Décision n° 2014-12 FNR du 1 juillet 2014 - Observations du Gouvernement
Après son examen par le Conseil d'Etat, le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral a été délibéré au conseil des ministres du 18 juin 2014. Le projet de loi, son exposé des motifs et l'étude d'impact prescrite par les dispositions de l'article
8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ont été déposés le même jour sur le bureau du Sénat.
La conférence des présidents du Sénat, réunie le 18 juin 2014, a arrêté le principe d'une inscription du projet de loi à l'ordre du jour du 1er juillet 2014, dès le début de la session extraordinaire convoquée par le décret du 17 juin 2014. Dans sa même réunion, la conférence des présidents s'est prononcée contre l'engagement de la procédure accélérée. Par courrier du 19 juin 2014, le président de l'Assemblée nationale a informé le président du Sénat que la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale, réunie le même, jour avait décidé de ne pas s'opposer à l'engagement de la procédure accélérée sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
Les 25 et 26 juin 2014, les présidents des groupes UMP, RDSE et CRC ont demandé une réunion de la conférence des présidents afin qu'elle se prononce sur le respect des règles fixées par la loi organique pour la présentation du projet de loi.
Réunie le 26 juin 2014, dernier jour de séance du Sénat avant l'expiration du délai de dix jours prévu par la loi organique du 15 avril 2009, la conférence des présidents s'est opposée à l'inscription à l'ordre du jour du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral en estimant que l'étude d'impact jointe au projet ne respectait pas les règles fixées par la loi du 15 avril 2009.
Le même jour, le Premier ministre a saisi le Conseil constitutionnel pour qu'il se prononce sur le respect de ces règles dans les conditions prévues par le quatrième alinéa de l'article 39.
Par deux courriers du 27 juin, les présidents des groupes UMP et RDSE ont présenté des observations devant le Conseil constitutionnel, dans lesquelles ils soutiennent que l'étude d'impact jointe au projet de loi aurait méconnu les règles fixées par les huitième à dixième alinéas de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009.
Le Gouvernement estime que ces critiques ne sont pas fondées.
1. Il convient à titre liminaire de rappeler que le Conseil constitutionnel a précisé, par sa décision 2009-579 DC du 9 avril 2009, la portée des obligations édictées par la loi organique.
Le Conseil a ainsi précisé que l'exigence de procéder à une étude correspondant à chacune des rubriques énumérées par l'article 8 ne s'imposait que pour celles de ces rubriques qui apparaissaient pertinentes au regard de l'objet de la loi.
Il a par ailleurs censuré les dispositions de la loi organique qui imposaient au Gouvernement d'indiquer, dans l'étude d'impact des projets de loi, les « orientations principales » des textes d'application nécessaires « et le délai prévisionnel de leur publication ». Comme le souligne le commentaire de la décision aux Cahiers du Conseil constitutionnel : « Alors qu'une loi n'est pas encore votée, le Parlement ne peut exiger du Gouvernement de telles précisions. Une telle orientation méconnaissait la séparation des compétences du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire ».
Il résulte ainsi de la jurisprudence que l'on ne saurait reprocher à l'étude d'impact d'un projet de loi de ne pas préjuger les effets qui découleront non pas directement de la loi mais des actes qui seront pris ultérieurement pour assurer sa mise en œuvre.
Il convient également de rappeler que le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur le respect de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, dont la méconnaissance était invoquée à l'appui de recours formés en application de l'article 61 de la Constitution.
Dans sa décision n° 2013-683 DC du 16 janvier 2014, il a ainsi jugé que l'étude d'impact du projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites n'avait pas à faire figurer des éléments d'évaluation relatifs à des dispositions figurant dans d'autres projets de loi.
Dans la même décision, de même que dans la décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013 et dans la décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013, le Conseil constitutionnel a jugé : « qu'au regard du contenu de l'étude d'impact, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 doit être écarté ».
Il résulte de l'ensemble de ces décisions que le Conseil constitutionnel procède à un examen d'ensemble du caractère suffisant des études d'impact sans substituer son appréciation à celle du Gouvernement en ce qui concerne le degré de détail pertinent pour l'étude des incidences du projet au regard des différents items de l'article 8 de la loi organique.
2. En l'espèce, l'étude d'impact jointe au projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral répond à l'ensemble des prescriptions de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009.
Il est à noter que la qualité de l'étude d'impact n'est contestée qu'au regard des huitième, neuvième et dixième alinéas de l'article 8. Cette contestation n'est en tout état de cause pas fondée.
