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Décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013 - Saisine par 60 députés

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014
Non conformité partielle

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
En application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés ont l'honneur de vous déférer, l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 et, spécialement, ses articles 8, 14, 32 et 47.

I. De manière générale, les auteurs de la saisine estiment que l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 est en contradiction avec les engagements de maîtrise des dépenses publiques et des déficits pris par la France et spécialement confirmés par la signature et la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire du 2 mars 2012.
S'ils ne méconnaissent pas la jurisprudence constante par laquelle vous vous refusez à contrôler la conformité des lois aux conventions internationales, les auteurs de la saisine notent que vous avez considéré, dans la décision relative au dit traité, « que le Conseil constitutionnel est chargé de contrôler la conformité à la Constitution des lois de programmation relatives aux orientations pluriannuelles des finances publiques, des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale ; que saisi dans le cadre de l'article 61 de la Constitution, il doit notamment s'assurer de la sincérité de ces lois ; qu'il aura à exercer ce contrôle en prenant en compte l'avis des institutions indépendantes préalablement mises en place » (Cons. Const. n° 2012-653 DC, 9 août 2012, cons. 27). Le contrôle de la sincérité des lois visées et, spécialement, d'une loi de financement de la sécurité sociale ne saurait donc à l'évidence plus se limiter à celui de « l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre » (Cons. Const. n° 2009-585, 6 août 2009, cons. 2). Lors de l'examen de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, vous aviez d'ailleurs considéré que « la sincérité de la loi de programmation des finances publiques devra s'apprécier notamment en prenant en compte l'avis du Haut Conseil des finances publiques ; qu'il en ira de même de l'appréciation de la sincérité des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale » (Cons. Const. n° 2012-658 DC, 13 décembre 2012, cons. 52). C'est donc dans ce cadre juridique renouvelé que les députés auteurs de la saisine vous appellent à contrôler la loi déférée.
Sur le fondement de l'article 14 de la loi organique susvisée, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a adopté, le 20 septembre 2013, un avis n° HCFP-2013-03 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2014. C'est donc en prenant en considération cet avis que l'examen de la sincérité de la loi déférée doit être mené. Or, se prononçant sur les hypothèses macroéconomiques pour 2014 retenues par le gouvernement, le Haut Conseil a considéré que si « les prévisions de croissance sont plausibles (. . .) le scénario macroéconomique présente des éléments de fragilité ». Il a, en outre, spécialement noté que « les mesures nouvelles inscrites dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (0,6 Md€) » n'avaient pas été portées à sa connaissance, ne lui permettant ainsi pas de rendre un avis parfaitement éclairé.
C'est pour cette raison que les députés auteurs de la saisine vous demandent de conclure à l'inconstitutionnalité de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 au motif de son insincérité dans la mesure où, déjà manifeste au vu des prévisions sur lesquelles le gouvernement s'est fondé, elle ne saurait résister à l'analyse plus approfondie que désormais vous estimez devoir mener en prenant en compte l'avis formulé par le HCFP.

II. Sur l'article 8
L'article 8 de la loi déférée résulte d'une série d'amendements présentée par le gouvernement lors du débat en séance publique de deuxième lecture, le 25 novembre 2013.
Modifiant les articles L 136-7 et L 245-15 du code de la sécurité sociale, l'article L 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles, l'article 1600-0 S du code général des impôts et l'article 16 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale, cette disposition conduit à remettre en cause le principe des « taux historiques » aux termes duquel les prélèvements sociaux appliqués aux revenus de l'épargne dépendent du moment où les gains ont été constitués.
Dans ce cadre, établi par voie législative à partir des lois de financement de la sécurité sociale pour 1997 du 27 décembre 1996 et pour 1998 du 19 décembre 1997, il est procédé, au moment du dénouement du contrat, à une décomposition par année des revenus générés par l'épargne afin de leur appliquer les taux annuels successifs en vigueur à l'époque de la constitution du gain. La justification de ce dispositif était d'éviter toute rétroactivité de l'augmentation des taux de prélèvements sociaux susceptible de s'appliquer à des produits acquis avant la décision d'augmentation.
