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Décision n° 2014-698 DC du 6 août 2014 - Saisine par 60 députés

Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014
Non conformité partielle

Monsieur le Président
Mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel,

En application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés ont l'honneur de vous déférer l'ensemble de la loi de financement rectificative de sécurité sociale pour 2014, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement le 23 juillet 2014.

Ils estiment que la loi déférée porte atteinte à plusieurs principes et libertés constitutionnels.

A l'appui de cette saisine, sont développés les griefs suivants.

I- De manière générale, les auteurs de la présente saisine estiment que l'ensemble de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale est insincère.

Ils notent que vous avez considéré que « le Conseil constitutionnel est chargé de contrôler la conformité à la Constitution des lois de programmation relatives aux orientations pluriannuelles des finances publiques, des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale ; que saisi dans le cadre de l'article 61 de la Constitution, il doit notamment s'assurer de la sincérité de ces lois ; qu'il aura à exercer ce contrôle en prenant en compte l'avis des institutions indépendantes préalablement mises en place » (Cons. Const. N° 2012-653 DC, 9 août 2012, cons. 27)

Lors de l'examen de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, vous aviez d'ailleurs considéré que « la sincérité de la loi de programmation des finances publiques devra s'apprécier notamment en prenant en compte l'avis du Haut Conseil des finances publiques ; qu'il en ira de même de l'appréciation de la sincérité des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale » (Cons. Const. N° 2012-658 DC, 13 décembre 2012, cons. 52).

Deux constats doivent être formulés à l'aune de votre jurisprudence.

1- Tout d'abord il existe un premier risque d'insincérité de la LFRSS au regard des engagements pris par la France en matière de maitrise de la dépense publique.

Dans son avis n° HCFP-2014-03 relatif aux projets de lois de finance rectificative et de financement rectificatif de la sécurité sociale, le Haut Conseil des Finances publiques, a estimé que « sans être hors d'atteinte, la prévision de croissance pour 2014 paraît désormais élevée », que « une croissance inférieure à celle prévue par le Gouvernement se traduirait par un déficit plus important » et que « le déficit structurel pour 2014 risque (…) d'être supérieur à la prévision de 2,3 % du PIB. »

Le doute exprimé par le Haut Conseil des Finances publiques quant au respect par le Gouvernement de ses engagements européens est renforcé au vu des principales mesures que contient le PLFRSS dans sa partie relative aux recettes. En effet, les trois premiers articles de la loi déférée comportent trois dispositifs qui se traduisent par des moindres recettes pour le budget de la sécurité sociale, soit :
- l'instauration d'une réduction dégressive de cotisations salariales pour les salariés entre 1 et 1,3 Smic (Art 1) ;
- l'augmentation des allègements généraux de cotisations patronales pour supprimer toute cotisation aux Urssaf au niveau du Smic, réduire les cotisations d'allocations familiales ainsi que les cotisations des travailleurs indépendants et simplifier les versements au fonds national d'aide au logement (Fnal) (Art 2);
- La création d'un abattement d'assiette de la contribution sociale de solidarité des sociétés (Art 3).

Or, en l'espèce, l'article 131-7 du code de la sécurité sociale, qui pose le principe d'une obligation de compensation financière intégrale de toute baisse de cotisations par le budget de l'Etat, aggrave précisément les perspectives macroéconomiques de la France. Monsieur le Rapporteur Gérard BAPT l'a lui-même reconnu dans son rapport (page 26 du rapport n° 2061) : « A contrario, c'est pour le budget de l'Etat que la question de la perte de recettes se posera de manière aiguë et partant, dans le projet de loi de finances pour 2015 que les mesures à même de maintenir la trajectoire de redressement de budget de l'Etat devront être prises ».

A cet égard, le fait que le gouvernement ait renvoyé dans les exposés des motifs des articles 1, 2 et 3 toutes les pistes de financement des pertes de recettes au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 et non pas au projet de loi de finances pour 2015 montre bien, à la marge, que les termes même du débat sont insincères.

2- Le silence du Gouvernement sur les pistes précises de financement par le budget de l'Etat des pertes de recettes pour la sécurité sociale font peser un deuxième risque d'insincérité sur la LFRSS pour 2014.

Aucune indication n'a été donnée au cours des débats parlementaires en ce qui concerne le financement précis du dispositif. Or, ce silence revient à vider de son sens l'obligation légale de compensation financière intégrale. Cette obligation serait en effet dévoyée si elle était interprétée comme autorisant une porosité entre les budgets de la sécurité sociale et de l'État sans qu'il soit possible de vérifier ex ante selon quelles modalités l'équilibre budgétaire de la sécurité sociale sera assuré.

Du point de vue constitutionnel, il semble qu'un tel contrôle puisse valablement s'ancrer dans l'exigence de sincérité qui résulte de la loi organique et qui doit guider l'élaboration de la LFRSS 2014.

Ainsi, dans sa décision 2011-642 DC du 15 décembre 2011, le Conseil constitutionnel a-t-il jugé que « Compte tenu des modifications, présentées par le Gouvernement au cours du débat parlementaire, des prévisions économiques initiales associées au projet de loi de financement, les dispositions de l'article 88 ont pour objet d'assurer, par le surcroît de ressources qu'elles prévoient, la sincérité des conditions générales de l'équilibre financier des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale tel que déterminé dans le projet de loi de financement initial. Ainsi, elles sont destinées à assurer le respect de la Constitution ». A contrario, on peut douter qu'une minoration des ressources puisse être regardée en soi comme assurant la sincérité des conditions générales de l'équilibre financier. De sorte que le Conseil constitutionnel pourrait être amené à interpréter l'article L. 131-7 du code de la sécurité de façon à ce qu'il garantisse en effet ces conditions générales.

