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Décision n° 2013-683 DC du 16 janvier 2014 - Observations du Gouvernement

Loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés d'un recours dirigé contre la loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

***

I. Sur la procédure d'adoption de la loi

A/ Les députés auteurs du recours considèrent que l'étude d'impact jointe au projet de loi est insuffisante.

B/ Le Gouvernement souhaite d'abord relever que le quatrième alinéa de l'article 39 de la Constitution donne pouvoir à la Conférence des présidents de la première assemblée saisie de constater que les règles fixées par la loi organique prévue au troisième alinéa du même article sont méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l'assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel, qui statue dans un délai de huit jours.

En l'espèce, comme l'indiquent les députés auteurs du recours, la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale a été saisie d'une contestation mettant en cause la qualité de l'étude d'impact et n'a pas jugé utile de mettre en œuvre la procédure prévue au quatrième alinéa de l'article 39 de la Constitution et à l'article 9 de la loi organique du 15 avril 2009.

Le caractère suffisant de l'étude d'impact ne saurait donc être utilement contesté dans le cadre du recours contre la loi déférée.

C/ En tout état de cause, l'étude d'impact n'avait pas, contrairement à ce que soutiennent les requérants, à procéder à une évaluation des conséquences économiques et sociales de dispositions qui ne figuraient pas dans le projet de loi.

L'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 prévoit que l'étude d'impact définit les objectifs poursuivis par le projet de loi, recense les options possibles en dehors de l'intervention de règles de droit nouvelles et expose les motifs du recours à une nouvelle législation. Il indique également que l'étude d'impact doit comporter une évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales des dispositions envisagées.

En l'espèce, l'étude d'impact, après avoir dressé un diagnostic de la situation actuelle du système de retraite français, a présenté les objectifs de la réforme des retraites entreprise par le Gouvernement. Afin de présenter l'impact financier global de la réforme, l'étude d'impact a tenu compte des incidences sur l'équilibre financier du régime des retraites de mesures ne figurant pas dans le projet de loi. Tel est le cas de la suppression de l'exonération d'impôt sur le revenu des majorations de pensions des retraités ayant élevé trois enfants ou plus, qui a fait l'objet de l'article 5 de la loi de finances pour 2014. Tel est également le cas de la hausse des cotisations d'assurance vieillesse qui relève du domaine réglementaire.

Ces dispositions, qui ne figuraient pas dans le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, ne devaient pas, en application des dispositions précitées de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, faire l'objet d'une évaluation de leurs conséquences économiques ou sociales dans le cadre de l'étude d'impact jointe à ce projet.

On notera ainsi que la suppression de l'exonération d'impôt sur le revenu des majorations de pensions pour charge de famille a fait l'objet d'une évaluation préalable dans le cadre de la présentation du projet de loi de finances pour 2014, conformément aux dispositions 51 et 53 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

Le grief tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact ne pourra qu'être écarté.

II. Sur la méconnaissance du principe de sincérité des comptes des administrations publiques

A/ Les députés auteurs du recours considèrent que la loi déférée méconnaîtrait l'article 47-2 de la Constitution qui prévoit que « les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères ».

B/ Le Gouvernement estime que la méconnaissance du principe de sincérité des comptes des administrations publiques ne peut être utilement invoqué à l'encontre de la loi déférée.

Le principe de sincérité s'applique aux lois financières comme l'a jugé le Conseil constitutionnel pour les lois de finances (décision n° 93-320 DC du 21 juin 1993) et pour les lois de financement de la sécurité sociale (décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999). Ce principe a été repris par les dispositions organiques relatives aux lois financières (articles 27, 31 et 32 de la loi organique relative aux lois des finances et article LO 113-1 du code de la sécurité sociale).

L'article 47-2 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, a consacré le principe de sincérité des comptes publics. Il impose en effet que les comptes des administrations publiques, et pas seulement de l'Etat, donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière.

Le Conseil constitutionnel fait application de ce principe pour examiner l'exactitude des comptes présentés en loi de règlement (décision n°2009-585 DC du 6 août 2009).

Mais la méconnaissance du principe de sincérité ne peut être invoquée à l'encontre d'une loi qui, à la différence des lois financières, n'a pas pour objet de présenter les comptes des administrations publiques.

