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Décision n° 2014-696 DC du 7 août 2014 - Saisine par 60 députés

Loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales
Non conformité partielle

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les conseillers,
Nous avons l'honneur, en application des dispositions de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de déférer au Conseil Constitutionnel la loi relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales, et plus particulièrement les dispositions des articles 19 et 22.
A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs suivants.

***

L'article 19 inscrit dans le code pénal l'existence d'une nouvelle peine, intitulée « contrainte pénale », applicable en matière délictuelle, et purgée en milieu ouvert.
A cette fin, l'article 19 complète l'article 131-3 du code pénal pour mentionner la peine de contrainte pénale, dans la liste des peines correctionnelles encourues par les personnes physiques, après l'emprisonnement et avant l'amende.
Cette nouvelle peine emportera, pour le condamné, l'obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines (JAP), pendant une durée comprise entre six mois et cinq ans à des mesures de contrôle et d'assistance, ainsi qu'à des obligations et interdictions particulières, destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société.
Dans un premier temps (à compter du 1er janvier 2015), la contrainte pénale pourra être prononcée pour des infractions punies de cinq ans d'emprisonnement maximum ; à compter du 1er janvier 2017, elle sera applicable à l'ensemble des délits.
Le prononcé de la peine de contrainte pénale se déroulera en plusieurs phases :
- Dans un premier temps, la juridiction de jugement fixe la durée de la contrainte pénale. Elle peut fixer elle-même les obligations et interdictions imposées au condamné lorsqu'elle considère être suffisamment informée -alors qu'initialement cette possibilité était réservée au seul juge de l'application des peines. Dans le cas où le tribunal ne fixerait pas de contenu à la contrainte, le juge de l'application des peines resterait compétent pour fixer ces mesures. Enfin, la juridiction qui prononce la condamnation détermine également la durée maximale de l'emprisonnement encouru en cas d'inobservation des mesures de contrainte. Cette durée ne pourra excéder deux ans, ni le maximum de la peine d'emprisonnement encouru.
- Dans un second temps, le condamné à une peine de contrainte pénale fera l'objet d'une évaluation de sa personnalité et de sa situation matérielle, familiale et sociale par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) : sur cette base, il appartiendra au juge de l'application des peines de modifier les obligations et interdictions auxquelles la personne a été condamnée, ou bien de déterminer l'ensemble des obligations et interdictions auxquelles la personne doit être astreinte, dans le cas où la juridiction de jugement ne l'aurait pas fait.
Ces obligations et interdictions pourront être modifiées par le JAP au cours de l'exécution de la contrainte pénale au regard de l'évolution du condamné.
La condamnation à la contrainte pénale sera exécutoire par provision.

L'article 22, quant à lui, vise à préciser la procédure de mise en œuvre de la contrainte pénale, qui repose sur l'évaluation préalable de la personnalité du condamné, et au cours de laquelle le juge de l'application des peines joue un rôle central.
Il appartient au SPIP d'évaluer la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée, et au JAP, à l'issue de cette évaluation de prendre toute décision concernant l'exécution de la mesure.
Le juge statue par ordonnance motivée, après réquisitions écrites du procureur de la République et après avoir entendu les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de son avocat.
Par la suite, la situation matérielle, familiale et sociale de la personne devra être réévaluée à chaque fois que nécessaire au cours de l'exécution de la peine, et au moins une fois par an, par le SPIP et le JAP.
Au vu de chaque nouvelle évaluation, le JAP aura la possibilité de modifier ou compléter les obligations et interdictions auxquelles la personne condamnée est astreinte ou supprimer certaines d'entre elles.
L'article 22 prévoit également que si, pendant au moins un an, le condamné a satisfait aux mesures, obligations et interdictions qui lui étaient imposées, que son reclassement paraît acquis et qu'aucun suivi ne paraît plus nécessaire, le JAP pourra, par ordonnance motivée et sur réquisitions conformes du procureur de la République, décider de mettre fin de façon anticipée à la peine de contrainte pénale.
En cas de désaccord entre ces deux magistrats, le JAP aura la possibilité de saisir le président du tribunal, qui statuerait à la suite d'un débat contradictoire public au cours duquel le condamné et son avocat pourraient être entendus.
En cas de refus opposé à cette demande, aucune autre demande ne pourrait être présentée avant un délai d'un an.
En cas d'inobservation par le condamné de ses obligations, la solution proposée par le nouvel article 713-47 du code de procédure pénale propose que :
- dans un premier temps, le JAP puisse, d'office ou sur réquisitions du procureur de la République, modifier ou compléter par ordonnance motivée les observations ou interdictions auxquelles le condamné est astreint.
- dans un second temps, si cette solution s'avère insuffisante pour assurer l'effectivité de la peine, il appartienne au JAP de saisir, d'office ou sur réquisitions du procureur de la République, par requête motivée, le président du tribunal de grande instance ou un juge désigné par lui afin que soit mis à exécution contre le condamné tout ou partie de l'emprisonnement fixé par la juridiction de jugement. Statuant à la suite d'un débat contradictoire public, le président du TGI (ou le juge désigné par lui) fixerait, dans la limite susmentionnée, la durée de l'emprisonnement à exécuter.