En outre, on sait que l'équilibre financier de la sécurité sociale a été reconnu comme un principe du droit de la sécurité sociale par le Conseil constitutionnel, ce qui implique que celui-ci puisse effectivement contrôler son respect (n° 2001-453 DC, 18 décembre 2001, cons. 20).

II- Les auteurs de la présente saisine craignent ensuite la dénaturation de la notion même de cotisations sociales.

Ce grief d'inconstitutionnalité a trait à l'article 1er qui introduit une réduction dégressive des cotisations sociales pour les salariés entre 1 et 1,3 SMIC. Ce faisant, il instaure de la progressivité au sein des cotisations de salariés dont le niveau de rémunération les attache actuellement à une seule et même tranche et donc à un seul et même niveau de cotisations (qui s'élève à 22,01 %).

Cette mesure, si elle est positive en ce qu'elle met en place une amélioration du pouvoir d'achat des revenus modestes en lien avec leur travail, pourrait dénaturer la notion même de cotisations sociales. Il faut souligner, ainsi que le rappelle votre jurisprudence, que l'objet des cotisations sociales est d'ouvrir droit à la couverture sociale, ce qui suppose un lien entre le prélèvement et la prestation qui en constitue la contrepartie. « Les cotisations versées aux régimes obligatoires de sécurité sociale qui résultent de l'affiliation à ces régimes constituent des versements à caractère obligatoire de la part des employeurs comme des assurés. Ces cotisations ouvrent vocation à des droits aux prestations et avantages servis par ces régimes » (n° 93-325 DC, 13 août 1993).

Or, en l'espèce, l'article 1er a pour effet d'introduire une logique purement fiscale sur le modèle de l'imposition sur les revenus, ce qui est par principe contraire à la distinction entre les cotisations sociales et les impositions de toutes natures. Les cotisations sociales ne peuvent, par nature, présenter un caractère progressif, sauf à devoir être précisément requalifiées d'impositions de toutes natures au sens de l'article 34 de la Constitution.

Si cette mesure paraît à l'avantage des salariés modestes, le fait d'étioler le lien entre prélèvement et niveau de prestation est de nature à remettre en cause à la fois l'équilibre du budget de la sécurité sociale et surtout, son autonomie.

III- Enfin, les auteurs de la saisine estiment que la loi déférée porte atteinte au principe d'égalité.

Ce grief d'inconstitutionnalité porte à la fois sur l'article 1er et sur l'article 9.

Pour mémoire, l'article 13 de la Déclaration pose que « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leur faculté ».

Par ailleurs, l'article 6 de la Déclaration pose que « La Loi est l'expression de la volonté générale. (…). Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle punisse, soit qu'elle protège. »

1- Sur l'article 1er

Dans la mesure où la réduction dégressive des cotisations sociales ne s'applique qu'aux salariés dont la rémunération est comprise entre 1 et 1,3 SMIC, alors qu'ils ne se trouvent pas dans une situation spécifique, il n'existe aucune justification opérante à l'exonération de cotisations salariales dont ils sont appelés à bénéficier.

Davantage encore, le législateur crée une rupture d'égalité devant la loi (art. 6 de la Déclaration des droits) puisque ces salariés continueront de jouir d'un niveau de prestations sociales inchangé sans supporter aucune charge inhérente à ce mécanisme de solidarité. En effet, alors que les salariés payés jusqu'à 2,2 Smics continueront de se constituer des droits correspondants à leur taux réel de cotisations, les salariés entre 1 et 1,3 Smics se trouveront en situation de « sous-cotisation ».

Cette rupture d'égalité est donc une conséquence directe de la dénaturation de la notion de cotisations sociales développée précédemment. En rompant le lien contributif, la loi déférée rompt également l'égalité entre des cotisants que leur niveau de rémunération place en-deçà du plafond de la sécurité sociale.

2- Sur l'article 9

L'article 9 de la loi déférée comporte le gel exceptionnel des pensions de retraites versées par les régimes de base, applicable à la prochaine échéance de revalorisation, soit le 1er octobre 2014.

Il faut rappeler, en effet, que cette mesure exceptionnelle est prise six mois après la promulgation de la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, dont l'article 5 reportait précisément d'avril à octobre l'échéance de la revalorisation des pensions.

L'article 9 de la loi déférée exclut toutefois de cette mesure de gel les assurés sociaux qui touchent un total mensuel de pensions - de base et complémentaire de droits directs et dérivés - inférieur à 1 200 € euros bruts, une mesure de revalorisation partielle étant prévue pour les montants compris en 1 200 € et 1 205 € bruts.

Aux termes d'une jurisprudence constante, vous considérez que si le « principe d'égalité devant la loi implique qu'à situations semblables il soit fait application de solutions semblables, il n'en résulte pas que des situations différentes ne puissent faire l'objet de solutions différentes » (Cons. Const. N° 79-107 DC, 12 juillet 1979, cons. 4). Dans ce cadre, vous considérez que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit (Cons. Const. N° 87-232, 7 janvier 1988, cons. 10).

Or, en l'espèce, il apparaît que le dispositif de lissage prévu à l'article 9 ne saurait éviter un effet de seuil puissant entre des assurés qui seraient touchés ou non par un gel de leur pension de base malgré un écart de pension total qui pourrait n'être que de quelques euros.

Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil Constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la compétence et la fonction que lui confère la Constitution.