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Décision n° 2014-694 DC du 28 mai 2014 - Observations du Gouvernement

Loi relative à l'interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs de recours dirigés contre la loi relative à l'interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifiés.

Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I/ Sur les griefs tirés de la violation des articles 55 et 88-1 de la Constitution

A/ Les députés et les sénateurs auteurs des recours considèrent que la loi déférée serait incompatible avec les dispositions du droit communautaire et méconnaîtrait ainsi les articles 55 et 88-1 de la Constitution.

B/ Ces griefs ne pourront qu'être écartés.

1/ On sait que le Conseil constitutionnel juge qu'il ne lui appartient pas, saisi en application de l'article 61 ou de l'article 61-1 de la Constitution, d'examiner la compatibilité d'une loi avec les engagements européens de la France. Ce n'est que lorsqu'il est saisi, dans les conditions prévues par l'article 61 de la Constitution d'une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire, qu'il appartient au Conseil constitutionnel de veiller au respect de l'exigence constitutionnelle qui s'attache à la transposition en droit interne d'une directive communautaire (décision n° 2010-605 DC, cons. 16 et 18).

La loi déférée n'a pas pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire.

Elle interdit la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié MON 810, seul maïs génétiquement modifié autorisé (parmi les 4950 variétés de maïs inscrites au catalogue européen, 229 portent l'évènement de transformation MON 810). Elle fait ainsi application des dispositions combinées de l'article 34 du règlement (CE) n°1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 et de l'article 54 du règlement (CE) n°178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 (cf CJUE C658/10 à C-68/10 du 8 septembre 2011 points 63 et 74). Ces dispositions permettent à un Etat membre de prendre des mesures conservatoires contre un organisme génétiquement modifié autorisé par la Commission européenne lorsque celui-ci est, de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l'environnement.

Contrairement à ce que soutiennent les députés et les sénateurs requérants, elle n'a donc ni pour objet, ni pour effet, de modifier les règles relatives à la dissémination des organismes génétiquement modifiés dans l'environnement issues de la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement dont la transposition a été achevée, comme la Commission européenne l'a constaté à l'occasion de l'affaire C-121/07 devant la Cour de justice de l'Union européenne, par la loi n° 2008-595 du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés.

La loi déférée ne modifie aucune des dispositions applicables aux organismes génétiquement modifiés prévues au code de l'environnement. Elle ne concerne pas l'ensemble des organismes génétiquement modifiés, ni même l'ensemble des plantes génétiquement modifiés. Elle n'interdit ni la commercialisation du maïs génétiquement modifié, ni la recherche ou les expérimentations sur ces maïs mais seulement la mise en production de cultures commerciales du maïs MON 810.

Si les députés et les sénateurs auteurs des recours soutiennent que le législateur ne pouvait prendre une telle mesure à l'encontre du maïs MON 810, une telle demande vise à faire contrôler par le Conseil constitutionnel la compatibilité d'une loi avec les règlements communautaires précités. Elle ne peut qu'être écartée. Un tel contrôle incombe en effet aux juridictions administratives et judiciaires qui, saisies d'un litige dans lequel est invoquée l'incompatibilité d'une loi avec le droit de l'Union européenne, peuvent écarter si nécessaire l'application de dispositions législatives qui feraient obstacle à la pleine efficacité des normes de l'Union.

2/ Au demeurant, contrairement à ce que soutiennent les députés et les sénateurs requérants, l'interdiction de la mise en culture du maïs MON 810 ne méconnaît pas le droit communautaire.

L'Autorité européenne de sécurité des aliments a mis en évidence, dans un avis publié le 8 décembre 2011, les risques environnementaux liés à la culture maïs MON 810. Ce maïs entraîne l'apparition de résistances dans les populations d'insectes qu'il vise et il augmente la mortalité des populations d'autres insectes sensibles.

