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Décision n° 2014-698 DC du 6 août 2014 - Observations du Gouvernement

Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014
Non conformité partielle

Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés d'un recours dirigé contre la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

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I/ SUR LA SINCERITE DE LA LOI DE FINANCEMENT RECTIFICATIVE DE LA SECURITE SOCIALE

A/ Les députés requérants soutiennent que la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2104 serait insincère.

B/ Le Conseil constitutionnel ne pourra qu'écarter ce grief.

Le II de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale prévoit que les lois de financement rectificatives de la sécurité sociale comprennent une première partie correspondant à la partie de la loi de financement de l'année comprenant les dispositions relatives aux recettes et à l'équilibre général.

Le Conseil constitutionnel a jugé que la sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale de l'année se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre qu'elle détermine (décision n°2013-682 DC du 19 décembre 2013, cons. 3). Les mêmes exigences s'appliquent aux lois de financement rectificatives de la sécurité sociale.

Contrairement à ce que semblent soutenir les auteurs de la saisine, l'avis du Haut Conseil des finances publiques du 5 juin 2014 relatif aux projets de lois de finances rectificative et de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 montre que les prévisions de croissance et de solde structurel sur lesquelles sont fondées ces deux lois ne peuvent être regardées comme entachées d'une intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre.

Si le Haut Conseil a constaté que les aléas baissiers qui affectent la prévision de croissance de 1 % en 2014 se sont accrus depuis la présentation du programme de stabilité, hypothèse qui avait été jugée réaliste par le Haut Conseil, il a également indiqué que la prévision de croissance du Gouvernement ne pouvait être jugée comme étant hors d'atteinte.

Il convient de relever que cette prévision de croissance de 1 % est très proche de celle du consensus des instituts de prévision économique au moment du dépôt du projet de loi et identique à la prévision la plus rapprochée du Fonds monétaire international (avril) et de la Commission européenne (mai). Dans l'attente des estimations de l'INSEE pour les chiffres du deuxième trimestre, elle pouvait donc légitimement être retenue pour la loi de finances rectificative pour 2014 et la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014.

Par ailleurs, s'il a estimé qu'il existait un risque que le déficit structurel pour 2014 soit supérieur à la prévision de 2,3 %, il a aussi relevé que la loi de finances rectificative pour 2014 et la loi de financement rectificative de la sécurité sociale reposaient sur des hypothèses de finances publiques plus réalistes.

Le Gouvernement estime également que la question de la compensation financière des trois principales mesures ayant un impact sur les recettes de la sécurité sociale ne saurait être regardée comme ayant une incidence sur la sincérité de la loi déférée.

Il convient, à titre liminaire, de constater que ces mesures du pacte de responsabilité et de solidarité ont été prises en compte dans l'élaboration du programme de stabilité sur lequel le Haut Conseil des finances publiques s'est prononcé par un avis du 22 avril 2014, qui est rappelé dans l'avis du 5 juin.

Mais, plus fondamentalement, ces trois mesures de baisse de recettes n'entreront en vigueur qu'au 1er janvier 2015. Ces mesures ne pouvaient être donc retracées dans les prévisions de recettes et les tableaux d'équilibre pour 2014 présentées par la loi déférée.

Le Gouvernement a indiqué, dans l'annexe A au projet de loi et lors de l'examen de la loi déférée, que, conformément aux règles en vigueur prévues à l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale, l'impact sur la sécurité sociale des différentes mesures du pacte de responsabilité et de solidarité figurant dans la loi déférée sera intégralement compensé.

Mais les modalités de cette compensation ne pourront être définies que dans les lois financières pour 2015 dès lors que ces mesures n'auront d'effet qu'à partir de cet exercice budgétaire. Ces modalités ne pouvaient être définies, compte tenu du principe d'annualité budgétaire, dans la loi de finances rectificative pour 2014.

Le grief tiré de ce que la loi déférée serait insincère faute de préciser les modalités de la compensation par le budget de l'Etat des différentes mesures du pacte de responsabilité et de solidarité ne pourra donc qu'être écarté.

II/ SUR L'ARTICLE 1er

A/ L'article 1er de la loi déférée instaure une réduction dégressive des cotisations salariales pour les salariés dont les salaires sont compris entre 1 et 1,3 fois le SMIC sur l'année, la réduction maximale étant de 3 points de cotisation sociale.

