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Décision n° 2015-723 DC du 17 décembre 2015 - Saisine par 60 députés

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2016
Non conformité partielle

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,

En application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés ont l'honneur de vous déférer, l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 et, spécialement, ses articles 24, 33, 59, 77 et 78.

Sur l'article 24

Cet article a notamment pour objet d'affecter entièrement la part de la CSG et de la CROS prélevée sur les revenus du patrimoine des personnes non-résidentes ou travailleurs frontaliers qui sont affiliées à un autre régime de Sécurité sociale que le régime français, vers le fonds de solidarité vieillesse (FSV) et vers la Caisse nationale de solidarité vieillesse (CNSA) et non plus, comme c'était le cas auparavant pour une partie, vers la Caisse nationale des allocations familiales et vers le régime obligatoire d'assurance maladie.

En effet, le Conseil d'État, par une décision du 27 juillet 2015 relative à l'affaire de Ruyter, intervenant après l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne du 26 février 2015, a remis en cause l'imposition à des prélèvements sociaux sur les revenus du capital en France de personnes affiliées à un régime de sécurité sociale d'un autre État membre de l'Union Européenne ou de l'Espace Économique Européen ainsi que la Suisse. le produit de ces prélèvements était destiné à financer des prestations qui ne bénéficient qu'aux seules personnes assurées au régime français de sécurité sociale, ce qui est contraire au droit européen.

En effet, l'article 48 du Traité de Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) pose le principe de la coordination des régimes de sécurité sociale des différents Etats membres. Sur cette base, les non-résidents qui sont affiliés à la sécurité sociale d'un autre Etat­ membre ne peuvent être dans le même temps affiliés à la sécurité sociale de notre pays. Par conséquent, les personnes auxquelles ces règlements sont applicables ne sont soumises qu'à la législation d'un seul Etat membre.

Assujettir les revenus immobiliers des non-résidents aux prélèvements sociaux revient à ne plus respecter le Traité sur le fonctionnement de l'union européenne en violant les accords européens négociés par le passé.

Par ailleurs, en droit européen, la CSG et la CRDS ne sont pas considérées comme des impôts mais comme des prélèvements sociaux qui entrent dans le champ d'application des règlements 1408/71 et 883/04.

Or, on peut considérer à l'évidence que tant les missions du FSV que celles de la CNSA présentent « un lien suffisamment direct et pertinent », selon la jurisprudence européenne, avec les régimes d'assurance vieillesse et d'assurance maladie pour rendre très probable une nouvelle condamnation de la France telle que celle qui a été infligée par l'arrêt de Ruyter du 26 février 2015, et donc une même obligation, pour l'Etat français de remboursement des sommes indûment prélevées.

Puisque vous reconnaissez de manière constante que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie », faire adopter une loi (en l'occurrence) cet article pour tenter de contourner une décision européenne ne fait que reculer de quelques année la date à laquelle notre pays va, de nouveau, être condamné.

Les signataires sont conscients que selon une jurisprudence là aussi constante de votre conseil, cela n'implique pas pour autant que « le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution » et « que le moyen tiré du défaut de compatibilité d'une disposition législative aux engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief d'inconstitutionnalité ». En revanche, le contournement du droit européen opéré par cet article est tellement manifeste en l'espèce que vous ne pourrez que constater qu'il contrevient aux principes de protection constitutionnelle de sécurité juridique et de confiance légitime, « [en portant] atteinte aux situations légalement acquises» et « [remettant] en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ». (CC décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013)

Sur l'article 33 :

L'article 33 prévoit la mise en œuvre d'un label sur des contrats de complémentaires santé destinés à des personnes de plus de 65 ans, offrant « à des prix accessibles, des garanties adaptées à [leur] situation ». La liste de ces contrats sera publiée par décret et

donnera droit pour les organismes qui les dispensent, à un crédit d'impôts « égal à 1 % des primes, hors taxes ». Cet article soulève plusieurs difficultés d'ordre constitutionnel.

