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Décision n° 2015-530 QPC du 23 mars 2016 - Décision de renvoi CE

M. Chérif Y. [Modalités d'appréciation de la condition de nationalité française pour le bénéfice du droit à pension en cas de dommage physique du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les événements de la guerre d'Algérie]
Non conformité totale

N° 387277
ECLI : FR : CESSR : 2015 : 387277.20151223
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
2ème / 7ème SSR
M. Clément Malverti, rapporteur
Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats

lecture du mercredi 23 décembre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. A... B...a demandé au tribunal départemental des pensions d'annuler la décision du 17 janvier 2011 du ministre de la défense rejetant sa demande tendant au versement d'une pension d'invalidité en qualité de victime civile de violences s'étant produites en Algérie en 1960. Par un jugement n° 11/00010 du 11 septembre 2012, le tribunal des pensions de Toulouse a rejeté sa demande.

Saisie en appel par M.B..., la cour régionale des pensions de Toulouse, par un premier arrêt n° 13/00006 du 15 janvier 2014, a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'intéressé. Par un second arrêt n° 12/00043 du 19 novembre 2014, la cour a annulé le jugement du tribunal des pensions de Toulouse et a fait droit à la demande de M.B....

Par un pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 janvier et 20 avril 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le ministre de la défense demande au Conseil d'État d'annuler cet arrêt et de rejeter l'appel de M.B....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

  • la Constitution, notamment son article 61-1 ;
  • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
  • l'article 13 de la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 ;
  • le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

  • le rapport de M. Clément Malverti, auditeur,
  • les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. B...;

  1. Considérant qu'aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé » ; que les dispositions de l'article 23-2 de cette ordonnance prévoient que lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux ; qu'aux termes du dernier alinéa de cet article 23-2 : " (...) Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige " ; que l'article R.* 771-16 du code de justice administrative dispose : « Lorsque l'une des parties entend contester devant le Conseil d'Etat, à l'appui d'un appel ou d'un pourvoi en cassation formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige, le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité précédemment opposé, il lui appartient, à peine d'irrecevabilité, de présenter cette contestation avant l'expiration du délai de recours dans un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission. / La contestation du refus de transmission par la voie du recours incident doit, de même, faire l'objet d'un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission » ;

  2. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a refusé de lui transmettre une question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester ce refus par un mémoire distinct et motivé, à l'occasion du pourvoi formé contre la décision qui statue sur le litige, que le refus de transmission ait été opposé par une décision distincte de la décision qui statue sur le litige ou directement par cette décision ; qu'une telle contestation peut être formée sans condition de délai par le défendeur au pourvoi, par la voie du recours incident ;

  3. Considérant que, par un mémoire produit en défense, M. B...soutient que, contrairement à ce que la cour régionale des pensions de Toulouse a jugé, la question de la conformité des dispositions de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963 au principe constitutionnel d'égalité est sérieuse ; qu'il doit ainsi être regardé comme contestant à titre incident, en application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, le refus par la cour de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qu'il lui avait soumise ; que, dans la mesure où une copie de l'arrêt de la cour du 15 janvier 2014 refusant de transmettre cette question a été versée au dossier du pourvoi, la circonstance que M. B... n'ait pas accompagné son mémoire d'une telle copie n'est pas de nature à faire obstacle à la recevabilité de sa contestation ;

  4. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963 modifié par l'article 12 de la loi n° 64-1330 du 26 décembre 1964 : " (...) les personnes de nationalité française à la date de promulgation de la présente loi ayant subi en Algérie depuis le 31 octobre 1954 et jusqu'au 29 septembre 1962 des dommages physiques du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les événements survenus sur ce territoire ont, ainsi que leurs ayants-cause de nationalité française à la même date, droit à pension " ;

  5. Considérant que les dispositions de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce que ces dispositions, en réservant le bénéfice du droit à pension qu'elles instituent aux personnes de nationalité française à la date du 31 juillet 1963, portent atteinte au principe constitutionnel d'égalité soulève une question présentant un caractère sérieux ; qu'ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel, en application des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité invoquée et d'annuler l'arrêt du 15 janvier 2014 par lequel la cour régionale des pensions de Toulouse a refusé de transmettre cette question au Conseil d'Etat ;

  6. Considérant qu'il y a lieu de surseoir à statuer sur le pourvoi du ministre de la défense contre l'arrêt de la cour régionale des pensions de Toulouse du 19 novembre 2014 jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché cette question prioritaire de constitutionnalité ;

D E C I D E :

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 13 de la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 modifié par l'article 12 de la loi n° 64-1330 du 26 décembre 1964 est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : L'arrêt du 15 janvier 2014 de la cour régionale des pensions de Toulouse est annulé.

Article 3 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi du ministre de la défense jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché cette question de constitutionnalité.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de la défense et à M. A...B....