Si nécessaire, le JAP pourrait ordonner l'incarcération provisoire du condamné pour une durée maximale de 15 jours.
Cette procédure pourrait être renouvelée à plusieurs reprises au cours de l'exécution de la contrainte pénale, dès lors que la durée totale des emprisonnements ordonnés ne dépasse pas la moitié de la durée de la peine prononcée par le tribunal, ou le maximum de la peine d'emprisonnement encourue.
Toutefois, si l'emprisonnement ordonné est égal à la moitié de la durée de la contrainte pénale ou à ce maximum ou, compte tenu le cas échéant, des précédents emprisonnements ordonnés, s'il atteint cette durée, la décision du président du tribunal ou du juge par lui désigné mettrait fin à la contrainte pénale.
Enfin, un nouvel article 713-48 du code de procédure pénale prévoit que si le condamné commet, pendant la durée d'exécution de la contrainte pénale, un crime ou un délit de droit commun suivi d'une condamnation à une peine privative de liberté sans sursis, la juridiction de jugement pourra, après avis du JAP, ordonner la mise à exécution de l'emprisonnement prévu en cas d'inobservation de la contrainte pénale.

Pour les requérants, ces deux articles sont manifestement contraires à plusieurs principes constitutionnels.

Sur l'atteinte au principe de légalité des délits et des peines

L'article 8 de la Déclaration de 1789 dispose que : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».

Cet article emporte, d'après le juge constitutionnel, une obligation essentielle pour le législateur : celle de définir les incriminations et les peines en termes suffisamment clairs et précis, au risque de conduire à l'arbitraire (Cf. Décision n° 80−127 DC du 20 janvier 1981, Considérant n°7).
En l'espèce, la contrainte pénale est d'une extrême complexité, dont on voit mal l'articulation avec l'existant que constituent, d'une part, le sursis avec mise à l'épreuve, et, d'autre part, la peine de prison , avec pour conséquence de laisser le juge comme le citoyen en proie à l'arbitraire.
Le mécanisme de la contrainte pénale se décompose en effet en plusieurs phases :
- La phase juridictionnelle, avec déclaration de culpabilité, prononcé de la contrainte pénale et de sa durée, prononcé du quantum maximum de la peine d'emprisonnement en cas d'inobservation des mesures de contrôle et de suivi, fixation éventuelle desdites mesures de contrainte, laissée à l'appréciation du tribunal ;
- La phase post-sentencielle de mise en œuvre de la peine de contrainte pénale, avec recommandation des SPIP et gestion par le JAP du suivi probatoire, lequel peut à tout moment modifier le prononcé du tribunal ;
- Une éventuelle nouvelle phase juridictionnelle, qui sanctionne le non-respect des mesures de contrainte par l'emprisonnement.
L'on voit qu'il ne saurait s'agir seulement d'un simple SME renforcé, où le respect des mesures probatoires est une condition de non révocation du sursis, puisqu'il est question d'une peine en soi.
Mais la nature juridique exacte de la contrainte pénale n'est pas clairement définie par la loi. Y a-t-il une peine principale de probation, tandis que l'emprisonnement serait une peine alternative subsidiaire, ou bien faut-il considérer l'emprisonnement éventuel comme faisant partie intégrante de la contrainte pénale ? La contrainte pénale est-elle en elle-même punitive, ou seulement réparatrice ?
Car soit la contrainte pénale aboutit à instaurer deux peines distinctes -dont la seconde est une éventualité- pour la même infraction, ce qui contrevient au principe « non bis in idem ». Le fait que la première juridiction de jugement, celle qui prononce la contrainte, détermine également la durée maximale de l'emprisonnement encouru en cas d'inobservation des mesures de contrainte, viendrait accréditer cette hypothèse.
Soit la contrainte pénale instaure une « double peine », dans laquelle la seconde peine est déjà contenue, comme éventualité, dans la première, attendu que la juridiction qui révoque la contrainte ne dispose comme sanction que de l'emprisonnement, et que le quantum de l'emprisonnement qu'elle peut prononcer dépend de la décision de la première phase juridictionnelle.
La contrainte pénale comporte, dans les deux cas, une indétermination manifeste, au point qu'il n'est plus possible de savoir quelle peine est encourue pour un certain type d'infraction.
L'article 132-1 du code pénal, dans sa nouvelle rédaction issue de l'article 2 de la loi déférée, mentionne que « la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur, de manière à assurer les finalités énoncées à l'article 130-1 » -décrites à l'article 1er de la loi déférée-, mais il ne précise ni ce que signifient les termes « circonstances de l'infraction », ni comment la juridiction doit les prendre en considération.
Et si l'on peut admettre que cette généralité des termes employés dans le nouvel article 132-1 est destinée à laisser au juge une appréciation suffisante pour individualiser la peine en choisissant dans l'échelle de peines celle, ou celles, qui lui paraissent les mieux adaptées, l'article 131-4-1 du code pénal, tel que défini à l'article 19 de la loi déférée, prescrit des critères propres à la contrainte pénale que l'on ne retrouve pour aucune des autres peines dans le code pénal, et qui sont destinés à se substituer à ceux de l'article 132-1 :
- la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l'auteur de l'infraction,
- les faits de l'espèce.

