Décision n° 2015-711 DC du 5 mars 2015 - Observations du Gouvernement
Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante sénateurs pour qu'il soit statué sur la conformité à la Constitution de la loi autorisant l'accord local de répartition des sièges de conseiller communautaire.
Cette saisine appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
La loi déférée a pour objet de modifier le code général des collectivités territoriales afin de tirer toutes les conséquences de la décision n°2014-405 QPC du 20 juin 2014 par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré le deuxième alinéa du paragraphe I de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales contraire à la Constitution.
L'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales, issu de l'article 9 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, a modifié les règles de détermination du nombre et de la répartition des délégués des communes au sein des établissements publics de coopération intercommunale. Il prévoyait que, dans les communautés de communes et les communautés d'agglomération, cette répartition pouvait résulter d'un accord amiable approuvé à la majorité qualifiée par les conseils municipaux des communes intéressées. Cet accord permettait d'augmenter le nombre de sièges au sein de la communauté de 25 % par rapport aux effectifs prévus au III de l'article L. 5211-6-1. A défaut d'un tel accord, les sièges devaient être attribués à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne sur la base de la population municipale. Chaque commune n'ayant pu bénéficier d'un siège en application de cette répartition se voyait attribuer un siège au-delà de l'effectif fixé par la loi.
Le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions en estimant que ces accords n'étaient pas suffisamment encadrés. Il a rappelé, conformément à sa jurisprudence antérieure (décision n°94-358 DC, cons. 48) que, compte tenu du fait que les établissements publics de coopération entre les collectivités territoriales exercent en lieu et place de ces dernières des compétences qui leur auraient été sinon dévolues, leurs organes délibérants doivent être élus sur des bases essentiellement démographiques. Faisant application de sa jurisprudence traditionnelle, il a rappelé que s'il s'ensuit que la répartition des sièges doit respecter un principe général de proportionnalité par rapport à la population de chaque collectivité territoriale participante, il peut être toutefois tenu compte dans une mesure limitée d'autres considérations d'intérêt général. Mais, en l'espèce, il a estimé que les dispositions contestées permettaient qu'il soit dérogé au principe général de proportionnalité dans une mesure qui était manifestement disproportionnée.
Le Conseil constitutionnel a reporté dans le temps les effets de sa censure en décidant de ne pas remettre en cause de manière immédiate la répartition des sièges dans l'ensemble des communautés de communes et des communautés d'agglomération. Il a néanmoins décidé que la déclaration d'inconstitutionnalité s'appliquerait aux instances en cours et qu'il y aurait lieu de prévoir la remise en cause du nombre et de la répartition des sièges dans les communautés de communes et les communautés d'agglomération au sein desquelles le conseil municipal d'au moins une des communes membres serait, postérieurement à la date de la publication de sa décision, partiellement ou intégralement renouvelé.
La remise en cause des accords locaux a une forte incidence sur les communautés de communes et les communautés d'agglomération. En effet, environ 90 % des 2 100 organes délibérants des communautés de communes et des communautés d'agglomération mis en place à l'issue des élections municipales des 23 et 30 mars 2014 ont été constitués sur la base d'un accord local. Et, en dépit de la modulation décidée par le Conseil constitutionnel, les équilibres étaient susceptibles d'être modifiés dans de nombreuses communautés de communes ou communautés d'agglomération compte tenu de la nécessité de recomposer l'organe délibérant en cas d'annulation de l'élection municipale d'une seule commune, ou même en cas de décès ou d'empêchement d'un conseiller communautaire (lorsque le décès ou l'empêchement rend le conseil municipal incomplet et oblige, dans une commune de moins de 1000 habitants, à organiser de nouvelles élections).
L'application des règles législatives prévues aux III et IV de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales pour effectuer la répartition des sièges de conseillers communautaires entre les communes pose différents types de problèmes.
En premier lieu, elle entraîne une diminution du nombre de conseillers communautaires par rapport aux accords locaux antérieurs ce qui est susceptible de créer des tensions locales et de freiner le développement de l'intercommunalité, alors que le renforcement de celle-ci répond à un intérêt général très largement reconnu.
En deuxième lieu, elle conduit à ce que de nombreuses petites communes ne disposent plus que d'un seul conseiller communautaire en application de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. Or, comme le soulignent justement les auteurs de la saisine, la situation de l'élu, unique représentant une commune au sein d'une communauté comprenant de nombreuses communes, est souvent problématique compte tenu des nombreuses charges pesant sur cet élu.
En troisième lieu, la répartition des sièges en application des III et IV de l'article L. 5211-6-1 peut conduire à des situations marquées par de très forts écarts de représentation par rapport à la population de chaque commune participante.
Le principe général de proportionnalité impose que le ratio entre la population de la commune et le nombre de sièges de conseillers communautaires ne s'écarte pas trop de la moyenne au sein de la communauté de communes ou de la communauté d'agglomération. Le Conseil constitutionnel juge qu'en principe cet écart à la moyenne ne doit pas dépasser un seuil de 20 % (voir, à cet égard, la décision n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010).
Or, comme le montrent les exemples développés dans les rapports parlementaires, la répartition des sièges à la représentation proportionnelle de la population de chaque commune peut conduire, dans de nombreux cas, à dépasser le seuil de 20 %.