A des fins de simplification et dans un objectif d'équité fiscale - les unes et l'autre ayant été affirmés dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale et tout au long des débats parlementaires, tant avant qu'après la présentation de la dernière version de la disposition - l'article 8 de la loi déférée soumet au taux en vigueur des prélèvements sociaux de 15,5 % l'intégralité des gains constitués depuis 1997 dans le cadre d'un contrat d'assurance-vie ; en vue d'éviter un effet d'aubaine, le dispositif serait applicable à compter du 26 septembre 2013, date de la présentation de la mesure dans le dossier de presse relatif au projet de loi de financement de la sécurité sociale.
A trois égards au moins, l'article 8 de la loi déférée est contraire à la Constitution.
1. En premier lieu, l'article 8 porte atteinte, par son caractère « rétroactif », à une situation et une espérance légalement acquises dans une mesure emportant son inconstitutionnalité.
Aux termes d'une jurisprudence constante, vous considérez que « le principe de non-rétroactivité des lois n'a valeur constitutionnelle, en vertu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qu'en matière répressive » et « qu'aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit un principe dit de »confiance légitime" » (Cons. Const. n° 97-391 DC, 7 novembre 1997, cons. 6), non plus que de sécurité juridique, qui demeure une référence implicite du contrôle que vous exercez sur la constitutionnalité des lois.
Appliqué à la matière fiscale, le raisonnement vous conduit à considérer que « si le législateur a la faculté d'adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles » (Cons. Const. n° 98-404 DC, 18 décembre 1998, cons. 5).
Plus précisément, vous avez indiqué, lors de l'examen de la loi de finances pour 2013, que s'« il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions (. . .) ce faisant, il ne saurait priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant » (Cons. Const. n° 2012-662 DC, 29 décembre 2012, cons. 42). Examinant, dans ce cadre, l'article 9 de la loi de finances qui vous était déférée et qui prévoyait l'imposition des dividendes et revenus de capitaux mobiliers au barème de l'impôt sur le revenu et la rétroactivité de la mesure aux revenus perçus en 2012, vous avez jugé qu'il remettait en cause de manière rétroactive le caractère libératoire du prélèvement sur les revenus de capitaux mobiliers et que de ce fait, il majorait l'imposition sur des revenus perçus en 2012 par certains contribuables, précisant que « la volonté du législateur d'assurer en 2013 des recettes supplémentaires » ne constituait pas « un motif d'intérêt général suffisant » (ibid., cons. 44).
On admet que le raisonnement n'est pas, tel quel, transposable à la disposition contestée dans la mesure où, le dénouement du contrat d'assurance-vie déterminant la date d'application des prélèvements sociaux, le législateur peut, tant que celui-ci n'est pas survenu, modifier le régime de prélèvement applicable.
Toutefois, il n'en demeure pas moins que l'article 8 ici contesté porte atteinte à une situation autant qu'une espérance légalement acquises, sans qu'aucun motif d'intérêt général suffisant pût le justifier.
En effet, en premier lieu, il est manifeste que, en mettant en place le régime des « taux historiques », le législateur a entendu éviter l'application des augmentations successives de prélèvements sociaux. Le fait que les dispositions limitant l'application des augmentations de taux des prélèvements sociaux aux produits acquis ont été prévues à chaque loi prévoyant une telle augmentation, que ce soit par le relèvement du taux d'une imposition existante ou la création d'un nouveau prélèvement établi sur la même assiette, sans aucune exception depuis l'article 5 de la loi n°97-1164 du 19 décembre 1997 de financement de la sécurité sociale pour 1998 démontre, s'il en était besoin, la constance de la pratique et, par voie de conséquence, la volonté du législateur de préserver des situations qu'il estimait légalement acquises.
Dès lors, le titulaire d'un contrat d'assurance-vie pouvait légitimement se fonder sur cette pratique législative pour considérer que les augmentations successives de prélèvements sociaux ne seraient jamais applicables aux produits acquis avant leur entrée en vigueur.
La modification du taux de prélèvement a posteriori, en remettant en cause le principe des « taux historiques », revient donc bien à porter atteinte à une situation ainsi qu'à une espérance légalement acquises.
C'est, en second lieu, parce que l'atteinte à une situation ainsi qu'à une espérance légalement acquises n'est pas justifiée par un motif d'intérêt général suffisant que vous conclurez à son inconstitutionnalité.
