Contenu associé

Décision n° 2013-687 DC du 23 janvier 2014 - Saisine par 60 députés

Loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles
Conformité - réserve

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les conseillers,

Nous avons l'honneur, en application des dispositions de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de déférer au Conseil Constitutionnel la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, et plus particulièrement les dispositions des articles 12 ; 22 ; 24 ; 26 ; 33 ; 37 et 43.

A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs suivants.

Sur la procédure

Les griefs procéduraux concernent l'article 12 de la loi déférée, adopté au terme d'une procédure irrégulière. En effet, le choix du Gouvernement de procéder, par voie d'amendement, à une modification notoirement substantielle du dispositif initial, au stade de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, en première lecture, a abouti au détournement des exigences constitutionnelles applicables que sont :

- La consultation obligatoire du Conseil d'Etat,
- La priorité sénatoriale sur les projets de loi concernant les collectivités territoriales,
- Et l'exigence de procéder à une étude d'impact.

En l'espèce, en tant qu'il porte sur la création d'une métropole de Paris, le projet de loi initialement déposé sur le bureau du Sénat, première assemblée à devoir être saisie, prévoyait la formule d'un établissement public soumis au régime des syndicats mixtes, ce qui rattachait la nouvelle entité à la catégorie des pôles métropolitains, créés par la loi no 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales. Ainsi, les dispositions relatives à cette entité, financée, non par une fiscalité propre, mais par la contribution des membres, figuraient dans le titre Ill consacré aux pôles métropolitains, au sein du livre VIl relatif au syndicat mixte, de la cinquième partie du code général des collectivités territoriales.

Le projet de loi tel que déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale en première lecture ne comportait aucune mesure relative à la métropole de Paris, dans la mesure où le Sénat avait supprimé cet article en première lecture.

C'est donc par un amendement du Gouvernement, déposé nuitamment le 2 juillet 2013 en commission des lois de l'Assemblée nationale, que ce dispositif fut intégralement réécrit.

Et bien que votre jurisprudence constante rappelle que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect avec le texte déposé ou transmis », il apparaît que la nature et la portée substantielle de la réécriture de l'article 12 de la loi déférée, article qui est, en lui-même, un projet de loi à lui-seul, constitue un détournement de procédure.

Il s'agit, dans la loi déférée, de prévoir la création, sous la dénomination de « métropole du Grand Paris », d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre à statut particulier, soumis, en principe, au régime des métropoles de droit commun.

C'est ainsi que l'article 12 de la loi déférée insère, désormais, un chapitre IX au sein du titre 1er, consacré aux établissements publics de coopération intercommunale, du livre Il relatif à la coopération intercommunale de la cinquième partie du code général des collectivités territoriales. Cette formule de coopération locale n'a rien en commun avec la formule initialement prévue par le projet de loi puisqu'elle repose, non plus sur la contribution des composantes de base, appelés à former un pôle métropolitain, mais sur une fiscalité propre à la nouvelle métropole.

L'intervention en séance publique, au cours de la troisième séance du 18 juillet 2013, du député François ASENSI vient corroborer cette démonstration s'agissant de l'article 12 :
« L'article 12 concentre en lui-même la plupart des critiques que nous pouvons faire sur ce projet de loi. Il est indéfendable par la méthode qui a été mise en oeuvre pour l'imposer, autant que dans son contenu. La méthode d'abord. Il n'est pas possible, dans notre pays, dans notre démocratie, d'engager un tel big bang institutionnel pour la région Île-de-France en introduisant subitement un amendement gouvernemental à mille lieues de l'intention initiale que le Gouvernement défendait au Sénat dans son projet initial. Aucune consultation n'a eu lieu sur cet amendement. Nous avons été tout simplement baladés avec le premier projet de loi. Cet article 12 n'a pas pu être produit en si peu de temps. Le Gouvernement demande à notre assemblée, en trois jours, de supprimer les intercommunalités en petite couronne, de vider de leurs compétences les communes et de créer une institution gigantesque, couvrant 7 millions d'habitants, qui disposera de tous les leviers stratégiques, de tous les moyens nécessaires pour imposer par le haut des décisions qui auront été fixées entre techniciens. Cette raison seule suffirait pour ne pas soutenir cet article 12 ».