Tel est le cas en l'espèce.

La loi déférée vise à garantir la pérennité du système de retraites et à en corriger les inégalités afin de le rendre plus juste. Elle n'a pas pour objet de présenter les comptes de la sécurité sociale. Une telle présentation relève de la loi de financement de la sécurité sociale et c'est dans ce cadre que doit être assuré le respect du principe de sincérité des comptes.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 a d'ailleurs pris en compte, dans le rapport décrivant les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses des régimes obligatoires de base et du régime général, présenté à l'annexe B, l'incidence de l'ensemble des mesures de redressement entreprises sur le déficit de la caisse nationale d'assurance-vieillesse et du fonds de solidarité vieillesse.

C/ En tout état de cause, les griefs des requérants ne portent pas sur la sincérité des données financières présentées dans le cadre de l'étude d'impact jointe au projet de loi mais sur les choix faits par le législateur pour garantir l'avenir et la justice du système de retraites.

Les députés auteurs du recours ne remettent ainsi pas en cause les besoins de financement du système de retraites retracés dans l'étude d'impact qui sont issus des travaux du conseil d'orientation des retraites.

Ils contestent le choix fait par le législateur de résorber en priorité, par la loi déférée, le déficit du régime général, du fonds de solidarité vieillesse et des régimes de base non équilibrés par subvention.

Mais les autres sources du besoin de financement du système de retraites, constitué par les régimes complémentaires ARRCO-AGIRC et par les régimes de retraite des fonctionnaires et les régimes spéciaux équilibrés par subvention, sont également présentés dans les tableaux financiers de l'étude d'impact, en particulier au point III.5 intitulé Trajectoire financière globale. Cette présentation est cohérente avec le fait que les mesures de redressement de court terme (notamment l'augmentation du taux de cotisation d'assurance vieillesse ou le décalage de six mois de la date de revalorisation des pensions) comme de long terme (notamment l'augmentation à 43 annuités de la durée d'assurance requise pour bénéficier d'une pension sans décote) sont applicables au régime général comme aux autres régimes de base, y compris les régimes de la fonction publique et les autres régimes spéciaux.

De la même manière, les auteurs du recours ne remettent pas en cause l'évaluation du coût du dispositif de compte personnel de prévention de la pénibilité mis en place par la loi déférée. Ils critiquent le choix fait par le législateur de ne pas prévoir, dès le vote de cette loi, des recettes équivalentes au coût estimé de la mesure à horizon 2040.

Le principe de sincérité des comptes publics ne saurait être utilement invoqué pour remettre en cause le pouvoir d'appréciation et de décision du législateur sur les mesures à prendre pour assurer le financement et l'équité du système des retraites.

Ce grief devra donc être écarté.

III. Sur les articles 7 et 10

A/ L'article 7 de la loi déférée modifie la fiche individuelle de prévention des expositions aux facteurs de risques professionnels. L'article 10 crée un compte personnel de prévention de la pénibilité.

Les députés auteurs du recours estiment que ces articles méconnaissent l'exigence à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi et le principe d'égalité devant la loi.

B/ Ces griefs ne pourront qu'être écartés.

1/ Les dispositions des articles 7 et 10 ne souffrent d'aucune imprécision qui empêcherait leur application.

La loi déférée ne modifie pas la notion de facteurs de risques, déjà présente dans l'article L. 4121-3-1 du code du travail introduit par la loi n°2010-1330 du 9 novembre 2010 qui prévoit l'établissement d'une fiche individuelle de prévention pour chaque travailleur « exposé à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels déterminés par décret et liés à des contraintes physiques marquées, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles sur sa santé ». L'article D. 4121-5 du code du travail énonce précisément ces facteurs de risques.

La loi déférée prévoit, en revanche, que la fiche de prévention des expositions devra tenir compte de seuils d'exposition à ces facteurs de risques professionnels qui devront être définis par décret. Ces seuils d'exposition sont déjà encadrés pour certains facteurs de pénibilité par des valeurs limites d'exposition. Pour d'autres facteurs de risques, comme les postures pénibles, ils devront faire l'objet d'une définition à partir des études et rapports existants dans le domaine de la pénibilité du travail et des travaux d'organismes experts. Une concertation a été lancée avec les partenaires sociaux pour assurer une définition cohérente de ces seuils au niveau réglementaire.