En premier lieu, cet article n'entre pas le champ de l'article 34 alinéa 20 de la Constitution et l'article 1er de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Sa place dans la Loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS) n'est, que superficiellement justifiée, parce qu'il modifie la taxe de solidarité additionnelle prévue à l'article L. 862-4 du Code de la Sécurité Sociale . Pour autant, le crédit d'impôt ainsi institué paraît largement accessoire dans la mesure où il n'a pas vocation à bénéficier au public cible et il n'a pas de réel impact sur les comptes sociaux. Dans ces conditions, le rattachement de l'article 33 au champ de la LFSS doit être discuté, étant donné que la création de contrats labellisés n'a, elle non plus, aucune incidence sur les comptes sociaux.

En second lieu, cet article porte atteinte au principe d'égalité. Rien ne justifie, en effet, qu'une population circonscrite sur la base du seul critère de l'âge puisse bénéficier d'un tel avantage, alors même que le niveau des revenus n'est pas pris en compte, ni d'ailleurs l'éventualité d'un lien d'emploi persistant pour de telles personnes. L'étude d'impact révèle en outre que l'immense majorité de ces personnes est couverte par une police individuelle, ce qui conduit à douter de la pertinence de ce critère d'âge.

Ensuite, le dispositif paraît intrinsèquement contradictoire. D'une part, parce qu'en refusant toute possibilité de mutualisation, il prive les organismes d'assurance complémentaire de la possibilité de diminuer effectivement les primes- et cela de manière économiquement rationnelle. D'autre part, parce que l'article en cause disjoint le montant des primes, ainsi que leur évolution indexée sur l'Objectif National de Dépenses d'Assurance Maladie (ONDAM), des risques garantis. À cela s'ajoute que le crédit d'impôt, s'il devait venir en déduction des primes versées, conduirait à renforcer l'avantage qui découle de la mise en œuvre de tels contrats pour la population cible.

Enfin, compte tenu du niveau nécessairement insuffisant des primes, l'organisme d'assurance complémentaire est appelé à supporter le coût d'une telle généralisation de la couverture complémentaire santé, ou de le reporter sur d'autres populations, ce qui constitue une rupture de l'égalité devant les charges publiques.

Enfin, les députés signataires considèrent que cet article porte atteinte au principe de la liberté d'entreprendre. Il s'agit d'une atteinte potentielle étant donné l'absence de caractère obligatoire des contrats labellisés. Si tel devait en revanche être le cas, un dispositif analogue conduirait à faire peser sur les organismes complémentaires un ensemble de contraintes largement excessives et disproportionnées.

Sur l'article 59

L'objet de l'article 59 du texte qui vous est déféré, est de créer un régime universel d'assurance maladie, et, pour ce faire de supprimer la plupart des situations juridiques d'ayant-droit. Ce point apparaît contraire, pour plusieurs raisons, à la Constitution car il porte atteinte aux fondements mêmes de la protection sociale. Il individualise ainsi les droits à • l'assurance maladie en les déliant de toute référence à une situation de travail et en abandonnant ainsi, selon les termes mêmes de la Rapporteure à l'Assemblée nationale Mme Delaunay, le « modèle initial de la sécurité sociale et la structure de la société d'après-guerre : l'assuré est la personne qui a une activité et qui procure des droits aux personnes vivant avec elle ». Or, un tel fondement est à l'origine du lien juridique établi entre cotisant et prestataire, et donc du paritarisme dans le financement et la gestion de la sécurité sociale.

Cet article met sur un pied d'égalité l'affiliation du fait du travail et celle qui résulte de la présence stable et régulière en France au regard des seules prestions en nature. Le même rapport précise : « La couverture universelle porte sur donc exclusivement sur les prestations « en nature », qui correspondent à la prise en charge des frais de santé. S'agissant des prestations« en espèces », l'alinéa 3 du même article maintient le principe de l'assurance par le travail, en garantissant les travailleurs« contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leurs revenus ».