De fait, l'article 131-4-1 prescrit d'autres critères que ceux de l'article 132-1, spécifiques à la contrainte pénale, sans fournir pour autant d'indications sur leur définition ni sur les conditions de leur mise en œuvre, au point que la comparaison entre les expressions employées - « circonstances de l'infraction » dans l'article 132-1 et « faits de l'espèce » dans l'article 131-4-1 - sous-entend que les éléments que le juge doit prendre en considération sont différents de ceux des autres catégories de peines, mais laissés purement et simplement à l'appréciation du juge pour soustraire sa propre décision au droit commun de la peine.
Ainsi, on relèvera utilement que deux points distinguent plus particulièrement la contrainte pénale de toutes les autres peines : premièrement, la personnalité de l'auteur est située avant l'appréciation des faits de l'espèce, ce qui est une manière de rappeler que le législateur souhaite faire prévaloir celle-ci dans le choix de la contrainte pénale, à la différence des autres peines où l'appréciation des circonstances de l'infraction est placée en premier critère d'évaluation de la peine.
Mais surtout, en second lieu, on doit relever que le législateur a entendu distinguer les « faits de l'espèce » de l'article 131-4-1 des « circonstances de l'infraction » de l'article 132-1 sans même indiquer en quoi devait consister cette distinction. L'appréciation des seuls faits par le juge exclut manifestement l'aspect pénal de ceux-ci, pour n'en retenir que ce qui serait en relation avec les éléments de personnalité de l'auteur qui ont déterminé la commission des faits. Se trouve ainsi quasiment exclue de l'appréciation du juge la fonction punitive de la peine pour fixer la durée et la nature des obligations de la contrainte pénale.
Or, dans sa décision n° 80-127 du 20 janvier 1981, le Conseil constitutionnel a considéré que « si aux termes de l'article 8 précité de la Déclaration de 1789 la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, cette disposition n'implique pas que la nécessité des peines doive être appréciée du seul point de vue de la personnalité du condamné et encore moins qu'à cette fin le juge doive être revêtu d'un pouvoir arbitraire que, précisément, l'article 8 de la Déclaration de 1789 a entendu proscrire et qui lui permettrait, à son gré, de faire échapper à la loi pénale, hors des cas d'irresponsabilité établis par celle-ci, des personnes convaincues de crimes ou de délits. (. . .) d'autre part, que si la législation française a fait une place importante à l'individualisation des peines, elle ne lui a jamais conféré le caractère d'un principe unique et absolu prévalant de façon nécessaire et dans tous les cas sur les autres fondements de la répression pénale ; qu'ainsi, à supposer même que le principe de l'individualisation des peines puisse, dans ces limites, être regardé comme l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, il ne saurait mettre obstacle à ce que le législateur, tout en laissant au juge ou aux autorités chargées de déterminer les modalités d'exécution des peines un large pouvoir d'appréciation, fixe des règles assurant une répression effective des infractions ».
Le juge constitutionnel a ainsi considéré que le principe de l'individualisation des peines ne saurait faire à lui seul obstacle à la nécessité première d'assurer une répression effective des infractions.
A ce titre, la peine d'emprisonnement fixée par le tribunal en complément de la contrainte pénale ne modifie pas l'aspect non punitif de cette peine, puisque les seuls critères qui doivent déterminer le prononcé effectif de l'emprisonnement tiennent au non-respect des obligations et interdictions fixées au condamné.
Il s'en déduit que la contrainte pénale n'a, en aucune de ses dispositions, pour fonction de sanctionner le condamné, et qu'il existe ainsi une rupture de l'égalité entre les citoyens, puisque toutes les autres peines doivent, au contraire, prendre d'abord en considération l'impératif de sanction, à travers laquelle sont mises en œuvre les finalités de la peine. La contrainte pénale définit une peine dont la seule fonction est l'amendement, l'insertion ou la réinsertion, et telle est d'ailleurs la volonté du législateur, qu'il n'a cessé d'exprimer au cours des débats parlementaires. Il est d'ailleurs explicitement précisé à l'alinéa 6 de l'article 19 que les mesures qui peuvent être imposées au condamné à titre d'obligations et d'interdictions sont uniquement « destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société ».
Ainsi, la contrainte ne s'analyse pas comme une peine alternative, mais comme une peine dont la finalité même exclut tout aspect répressif, à la différence de toutes les autres peines, y compris les peines alternatives. Elle contrevient ainsi au principe d'égalité des citoyens devant la loi puisque le tribunal ne peut prendre en considération, ni dans la peine de probation de contrainte pénale, ni dans la peine d'emprisonnement complémentaire en cas de non-respect de celle-ci l'aspect punitif de la peine pour en fixer les conditions.