Une telle volte-face du Gouvernement, début juillet 2013, près de trois mois après le dépôt du
projet de loi, à l'occasion d'un amendement qui réécrit intégralement l'article 12 du texte, faisant le choix d'une forme inédite d'intercommunalité à statut particulier, est, d'ailleurs, reconnue par le ministre en charge de soutenir la discussion parlementaire. En témoigne la seconde séance du 16 juillet 2013, à l'Assemblée nationale :

«M. Patrick Devedjian. (. .. ) Vous avez un argument assez faible : le Sénat a annulé le projet du Gouvernement en première lecture. Mais, madame la ministre, vous n'êtes pas revenue, ce qu'on aurait pu comprendre, à votre projet initial, ...

Mme Marylise Lebranchu, ministre. C'est vrai !

M. Patrick Devedjian .... que l'Assemblée était toute prête -le rapporteur n'aurait demandé que cela - à rétablir, mais, par voie d'amendements, vous avez déposé un projet nouveau. (. .. ) Ne dites donc pas que c'est à cause du Sénat : c'est votre choix délibéré.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. je l'assume.»

Au final, l'amendement qui transforme la métropole du Grand Paris d'un EPCI de droit commun en un EPCI à fiscalité propre à statut particulier, constitue, par lui-même texte entièrement nouveau. Un tel amendement dépasse largement, par sa portée, les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement.

De fait, pour être conforme à l'alinéa 2 de l'article 39 de la Constitution, ce texte aurait dû être soumis en premier lieu au Sénat.

De fait, les exigences de précision de l'étude d'impact, annexée au projet de loi initial, telles que posées par l'article 8 de la loi organique no 2009-403 du 15 avril 2009, ainsi que celles relatives au recueil de l'avis du Conseil d'Etat (2003-468DC du 3 avril 2003) n'ont pas seulement été méconnues, elles ont été détournées par le Gouvernement.

Sur l'article 12

Selon les requérants, l'article 12 de la loi déférée viole l'article 1er de la Constitution, selon lequel l'organisation de la France« est décentralisée », et méconnaît à plusieurs titres l'article 72 de la Constitution.

L'article 12 opère en réalité une « re-centralisation » sans le dire, opérée sous-couvert d'un EPCI à statut particulier, qui n'a certes pas le statut de collectivité à part entière, mais qui a vocation à le devenir, attendu que le Gouvernement n'a pas caché son intention lors des débats parlementaires, de procéder, dans un avenir plus ou moins proche, à une élection au suffrage universel des conseillers métropolitains qu'il s'agisse des métropoles de droit commun comme des métropoles à statut particulier.

L'article 12, comme évoqué supra, prévoit la création, au 1er janvier 2016, sous la dénomination de « métropole du Grand Paris », d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, à statut particulier. La métropole est organisée en « territoires ». Dans chaque territoire, il est créé un conseil de territoire composé des délégués des communes incluses dans le périmètre de ce territoire. Les présidents des conseils de territoires, élus en leur sein, sont, de droit, vice-présidents du conseil de la métropole du Grand Paris.

S'agissant du périmètre de la métropole, elle regroupera obligatoirement : la commune de Paris ; l'ensemble des communes des départements des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, et les communes des autres départements de la région d'Île-de-France appartenant au 31 décembre 2014 à un établissement public de coopération intercommunale comprenant au moins une commune des départements des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne et dont le conseil municipal a délibéré favorablement avant le 30 septembre 2014.

Cette adhésion obligatoire de certaines communes, sans consentement aucun, qu'il s'agisse des collectivités comme des citoyens, contrevient à la logique même de I'EPCI, « établissement public de coopération intercommunale ». L'EPCI, à statut particulier ou non, procède par nature d'une logique coopérative et contractuelle, à la fois dans son fonctionnement, et dans sa constitution. En l'espèce, il s'agit d'une adhésion forcée, pour ne pas dire autoritaire.

Et si, dans le droit commun de l'intercommunalité, le préfet, lorsqu'il définit le périmètre de I'EPCI, après avis de la commission départementale de la coopération intercommunale, peut être conduit à intégrer une commune à I'EPCI contre son gré, il ne le fait que de manière limitée et proportionnée. A ce jour, l'intégration contre le gré de la commune constitue une exception à la règle, quand la loi déférée entend faire de l'exception la règle. A ce titre, l'article 12 de la loi déférée méconnaît l'exigence constitutionnelle de libre administration des collectivités territoriales posée à l'alinéa 3 de l'article 72 de la Constitution.