Le statut d'ayant droit n'est donc maintenu que pour les enfants de moins de 18 ans
à condition :

  • qu'ils soient à la charge de l'assuré ;
  • qu'ils n'exercent pas d'activité professionnelle ;
  • que la filiation, y compris adoptive, soit légalement établie, ou qu'ils soient pupilles de la nation ou enfants recueillis ;
  • qu'ils n'aient pas demandé, à partir de l'âge de 16 ans, à bénéficier à titre personnel
    de la prise en charge des frais de santé.

Ce statut d'ayant droit, purement résiduel, prend fin à 18 ans, que les enfants poursuivent ou non des études dans certains établissements d'enseignement.

Ainsi disparaissent, en tant que catégorie juridique bénéficiaire du statut d'ayant droits, notamment les époux, concubins, partenaires pacsés, ascendants ou descendants ou encore les enfants de 16 à 20 ans qui vivent avec l'assuré ou les personnes vivant chez l'assuré social depuis au moins un an et qui sont à sa charge. Disparaissent les notions de prise en charge liées à la qualité d'ayant droit, donc le lien avec l'activité professionnelle de l'assuré, et de personne à charge de celui-ci.

En déliant ainsi totalement le droit à prestation et la notion de personne à charge, en réduisant aux seuls mineurs de moins de 18 ans- sous réserve, à partir de 16 ans d'un choix contraire, l'article 59 supprime le lien existant depuis 1945 entre l'affiliation aux régimes d'assurance maladie et le travail. Si on ne peut qu'être favorable à une couverture maladie universelle, couvrant les résidents dont les ressources ne leur permettent de s'assurer, personnes les plus fragiles, correspondant à des situations souvent précaires, parce que ces personnes ont droit à une protection, conformément aux principes du préambule de la constitution de 1946, que votre décision du 23 juillet 1999 relative à la CMU rappelle, peut­ on admettre pour autant que le législateur abandonne par principe le lien salarial comme fondement de l'affiliation à la sécurité sociale, et sa conséquence , la notion d'ayant droit ? Les requérants soulignent qu'à la différence des principes ayant motivé la mise en place de la CMU il ne s'agit pas ici d'offrir une protection a des personnes qui, en l'absence de texte en seraient privées. Il s'agit de modifier le fondement des critères d'affiliation.

1 °) l'article 59 est contraire à la notion de cotisation sociale et au lien entre cotisation et prestation.

Selon la logique poursuivie par cet article, la couverture universelle délie totalement cotisations, dont le paiement est inhérent à une activité professionnelle, et droit à prestation. Ce faisant l'article 59 est contraire à toute la jurisprudence relative à la notion de cotisation, laquelle « ouvre droit à des prestations » (no 93-325 DC du 13 août 1993). Or il résulte de l'article 59 que les droits à prestation ne sont plus ouverts en raison des cotisations versées, notion qui justifie l'affiliation des ayants droits au titre du cotisant, mais que ces droits sont désormais ouverts sans lien avec une activité professionnelle. L'obligation de versement des cotisations est liée à la situation salariale (no 2012-659 DC du 13 décembre 2012) la prestation ne l'est plus. La décision no 2014-698 DC du 6 août 2014 sur la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014, a censuré une absence manifeste de lien entre cotisation et prestation : « un même régime de sécurité sociale continuerait, en application des dispositions contestées, à financer, pour l'ensemble de ses assurés, les mêmes prestations malgré l'absence de versement, par près d'un tiers de ceux­ ci, de la totalité des cotisations salariales ouvrant droit aux prestations servies par ce régime ...dès lors, le législateur a institué une différence de traitement, qui ne repose pas sur une différence de situation entre les assurés d'un même régime de sécurité sociale, sans rapport avec l'objet des cotisations salariales de sécurité sociale ; qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article 1er de la loi déférée, qui méconnaissent le principe d'égalité, doivent être déclarées contraires à la Constitution ».