L'exposé des motifs ainsi que les débats parlementaires relatifs à la disposition contestée - eût-elle initialement un champ d'application plus étendu - sont sans ambiguïté : l'objectif de la réforme est de simplifier, harmoniser et rationaliser le calcul des prélèvements sociaux sur les contrats d'assurance-vie. Mais, assurément, la simplification, l'harmonisation et la rationalisation ne sauraient constituer un motif d'intérêt général suffisant pour justifier la remise en cause d'un dispositif dont l'objet même est de maintenir un régime différent de celui qui résultait des modifications apportées par le législateur pour des situations constatées légalement à une certaine date. Dit autrement, c'est pour un motif d'intérêt général que le principe des « taux historiques » a été institué, conduisant à ce qu'un objectif de simplification, d'harmonisation et de rationalisation soit insuffisant à le remettre en cause.
L'absence d'un motif d'intérêt général suffisant justifiant qu'il soit porté atteinte à une situation et une espérance légalement acquises vous conduira donc nécessairement à conclure à l'inconstitutionnalité de la disposition contestée.
Néanmoins, dans l'hypothèse où vous considéreriez que le motif invoqué est suffisant, l'article 8 devrait être déclaré contraire au principe d'égalité.
2. En second lieu, l'article 8 de la loi déférée porte atteinte au principe d'égalité.
Dans sa version initiale, l'article 8 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 prévoyait la substitution d'un prélèvement social de 15,5 % au principe des « taux historiques » applicable à l'ensemble des produits de placement exonérés d'impôt sur le revenu mais soumis aux prélèvements sociaux et pour lesquels l'acquisition des produits n'est réellement constatée que par dénouement, retrait ou, dans le cas de l'assurance-vie, décès. Etaient ainsi visés - outre les contrats d'assurance-vie - les plans d'épargne logement, les plans d'épargne par actions et l'épargne salariale.
L'exposé des motifs de la disposition était à cet égard parfaitement clair : le gouvernement entendait mettre un terme à des « modalités dérogatoires concern[ant] essentiellement les produits issus des plans d'épargne en actions (PEA) de plus de cinq ans, des primes versées avant le 26 septembre 1997 sur des contrats d'assurance-vie multi-supports, de l'épargne salariale, des primes versées dans le cadre des comptes et plans épargne logement (CEL et PEL), des intérêts acquis sur des plans d'épargne logement (PEL) de moins de 10 ans souscrits avant le 1er mars 2011, pour lesquels l'acquisition des produits n'est réellement constatée et mise à disposition qu'au moment du fait générateur par dénouement ou retrait (ou par décès concernant l'assurance-vie) », argument pris de ce que « cette situation peut se traduire par une rupture d'égalité entre des contribuables recourant à des produits de placement identiques ou équivalents, notamment en termes de risque financier, dont la différence de taxation ne repose plus sur des critères objectifs et rationnels, compte tenu notamment de l'augmentation au fil du temps de l'écart avec les taux de taxation de droit commun ». Dans « un objectif d'équité fiscale », il était donc proposé « d'harmoniser les règles de prélèvement applicables aux produits de placement ».
A l'issue de la première lecture du projet et après que le ministre délégué chargé du Budget avait attiré l'attention sur un risque d'inconstitutionnalité, notamment au regard du principe d'égalité, chacun des amendements dont est issu l'article 8 contesté est présenté, aux termes de son exposé des motifs rédigé en termes identiques, comme révisant « le champ d'application de la mesure de suppression des taux historiques aux seuls contrats d'assurance-vie exonérés d'impôt sur le revenu, conformément à l'annonce du Gouvernement. Il exclut donc les PEL, les PEA et l'épargne salariale ». Or, l'application des « taux historiques » à ces divers produits de placement étant justifiée par un motif d'intérêt général identique, s'il apparaissait légitime de vouloir y renoncer à des fins identiques de simplification, d'harmonisation et de rationalisation, on ne comprend plus guère pour quel motif les contrats d'assurances-vie feraient l'objet d'un traitement différent.
En effet, aux termes d'une jurisprudence constante, vous considérez que si le « principe d'égalité devant la loi implique qu'à situations semblables il soit fait application de solutions semblables, il n'en résulte pas que des situations différentes ne puissent faire l'objet de solutions différentes » (Cons. Const. n° 79-107 DC, 12 juillet 1979, cons. 4). Dans ce cadre, vous considérez que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit (Cons. Const. n° 87-232, 7 janvier 1988, cons. 10).