Pour répondre à ces différents enjeux, les sénateurs Alain Richard et Jean-Pierre Sueur, membres de la commission des lois, ont déposé dès le mois de juillet 2014 une proposition de loi visant à remédier aux inconvénients décrits ci-dessus tout en s'inscrivant dans le cadre tracé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il convient de relever que le sénateur Patrice Gélard a également déposé une autre proposition de loi ayant le même objet. Enrichie à l'occasion de la navette parlementaire, la proposition de loi présentée par MM. Richard et Sueur, soutenue par le Gouvernement et les associations d'élus locaux, a recueilli un large consensus au Sénat et à l'Assemblée nationale.
Tout en permettant la conclusion d'accords sur la répartition des sièges de conseiller communautaire entre les communes d'une communauté de communes ou d'une communauté d'agglomération, la loi déférée procède à un encadrement de cette faculté afin de répondre aux exigences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Le législateur a ainsi prévu que les sièges devraient être répartis en fonction de la population municipale de chaque commune, authentifiée par le plus récent décret publié en application de l'article 156 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité et que la part des sièges attribuée à chaque commune ne devrait, en principe, pas s'écarter de plus de 20 % de la proportion de sa population dans la population globale.
Le législateur n'a retenu que deux règles complémentaires qui s'imposent dans tous les cas de figure.
La première concerne la nécessité que chaque commune dispose d'au moins un représentant dans l'organe délibérant du groupement auquel elle participe. Le Conseil constitutionnel a déjà jugé que cette exception constituait une considération d'intérêt général permettant de s'éloigner du principe général de proportionnalité (décision n°94-358 DC du 26 janvier 1995, cons. 48).
La seconde est la nécessité qu'à l'issue de la mise en œuvre de l'accord, aucune commune ne dispose de plus de la moitié des sièges au sein de la communauté de communes ou de la communauté d'agglomération. Cette exception a pour but d'éviter le contrôle par une seule commune de la communauté qui, compte tenu de ses caractéristiques, doit reposer sur l'adhésion des communes.
Le législateur a également prévu des modalités concrètes d'application de la loi pour tenir compte des cas où le seuil de 20 % ne pourrait être respecté, compte tenu du nombre de sièges de conseillers communautaires supplémentaires arrêté par l'accord local et de la répartition démographique entre les différentes communes de la communauté d'agglomération ou de la communauté de communes.
Il a ainsi prévu que la part des sièges attribuée à une commune puisse s'écarter de plus de 20 % de la proportion de sa population lorsque la répartition prévue par l'accord permet de maintenir ou de réduire un écart de plus de 20 % auquel conduirait la répartition effectuée en application de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne.
Il a également permis que le seuil de 20 % ne soit pas respecté lorsqu'un second siège est attribué à une commune qui bénéficie d'un siège en application de la répartition à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. Cette règle permet d'éviter que l'application stricte du seuil de 20 % puisse conduire, compte tenu de la forte sensibilité du nombre moyen d'habitants par siège dans la commune lorsqu'une commune compte peu d'élus, à ce que certaines communes ayant une population relativement peu nombreuse, tout en étant nettement plus peuplées que les communes ayant obtenu un siège de droit, se trouvent désavantagées par l'augmentation du nombre d'élus arrêtée par un accord local.
Il va de soi que ce dernier dispositif ne saurait être contraire au principe d'égalité devant le suffrage et conduire à ce qu'une commune puisse bénéficier d'un second siège de conseiller communautaire en application d'un accord local de répartition alors qu'une autre commune ayant plus d'habitants ne bénéficierait que d'un siège en application du même accord.
Le législateur a veillé à ce que ce tempérament ne puisse s'appliquer aux communes qui ne bénéficieraient d'aucun siège attribué à la représentation proportionnelle. En effet, dans de tels cas de figure, l'attribution d'un second siège porterait une atteinte disproportionnée au principe général de proportionnalité par rapport à la population de chaque commune au sein de la communauté de communes ou de la communauté d'agglomération.
Si ces deux tempéraments conduisent à laisser subsister des écarts par rapport au seuil de 20 %, ils autorisent la mise en place d'accords locaux qui permettront de réduire les inégalités démographiques susceptibles d'apparaître si l'on applique une répartition des sièges en se fondant uniquement sur la répartition proportionnelle à la plus forte moyenne. Ils s'inscrivent dans la logique de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui admet des tempéraments au respect du seuil de plus ou moins 20 % pour favoriser un régime permettant de réduire les disparités de représentation (décision n°2003-476 DC du 24 juillet 2003, cons. 8).
Ces dispositions, à la différence de celles qui ont été censurées par la décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014, assurent donc le respect du principe d'égalité devant le suffrage.
La loi déférée prévoit qu'une nouvelle détermination du nombre et de la répartition des sièges devra intervenir en cas de renouvellement intégral ou partiel du conseil municipal d'une commune membre d'une communauté de communes ou d'une communauté d'agglomération dont la répartition des sièges de l'organe délibérant a été établie par accord intervenu avant le 20 juin 2014.
Elle a également prévu que les communes des communautés de communes ou des communautés d'agglomération dans lesquelles la répartition des sièges a été modifiée entre le 20 juin 2014 et la promulgation puissent conclure un nouvel accord sur le fondement des dispositions de la loi. Ces nouvelles dispositions respectent pleinement la décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014. La possibilité ouverte aux communautés qui auront dû, en application de cette décision, modifier la répartition des sièges ne se heurte à aucun principe constitutionnel.
Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que l'ensemble des dispositions de la loi sont conformes à la Constitution.
Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra déclarer la loi dont il est saisi conforme à la Constitution.