Nous sommes exactement dans ce même cas de figure. Le financement, par ailleurs paritaire, donc reposant sur les cotisations, couvre une prestation en nature universelle dans son principe, le droit à cette prestation étant légal et perdant tout lien avec les cotisations. Ce n'est ni le fait que certains soient exonérés de payer, en raison de la faiblesse ou de l'absence de ressources, comme dans le cas de l'actuelle CMU, qui est ici en cause même le fait que la situation des cotisations actuelles demeurent identiques, dispositions qui justifiaient la décision du 23 juillet 1999 : « l'article L. 380-2 du code de la sécurité sociale se borne à exonérer de cotisations, s'agissant de la couverture de base attribuée sur critère de résidence en application de l'article L. 380-1 du même code, les personnes affiliées au régime général du fait de leur résidence en France lorsque leurs revenus sont inférieurs à un plafond fixé par décret ; que les cotisations dues par les personnes dont les ressources excèdent ce plafond sont proportionnelles à la part de leurs ressources dépassant ledit plafond ; que, par suite, le moyen tiré de l'existence d'un » effet de seuil« manque en fait s'agissant de la couverture de base… le principe d'égalité ne saurait imposer au législateur, lorsqu'il s'efforce, comme en l'espèce, de réduire les disparités de traitement en matière de protection sociale, de remédier concomitamment à l'ensemble des disparités existantes ; que la différence de traitement dénoncée par les requérants entre les nouveaux bénéficiaires de la couverture maladie universelle et les personnes qui, déjà assujetties à un régime d'assurance maladie, restent obligées, à revenu équivalent, de verser des cotisations, est inhérente aux modalités selon lesquelles s'est progressivement développée l'assurance maladie en France ainsi qu'à la diversité corrélative des régimes, que la loi déférée ne remet pas en cause ».

En effet il ne s'agit pas ici de réduire des disparités, de lutter contre des situations de précarité ou d'offrir une couverture à des personnes qui en seraient privées en méconnaissance du droit à la protection de la santé et de la sécurité matérielle. Il s'agit de bouleverser les conditions générales d'affiliation, et, pour la première fois dans l'histoire de la sécurité sociale, de délier dans son principe même le droit général à prestation et les cotisations. Votre jurisprudence n'a jamais admis un tel bouleversement, même pour la branche famille (Décision no 97-393 DC du 18 décembre 1997 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998).

En supprimant d'une manière générale la notion d'ayant droit, l'article 59 méconnaît donc la nature des cotisations sociales, liées à une activité professionnelle, et les conditions d'ouverture des droits à prestation telles que définies par la jurisprudence, constitutionnelle comme administrative (Conseil d'État, 6 octobre 1999, n° 200241). Si une couverture spécifique aux plus démunis, sans condition de ressources, est parfaitement justifiée au regard des exigences de solidarité nationale et de droit à la santé, le système ne saurait en revanche changer de nature au profit d'une couverture sociale sans lien avec une affiliation professionnelle et de versement de cotisations sans lien avec l'ouverture de droits.

2 °) A supposer même que cette rupture entre activité professionnelle, cotisation et prestation ne soit pas jugée contraire à la Constitution, alors la disposition du 2 ° 1 de cet article selon laquelle : « Chacun contribue, en fonction de ses ressources, au financement de cette protection. », et le deuxième alinéa du 1 de l'article L 111-2-1 du code de la sécurité sociale qui rappelle le principe du financement, sur une base d'affiliation professionnelle, de la couverture maladie , qui doivent être déclarés contraires à la Constitution : puisque ce ne sont plus les cotisations qui ouvrent droit à prestation y compris pour les ayant-droits , le mot « chacun » est inexact comme le mot « ressources » : seuls les cotisants contribuent à des prestations sans lien avec cette qualité. La suppression affirmée par l'article 59 du lien entre le financement et la couverture maladie rend ce dispositif contraire à l'intelligibilité de la loi, puisqu'il est inexact et dénué de toute portée.