Que l'on se réfère à l'exposé des motifs de chacun des amendements dont est issu l'article 8 contesté ou aux débats parlementaires préalable à son adoption, il apparaît que la différence de traitement réservée aux contrats d'assurance-vie est exclusivement justifiée par le fait que la mesure « permettra de ne pas toucher les patrimoines moyens et modestes », argument pris de ce que « les contrats d'assurance-vie ne sont soumis à aucun plafonnement et leur encours est concentré sur les plus hauts patrimoines ». Dépourvu de tout lien avec l'objet de la loi qui l'établit autant que d'une quelconque justification tenant à la différence de situation des produits d'épargne désormais seuls visés, on ne peut que constater que la disposition porte atteinte au principe d'égalité.
3. En troisième lieu enfin, les conditions dans lesquelles l'article 8 de la loi déférée a été, in fine, été adopté conduisent à mettre en cause la sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale.
Initialement conçue comme devant concerner plusieurs produits d'épargne, la première version de l'article 8 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 était présentée comme génératrice de 600 millions d'euros de recettes. Réduite à la seule assurance-vie dans sa version amendée, la disposition ne génèrerait plus que 400 millions d'euros de recettes ainsi que le ministre délégué chargé du Budget en a lui-même convenu lors des débats devant l'Assemblée nationale. C'est donc la sincérité de la loi de financement de la sécurité sociale qui se trouve mise en cause dans la mesure où les 200 millions d'euros désormais manquants dans le cadre de l'équilibre de la sécurité sociale ont été présentés, sans autre précision, comme devant être compensés par des économies sur les dépenses de santé. L'article 8 de la loi déférée conduisant à ce que la loi de financement de la sécurité sociale soit insincère, il ne pourra qu'être censuré.

III. Sur l'article 14.
L'article 14 de la loi déférée résulte d'un amendement présenté par le gouvernement lors du débat en séance publique du 23 octobre 2013. Poursuivant l'objectif louable de permettre à chaque salarié de disposer d'une couverture complémentaire de bonne qualité, il institue une clause par laquelle les partenaires sociaux pourront recommander, par branche, un contrat ou un organisme assureur au titre de la couverture complémentaire santé. Mais cet amendement vise surtout à contourner la décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013 par laquelle vous avez conclu à l'inconstitutionnalité d'un dispositif instituant une clause de désignation par branche d'un organisme au titre de la couverture complémentaire santé, ainsi que de l'article L 912-1 du Code de la Sécurité sociale.
A trois égards au moins, l'article 14 de la loi déférée est contraire à la Constitution.
1. En premier lieu, et pour deux motifs, l'article 14 n'entre pas dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale, constituant ainsi ce que l'on appelle couramment un « cavalier social ».
D'une part, par votre décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, vous avez, dans le cadre de l'examen de l'article 1er de la loi qui vous était déférée et auquel se substitue l'article 14 du texte que nous contestons devant vous, clairement fondé votre raisonnement sur les dispositions de l'article 34 de la Constitution aux termes desquelles « La loi détermine les principes fondamentaux . . . Des obligations civiles et commerciales » (cons. 5). Ce faisant, vous avez a contrario souligné que le législateur, lorsqu'il déterminait les conditions dans lesquelles une assurance complémentaire gérée dans un cadre contractuel privé, fût-il régulé, pouvait être souscrite, n'intervenait pas pour déterminer les principes fondamentaux de la sécurité sociale. Dès lors, une telle disposition n'a pas sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale.
D'autre part, vous estimez, aux termes d'une jurisprudence constante, que les dispositions d'une loi de financement de la sécurité sociale doivent avoir « un effet direct sur les dépenses des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale ou des organismes concourant à leur financement » (par exemple, Cons. Const. n° 2012-659 DC, 13 décembre 2012, cons. 48) et que des dispositions qui « n'ont pas d'effet, ou ont un effet trop indirect, sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement (. . .) ne trouvent pas leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale » (ibid. Cons. 42). Lors des débats parlementaires, la ministre des Affaires sociales et de la santé justifiait l'insertion de l'article 14 dans la loi de financement de la sécurité sociale par le fait que « le dispositif apportera des recettes ». Pourtant, les recettes en cause ne sauraient, en toute logique, qu'être minimes puisque résultant de la modulation du forfait social applicable aux entreprises selon qu'elles adopteraient ou non le contrat recommandé et, plus précisément encore, de la pénalité fiscale pesant sur les entreprises qui feraient le choix de ne pas suivre la recommandation formulée par leur branche. Outre qu'il paraît d'emblée paradoxal de conditionner les recettes ici visées au non-suivi d'une incitation gouvernementale, vous ne pourrez que constater que l'article 14 ne contribue nullement à la détermination des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale, ainsi que l'exige l'article 34, alinéa 5, de la Constitution et n'entre donc pas dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale tel que défini, pour l'application de la disposition constitutionnelle susvisée, par l'article LO 111-3 du Code de la sécurité sociale. De plus, l'effet susceptible d'être le sien sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement et, sinon inexistant, du moins trop indirect pour que l'article 14, d'autant que la modulation du forfait social est, en elle-même, inconstitutionnelle.
