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Décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013 - Observations du Gouvernement

Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière
Non conformité partielle - réserve

Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante sénateurs d'un recours dirigé contre la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I- SUR L'ARTICLE 1er

A-L'article 1er de la loi déférée reconnaît aux associations de lutte contre la corruption déclarées depuis au moins cinq ans et ayant fait l'objet d'un agrément la possibilité d'exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne des infractions limitativement énumérées entrant dans le champ de la corruption et de la fraude électorale.

Les requérants soutiennent que la possibilité ainsi donnée à une association de se constituer partie civile méconnaîtrait le droit au respect à la vie privée et le principe de la présomption d'innocence.

B- Ces griefs ne pourront qu'être écartés.

1- Sur la méconnaissance du droit au respect de la vie privée
Les requérants considèrent qu'en donnant à des associations qui ne présenteraient aucune garantie de probité la possibilité de déclencher l'action publique, la loi porterait atteinte au droit au respect à la vie privée.
Une telle critique n'est pas fondée.
La loi a déjà largement ouvert la faculté pour des associations régulièrement déclarées de pouvoir exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne des infractions qui portent atteinte aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre. Les articles 2-1 à 2-22 du code de procédure pénale comme un certain nombre de dispositions spécifiques (comme les articles L. 421-2 du code de la consommation et L. 142-2 du code de l'environnement) prévoient cette faculté pour des associations dans de nombreux domaines (lutte contre le racisme, lutte contre les violences sexuelles et les violences intra-familiales, lutte contre les discriminations, lutte contre la violence routière, protection de la nature, défense des intérêts des consommateurs, défense de la langue française etc.).

Il convient également de relever que la Cour de cassation, dans un arrêt du 9 novembre 2010, a admis, sur le fondement de l'article 2 du code de procédure pénale, la recevabilité de la constitution de partie civile d'une association ayant pour objet la prévention et la lutte contre la corruption contre des faits de recel et de blanchiment en France de biens financés par des détournements de fonds publics.

La loi permet aux associations de lutte contre la corruption de se constituer partie civile sans que l'action ait été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée et sans devoir justifier de l'accord d'une victime pour tenir compte du fait que, dans la plupart des cas, les infractions d'atteintes à la probité sont des infractions sans victime directe.

Mais le législateur a prévu que seules les associations déclarées depuis au moins cinq ans et agréées dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat pourraient se constituer partie civile.

Une telle procédure d'agrément est déjà prévue pour les associations de défense de la langue française (article 2-14 du code de procédure pénale et décret n°95-240 du 3 mars 1995 pris pour l'application de la loi n°94-655 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française), les associations de défense des consommateurs (articles L. 411-1 et R.411-1 et suivants du code de la consommation), les associations de protection de l'environnement (articles L. 621-1 et R. 141-2 du code de l'environnement) ou les associations ayant pour but l'étude et la protection archéologique (articles 2-21 du code de procédure pénale et R.141-1 et suivants du code du patrimoine).

Cet agrément sera délivré au vu de l'activité de l'association sur au moins cinq ans. Cette procédure permettra ainsi de s'assurer qu'elle mène une action effective dans le domaine de la lutte contre la corruption et que sa gestion est désintéressée. Elle est donc de nature à garantir la probité de l'association répondant ainsi à l'inquiétude formulée par les auteurs de la saisine.

2- Sur le respect de la présomption d'innocence

Les requérants estiment qu'en omettant de prévoir les garanties de procédure nécessaires pour les individus mis en cause, la loi porte atteinte à la présomption d'innocence.

Cette critique n'est pas non plus fondée.

Comme il a déjà été indiqué, la loi prévoit une procédure d'agrément de nature à empêcher le dépôt de plaintes abusives.

Elle ne modifie, par ailleurs, aucune des garanties du code de procédure pénale qui assurent le respect de la présomption d'innocence conformément à l'article préliminaire de ce code.

Dans ces conditions, les griefs dirigés contre l'article 1er de la loi déférée ne pourront qu'être écartés.

II- SUR L'ARTICLE 3

A- L'article 3 de la loi déférée complète les dispositions de l'article 131-38 du code pénal afin de permettre de prononcer à l'encontre des personnes morales des peines d'amende d'un montant égal au dixième du chiffre d'affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date des faits pour les crimes ou délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect. Lorsqu'il s'agit d'un crime pour lequel aucune peine d'amende n'est prévue à l'encontre des personnes physiques, ce montant pourra être porté à 20 % du chiffre d'affaires moyen annuel.