3 °) Pour le même motif, l'article 59 porte atteinte au fondement de l'équilibre financier de la branche maladie, et il est donc contraire à l'article LO 111-3 du même code qui garantit cet équilibre.

4 °) Si la disparition de la notion d'ayant droits, d'une façon générale, était néanmoins jugée conforme à la Constitution, le maintien de cette notion pour certains enfants mineurs, opéré par l'article L 160-2 du code de la sécurité sociale ne serait alors pas conforme à la Constitution.

De deux choses l'une : soit la couverture est universelle, et la notion d'ayants droits doit alors totalement disparaître, notamment puisque l'enfant mineur ne peut être considéré comme étant à la charge de ses parents, et « l'affiliation par... filiation » est alors inconstitutionnelle, puisqu'elle crée une rupture d'égalité qu'aucun critère rationnel ne justifie, dès lors que toutes les autres catégories d'ayant droit disparaissent, soit la couverture n'est pas universelle en ce sens qu'elle fait toujours dépendre pour les mineurs une affiliation à un rattachement à une tierce personne. Dans les deux cas il en résulte une rupture d'égalité entre mineurs et majeurs. Les conditions d'une vie familiale normale ne peuvent être invoquées pour justifier de cette exception : à défaut la disparition du lien conjugal ou du partenariat comme cause d'affiliation sera nécessairement jugée contraire à la Constitution. En fait il s'agit, sur ce point, de porter atteinte à l'une des conséquences les plus courantes du mariage.

5 °) Rien ne justifie par ailleurs, au regard de l'objet de loi, d'ouvrir un droit d'option à une catégorie particulière, aucun critère objectif ne justifiant plus qu'on soit ou non ayant droit de sa seule volonté. En déterminant une catégorie pouvant choisir un tel statut, sans justification appropriée, et en allant à l'encontre de l'objectif que s'est assigné le législateur, le dispositif selon lequel : « L'enfant qui a atteint l'âge de seize ans peut demander, selon des modalités fixées par décret, à bénéficier, à titre personnel, de la prise en charge de ses frais de santé en cas de maladie ou de maternité. » rompt l'égalité entre les mineurs, et, au surplus, n'épuise pas la compétence du législateur en renvoyant au décret le soin de fixer les modalités d'exercice de ce droit, lesquelles touchent nécessairement au respect de la vie privée et aux libertés individuelles.

Une même rupture d'égalité résulte à l'évidence de l'alinéa suivant selon lequel :
« L'enfant qui, ayant atteint l'âge de seize ans, poursuit des études dans les établissements, écoles ou classes mentionnés au même article L. 381-4 bénéficie automatiquement de la prise en charge de ses frais de santé à titre personnel. ». Le critère de la scolarisation dans certains établissements n'est ni rationnel, ni objectif au regard du but que le législateur poursuit.

6 °) La prise en compte de l'activité professionnelle comme critère justifiant une différence dans le service des prestations constitue une rupture d'égalité, dès lors que ce critère ne justifie plus l'ouverture des droits. Or, le 18 ° du III de cet article dispose en particulier : « Art. L. 160-17.- La prise en charge des frais de santé mentionnée à l'article L. 160-1 est effectuée, pour les personnes exerçant une activité professionnelle, par les organismes chargés de la gestion des régimes obligatoires auxquels elles sont affiliées pour le service des prestations d'assurances sociales, dans des conditions définies par décret. Ce décret détermine également les conditions dans lesquelles ces organismes prennent en charge les frais de santé des personnes n'exerçant pas d'activité professionnelle. ». L'introduction d'un critère tiré de l'activité professionnelle pour justifier de différences dans la prise en charge des frais de santé, qui dépend de l'affiliation et non des situations professionnelles est contraire au but que le législateur s'est assigné, consistant à couvrir indistinctement la population en situation régulière sur le territoire et constitue une rupture d'égalité d'autant plus flagrante que le critère ici utilisé est précisément celui que le législateur entend abandonner.