S'agissant des compétences des communes membres de la métropole, les requérants considèrent que les dispositions qui définissent les attributions de la métropole du Grand Paris
ont pour effet de les priver de compétences substantielles.

Or le principe de l'organisation décentralisée de la France, tel que posé à l'article 1er de la Constitution suppose que les communes n'aient pas seulement une existence, mais aussi une consistance, et que leurs compétences ne soient pas réduites à un point tel que ces collectivités n'administrent plus. Il résulte ainsi de l'article 72 de la Constitution que toute collectivité territoriale doit être dotée d'attributions effectives (décision no 91-290 DC du 9 mai 1991, cons. 32).

En l'espèce, la métropole les en prive, en exerçant de plein droit, en lieu et place des communes membres, le développement et l'aménagement économique, social et culturel ; la création, l'aménagement et la gestion des zones d'activité industrielles, commerciales, tertiaires, artisanales, touristiques, portuaires et aéroportuaires les plans locaux d'urbanisme ; les zones d'aménagement concerté ; les réserves foncières ; le programme local de l'habitat ; le logement ; la politique de la ville ; le développement urbain ; l'environnement et le soutien à la maîtrise de l'énergie ...

Il suffit de prendre l'exemple de la commune de Paris, « territoire » à elle-seule, et dont le conseil de territoire est « composé des membres du Conseil de Paris » pour comprendre que si le Conseil de Paris est la même collectivité délibérante que le conseil de territoire, la commune de Paris n'est plus une collectivité autonome dotée de la compétence générale.

Et comment ne pas voir une tutelle de fait, à tout le moins administrative, de la métropole sur les communes, lorsque l'article 12 de loi déféré dispose d'une part qu'« En cas de carence dûment constatée des conseils de territoire à élaborer leur plan de territoire dans le délai de vingt-quatre mois ou en l'absence de cohérence avec le rapport de présentation et le projet d'aménagement et de développement durables, le conseil de la métropole élabore les plans de territoire ou les met en cohérence avec le rapport et le projet déjà mentionnés » et prévoit d'autre part que « Le directeur général des services et les directeurs généraux adjoints des services du conseil de territoire sont nommés par le président du conseil de la métropole du Grand Paris, sur proposition du président du conseil de territoire ».

Par ailleurs, la décentralisation n'est pas seulement le transfert d'une compétence de l'Etat aux collectivités territoriales. Elle est également mise en oeuvre par le principe de subsidiarité. A ce titre, l'article 12 méconnaît l'alinéa 2 de l'article 72 de la Constitution au titre duquel « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon », en ce que la loi déférée attribue à la métropole du Grand Paris tout ou partie des compétences précitées. Elle attribue en effet des compétences que, eu égard à leurs caractéristiques et aux intérêts concernés, les collectivités territoriales impliquées (communes membres ou départements de Paris et de la Petite couronne ou encore région lie-de-France), exercent le mieux, directement ou par l'intermédiaire d'établissements publics qui les associent à la décision. C'est le cas des plans locaux d'urbanisme par les communes ; des plans de déplacement par les départements ; du développement et de l'aménagement économique, social et culturel par la région.

De plus, s'agissant non plus des compétences transférées, mais du transfert lui-même, à la lecture de l'article 12 de la loi déférée : « Pour mettre en oeuvre le plan métropolitain de l'habitat et de l'hébergement, la métropole du Grand Paris réalise des programmes d'aménagement et de logement. Elle peut demander à l'État de la faire bénéficier, par décret en Conseil d'État, de compétences dérogatoires pour la création et la réalisation des zones d'aménagement concerté et la délivrance d'autorisations d'urbanisme », les requérants dénoncent le recours à la matière réglementaire dans le transfert de compétences, alors même que c'est à la loi seule de déterminer les compétences des collectivités territoriales (alinéa 3 de l'article 72 de la Constitution).

Il en est de même lorsque l'article 12 de la loi déférée renvoie régulièrement à la convention le soin de fixer les conditions d'exercice des compétences entre collectivités, Etat et métropole.

Seule une définition précise inscrite dans la loi serait à même de garantir le caractère unitaire de l'Etat et la décentralisation territoriale, qu'il s'agisse des relations entre l'Etat et la nouvelle métropole ou, par délégation, entre la nouvelle métropole et les territoires ou encore, par subdélégation, entre l'exécutif d'un territoire et les maires de communes incluses dans le territoire.