2.1. L'argument selon lequel l'étude d'impact serait muette ou très largement incomplète sur l'exposé des conséquences énumérées au huitième alinéa de l'article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution manque en fait.
En effet, l'étude d'impact du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral comporte un chapitre IV.1 « modification de la délimitation des régions » qui est de nature à éclairer le Parlement sur l'ensemble des conséquences du projet de loi pour les régions.
L'étude d'impact présente ainsi :
- p. 34, les conséquences de la nouvelle carte des régions sur le plan démographique ;
- p. 34, des éléments statistiques sur le personnel des conseils régionaux (taux d'administration et effectifs) afin d'évaluer les économies potentielles liées à une telle réorganisation de la carte des régions ;
- p. 35 et 36, deux cartes permettant de mesurer les conséquences économiques de la création des nouvelles régions en comparant le niveau de richesse par habitant en 2012 et en le projetant sur les régions issues de la réforme territoriale. Elles démontrent explicitement l'effet péréquateur du projet du Gouvernement ;
- p 37 à 39, les conséquences de la nouvelle carte en termes de poids budgétaire des nouvelles régions. Sont ainsi présentés les impacts sur le niveau de dépenses réelles totales des régions et comme sur celui des recettes et dépenses réelles de fonctionnement (parmi lesquelles figurent les dépenses de personnel) et des dépenses d'équipement par habitant ;
- p.39, les concours financiers qui seront alloués au bloc régional, en particulier la dotation globale de fonctionnement et les dotations de compensation pour transfert de compétences. A titre d'exemple, l'étude d'impact est explicite sur le devenir des concours financiers des nouvelles régions : « s'agissant des concours financiers de l'Etat, les nouvelles régions bénéficieront de l'addition des dotations forfaitaires et des dotations de compensation pour les transferts de compétences des anciennes régions auxquels elles succèdent. » ;
- p. 40, les conséquences de la réforme territoriale sur les ressources fiscales des régions ;
- p. 41 à 51, la présentation socio-économique des régions actuelles et des facteurs permettant d'expliquer les cohérences des fusions proposées ;
- p.52 et 53, deux tableaux présentant, avant et après réforme, les données démographiques et physiques ainsi que les données socio-économiques. Figure ainsi, dans l'étude d'impact, un panorama complet des impacts en termes de population, d'évolution moyenne du produit intérieur brut, de revenu disponible brut par habitant, de nombre de bénéficiaires du RSA, de nombre de bénéficiaires de l'APA, de taux de pauvreté et de chômage. . .
Elle comporte, de plus, (p. 4) des éléments de comparaison internationale avec des pays européens et notamment l'Italie.
Enfin, la méthode de calcul de ces impacts socio-économique au sens large est explicite. C'est à partir des données publiques de l'INSEE, de la CNAF et de la DGCL que sont présentées simultanément les données relatives aux actuelles régions puis celles relatives aux régions fusionnées.
Sur l'ensemble de ces points, les auteurs des observations retiennent une lecture particulièrement extensive des obligations découlant de l'article 8 de la loi organique, qui ne correspond ni à l'interprétation qui se dégage de la jurisprudence, ni à la pratique suivie depuis 2009 en matière d'études d'impact.
Une partie de leurs critiques consiste à reprocher à l'étude d'impact de ne pas détailler les conséquences qui découleront des actes qui devront intervenir ultérieurement pour l'application de la loi. Or, comme le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de le préciser, on ne saurait reprocher à l'étude d'impact d'un projet de loi de ne pas détailler les conséquences d'actes ultérieurs. En l'espèce, l'étude d'impact donne d'ailleurs des indications suffisamment précises pour permettre d'apprécier l'impact potentiel des actes qui seront pris pour l'application de la loi, sans préjuger à ce stade des choix qui seront faits à l'occasion de l'adoption de ces actes qui relèvent pour partie du pouvoir réglementaire, pour partie de la compétence des nouvelles régions et pour partie enfin des mesures d'accompagnement qui pourront être décidées par le législateur, notamment en loi de finances.
Les auteurs des observations reprochent également à l'étude d'impact de ne pas exposer avec précision les scénarios alternatifs qui n'ont pas été retenus par le projet de loi. A cet égard, il convient de relever que, si le Gouvernement s'efforce, dans tous les cas où cela paraît à la fois possible et pertinent, d'exposer dans l'étude d'impact les options entre lesquelles le projet de loi a dû trancher, l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 ne rend pas obligatoires de telles précisions. Les seules « options » évoquées par l'article 8 sont « les options possibles en dehors de l'intervention de règles de droit nouvelles ». En l'espèce, dès lors que les régions sont mentionnées dans la loi, le projet de réduction de leur nombre imposait nécessairement le recours à la loi sans qu'une autre option ait permis d'atteindre le même objectif.