Des publications récentes ont apporté des éléments scientifiques nouveaux mettant en évidence des risques liés au maïs MON 810 tels que le développement rapide de résistance chez certains insectes ravageurs (Campagne et al., 2 juillet 2013), l'effet toxique sur les cellules d'organismes non cibles (Mezzomo et al., 16 mars 2013), la transmission de toxines à des prédateurs auxiliaires tels que les araignées (Zhou et al., 13 janvier 2014) ou l'impact du pollen du maïs MON 810 sur la mortalité accrue des larves de papillon (Holst et al., 10 février 2013).

Un rapport publié en 2014 par le Département américain de l'agriculture (USDA) sur les cultures génétiquement modifiées résistantes à des insectes ou tolérantes à des herbicides, comme le maïs MON 810 et, d'ailleurs, tous les maïs génétiquement modifiés présents sur le marché mondial, fait état du développement de résistances chez 14 espèces de mauvaises herbes ainsi que chez certains insectes. Le développement de telles résistances conduit à la perte de moyens de lutte contre les ravageurs ou les adventices, et à terme à une utilisation accrue de pesticides nocifs pour l'environnement par les agriculteurs.

Ces éléments scientifiques montrent que la mise en culture du maïs MON 810 est susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste l'environnement, ainsi qu'un danger de propagation d'organismes nuisibles devenus résistants.

L'ensemble de ces éléments ont été communiqués à la Commission européenne en même temps que la notification de l'arrêté du 14 mars 2014 interdisant la commercialisation, l'utilisation et la culture du maïs MON 810, interdiction reprise par la loi déférée. Ils ont conduit la Commission à saisir l'Autorité européenne de sécurité des aliments.

Ces griefs ne pourront donc qu'être écartés.

II/ Sur la méconnaissance de l'article 5 de la Charte de l'environnement.

A/ Les sénateurs auteurs du recours estiment que la loi déférée méconnaît le principe de précaution consacré par l'article 5 de la charte de l'environnement en prévoyant une interdiction du maïs MON 810 sans mettre en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et sans respecter le caractère provisoire et la règle de proportionnalité induits par le principe de précaution.

B/ Le Gouvernement n'est pas de cet avis.

1/ Il estime, en premier lieu, que le grief est inopérant.

Le Conseil a jugé qu'est inopérant le grief tiré de ce que l'interdiction pérenne du recours à un procédé dangereux méconnaîtrait le principe de précaution (décision n°2013-346 QPC du 11 octobre 2013, interdiction de la fracturation hydraulique, cons. 20).

Le Gouvernement estime que le Conseil constitutionnel ne pourra qu'écarter comme inopérant le même grief dirigé contre la mesure d'interdiction prévue par la loi déférée.

2/ En tout état de cause, comme il a déjà été indiqué, la mesure d'interdiction ne peut être regardée comme étant disproportionnée compte tenu des enjeux de protection de l'environnement, de la nécessité de préserver les intérêts de l'ensemble des filières agricoles et de l'importance des surfaces potentiellement concernées en France.

La loi déférée vise à préserver l'environnement eu égard aux risques et compte-tenu de l'importance des surfaces potentiellement concernées en France.

Il convient, à cet égard, de rappeler que le maïs est cultivé sur l'ensemble du territoire national et représente près de 10 % de la surface agricole utile (SAU) avec un peu plus de 3 millions d'ha, dont 1,7 millions d'ha en maïs grain. Il s'agit de la 2ème culture en termes de surface derrière le blé.

L'interdiction de mise en culture du maïs MON 810 apparaît comme la seule mesure possible permettant d'assurer efficacement la protection de l'environnement.

Certaines mesures de gestion ont certes pu être recommandées par l'Autorité européenne de sécurité des aliments en prévoyant notamment une distance d'isolement entre les cultures du maïs MON 810 et les habitats des insectes potentiellement menacés par la toxine contenue dans ce maïs et la mise en place de zones refuges équivalentes à 20 % de la surface en maïs pour retarder l'apparition de résistances dans les populations cibles.