Ou encore lorsque l'article 12 prévoit que la Métropole du Grand Paris « exerce les compétences qui étaient, à la date de sa création transférées par les communes membres aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre existant au 31 décembre 2014 » mais « que le conseil de la métropole du Grand Paris peut, par délibération, restituer ces compétences aux communes dans un délai de deux ans suivant la création de la métropole du Grand Paris. ». Cette réattribution potentielle des compétences par la Métropole aux communes membres, outre qu'elle est si peu encadrée qu'elle contredit à l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, et confère à l'incompétence négative du législateur, pourrait conduire à une inégalité de traitement entre les communes, selon qu'elles pourraient, ou non, selon des conditions non précisées par le législateur, se voir réattribuer des compétences ; inégalité de traitement dont elles sont déjà victimes au stade du transfert, attendu qu'elles n'auront pas toutes délégué les mêmes compétences au 31 décembre 2014. Ce sont celles qui auront été les moins vertueuses, au regard de l'objectif de la loi, qui conserveront le plus de compétences.

S'agissant enfin du fonctionnement de la métropole, l'incertitude sur la nature de l'entité créée par l'article 12 , dit « EPC/ à fiscalité propre à statut particulier » perdure, à considérer que le législateur a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de nature législative propres à « préciser et compléter » les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables applicables à la métropole, ainsi que les règles relatives au fonctionnement des conseils de territoire et à l'administration des territoires de la métropole, et celles relatives aux concours financiers de l'État applicables à cet établissement public de coopération intercommunale.

Si la création d'un établissement public de type nouveau doit relever de la loi, c'est bien pour permettre au législateur d'en définir clairement les règles de fonctionnement. En renvoyant ces dispositions essentielles du nouvel établissement à des ordonnances, les requérants estiment que doit être à nouveau soulevée l'incompétence négative du législateur, notamment dans la mesure où l'hypothèse dans laquelle l'ordonnance ne serait pas ratifiée, ou deviendrait caduque, ne peut être totalement écartée et où l'article 12, ayant été modifié de manière substantielle au cours des débats, n'a fait l'objet d'aucune étude d'impact financière.

Sur les articles 22 et 24

L'article 22 de la loi déférée modifie les dispositions relatives à l'établissement public de gestion du quartier d'affaires de La Défense (EPGD), tandis que l'article 24 prévoit qu'à compter de la publication de la loi, les ouvrages, espaces publics et services d'intérêt général, ainsi que les biens, mentionnés par le procès-verbal {PV) du 31 décembre 2008 sont transférés en pleine propriété à l'établissement public d'aménagement de La Défense-Seine Arche (EPADESA).

Selon les requérants, ces dispositions méconnaissent les exigences constitutionnelles que sont :

- L'exigence de précision de l'étude d'impact annexée au projet de loi déférée
- La libre administration des collectivités territoriales
- Le droit de propriété des personnes publiques
- Et la liberté contractuelle en tant qu'elle bénéficie aux personnes publiques.
Tout d'abord, s'agissant de l'étude d'impact jointe au projet de loi initial de la loi déférée, les requérants estiment qu'elle est manifestement insuffisante.

Les auteurs de la saisine relèvent que l'étude d'impact s'est contentée de relater uniquement la position de I'EPADESA, et donc de l'Etat, sans pour autant expliciter celle retenue par I'EPGD, et donc des collectivités qui composent l'établissement.

De plus, l'évaluation des conséquences économiques et financières est inexistante, alors qu'elles sont bien loin d'être neutres pour les collectivités membres de I'EPGD, attendu que la privation d'effets du procès-verbal a pour conséquence immédiate de priver I'EPGD de ressources financières considérables, qu'il s'agisse des indemnisations versées par I'EPADESA liées à la remise en état des biens, de celles liées à la réalisation de travaux en cas de découverte de vice apparent ou caché, ou encore du produit éventuel de la vente de certains des biens concernés.

Le fait, pour le législateur, de prévoir au dernier alinéa de l'article 24 la réalisation d'un « rapport présentant une estimation des coûts de remise en état de l'ensemble des biens mentionnés par le procès-verbal du 31 décembre 2008 » « dans un délai de six mois » à compter de la promulgation de la loi est un aveu de cette carence.