7 °) L'article L 160-17, en tant qu'il mentionne des mutuelles, groupement de mutuelles, assureurs ou groupements d'assureur, ou plus généralement les organismes délégataires de gestion est contraire à la Constitution. S'agissant d'une mission de service public, c'est la Nation et elle seule qui, aux termes des 10e et 11e alinéas du préambule de la Constitution de 1946 doit assurer cette protection, d'autant que son caractère universel provient de la volonté du législateur et correspond à la volonté d'homogénéiser les conditions d'affiliation. Les caisses de sécurité sociale ne peut donc se défausser sur des tiers, même partiellement, de la gestion de cette couverture garantie à tous, sauf à méconnaître les dispositions précitées du Préambule et la sincérité et l'exhaustivité des comptes de la sécurité sociale, garanties par le VII de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, cette gestion et ces dépenses étant par nature inhérentes aux caisses de sécurité sociale elles-mêmes, conformément au 2 ° du D du 1 du même article. Cette entreprise de débudgétisation ne peut échapper à la censure : les mutuelles ou les sociétés d'assurance ne peuvent se substituer aux services publics, même par délégation, dès lors que la protection résulte d'une garantie légale et universelle, comme vous l'avez jugé dans votre décision n° 94-351 DC 29 décembre 1994.

8 °) D'ailleurs , et au surplus, le XIII B de l'article 59 qui dispose : « Le préjudice susceptible de résulter, pour les organismes mentionnés à l'article L. 160-17 du code de la sécurité sociale, du transfert, en tout ou partie, d'opérations de gestion de la prise en charge des frais de santé qu'ils assurent à la date d'entrée en vigueur de la présente loi fait l'objet d'une indemnité s'il a pour origine les modifications apportées aux règles régissant les délégations de gestion et présente un caractère anormal et spécial. Cette indemnité est fixée dans le cadre d'un constat établi à la suite d'une procédure contradictoire. Les conditions et le montant de l'indemnité sont fixés par décret » sera lui aussi déclaré contraire à la Constitution pour les motifs suivants :

Il ne précise pas quelle personne est redevable de cette indemnité, ni quelle est sa nature juridique, ce qui constitue une marque d'incompétence négative du législateur. Il est rappelé que l'article L 160-17 vise notamment les caisses de sécurité sociale elles-mêmes.

Le même grief porte sur la « procédure contradictoire » dont il n'est en rien dit quels sont ses acteurs et modalités.

Elle ne peut trouver sa place en loi de financement au regard des dispositions de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, singulièrement du V c 3 ° de cet article : il s'agit en effet d'une disposition qui ne modifie en rien les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale, mais correspond à une volonté de déléguer des obligations de service public tout en en revendiquant le principe.

En renvoyant au critère classique du préjudice « anormal et spécial » engendré par la loi, elle suppose que c'est l'Etat qui est redevable de cette indemnisation, auquel cas ce dispositif devient redondant et sera déclaré dénuer de portée donc contraire à la Constitution (V. n° 2005- 512 DC, 21 avril 2005) . Le dispositif est alors assimilable à la pris en charge de la dette d'un tiers, celle de la sécurité sociale aux assureurs et mutuelles, et ne peut relever que du domaine des lois de finances en application de l'article 34 II 6 °) de la loi organique relative aux lois de finances. Au demeurant la mise à la charge de l'Etat d'une telle indemnité serait contraire au principe d'autonomie de gestion de la sécurité sociale.

Si au contraire cette indemnité est due par les organismes de sécurité sociale, elle est contraire aux dispositions organiques mentionnées ci-dessus. En outre elle aboutirait à prévoir une indemnisation de la sécurité sociale à ... la sécurité sociale, puisqu'il convient, à nouveau de rappeler que les organismes mentionnés à l'article L 160-17 nouveau du code de la sécurité sociale inclut les caisses gestionnaires de l'assurance maladie.

Ce dispositif inintelligible dans son périmètre, sa portée et ses effets ne peut donc, lui non plus, échapper à la censure.

