Décision n° 2014-703 DC du 19 novembre 2014 - Observations du Gouvernement
La composition de la commission d'enquête
L'article 6 de la loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution prévoit la constitution d'une commission afin de recueillir toute information nécessaire à l'accomplissement de sa mission par la Haute Cour.
Le projet de loi prévoyait qu'elle était constituée, en nombre égal, de vice-présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Le législateur organique a souhaité fixer dans la loi organique le nombre de membres de cette commission afin d'assurer le respect du pluralisme et la représentation équitable des groupes parlementaires. Il a donc prévu qu'elle serait constituée de six vice-présidents de l'Assemblée nationale et de six vice-présidents du Sénat.
La conformité à la Constitution des règlements des assemblées parlementaires s'apprécie tant au regard de la Constitution qu'au regard des lois organiques prévues par elle. Une assemblée ne pourrait donc modifier son règlement pour prévoir qu'elle comprend moins de six vice-présidents sans une modification préalable de la loi organique portant application de l'article 68.
Cette disposition n'interdit évidemment pas à une assemblée d'avoir plus de six vice-présidents. Tel est d'ailleurs la situation actuelle du Sénat qui devra préciser dans son règlement les conditions de désignation des vice-présidents appelés à siéger à la Haute Cour.
Le déroulement des débats devant la Haute Cour et du vote sur la destitution de la Haute République
L'article 7 de la loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution fixe les règles relatives au déroulement des débats devant la Haute Cour et au vote sur la destitution du Président de la République. Il prévoit que les débats de la Haute Cour sont publics et qu'outre les membres de la Haute Cour, seuls peuvent y prendre part le Président de la République et le Premier ministre. Il prévoit également que le temps de parole est limité et que le Président de la République peut prendre ou reprendre la parole en dernier. Il prévoit que le Président de la République peut, à tout moment, se faire assister ou représenter par toute personne de son choix. Il prévoit que le vote doit commencer au plus tard quarante-huit heures après l'ouverture des débats et que la Haute Cour est dessaisie si elle n'a pas statué dans le délai d'un mois prévu au troisième alinéa de l'article 68 de la Constitution.
En complément de ces dispositions et des dispositions précises de l'article 68 de la Constitution, la Haute Cour sera amenée, avant de commencer ses débats, à adopter un règlement. Ce règlement sera distinct des dispositions arrêtées par le bureau pour assurer l'organisation matérielle des travaux de la Haute Cour conformément aux dispositions de l'article 5 de la loi organique.
Sur le modèle du règlement du Congrès, ce règlement déterminera notamment les modalités de prise de parole des membres de la Haute Cour et les conditions dans lesquelles le Président de la République pourra intervenir dans les débats. Il pourra également préciser les modalités du scrutin dans le respect des dispositions de l'article 68 de la Constitution qui prévoient que le vote sur la destitution se fait à bulletins secrets, que toute délégation de vote est interdite et que seuls sont recensés les votes favorables à la destitution pour déterminer si la décision est prise à la majorité des deux tiers des membres composant la Haute Cour.
Ce règlement du Parlement réuni en Haute Cour devra être soumis au contrôle du Conseil constitutionnel en application de l'article 61 de la Constitution tout comme l'est le règlement du Parlement réuni en Congrès.
Les conditions de dépôt d'une résolution en vue de la saisine de la Haute Cour
L'article 1er de la loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution détermine les conditions dans lesquelles sont déposées les propositions de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour pour se prononcer sur une éventuelle destitution du Président de la République. Il prévoit que la proposition de résolution est signée par au moins un dixième des membres de l'assemblée concernée. Il reprend ainsi une condition qui était prévue par le règlement des assemblées pour l'examen d'une proposition de mise en accusation devant l'ancienne Haute Cour de justice. Il prévoit également qu'un député ou un sénateur ne peut être signataire de plus d'une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour au cours du même mandat présidentiel.
En instituant ces restrictions, le législateur organique a entendu assurer des conditions d'application de l'article 68 de la Constitution conformes aux objectifs poursuivis par le Constituant.