Le contenu de l'étude d'impact n'a donc pas permis d'éclairer suffisamment les parlementaires sur la portée du texte qui leur a été soumis.

Les dispositions contestées méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales posé à l'article 72 de la Constitution, qui doit notamment se traduire par une indépendance organique, des pouvoirs de décision propres, et l'octroi de moyens financiers garantis et suffisants pour l'exercice des compétences.

Or l'article 22, en ne permettant que des mises à dispositions de biens de I'EPADESA vers I'EPGD, revient sur les compétences et les moyens attribués à l'établissement gestionnaire en les limitant fortement. Il permet à I'EPADESA d'exercer une véritable tutelle sur les choix exercés par l'établissement gestionnaire puisque l'aménageur dispose désormais d'un droit de « véto »s'agissant de l'octroi par I'EPGD de titres d'occupation du domaine public constitutifs de droits réels d'une durée égale ou supérieure à cinq ans, et permet à I'EPADESA d'exercer un contrôle sur les choix opérés par le gestionnaire en matière de valorisation des biens qu'il se voit mettre à disposition. Dès lors que I'EPADESA doit obligatoirement donner son accord préalable à la délivrance par I'EPGD d'un titre constitutif de droits réels de plus de cinq ans, le fait pour l'aménageur de refuser la délivrance de tels titres, alors même que la loi déférée ne définit pas les motifs pouvant justifier une telle décision de refus, a pour effet d'empêcher I'EPGD de valoriser son patrimoine, et in fine d'exercer sa mission de gestionnaire.

L'article 24 quant à lui, en privant d'effets le procès-verbal de transfert en pleine propriété conclu entre les deux établissements le 31 décembre 2008, et en prévoyant que I'EPGD ne pourra désormais bénéficier que de mises à disposition, revient sur les compétences et moyens attribués à un établissement public local, représentatif des collectivités qui en sont membres.

Ces dispositions ont pour effet d'opérer une« re-centralisation »au bénéfice d'un établissement public de l'Etat et donc d'empêcher le transfert à l'établissement public (et donc aux collectivités locales qui le composent) des biens pour lesquels n'existe plus de processus d'aménagement.

En outre, le principe de compensation financière des transferts de compétences, composante de la libre administration des collectivités, et qui consiste à ce que le législateur attribue aux collectivités territoriales, lorsque celles-ci se voient transférer des compétences auparavant exercées par l'Etat, des ressources correspondant aux charges constatées à la date du transfert, n'est pas respecté.

Ainsi, lorsque I'EPGD s'était vu attribuer la compétence de remise en état des ouvrages, espaces publics et biens situés dans le périmètre de La Défense et aménagés par I'EPADESA qui était, jusqu'à la création de l'établissement de gestion, exercée de fait par l'aménageur, ce transfert de compétences s'est accompagné de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à son exercice. C'est ainsi que le procès-verbal du 31 décembre 2008 conclu entre les deux établissements prévoit que I'EPADESA s'engage à supporter les coûts afférents aux travaux de remise en état engagés par I'EPGD, et à garantir en première demande I'EPGD pour les coûts supportés par ce dernier du fait de l'apparition de vice apparents ou cachés, et de dommages, sur les biens objets du transfert de propriété.

Or l'article 24 de la loi déférée prive d'effets le procès-verbal du 31 décembre 2008 à compter de la date de publication de la loi déférée. Ce faisant, il prive d'effets non seulement les stipulations du procès-verbal relatives à la propriété des biens mais également celles relatives aux modalités financières prévues pour permettre à I'EPGD de remettre en état les biens concernés, et donc d'assumer pleinement la compétence qui lui est transférée, et qu'il continue à assumer, du fait de la mise à disposition des biens.