Toutefois, des études scientifiques récentes (publication Campagne et al., 2013) remettent en cause l'efficacité des mesures de gestion recommandées par l'AESA pour retarder le développement d'insectes ravageurs résistants au maïs MON 810. Par ailleurs, la liste des espèces devant bénéficier d'une distance d'isolement suffisante avec les cultures de maïs MON 810 n'est pas déterminée.

Eu égard aux risques graves soulevés tant par l'AESA que par des publications scientifiques récentes et fiables, l'interdiction de mise en culture du maïs MON810 apparaît donc comme la seule mesure possible permettant d'assurer efficacement la protection de l'environnement.

Elle est également la seule mesure possible pour éviter que la mise en culture de maïs génétiquement modifié sur le territoire national ait des impacts économiques sur les autres filières en raison de la dissémination non contrôlable de pollen pouvant être à l'origine de présence fortuite d'OGM indésirable dans d'autres produits.

La coexistence des OGM avec les filières de production de maïs conventionnel, biologique ou « sans OGM » est complexe à mettre en oeuvre. D'une part, il paraît difficile de fixer des distances d'isolement entre parcelles qui soient à la fois techniquement faisables et efficaces pour garantir une protection suffisante de l'ensemble des productions, notamment biologique et « sans OGM ». D'autre part, le problème de la coexistence ne peut être résolu uniquement par des mesures d'isolement sur le terrain. En effet, la mise en culture d'OGM aurait également des conséquences sur les entreprises de matériel agricole, les organismes de collecte, de transport, de stockage et de séchage des récoltes du maïs qui devraient mettre en place des systèmes de traçabilité et de ségrégation, voire du matériel dédié, pour assurer la séparation des filières.

Enfin, le cas de l'apiculture est particulièrement préoccupant, dans la mesure où, du fait de leur biologie, la distance de butinage des abeilles varie constamment en fonction des sources de nourriture présentes et peut atteindre 13 km et qu'aucune solution technique satisfaisante n'existe actuellement pour éviter la présence de pollen génétiquement modifié dans les produits de la ruche. La mise en culture d'OGM obligerait les apiculteurs à éloigner leurs ruches de ces parcelles OGM entraînant ainsi des conséquences néfastes pour la production apicole. En effet, les apiculteurs doivent placer leurs ruches librement afin de bénéficier de plantes avoisinantes riche en nectar et en pollen. La mise en culture du maïs MON810 viendrait donc en contradiction avec les mesures prises ailleurs pour soutenir cette filière affectée, depuis une vingtaine d'années, par de graves problèmes de santé des abeilles ainsi qu'une baisse constante de la production de miel.

Il convient au surplus de souligner que la mise en culture du maïs MON 810 est en contradiction avec la promotion des pratiques agricoles respectueuses de l'environnement. L'utilisation de maïs résistants aux insectes ou tolérants aux herbicides, outre les risques énoncés ci-dessus, conduit à une simplification et à une uniformisation des pratiques agricoles qui présentent de nombreux inconvénients, notamment un appauvrissement de la diversité des espèces et des variétés cultivées, ce qui a des conséquences négatives sur la biodiversité.

Dans ces conditions, eu égard aux objectifs poursuivis, la mesure d'interdiction édictée par la loi déférée ne peut être regardée comme disproportionnée.

Ce grief devra donc être écarté.

III/ Sur la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution

A/ Les sénateurs auteurs du recours estiment que la loi déférée méconnaîtrait l'article 34 de la Constitution en étant insuffisamment claire et précise.

B/ Un tel grief ne peut qu'être écarté.

La loi déférée ne souffre d'aucune ambiguïté. Elle prévoit que la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié est interdite. La notion d'organisme génétiquement modifié est parfaitement précise puisqu'elle est définie à l'article L. 531-1 du code de l'environnement. De même, la mise en culture est une notion claire qui vise le semis des maïs OGM à des fins commerciales sans s'opposer ni à leur commercialisation, ni à ce que ces maïs puissent être cultivés à des fins de recherche ou d'expérimentation. Elle ne méconnaît donc pas l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

* * *

Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans les saisines ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.