Le Constituant, en modifiant l'article 68 de la Constitution par la loi constitutionnelle du 23 février 2007, n'a pas entendu modifier l'équilibre des pouvoirs entre le Parlement, le Gouvernement et le Président de la République. L'instauration d'une procédure de destitution ne peut concerner que des cas exceptionnels dans lesquels l'existence d'un manquement manifestement incompatible avec les devoirs du Président de la République fait l'objet d'une appréciation qui dépasse les clivages politiques. Elle n'a pas pour objet de rendre le chef de l'Etat politiquement responsable devant le Parlement, cette responsabilité devant être assumée par le Gouvernement dans les conditions prévues aux articles 49 et 50 de la Constitution de destitution. Elle ne doit pas non plus être utilisée à des fins partisanes pour porter atteinte à la fonction présidentielle. Le Constituant a ainsi souhaité que la réunion de la Haute Cour et la destitution soient décidées à la majorité des deux tiers des membres des assemblées.
Le législateur organique doit respecter les équilibres définis par le Constituant. Il lui appartient notamment d'éviter que la procédure de destitution puisse être engagée de manière abusive ou de manière répétitive, à des fins partisanes. Des débats récurrents sur la responsabilité du Président de la République devant l'une des deux assemblées contribueraient à l'affaiblissement de la fonction présidentielle et méconnaîtraient ainsi l'équilibre établi par le Constituant.
Plusieurs solutions étaient envisageables pour éviter le déclenchement de procédures abusives et répétitives.
Le projet de loi initialement déposé prévoyait de confier un rôle de filtre à la commission permanente compétente en matière de lois constitutionnelles de la première assemblée saisie pour apprécier si l'initiative n'était pas dénuée de tout caractère sérieux.
Le législateur organique n'a pas souhaité que les commissions des lois puissent exercer ce pouvoir de filtrage. Il a ainsi décidé que le contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution serait un contrôle purement formel exercé par le bureau de l'assemblée devant laquelle la proposition de résolution a été déposée. La commission permanente compétente en matière de lois constitutionnelles sera saisie de la proposition de résolution pour conclure à son adoption ou à son rejet. La proposition de résolution devra être inscrite à l'ordre du jour de l'assemblée au plus tard le treizième jour suivant les conclusions de la commission sans préjudice des dispositions de l'article 48 de la Constitution.
Le législateur organique a préféré retenir la suggestion du rapport de la commission Avril consistant à limiter le droit d'initiative de chaque parlementaire à l'apposition d'une seule signature par mandat présidentiel afin de dissuader des manœuvres purement partisanes.
Le législateur organique a estimé que si un manquement grave aux devoirs de la charge présidentielle devait intervenir alors qu'une première motion tendant à la destitution du Président de la République a déjà été déposée, il serait possible de trouver au moins un dixième des membres d'une assemblée pour signer une nouvelle proposition de résolution, condition posée par la loi organique.
Le législateur organique a ainsi fixé une condition de recevabilité d'une proposition de résolution nécessaire à l'application de l'article 68 de la Constitution. Il n'a pas méconnu les limites de l'habilitation conférée par la Constitution. La mise en œuvre de cette condition de recevabilité avait d'ailleurs été expressément envisagée comme une des modalités de la procédure de destitution devant être fixée par la loi organique lors des débats sur la révision constitutionnelle du 23 février 2007 (rapport de M. Houillon à l'Assemblée nationale, p. 58).
Les conditions d'examen de la proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour devant la première assemblée saisie
L'article 2 de la loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution détermine les conditions dans lesquelles sont examinées devant la première assemblée les propositions de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour. Le bureau de l'assemblée devant laquelle la proposition de résolution a été déposée vérifiera les conditions formelles de recevabilité de cette proposition (motivation et indication des motifs susceptibles de caractériser un manquement au sens du premier alinéa de l'article 68 de la Constitution, signature par au moins un dixième des membres de l'assemblée n'ayant pas déjà signé une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour depuis le début du mandat présidentiel). La proposition de résolution sera envoyée pour examen à la commission permanente compétente en matière des lois constitutionnelles qui conclura à son adoption ou à son rejet. Elle sera ensuite, sans préjudice des dispositions de l'article 48, inscrite à l'ordre du jour de l'assemblée au plus tard le treizième jour suivant les conclusions de la commission.