2.2. L'argument tiré de ce que l'étude d'impact ne comporterait pas d'évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l'emploi public (9ème alinéa de l'article 8 de la loi organique) manque également en fait.
L'étude d'impact contient en effet des indications sur les économies d'échelle que la nouvelle délimitation des régions est de nature à entraîner. Elle comporte des informations permettant de connaître le nombre d'agents publics concernés, en particulier le tableau précisant, à la page 37, le nombre des agents de chaque conseil régional, qui fait apparaître le rapport entre le nombre d'agents et la population de la région en fonction de la taille de celle-ci. En outre, page 38 figurent les dépenses de fonctionnement des nouvelles régions qui sont composées notamment des dépenses de personnel.
Il importe en outre de préciser que la nouvelle délimitation des régions n'entraînera, en elle-même, pour les agents exerçant leurs fonctions dans des régions regroupées, ni changement de statut ni changement d'emploi, qu'ils soient fonctionnaires ou agents non titulaires. L'impact sur l'emploi public de cette nouvelle délimitation sera largement déterminé par les décisions que prendront, dans le cadre de la libre administration des collectivités locales, les organes compétents des futures régions.
On relèvera par ailleurs que les dispositions législatives relatives à l'emploi public figurent dans le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, plus précisément à l'article 35.-III.
Par souci de cohérence et de clarté, cet article, qui a été soumis au conseil supérieur de la fonction publique territoriale, regroupe l'ensemble des règles applicables aux agents territoriaux concernés par les transferts de compétences ou réorganisations de collectivités, qu'il s'agisse des agents de l'Etat exerçant dans des services ayant vocation à être transférés aux collectivités territoriales, des agents des départements exerçant leurs fonctions dans des services ayant vocation à être transférés à des régions (projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République) ou des agents des régions ayant vocation à être regroupées (projet de loi relatif à la délimitation des régions).
Par conséquent, l'étude d'impact du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, n'avait pas à contenir de telles précisions.
2.3. Le grief tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact au regard du dixième alinéa de l'article 8 de la loi organique, en vertu duquel doivent être exposées « les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d'Etat » est également infondé.
Il convient tout d'abord de souligner qu'aucune consultation obligatoire, en dehors de celle du Conseil d'Etat, n'était requise pour ce projet de loi.
Ni la création d'une collectivité territoriale ni la modification de ses limites territoriales n'exigent de consultation des électeurs selon les termes du troisième alinéa de l'article 72-1 de la Constitution. La seconde phrase, à titre d'exemple, n'en fait qu'une faculté offerte au législateur : « La modification des limites des collectivités territoriales peut également donner lieu à la consultation des électeurs dans les conditions prévues par la loi ».
Au regard des dispositions figurant dans le projet de loi, qui ont trait à l'organisation des collectivités territoriales et aux élections, aucune consultation légale n'est prévue, en dehors de celle du Conseil d'Etat comme pour tout projet de loi.
S'agissant de la concertation, qui n'est pas régie par un cadre juridique formalisé, force est de constater que la réforme territoriale n'est pas un sujet nouveau. L'évolution de la carte des régions fait en effet suite à de nombreux rapports, notamment parlementaires (voir pages 3 et 4) et à plusieurs débats qui ont déjà été organisés sur ce thème au Sénat comme à l'Assemblée.
Le projet du Gouvernement fait en outre l'objet d'un intense débat public depuis plusieurs mois, dans lequel chacune des parties prenantes a eu l'occasion de prendre position publiquement.
Pour mémoire, le Président de la République avait annoncé l'évolution de la carte des régions dès le 14 janvier 2014. Le Premier ministre l'a rappelée dans son discours de politique générale devant le Parlement le 8 avril 2014 et précisée encore le 9 avril 2014 devant le Sénat.
Le Gouvernement n'était pas tenu de mentionner, dans l'étude d'impact, les nombreuses discussions auxquelles la préparation du projet de loi a donné lieu dès lors qu'elles s'inscrivaient dans le cadre du débat public.
Le dixième alinéa de l'article 8 de la loi organique, en prévoyant la mention des « consultations », n'impose pas que l'étude d'impact rende compte ni des échanges informels qui ont accompagné la préparation du projet de loi, ni des éléments du débat public auquel cette préparation a donné lieu.
Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement estime que les griefs articulés par les auteurs des observations soumises au Conseil constitutionnel sont infondés et que les règles fixées par la loi organique du 15 avril 2009 ont été respectées.