Sur l'atteinte au principe d'égalité devant la loi

Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen : « La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ».
Le juge constitutionnel, dans sa décision n° 2009-578 DC du 18 mars 2009, considérant n°19, a eu l'occasion de rappeler que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ».
De sorte que des situations différentes peuvent être traitées de manières différentes, et qu'il est possible de déroger au principe d'égalité pour poursuivre un but d'intérêt général, à la condition que cette atteinte au principe ne soit pas excessive. La différenciation doit être fondée sur un critère objectif, raisonnable, pertinent au regard du but poursuivi.
Or en matière de contrainte pénale, on demande au juge judiciaire, puis à celui de l'application des peines, d'appliquer comme critère essentiel, l'appréciation de « la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale de l'auteur d'un délit », expression dont le flou n'a d'équivalent que l'étendue des discriminations qu'il pourra provoquer.
Et lorsqu'il prononce la contrainte pénale, le tribunal fixe en même temps la durée maximale de la peine d'emprisonnement encourue en cas de non-respect par le condamné des obligations et interdictions auxquelles il est astreint, dans la double limite de deux ans et du maximum de la peine encourue.

Cette limitation de la peine d'emprisonnement à deux ans crée manifestement une inégalité entre les citoyens, puisqu'elle instaure, de fait, un quantum maximum de peine différent pour une même infraction.

En effet, dès lors que la contrainte pénale est prononcée, le condamné n'encourt plus de peine d'emprisonnement supérieure à deux ans. Ainsi, pour une escroquerie punissable d'une peine de cinq ans d'emprisonnement, le tribunal ne peut sanctionner le condamné à une contrainte pénale à une peine supérieure à deux ans, alors qu'une personne condamnée pour la même infraction à une peine de sursis avec mise à l'épreuve peut être condamnée jusqu'à cinq ans d'emprisonnement, peine qui sera exécutée en cas de révocation du sursis. Or le principe d'égalité devant la loi impose que la peine encourue, en l'occurrence l'emprisonnement, pour une même infraction, dès lors qu'elle est de même nature, ne diffère pas selon les condamnés auxquels elle s'applique. La contrainte pénale, telle que définie aux articles 19 et 22 de la loi déférée, ne permet pas de le respecter.