Les députés requérants estiment que ces dispositions entraînent une dénaturation de la notion de cotisation sociale et portent atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

B/ Ces griefs ne sont pas fondés.

1/ La réduction dégressive des cotisations salariales prévue par la loi déférée ne peut être regardée comme modifiant la nature des cotisations salariales en les transformant en une imposition de toute nature.

Le Conseil constitutionnel juge que les cotisations sociales se distinguent des impositions de toute nature par le lien qui existe entre les cotisations versées et le droit aux prestations et avantages servis par les régimes de sécurité sociale (décision n°93-325 DC, cons. 119, décision n°2012-659 DC, cons. 12).

La loi déférée ne remet pas en cause le lien entre l'obligation de cotiser et le droit aux prestations qui en découle pour chaque assuré. La réduction maximale de la cotisation salariale de sécurité sociale sera de trois points alors que les taux de cotisation les plus faibles - ceux du régime général - sur lesquels sera imputé la réduction sont de 7,8 %. Tout salarié continuera donc à contribuer de manière significative au régime de sécurité sociale.

Le Gouvernement estime qu'aucun principe constitutionnel n'impose que les cotisations sociales soient proportionnelles au salaire dès lors qu'est maintenue l'existence d'un lien suffisant entre le versement des cotisations et le bénéfice des prestations et avantages servis par les régimes de sécurité sociale.

Si les régimes de sécurité sociale ont été historiquement construits sur une base assurantielle, il n'existe pas de lien mécanique entre le niveau des cotisations prélevées sur les salaires et les prestations et avantages servis par ces régimes.

Dans le domaine de l'assurance-vieillesse, principalement concerné par la réduction compte tenu des taux des cotisations salariales (0,75 point pour l'assurance-maladie et 7,15 points pour l'assurance-vieillesse), si l'on exclut les droits non contributifs financés par la solidarité nationale, en dehors même de l'existence de cotisations déplafonnées dans un régime qui n'accorde que des droits plafonnés, différents dispositifs internes au régime s'écartent d'une stricte logique contributive pour assurer une solidarité entre l'ensemble des assurés :
- la validation de trimestres cotisés est plus favorable aux salariés à activité réduite, puisque 150 SMIC horaires sont suffisants pour valider un trimestre ;
- des dispenses peuvent être accordées à certaines catégories de bénéficiaires pour ne pas appliquer les coefficients d'abattement s'appliquant aux assurés qui ne totalisent pas la durée de référence, (personnes inaptes et invalides dès l'âge minimum et personnes âgées de 65 ans et plus) ;
- le salaire de référence correspond à la moyenne des vingt-cinq meilleurs salaires annuels et non à la rémunération moyenne sur l'ensemble de la carrière ;
- un « minimum contributif » garantit un montant minimum de pension dans le régime général aux assurés qui ont droit à une pension à taux plein, sous réserve qu'ils totalisent une durée minimale de contribution.
Des mécanismes de progressivité ont également été introduits pour les cotisations versées au titre des régimes de sécurité sociale. Ainsi, les dispositifs d'allégements généraux de cotisations patronales sur les bas salaires (dispositif dit
« Fillon ») créent une progressivité des cotisations sociales. Ce dispositif a été jugé conforme à la Constitution (n° 2013-300 QPC) sans que la progressivité qu'il introduit soit regardée comme mettant en cause la nature même de la cotisation mise à la charge de l'employeur. Un mécanisme similaire existe depuis 2013 pour les travailleurs indépendants et s'applique à leurs cotisations personnelles.

Les cotisations salariales ne sont pas non plus strictement proportionnelles au salaire.

Historiquement, les ordonnances de 1945 avaient créé des cotisations plafonnées pour les hauts revenus. Il existe encore des cotisations plafonnées comme c'était le cas en 1945, des cotisations progressives (cotisations AGIRC-ARRCO puisque leur taux est supérieur au-dessus du plafond de la sécurité sociale), et des cotisations avec des planchers (cotisations acquittées par les travailleurs indépendants).

Le Conseil d'Etat a ainsi admis qu'à l'intérieur d'un même régime, les nouveaux taux de cotisation d'assurance maladie fixés à la suite de leur remplacement partiel par la contribution sociale généralisée soient favorables en priorité aux titulaires de faibles revenus compte tenu de l'objectif de solidarité mis en oeuvre par un régime obligatoire de sécurité sociale (Conseil d'Etat, 17 mars 1999, Union professionnelle artisanale et Ordre des avocats à la cour d'appel).