Les auteurs de la saisine estiment que cet article méconnaît le principe de nécessité des peines et le principe d'égalité devant la loi pénale. Ils estiment également que le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence et l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi en ne définissant pas de manière suffisamment précise les peines encourues par les personnes morales.

B- Aucun de ces griefs n'est toutefois fondé.

1- Sur les principes de nécessité et d'individualisation des peines.

Le législateur a prévu d'augmenter le quantum des peines d'amende pouvant être prononcées à l'encontre des personnes morales afin d'assurer la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière, objet de la loi déférée.

Une personne morale condamnée pénalement pour une infraction encourt une peine d'amende dont le montant maximal est fixé, en application de l'article 131-38 du code pénal, au quintuple de l'amende prévue pour les personnes physiques.

Le plafonnement de ce montant peut rendre la peine dérisoire au regard de la capacité financière de la personne morale condamnée ou de l'avantage qu'elle a pu tirer de l'infraction.

C'est donc afin d'assurer le respect des principes de proportionnalité et d'individualisation des peines que le législateur a souhaité que puissent être prononcées à l'encontre des personnes morales des amendes dont le montant maximal sera fixé par référence au chiffre d'affaires de l'entreprise.

Ce mode de calcul ne sera applicable que pour les crimes et délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement quand ils ont procuré à la personne morale condamnée un intérêt direct ou indirect.

Ce nouveau mode de calcul de l'amende encourue par les personnes morales n'est donc pas disproportionné au regard des infractions en cause. Il sera possible au juge de déterminer le montant de l'amende en tenant compte des ressources de l'auteur de l'infraction, conformément aux dispositions de l'article 132-24.

Dans ces conditions, le principe de nécessité des peines se trouve pleinement respecté.

2- Sur le principe d'égalité devant la loi pénale.

Les requérants estiment que les dispositions de l'article 3 portent atteinte au principe d'égalité devant la loi en instaurant une différence de traitement entre les sanctions pouvant être prononcées à l'encontre des entreprises selon leur taille.

Un tel grief manque en fait.

L'article 3 concerne l'ensemble des personnes morales et n'introduit aucune différence de traitement entre les entreprises en fonction de leur taille et de leur chiffre d'affaires.

3- Les critiques tirées de la méconnaissance de la compétence du législateur et de l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ne sont pas fondées.

Les dispositions de l'article 3 définissent, en effet, avec suffisamment de précision la sanction édictée. La notion de profit direct ou indirect, qui est l'une des deux conditions qui permettent de calculer l'amende en fonction du chiffre d'affaires, est une notion claire et non équivoque fréquemment utilisée dans le domaine des saisies et des confiscations pénales. Il est également clair que le chiffre d'affaires qui devra être pris en compte pour le calcul du quantum de la peine d'amende sera le chiffre d'affaires de la personne morale poursuivie et non celui du groupe auquel elle appartient, conformément aux dispositions de l'article 121-1 du code pénal selon lesquelles nul n'est responsable pénalement que de son fait. Il appartiendra, par ailleurs, au juge pénal de fixer le montant de la peine en tenant compte des ressources de l'auteur de l'infraction.

Le législateur n'a donc pas méconnu l'étendue de sa compétence et l'objectif constitutionnel d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

Dans ces conditions, les dispositions de l'article 3 de la loi déférée ne méconnaissent aucune exigence constitutionnelle.

III- SUR L'ARTICLE 5

A- L'article 5 de la loi déférée étend aux infractions de blanchiment et d'atteintes à la probité le mécanisme dit « des repentis » prévu à l'article 132-78 du code pénal, qui permet d'exonérer ou de réduire la peine des personnes qui, en avertissant l'autorité administrative ou judiciaire, permettent d'éviter ou de faire cesser une infraction et d'identifier, le cas échéant, les auteurs ou complices.

Les sénateurs requérants estiment que cet article méconnaît le principe d'égalité devant la loi pénale, les principes de nécessité et d'individualisation des peines et le respect des droits de la défense.

B- Le Conseil constitutionnel ne pourra qu'écarter l'ensemble de ces critiques.

1-Sur les principes d'égalité devant la loi pénale et d'individualisation des peines.

L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». La loi pénale ne doit en principe instituer des peines de nature différente pour une même infraction, « sauf à ce que cette différence soit justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi » (décision n° 2011-161 QPC du 9 septembre 2011).

Tel est bien le cas en l'espèce.