Et si le juge constitutionnel admet le transfert législatif, forcé et à titre gratuit, de biens relevant des domaines public et privé entre personnes publiques au regard des objectifs d'intérêt général poursuivis, c'est à la condition que ce transfert n'ait pas pour effet de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles qui résultent de l'existence et de la continuité des services publics auxquels les biens restent affectés. Le juge constitutionnel est ainsi amené à vérifier si ce transfert de biens s'accompagne du transfert des droits et obligations qui y sont attachés. En l'espèce, le transfert des droits et obligations attachés aux biens de I'EPGD vers I'EPADESA n'accompagne pas le transfert de propriété au profit de I'EPADESA. Car, alors que ce transfert de propriété s'opère à titre gratuit, sans prévoir la moindre indemnité au profit de I'EPGD, c'est sur l'établissement public local que l'ensemble des droits et obligations attachés aux biens, hormis le droit de céder, va reposer. Ces dispositions méconnaissent donc manifestement le droit de propriété des personnes publiques. Le droit de propriété de I'EPGD pourra également être remis en cause pour le passé, si la loi a pour effet de valider les cessions opérées illégalement par I'EPADESA au profit de tiers durant la période où I'EPGD était propriétaire des biens en application du PV de transfert.

S'agissant de la liberté contractuelle, le Conseil constitutionnel considère que« le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaÎtre les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 »,et que cette liberté contractuelle bénéficie aux personnes publiques.

Or la privation d'effets du contrat que constitue le procès-verbal, ainsi que son remplacement par un arrêté interministériel, portent atteinte à la liberté contractuelle des établissements publics concernés, dans la mesure où la loi déférée résilie ou annule une convention librement conclue entre les parties qui est en cours d'exécution, et qu'elle substitue au principe initial de conclusion d'un contrat celui d'édiction d'un acte unilatéral. En outre, les auteurs de la saisine soulignent qu'il n'y a pas de motif d'intérêt général suffisant qui pourrait justifier en l'espèce une telle atteinte au principe de liberté contractuelle dès lors que des dispositifs alternatifs auraient permis de remédier aux différends rencontrés par les deux établissements sans pour autant méconnaître leur liberté contractuelle.

Enfin, les requérants font remarquer que dans la mesure où la loi prévoit l'édiction d'un nouveau décret d'application, puis celle d'un arrêté interministériel, la publication de la loi déférée sera en pratique suivie d'une phase transitoire, durant laquelle les biens objets du procès-verbal ne seront plus régis par le PV, privé d'effet à la date de la publication de la loi, et non encore régis par l'arrêté. Durant cette phase transitoire, les deux établissements ne seront pas en mesure de déterminer sous quel régime se trouvent les biens. C'est ainsi la sécurité juridique de ces établissements qui se trouve menacée.

Sur les articles 26, 33, 37 et 43

L'article 26 crée, au 1er janvier 2015, la métropole de Lyon, collectivité à statut particulier au sens de l'article 72 de la Constitution, qui se substitue à la communauté urbaine de Lyon et au département du Rhône sur le territoire de la métropole.

S'agissant de sa création par la loi déférée, les requérants tiennent en préambule à souligner, au détour de l'article 26, l'incohérence, et par là l'inégalité de traitement opérée en matière de soumission au référendum des modifications des limites territoriales ou de la création de nouvelles collectivités.

Certes l'article 72-1 de la Constitution prévoit simplement la faculté pour le législateur de consulter les populations en cas de modification des limites territoriales : « Lorsqu'il est envisagé de créer une collectivité territoriale dotée d'un statut particulier ou de modifier son organisation il peut être décidé par la loi de consulter les électeurs inscrits dans les collectivités intéressées. La modification des limites des collectivités territoriales peut également donner lieu à la consultation des électeurs dans les conditions prévues par la loi ».

Or le législateur a utilisé cette faculté, en prévoyant dans le code général des collectivités territoriales actuellement en vigueur qu'un référendum est nécessaire en cas de fusion de départements entre eux, en cas de fusion de régions entre elles, en cas de fusion d'une région et des départements qui la composent, ainsi qu'en cas de modification territoriale des régions.

Dans le même temps, les communes peuvent fusionner sans condition de référendum.

En l'espèce, la loi déférée prévoit, sans consultation des populations intéressées, la création d'une nouvelle collectivité territoriale au sens de l'article 72 de la Constitution, avec l'absorption du Conseil Général du Rhône par la métropole de Lyon. Aucune consultation des populations n'est prévue, non plus s'agissant de Paris Métropole, ou de la Métropole d'Aix-Marseille.