Pour ces deux motifs déjà, vous ne pourrez que conclure à l'inconstitutionnalité de l'article 14 de la loi déférée.
2. En deuxième lieu, l'article 14 est contraire à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre.
En substituant une clause de recommandation à la clause de désignation que vous aviez censurée par votre décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, le gouvernement entend mettre en place un dispositif qu'il estime conforme à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre. Il ne fait guère de doute qu'une recommandation n'est pas de même nature qu'une désignation et vous avez d'ailleurs précisé que « le législateur peut porter atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle dans un but de mutualisation des risques, notamment en prévoyant que soit recommandé au niveau de la branche un seul organisme de prévoyance proposant un contrat de référence y compris à un tarif d'assurance donné ou en offrant la possibilité que soient désignés au niveau de la branche plusieurs organismes de prévoyance proposant au moins de tels contrats de référence » (cons. 11 de la décision précitée). Toutefois, disant cela, vous reconnaissiez qu'un dispositif, fût-il de recommandation, portait bien atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, la question étant alors de savoir si ladite atteinte n'est pas disproportionnée. Vous considériez en outre qu'un tel dispositif ne saurait, à peine de méconnaître lesdites libertés, leur porter « une atteinte d'une nature telle que l'entreprise soit liée avec un cocontractant déjà désigné par un contrat négocié au niveau de la branche et au contenu totalement prédéfini » (ibid.).
Ce sont donc les conditions assortissant la clause de recommandation établie par l'article 14 qui doivent être examinées.
Or, d'une part, aux fins d'inciter les entreprises à adopter le contrat recommandé par la branche autant que pour justifier que la disposition figure dans une loi de financement de la sécurité sociale, l'article 14 met en place un dispositif de modulation du forfait social dérogeant au deuxième alinéa de l'article L 137-16 et au dernier alinéa de l'article L 137-15 du code de la sécurité sociale. La ministre des Affaires sociales et de la Santé l'a expressément indiqué lors des débats devant l'Assemblée : les entreprises membres de la branche « resteraient donc libres de leur choix, mais, parce que nous souhaitons les inciter à adopter des contrats à forte valeur de solidarité, nous proposons de moduler le forfait social qui s'y applique. Il y aurait ainsi, s'agissant des entreprises de plus de dix salariés, une différence de douze points entre le forfait social appliqué à celles qui adopteraient les contrats recommandés et le forfait social appliqué à celles qui ne les adopteraient pas ; cette différence serait de huit points pour les entreprises de moins de dix salariés. Pour les entreprises de plus de dix salariés qui adopteraient le contrat recommandé, le forfait social serait de 8 %, contre 20 % pour celles qui ne l'adopteraient pas ; pour les entreprises de moins de dix salariés, le forfait social serait de 0 % pour les entreprises qui adopteraient le contrat recommandé et de 8 % pour celles qui ne l'adopteraient pas ».
Dit autrement, l'article 14 prévoit que, « par dérogation », l'entreprise qui, alors que la branche dont elle relève aurait formulé une recommandation, « choisit de souscrire un contrat auprès d'un autre assureur que le ou les organismes assureurs recommandés », sera fiscalement pénalisée.
La disposition ainsi analysée, vous ne pourrez que constater que la liberté qu'a l'entreprise de contracter avec un autre assureur que le ou les organismes assureurs recommandés se trouve fiscalement conditionnée dans une mesure telle que la liberté contractuelle et la liberté d'entreprendre en sont méconnues.