En outre, l'alinéa 17 de l'article 19 prévoit que la contrainte pénale est exécutoire par provision de plein droit. Cela signifie qu'elle pourra être mise à exécution immédiatement, sans attendre l'expiration du délai d'appel ou que la cour d'appel, si elle est saisie, n'ait statué. Cette automaticité de l'exécution provisoire contrevient également au principe d'égalité devant la loi, dans la mesure où aucune autre peine du code pénal n'est exécutoire par provision de plein droit. Elle contrevient aussi à la présomption d'innocence puisqu'elle rend applicable, sans motivation spéciale par le tribunal de la nécessité de la rendre immédiatement exécutoire, une décision avant même qu'elle ne soit définitive.

Sur la méconnaissance du principe de nécessité des peines

Ce principe est affirmé par l'article 8 de la Déclaration de 1789, aux termes duquel « la Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».
Dans sa décision n°2012-267 QPC du 20 juillet 2012, le Conseil constitutionnel a ainsi considéré qu'« il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue ».
Dans la mesure où aucun critère clair ni objectif ne prévaut à l'attribution de la contrainte pénale, et que son contenu peut être modifié tout au long de l'exécution de la peine, la contrainte pénale est manifestement une peine indéterminée.
En effet, la contrainte pénale instaure une nouvelle peine dont le dispositif renvoie, in concreto, à celui de deux peines déjà existantes : le sursis avec mise à l'épreuve et le travail d'intérêt général, auxquels il ajoute celui du suivi socio-judiciaire.
Outre le fait que cette nouvelle peine peut constituer, selon les mesures prescrites, une aggravation du sort du condamné à la contrainte pénale par rapport à ceux qui sont condamnés à un SME ou un STIG - sans que soit fourni de critère de cette aggravation, laissé non seulement à l'arbitraire du tribunal qui prononce la contrainte pénale, mais aussi du JAP, qui fixe ou modifie les mesures d'exécution de cette peine -, la loi ne fournit aucun critère pour justifier le caractère strictement et évidemment nécessaire des obligations et interdictions qu'elle autorise le tribunal ou le JAP à prendre.
Or l'auteur d'une infraction punie de cinq ans d'emprisonnement au maximum, pourra désormais être condamné soit à l'une seulement des peines principales prévues par l'article 131-3 du code pénal, soit à la contrainte pénale dont le régime d'exécution cumule les dispositifs de deux autres peines principales, outre la généralisation du suivi socio-judiciaire réservé aux condamnés à certaines infractions. Le condamné à la contrainte subira de ce fait une peine disproportionnée par rapport à ces autres condamnés, d'autant que ne sont pas énoncés les critères qui justifieraient clairement et explicitement cette différence de traitement, laquelle relève de la seule appréciation du juge sur les capacités d'insertion ou de réinsertion du condamné. La peine de contrainte pénale apparaît de ce fait comme une peine disproportionnée qui ne peut être justifiée par aucun élément objectif.
De même, tout au long de l'exécution de sa contrainte, le condamné est susceptible de voir les mesures de suivi et de contrôle auxquelles il est astreint modifiées, ou renforcées, en fonction de sa toujours aussi subjective « évaluation de sa personnalité et de sa situation matérielle, familiale et sociale ».
Au surplus, l'alinéa 19 de l'article 19, en prévoyant que la contrainte pénale s'appliquera à tous les délits à compter du 1er janvier 2017, achève de convaincre de l'absence de toute proportionnalité quant à la peine de contrainte pénale. Ainsi le non-respect des mesures de contrainte pénale restera passible de deux ans de prison maximum, même pour un condamné qui aurait commis un délit passible de 10 ans de prison.
Cette extension est symptomatique de l'absence de lien manifeste entre l'infraction et la peine encourue dans la loi déférée, et des critères aléatoires qui prévalent au prononcé de la contrainte. La contrainte pénale est à ce point indéterminée, dans son attribution comme dans son exécution, qu'elle ne peut être regardée que comme non nécessaire.