A l'article 43 enfin, relatif aux métropoles dites de droit commun, la loi déférée prévoit la transformation automatique en métropoles des EPCI à fiscalité propre qui forment un ensemble de plus de 400 000 habitants dans une aire urbaine, au sens de l'Institut national de la statistique et des études économiques, de plus de 650 000 habitants. Mais la loi déférée conditionne d'autre part à un accord exprimé par deux tiers au moins des conseils municipaux des communes intéressées représentant plus de la moitié de la population totale de celles-ci ou par la moitié au moins des conseils municipaux des communes représentant les deux tiers de la population la transformation en métropole d'EPCI à fiscalité propre formant un ensemble de plus de 400 000 habitants et comprenant, dans leur périmètre le chef-lieu de région, ou des EPCI qui sont les centres d'une zone d'emplois de plus de 400 000 habitants au sens de l'Institut national de la statistique et des études économiques {INSEE) et qui, à la date d'entrée en vigueur de la loi, exercent, en lieu et place des communes membres un certain nombre de compétences stratégiques et structurantes, notamment en matière d'infrastructures, de transports, de développement économique et d'enseignement supérieur. Pour ces derniers EPCI, la transformation en métropole ne sera donc pas automatique, mais facultative.

Dans ces conditions, il y a inégalité de traitement entre d'une part, les conditions de création de ces diverses métropoles, et d'autre part les fusions de départements et de régions, pour lesquelles un référendum est nécessaire, sans que le Gouvernement ni le législateur ait cru pertinent de justifier par des situations différentes ces traitements arbitrairement différenciés.

S'agissant des modalités de désignation des conseillers métropolitains, l'article 26 prévoit que les conseillers métropolitains seront élus au suffrage universel direct de manière différée par rapport à la création de la métropole, puisque cette élection au suffrage universel n'interviendra qu'à compter de 2020. Dans la mesure où la Métropole de Lyon devient collectivité à statut particulier certes, mais à part entière, dès 2015, le mode de désignation des conseillers métropolitains entre 2015 et 2020 - qui est calqué sur les règles fixées pour les conseillers communautaires composant les organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre- méconnaît les exigences constitutionnelles de libre administration des collectivités territoriales, dont l'article 72 de la Constitution précise expressément qu'elles « s'administrent librement par des conseils élus ». Ces dispositions de l'article 26, et à tout le moins celles de l'article 33, article qui proroge le mandat des délégués communautaires de la communauté urbaine de Lyon jusqu'en 2020, sont manifestement inconstitutionnelles.

D'ailleurs, cette dérogation au principe des conseils élus, de 2015 à 2020, a également conduit le législateur à s'affranchir, jusqu'en 2020, des règles de parité actuellement en vigueur pour les autres collectivités, en ce qui concerne l'exécutif de la métropole lyonnaise, à savoir les vice-présidents de la CUB de Lyon appelés à exercer le rôle de conseillers métropolitains. Et si l'article 1er de la Constitution, en matière de parité, a davantage pour le législateur un effet permissif qu'obligatoire, il n'en reste pas moins que le législateur ne saurait se fonder sur son choix de confier la gestion, pendant 5 ans, d'une collectivité de plein exercice à des conseillers intercommunaux, pour ensuite en dénoncer les limites pratiques, et s'affranchir du même coup des règles de parité qu'il a édictées pour les autres collectivités. C'est la raison pour laquelle l'article 37 doit lui aussi être déclaré non conforme à la Constitution.

S'agissant enfin des incompatibilités du président de la métropole de lyon, l'article 26 prévoit de rendre incompatible la fonction de président de la métropole de Lyon avec celles de président de conseil général et de président de conseil régional. Cependant, il ne prévoit pas d'incompatibilité entre la fonction de président de la métropole et celle de maire.

L'argument selon lequel le droit en vigueur permet d'être maire et président d'une intercommunalité ne tient pas, attendu que la métropole de Lyon, dès 2015, n'est pas une simple intercommunalité, mais une collectivité territoriale au sens de l'article 72 de la Constitution. Or dans le droit positif, les fonctions de président de conseil régional, président du conseil exécutif de Corse, président de conseil général, maire, et maire d'arrondissement sont strictement incompatibles entre elles.

A ce titre, l'article 26 de la loi déférée, puisqu'il envisage l'incompatibilité entre présidents de la métropole, du conseil général et du conseil régional, aurait dû prévoir celle de maire. En l'état, ces dispositions créent une inégalité devant le suffrage selon qu'on est maire, président de conseil général ou de conseil régional, elles doivent donc être censurées.

Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente
saisine demandent donc au Conseil Constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux
qu'il estimera pertinents eu égard à la compétence et la fonction que lui confère la Constitution.