Les critères retenus par la loi sont donc suffisamment précis et ne méconnaissent pas le principe d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

2/ Les articles 7 et 10 ne méconnaissent pas davantage le principe d'égalité devant la loi.

Le législateur a entendu mettre en place un compte personnel de prévention de la pénibilité pour les salariés de droit privé non affiliés à un régime spécial, qu'ils soient employés par des personnes de droit privé ou des personnes de droit public.

Le compte personnel de prévention de la pénibilité permettra, au vu des expositions du salarié déclarées sur la base de la fiche de prévention des expositions, de prendre en charge des actions de formation professionnelle pour accéder à un emploi non exposé ou moins exposé à des facteurs de pénibilité, de financer un complément de rémunération en cas de réduction de la durée de travail en fin de carrière ou d'acquérir des trimestres venant majorer la durée d'assurance et permettant ainsi d'abaisser l'âge de départ à la retraite. Ce dispositif sera principalement financé par les employeurs exposant leurs salariés à la pénibilité. Il concourt ainsi à l'objectif de promotion de la prévention des risques professionnels par l'employeur.

Au regard des objectifs du législateur, les salariés se trouvent dans une situation différente des travailleurs indépendants. Les régimes de retraite des salariés et des travailleurs indépendants sont différents. Les travailleurs indépendants et les salariés sont également dans une situation différente au regard de la législation sur le temps de travail, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision sur l'instauration de la journée de solidarité (décision n°2011-148/154 QPC du 22 juillet 2011, cons. 21). Les travailleurs indépendants ne sont pas non plus soumis à l'autorité hiérarchique d'un employeur, ce qui empêche la poursuite de l'objectif de prévention de la pénibilité par l'employeur.

Les agents de la fonction publique, qu'ils soient fonctionnaires ou agents non titulaires de droit public, relèvent également de règles juridiques différentes de celles qui s'appliquent aux salariés de droit privé en matière de conditions de travail, de formation professionnelle ou de temps de travail. Cette différence de situation justifie le choix du législateur de ne prévoir la mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité que pour les salariés de droit privé.

En instituant un dispositif de compte personnel de prévention de la pénibilité pour les seuls salariés de droit privé non affiliés à un régime spécial, les articles contestés ne méconnaissent donc pas le principe d'égalité devant la loi.

IV. Sur l'article 48

A/ L'article 48 de la loi déférée précise les missions et l'organisation de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL). Il prévoit notamment que le directeur de cette caisse est nommé par décret, pour une durée de cinq ans, sur proposition du conseil d'administration à partir d'une liste de trois noms établie par le ministre chargé de la sécurité sociale.

Les députés auteurs du recours estiment que ces dernières dispositions méconnaissent la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

B/ Le Gouvernement n'est pas de cet avis.

La Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) est un organisme de droit privé sui generis qui assure une mission de service public puisqu'elle a pour rôle d'assurer la gestion du régime d'assurance vieillesse de base des professionnels libéraux et la gestion des réserves de ce régime. A ce titre, il coordonne et anime les sections professionnelles chargées d'assurer, pour les différentes professions libérales concernées par ce régime, le service des prestations de retraite.

Au regard des missions de cet organisme, les dispositions relatives à la désignation de son directeur ne concernent pas la liberté d'entreprendre. Elles n'ont pas plus pour effet de remettre en cause l'organisation des différentes professions libérales.

En tout état de cause, le directeur sera nommé sur proposition du conseil d'administration, dans lequel siègent les présidents des sections professionnelles, à partir d'une liste établie par l'administration. Ces modalités concilient ainsi le rôle des sections professionnelles et le rôle de tutelle de l'Etat vis-à-vis de cette caisse chargée de gérer un régime obligatoire de retraite. Ces modalités de désignation, qui correspondent aux préconisations de différentes missions de la Cour des comptes et de l'inspection générale des affaires sociales, sont de nature à favoriser une organisation efficiente de cette caisse et contribuent ainsi à la mise en œuvre du principe de solidarité nationale résultant du onzième alinéa du Préambule de 1946.

Le grief devra donc être écarté.

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Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans la saisine ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.