D'autre part, et compte tenu du degré de contrainte pesant sur l'entreprise relevant d'une branche ayant formulé une recommandation, vous conviendrez que les effets de l'article 14 ne sont pas différents de ceux de la disposition établissant une clause de désignation que vous avez censurée et que la clause de recommandation s'analyse en une clause de désignation « déguisée ». En effet, dans l'un et l'autre cas, l'entreprise se trouve liée « avec un cocontractant déjà désigné par un contrat négocié au niveau de la branche et au contenu totalement prédéfini », raison pour laquelle les libertés contractuelle et d'entreprendre sont violées.
Pour ces deux séries de motifs ensuite, vous ne pourrez que conclure à l'inconstitutionnalité de l'article 14 de la loi déférée.
3. En troisième lieu, l'article 14 est contraire au principe d'égalité.
En effet, aux termes d'une jurisprudence constante, vous considérez que si le « principe d'égalité devant la loi implique qu'à situations semblables il soit fait application de solutions semblables, il n'en résulte pas que des situations différentes ne puissent faire l'objet de solutions différentes » (Cons. Const. n° 79-107 DC, 12 juillet 1979, cons. 4). Dans ce cadre, vous considérez que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit (Cons. Const. n° 87-232, 7 janvier 1988, cons. 10).
Or, la pénalité fiscale établie par l'article 14 de la loi déférée emporte pour les entreprises, selon le contrat qu'elles auront choisi de souscrire, une différence de traitement constitutive d'une rupture caractérisée de l'égalité devant la loi et devant les charges publiques dans la mesure où ni une différence de situation, ni l'objet de la loi qui l'établit ne la justifie
D'une part, la différence de traitement établie par l'article 14 ne résulte en aucun cas d'une différence de situation entre les entreprises.
Tout d'abord, parce que la différence de traitement n'est aucunement fondée sur la situation propre à chaque entreprise, mais sur le simple fait que certaines entreprises n'auront fait que choisir de ne pas souscrire le contrat recommandé par la branche. Le dispositif apparaît donc contraire au principe d'égalité en matière fiscale qui, aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 veut que la « contribution commune [soit] également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
Ensuite, la différence de traitement ne résulterait pas d'une différence entre les contrats que l'entreprise était susceptible de souscrire mais de la recommandation, fiscalement récompensée, formulée par les partenaires sociaux. On ne voit guère comment pourrait être conforme au principe d'égalité le fait de faire dépendre la fiscalité d'une entreprise du fait que les partenaires sociaux auront négocié dans une branche une recommandation qui serait ou non suivie, alors même que vous avez clairement considéré dans votre décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013 qu'il était, en la matière, constitutionnellement impossible de rien imposer.
Enfin, on ajoutera que l'article 14 ne tient pas compte du fait que certaines grandes entreprises peuvent relever de plusieurs branches, créant ainsi une inégalité entre celles qui, en raison de leur taille et de leurs activités, seront susceptibles de choisir le contrat recommandé par l'une ou l'autre des branches dont elles relèvent, tandis que les entreprises rattachables à une seule branche seront liées par la recommandation qu'elle aura formulée.
Au surplus, il est possible de considérer que l'article 14 emporte une rupture d'égalité entre les salariés des entreprises dès lors que, sans avoir aucune possibilité de manifester leur désaccord, ils se trouveront dans une situation différente du contrat souscrit par l'entreprise et du prélèvement social que, pour ce motif, cette dernière se verra appliqué.
D'autre part, la différence de traitement établie par l'article 14 est sans rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. Il a déjà été montré, au regard de la spécificité de la loi au sein de laquelle il a été inséré, que l'article 14 n'avait pas lieu de figurer dans une loi de financement de la sécurité sociale. On ajoutera, au seul regard de la disposition concernée, que son objet, tel que présenté par la ministre des Affaires sociales et de la Santé lors des débats parlementaires, n'est pas de nature à justifier la différence de traitement des entreprises concernées ; en effet, si la disposition « vise à assurer à chaque salarié, quelle que soit l'entreprise dans laquelle il travaille, un bon niveau de protection complémentaire collective », si son « objectif est l'équité, la justice sociale et l'efficience économique » et s'il s'agit de « permettre à chaque salarié de disposer d'une couverture complémentaire de bonne qualité », on ne voit guère en quoi le fait de pénaliser les entreprises qui n'auraient pas souscrit le contrat recommandé ou un contrat avec l'organisme assureur recommandé par la branche est de nature à le réaliser.