Le législateur organique n'a pas souhaité qu'un pouvoir de filtrage soit confié à la commission des lois de l'assemblée devant laquelle la proposition de résolution est déposée alors que le projet de loi organique initialement déposé prévoyait que la commission devait apprécier si l'initiative n'était pas dénuée de tout caractère sérieux. La commission des lois devra donc rendre un avis positif ou négatif sur la proposition de résolution.
Le législateur organique s'est ensuite inspiré de la préconisation de la commission Avril en prévoyant que la proposition de résolution soit rapidement inscrite à l'ordre du jour suivant les conclusions de la commission des loi et rapidement votée par la première chambre. Il a retenu un délai de 13 jours après les conclusions de la commission pour l'inscription à l'ordre du jour et un délai de quinze jours pour l'intervention du vote.
L'article 68 n'a pas expressément prévu ce délai à la différence du délai de quinze jours qui est laissé à la deuxième assemblée du Parlement pour se prononcer sur une proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par la première assemblée. Mais, compte tenu des situations exceptionnelles dans lesquelles la procédure de destitution est appelée à jouer, le législateur organique n'a pas méconnu les limites de l'habitation qui lui a été conférée par la Constitution en instituant un tel délai afin que la proposition de résolution puisse être examinée de manière rapide afin de ne pas contribuer à créer une situation de crise institutionnelle.
Toutefois, à la différence du délai imparti par l'article 68 de la Constitution à la seconde assemblée pour se prononcer, ce délai ne présente pas un caractère impératif. L'absence de respect de ce délai ne pourrait avoir pour effet de mettre un terme à la procédure tendant à la réunion de la Haute Cour. En l'absence de mention expresse de ce délai de quinze jours dans la Constitution, le législateur organique a également rappelé qu'il devait respecter les exigences posées par la Constitution. Il a ainsi prévu que ce délai s'applique sans préjudice des dispositions de l'article 48 de la Constitution qui permettront au Gouvernement ou à l'assemblée saisie d'inscrire l'examen de la proposition de résolution par priorité lors des semaines qui leur sont réservées. Il a également prévu que ce délai serait interrompu en cas de clôture de la session en application de l'article 28 de la Constitution.
Les conditions d'examen de la proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour devant la seconde assemblée
L'article 3 de la loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution détermine les conditions dans lesquelles est examinée par la seconde assemblée une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour adoptée par une première assemblée.
Le législateur organique a prévu que lorsque la clôture de la session du Parlement fait obstacle à l'examen de la proposition de résolution, l'inscription à l'ordre du jour intervient au plus tard le premier jour de la session ordinaire suivante.
Comme l'a indiqué le secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, lors des débats devant le Sénat, le Gouvernement s'est interrogé sur la compatibilité de ces dispositions avec le délai de quinze jours fixé par la Constitution pour que la deuxième assemblée se prononce sur la proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement.
L'article 68 de la Constitution pourrait en effet être lu comme ayant entendu fixer un délai impératif qui doit prévaloir sur les règles relatives à l'organisation des sessions parlementaires fixées par les articles 28 et 29 de la Constitution. Cette dérogation pourrait se justifier par la nécessité de trancher la crise institutionnelle qui serait ouverte à la suite de l'adoption par la première assemblée à la majorité des deux tiers d'une proposition de résolution demandant la réunion de la Haute Cour. Dans certaines configurations, cette crise ne pourrait se résoudre par la réunion du Parlement en session extraordinaire qui ne peut être demandée par le Sénat et nécessite un décret du Président de la République. Il serait donc possible de considérer que, même en dehors de toute session parlementaire, la seconde assemblée soit tenue de se réunir pour statuer sur une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour adoptée par une première assemblée. L'ordre du jour de cette séance serait alors strictement limité à l'examen de cette proposition de résolution.
Le législateur organique a néanmoins constaté que le Constituant n'avait pas expressément prévu la réunion de plein droit du Parlement contrairement à d'autres dispositions de la Constitution.
Le Gouvernement ne peut, pour l'appréciation de la constitutionnalité de ces dispositions, qui sont séparables des autres dispositions de l'article 3, que s'en remettre à l'appréciation du Conseil constitutionnel.