Sur la méconnaissance du droit au procès juste et équitable devant une juridiction indépendante et impartiale

Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».
Sont garantis, par cette disposition, le droit des personnes intéressées d'exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable , ainsi que les droits de la défense lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une punition.
Or l'article 713-47 du code de procédure pénale, tel qu'il résulte de l'article 22 de la loi déférée, permet au JAP de saisir d'office le président du tribunal ou un juge délégué aux fins de faire prononcer une peine d'emprisonnement pour non-respect des mesures de contrainte, dans la limite du maximum fixé par le tribunal (lui-même ne pouvant excéder deux ans).
En enjoignant au juge de fixer le maximum encouru d'emprisonnement en cas de violation par le condamné des obligations qui lui sont imposées dans le cas de la contrainte pénale, mais en laissant ensuite un autre magistrat fixer les conditions dans lesquelles l'emprisonnement effectif pourra être prononcé, la loi déférée ne saurait satisfaire à l'exigence du procès juste et équitable.
De plus, même si la décision du président du tribunal, ou du juge délégué, est prise après un débat public, elle consiste à prononcer une peine qui n'est pas encore déterminée, puisque le premier tribunal n'a pu fixer que le maximum qui pouvait être encouru en cas de non-respect des obligations de la contrainte.
Seul un tribunal présentant les mêmes garanties d'équité, d'indépendance et d'impartialité que celui qui a prononcé la peine initiale devrait pouvoir prononcer une peine d'emprisonnement, et en fixer la durée : un magistrat pris en sa seule qualité n'a pas le caractère d'une juridiction équitable, indépendante et impartiale.

Sur l'atteinte au principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement

La loi déférée confie au juge d'application des peines une multiplicité de rôles dont certains s'apparentent tantôt à des pouvoirs quasi-juridictionnels, tantôt de poursuite :
- définition des mesures de contrainte du condamné lorsque le tribunal n'y a pas procédé,
- suivi, contrôle, adaptation des obligations,
- saisie du président du tribunal ou d'un juge délégué aux fins de faire prononcer une peine d'emprisonnement pour non-respect des mesures de contrainte qu'il aura lui-même constaté,
- placement en détention provisoire.
Autant de rôles qui contreviennent au principe de la séparation entre les autorités chargées de l'action publique et du jugement énoncé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 95-360 DC du 2 février 1995, aux considérants 5 et 6, qui condamnait, à défaut d'intervention d'un juge du siège, le système de l' « injonction pénale » émise par le procureur.
En l'espèce, la contrainte pénale étant une peine à part entière, on ne saurait objecter qu'il s'agit de simples modalités d'aménagement de peine.
Ainsi, lorsque la juridiction de jugement ne fixe pas elle-même les mesures de suivi du condamné à la contrainte pénale, le JAP n'est plus simplement juge de l'application des peines, mais juge du prononcé de la peine.
De plus, dans le cas de la contrainte pénale, c'est le JAP qui, en relevant la violation des mesures probatoires, définit lui-même les éléments constitutifs de cette violation et donc le fait générateur de la peine, en détermine la gravité et les fait sanctionner par une peine qui jusqu'alors n'avait pas encore été prononcée.
Ce magistrat dispose ainsi du pouvoir exorbitant de fixer lui-même les circonstances qui constituent la base de la sanction au vu desquelles il estime que la peine doit être prononcée, sans base légale autre que celle qui l'autorise à apprécier comme il l'entend la nature et la gravité de cette violation et la durée maximale d'emprisonnement qu'il peut prononcer.
En outre, l'article 713-45 du code de procédure pénale, tel qu'il résulte de l'article 22 de la loi déférée, autorise le JAP, sur réquisitions conformes du parquet, à mettre fin de façon anticipée à la contrainte pénale. En cas de réquisitions non conformes, il peut saisir le président du TGI d'une demande aux mêmes fins.
La contrainte pénale étant une peine en soi, cette décision ne modifie pas le régime d'exécution de la peine, mais la peine elle-même. Cette disposition permet en effet au JAP ou au président du TGI ou de modifier la condamnation elle-même en diminuant la durée de la peine, autrement dit à substituer une durée de peine plus courte que celle qui avait été prononcée par le tribunal. En permettant de revenir sur la décision du tribunal qui a déterminé la peine, l'article 22 méconnaît le principe de l'autorité de la chose jugée, et celui de la séparation des pouvoirs.

***

Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil Constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la compétence et la fonction que lui confère la Constitution.