La mise en place d'une certaine progressivité au sein d'un même régime apparaît finalement comme une mise en oeuvre du principe de solidarité entre l'ensemble des membres affiliés à ce régime sans que cette forme de solidarité remette en cause la nature de la cotisation dès lors qu'est maintenue l'existence d'un lien suffisant entre la cotisation acquittée et le bénéfice des droits qui résultent de l'affiliation à ce régime.

Tel est bien le cas en l'espèce puisque, comme il a été indiqué, la réduction maximale des cotisations salariales sera de trois points de cotisation alors que les taux de cotisation les plus faibles sont de 7,8 %.

Le Gouvernement estime donc que la loi déférée n'a ni pour objet, ni pour effet de transformer les cotisations sociales en imposition de toute nature.

2/ La loi déférée ne méconnaît pas le principe d'égalité devant les charges publiques.

En instaurant une réduction dégressive des cotisations salariales, le législateur a entendu augmenter le pouvoir d'achat des salariés percevant de faibles rémunérations tout en encourageant l'activité par la réduction immédiate de l'écart entre le salaire brut et le salaire net effectivement perçu par ces salariés. Cet objectif répond à un motif d'intérêt général (cf. décision n°2007-755 DC).

En prévoyant une réduction du taux de cotisation salariale aux salariés dont la rémunération est comprise entre 1 et 1,3 SMIC, le législateur a retenu un critère objectif et rationnel au regard des objectifs poursuivis.

Il a notamment retenu que le calcul de la réduction prendrait en compte le nombre d'heures du contrat de travail pour tenir compte des conditions d'emploi du salarié et de la possibilité qu'il cumule plusieurs emplois. Il a également instauré une régularisation annuelle afin de corriger les effets qui pourraient résulter de la perception d'une rémunération plus élevée en fin d'année qui n'assurerait plus l'éligibilité du salarié à la réduction.

Les griefs invoqués par les députés ne sont donc pas fondés.

III/ SUR L'ARTICLE 9

A/ L'article 9 de la loi déférée prévoit que l'absence de revalorisation des pensions de base ne concernera pas les assurés dont le total mensuel de pensions de vieillesse de droit direct et dérivé des régimes légaux ou rendus légalement obligatoires ne dépasse pas 1205 €, une mesure de revalorisation partielle étant prévue pour les montants compris entre 1 200 et 1 205 €.

Les députés requérants estiment que l'exclusion de la mesure de non-revalorisation des assurés percevant des faibles pensions méconnaît le principe d'égalité devant la loi.

B/ Ce grief ne pourra qu'être écarté.

En procédant à une revalorisation différenciée des pensions suivant le montant des pensions perçues, le législateur a entendu prendre une mesure concourant au rétablissement de l'équilibre des comptes de la branche vieillesse de la sécurité sociale tout en maintenant le niveau de vie des retraités dont les pensions sont les plus faibles.

Contrairement à ce que soutiennent les députés requérants, le mécanisme retenu par la loi déférée n'introduira pas un effet de seuil puissant entre les assurés dont la pension ne sera pas revalorisée et les autres assurés.

Le législateur a en effet prévu un dispositif de lissage, simple à mettre en oeuvre d'ici le 1er octobre 2014, compte tenu de l'importance de la population concernée (6,5 millions de retraités connaîtront une revalorisation), pour corriger l'essentiel de ces effets de seuil. Sur la base de la prévision d'inflation de 0,6 % présentée dans l'étude d'impact du projet de loi, un pensionné dont le total initial des pensions serait de 1200 euros par mois percevrait, par rapport à un pensionné dont le total des pensions serait initialement de 1201 euros, une retraite de 2 euros de plus, dans l'hypothèse où ces assurés n'ont aucune pension complémentaire - ce qui représente d'ailleurs une situation minoritaire.

Le législateur a également pris en compte l'ensemble des pensions de retraite pour tenir compte de l'objectif de préservation du niveau de vie des retraités dont les pensions sont les plus faibles. Ce critère permettra ainsi de traiter de manière identique les personnes percevant des pensions de plusieurs régimes et de tenir compte de la part respective de la pension de base et de la pension complémentaire suivant les régimes, laquelle est très fortement variable en raison de l'organisation historique de ces régimes.

Dans ces conditions, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ne pourra qu'être écarté.

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Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans les saisines ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.