Sur l'article 77

Au moment de la mise en place de la tarification à l'activité, dite T2A, un dispositif transitoire a permis aux établissements publics de continuer à calculer le ticket modérateur réglé par l'assuré ou sa complémentaire sur la base du Tarif Journalier de Prestation (TJP) et non sur le Groupe Homogène de Séjour (GHS), comme c'est le cas pour les établissements de santé privés.

La loi déférée prévoit de prolonger cet état de fait jusqu'à la fin de l'année 2019, permettant aux hôpitaux publics de fixer eux-mêmes, en accord avec les ARS, le montant de leur TJP . La perpétuation de ce régime d'exception profondément inéquitable, est responsable de restes à charge importants pour les patients qui a été dénoncé à de très nombreuses reprises par les associations de patients.

Faire perdurer cet état de fait maintient une rupture d'égalité entre les établissements de santés publics et privés sans une justification claire. Or, si le législateur peut porter atteinte à ce principe d'égalité, ce n'est que pour traiter différemment des situations différentes, et dès lors que la différence de traitement qui en résulte n'est pas en rapport direct avec l'objet de la loi (par ex CC, Décision n° 96-380 DC du 23 juillet 1996, Décision n° 2015-477 QPC du 31 juillet 20155).

En effet, si le Conseil Constitutionnel ne censure pas forcément le caractère en soi discriminatoire d'une mesure opérant une différence de traitement de situations comparables, il est souvent amené à censurer l'absence de lien direct entre les différenciations de traitement opérées par la loi et l'objectif qu'elle poursuit.

La jurisprudence du Conseil Constitutionnel est claire sur ce sujet :

« La différence de traitement entre établissements publics et privés qui se trouvent incontestablement dans des situations comparables, ne trouve aucune justification au regard de l'objet de la loi dont l'objectif est la santé publique. Elle n'est pas de nature à améliorer la prise en charge sanitaire de la population pas plus qu'elle ne contribuera à l'objectif de modération des dépenses médicales (Décision no 98-404 DC du 18 décembre 1998). »

Sur l'article 78.

L'article 78 de la loi déférée porte une réforme du financement des soins de suite et de réadaptation (SRR).

Sa rédaction méconnaît le principe de sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale, principe à valeur constitutionnelle (C.C., no 99-422 DC, 21 décembre 1999, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, cons. 22 à 31). En effet, l'ensemble de ses conséquences n'ont pas été évaluées et correctement prises en compte dans la détermination des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale. Ainsi, l'étude d'impact se contente-t-elle d'indiquer qu'« à compter de 2017, l'évolution du modèle de financement a vocation à constituer un levier en terme de réorganisation de l'offre de soins et de développement des prises en charge ambulatoires et devrait générer, à terme, des économies pour l'assurance maladie. Le montant de ces économies est néanmoins difficile à évaluer à ce stade » (p. 344). Faute d'une véritable simulation, l'impact sur la maîtrise des dépenses d'assurance maladie n'a pas été rigoureusement identifié. Le législateur a donc porté atteinte au principe de sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale.

L'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi découlant des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789 (C.C., n° 99-421 OC, 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie législative de certains codes, consid. 13), impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. Or, la rédaction de l'article 78 méconnaît cette obligation.

Les établissements de SSR sont, en effet, placés dans une situation d'incertitude quant aux nouvelles modalités de financement. Ce modèle est structuré autour de fractions de tarifs, de pondérations par des coefficients géographique et prudentiel et des modalités de remboursement de spécialités pharmaceutiques qui n'ont pas été définies. Au surplus, l'article 49 n'indique pas comment, au sein de la dotation modulée à l'activité, la répartition en volumes entre le socle tarifaire et la tarification à l'activité sera effectuée. Enfin rien n'indique si les tarifs dans le champ SSR incluront ou non la rémunération des médecins. En s'en remettant de manière excessive au pouvoir réglementaire, le législateur n'a pas épuisé totalement sa compétence et compromet ainsi l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

***

Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil Constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la compétence et la fonction que lui confère la Constitution.