Pour ces deux séries de motifs enfin, vous ne pourrez que conclure à l'inconstitutionnalité de l'article 14 de la loi déférée.

IV. Sur l'article 32
L'article 32 de la loi déférée résulte d'un amendement introduit en commission. Il a pour objet d'introduire dans le code de la sécurité sociale un article L 162-31-1 autorisant la mise en œuvre d'expérimentations de nouveaux modes d'organisation des soins dans le cadre de projets pilotes visant à optimiser les parcours de soins des patients souffrant de pathologies chroniques.
A deux égards, l'article 32 de la loi déférée est contraire à la Constitution.
En premier lieu, l'article 32 n'entre pas dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale et constitue un « cavalier social ».
Aux termes de l'article 34, alinéa 5, de la Constitution, « Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ». Pour l'application de cette disposition, le champ des lois de financement de la sécurité sociale a été précisé par l'article LO 111-3 du Code de la sécurité sociale. Or, à l'évidence, l'article 32, en définissant la cadre général applicable aux expérimentations des nouveaux modes d'organisation des soins, ne contribue nullement à la détermination des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale et n'a pas lieu de figurer dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.
En second lieu, et dans l'hypothèse où vous estimeriez que le législateur n'a pas méconnu le champ des lois de financement de la sécurité sociale, l'article 32 de la loi déférée devrait être déclarée inconstitutionnelle pour incompétence négative du législateur.
En effet, et alors même que l'article 32 prévoit, dans son paragraphe II, qu'il pût, dans le cadre des projets pilotes qu'il autorise, être dérogé à toute une série de dispositions législatives, l'essentiel des conditions de mise en œuvre de l'expérimentation est renvoyé au pouvoir règlementaire, qu'il s'agisse de la détermination des pathologies concernées, de l'objet, du champ et de la durée de l'expérimentation ou encore du contenu des projets pilotes et de leur périmètre territorial. Or, aux termes d'une jurisprudence constante, vous considérez qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 et que le plein exercice de cette compétence, ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. Ainsi, par exemple, avez-vous estimé qu'une disposition par laquelle le législateur confiait au pouvoir règlementaire le soin de fixer les conditions dans lesquelles des mesures de substitution peuvent être prises afin de répondre aux exigences de mise en accessibilité n'habilitait pas le pouvoir réglementaire à fixer les exigences relatives à l'accessibilité des personnes handicapées (Cons. Const. n° 2011-639 DC, 28 juil. 2011). Pour les mêmes motifs, vous ne pourrez que conclure à l'inconstitutionnalité de l'article 32 de la loi déférée.

V. Sur l'article 47
L'article 47 de la loi déférée modifie le titre II du livre Ier de la cinquième partie du code de la santé publique en prévoyant que l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé établisse un répertoire des groupes biologiques similaires. Il s'agit donc de créer une liste de référence précisant le nom des médicaments biologiques concernés, leur dosage, leur posologie et leurs indications thérapeutiques afin d'informer les prescripteurs de l'existence de ces médicaments et donc de les inciter à les prescrire.
A deux égards, l'article 47 de la loi déférée est contraire à la Constitution.
En premier lieu, l'article 47 n'entre pas dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale et constitue un « cavalier social ».
Outre que la disposition est présentée par l'étude d'impact elle-même comme d'impact financier très faible, l'exposé des motifs indique qu'elle « vise à promouvoir la diffusion des médicaments biologiques similaires ou »biosimilaires" ». A l'évidence, la disposition n'entre pas dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale en ce qu'elle ne contribue aucunement, fût-ce indirectement, à la détermination des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale. Pour ce motif, vous ne pourrez que constater son inconstitutionnalité.
En second lieu, et dans l'hypothèse où vous estimeriez que le législateur n'a pas méconnu le champ des lois de financement de la sécurité sociale, l'article 47 de la loi déférée devrait être déclarée inconstitutionnelle pour méconnaissance du principe d'égalité et de l'exigence de protection de la santé publique.
En effet, la disposition contestée prévoit d'appliquer aux médicaments bio-similaires le même régime juridique que celui applicables aux médicaments génériques. Or, les premiers diffèrent à l'évidence des seconds quant à leur structure, leur activité et leur profil de sécurité au regard de la préservation de la santé publique, justifiant qu'ils bénéficient d'un traitement différent.