclarations pourront ensuite être échangées entre les différents Etats parties à l'accord. Elles leur permettront de réexaminer les prix de transfert entre entités d'un même groupe pour identifier les phénomènes anormaux de masse taxable d'un Etat à l'autre. Elles participent ainsi à l'objectif de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

2/ Sur la méconnaissance du principe d'égalité

L'article 121 transpose les principes de ce dispositif en droit interne.

Il prévoit que tous les grands groupes multinationaux, qui établissent des comptes consolidés et réalisent un chiffre d'affaires annuel, hors taxes, consolidé supérieur ou égal à 750 millions d'euros, et qui sont implantés en France, devront déposer la déclaration pays par pays sauf si une déclaration similaire a déjà été déposée pour ce groupe dans un autre Etat.

Cette déclaration sera déposée soit par la société tête de groupe si elle est établie en France, soit par sa filiale, si la société tête de groupe est établie dans un autre pays.

L'article 121 ne crée donc aucune différence de traitement entre les groupes multinationaux qui sont implantés en France. L'administration fiscale française aura accès à l'ensemble des déclarations pays par pays des grands groupes multinationaux opérant en France.

Ces dispositions, en assurant un traitement homogène de tous les grands groupes multinationaux qui opèrent en France, ne méconnaissent donc pas le principe d'égalité.

Le législateur a d'ailleurs veillé à prévoir un délai suffisant pour permettre que ce dispositif entre en vigueur en même temps que la mise en place de la déclaration pays par pays dans les autres Etats qui participent au plan d'actions dit BEPS. Si le législateur a prévu que ce dispositif s'appliquerait aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016, les déclarations n'interviendront qu'à compter du 1er janvier 2018, la déclaration devant être souscrite dans les douze mois suivant la clôture de l'exercice.

3/ Sur l'atteinte à la liberté d'entreprendre

L'article contesté se borne à prévoir la transmission d'informations à l'administration fiscale pour assurer le contrôle des prix de transfert. Et la confidentialité attachée au contenu des déclarations pays par pays qui seront échangées entre les Etats concernés est garantie par la convention multilatérale concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale dont l'article 22 prévoit un mécanisme de protection de la confidentialité des informations échangées.

Le législateur n'a donc porté aucune atteinte à la liberté d'entreprendre.

L'article 121 est donc conforme à la Constitution.

VI/ SUR L'ARTICLE 143

A/ L'article 143 prévoit que ne sont pas éligibles aux aides aux logements les particuliers rattachés au foyer fiscal de leurs parents lorsque ces derniers sont redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune.

Les députés requérants soutiennent que cet article méconnaît le principe d'égalité devant la loi.

B/ Tel n'est pas le cas.

En adoptant cet article, le législateur a entendu prévenir la perception abusive des aides aux logements par des particuliers qui sollicitent leur rattachement au foyer fiscal de leurs parents lorsque ces derniers disposent d'un patrimoine important permettant de loger l'ensemble des membres du foyer.

Au regard de l'objectif poursuivi par la loi, le législateur a pu se fonder sur l'assujettissement des parents à l'impôt de solidarité sur la fortune qui constitue un critère objectif et pertinent. Cet assujettissement suppose, en effet, l'existence d'un patrimoine important, dont la valeur nette taxable est supérieure à 1,3 M€, après abattement de 30 % de la valeur vénale de l'immeuble occupé à titre de résidence principale. Dans une telle situation, le choix d'être rattaché au foyer fiscal des parents peut justifier qu'une aide sociale individualisée, dont l'objectif est de permettre un accès autonome à un logement, ne puisse être versée.

Le critère de l'assujettissement à l'impôt de solidarité sur la fortune est déjà utilisé pour des avantages fiscaux liés au logement des membres du foyer. Ainsi, l'article 1413 bis du CGI, introduit par l'article 28 de la loi de finances pour 1998, conditionne les exonérations et dégrèvements de taxe d'habitation au fait de ne pas être assujetti à l'ISF.

Cette disposition n'aura pas pour effet de priver d'aides au logement des étudiants qui seraient en situation de rupture avec leurs parents et ne pourraient bénéficier de leur soutien pour accéder à un logement. En effet, seuls les particuliers qui sollicitent le rattachement au foyer fiscal de leurs parents seront concernés par cette mesure.

L'article 143 est donc conforme à la Constitution.

***
Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans les saisines ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.