La loi a précisément pour objet de prévoir des réductions de peine pour inciter les personnes à collaborer avec l'autorité administrative ou judiciaire pour assurer la poursuite des auteurs d'infractions graves liées à la criminalité organisée, comme c'est le cas pour le délit de blanchiment, ou bien portant atteinte aux intérêts de l'Etat, comme c'est le cas pour les infractions à la probité.

Dans ces conditions, le grief tiré de la méconnaissance de l'égalité devant la loi pénale ne pourra qu'être écarté.

Il en va de même du grief tiré de la méconnaissance du principe d'individualisation des peines. La loi a précisément pour objet de prévoir une peine adaptée pour tenir compte de la collaboration du repenti avec l'autorité administrative ou judiciaire.

2- Sur le respect des droits de la défense.

Le mécanisme dit « des repentis » ne méconnaît pas le respect des droits de la défense.

Il convient, en premier lieu, de rappeler que le témoignage d'un repenti se fait sous sa propre identité et sur procès-verbal versé en procédure. Il est donc soumis au principe de contradiction dans le cadre d'une information judiciaire ou à l'audience.

Les dispositions de l'article 706-58 du code de procédure pénale, qui permettent de recueillir, après autorisation du juge des libertés et de la détention, les déclarations d'une personne sans que son identité apparaisse dans le dossier de la procédure, ne peuvent être utilisées par les repentis. Le témoignage sous X n'est en effet utilisable que pour les personnes à l'encontre desquelles il n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'elles ont commis ou tenté de commettre une infraction.

Il convient, en second lieu, de rappeler qu'en application du dernier alinéa de l'article 132-78 du code pénal, aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations émanant de repentis.

Les griefs dirigés contre l'article 5 de la loi déférée ne pourront donc qu'être écartés.

IV - SUR L'ARTICLE 9 ET L'ARTICLE 66

A-L'article 9 de la loi déférée renforce les circonstances aggravantes du délit de fraude fiscale déjà prévues à l'article 1741 du code général des impôts en augmentant le quantum des peines d'amende à 2 000 000 € et en étendant ces circonstances aggravantes au cas où les faits ont été commis en bande organisée ou réalisés ou facilités au moyen de techniques frauduleuses, et notamment en utilisant des comptes ouverts ou des contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger.

L'article 66 de la loi permet, dans ces cas de figure, d'utiliser les techniques spéciales d'enquête prévues aux articles 706-80 à 706-88, 706-95 à 706-103, 706-105 et 706-106 du code de procédure pénale.

Les requérants estiment que l'application de la notion de bande organisée au délit de fraude fiscale méconnaît les principes de nécessité et de proportionnalité des peines et que n'est pas justifié, au regard du principe de rigueur nécessaire, le recours aux techniques spéciales d'enquête. Ils estiment également que le fait que la fraude ait été réalisée ou facilitée au moyen de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger constitue une circonstance aggravante du délit de fraude fiscale méconnaît le principe de proportionnalité et de légalité des peines.

B- Le Gouvernement ne partage pas ce point de vue.

1-La fraude fiscale sophistiquée se caractérise notamment par le recours à des dispositifs situés à l'étranger, par l'utilisation de structures juridiques complexes et opaques, telles que les trusts, par la multiplication et l'émiettement des protagonistes et par l'utilisation de techniques complexes (serveurs de données informatiques à l'étranger, données dématérialisées et cryptées, utilisation de cartes de téléphone prépayées, utilisation de cartes de crédit adossées à une banque off-shore).

Le recours à ces techniques, couramment utilisées par la grande criminalité, est facilité par la dématérialisation et la mondialisation, qui permettent une plus grande réactivité des réseaux de fraude en fluidifiant leurs circuits, complexifiant dans le même temps la tâche des services d'enquête d'établissement de la preuve.

Ainsi, le système de fraude dite « carrousel » appliqué à des transactions dématérialisées est particulièrement difficile à déjouer, ainsi que l'illustre la fraude aux quotas de CO2 qui a fait perdre en quelques mois 1,6 milliard d'euros au Trésor français. Ce dernier cas démontre que la fraude fiscale peut s'appuyer sur de véritables réseaux organisés.

Ces infractions présentent une gravité toute particulière. Elles portent une atteinte grave aux intérêts de l'Etat en raison du préjudice financier qu'elles engendrent mais aussi à la société dans son ensemble qui devra subir la baisse des ressources affectées aux dépenses d'intérêt commun et qui sera appelée à compenser, par un surcroît d'impôt, les conséquences de la fraude.

C'est la raison pour laquelle le législateur a souhaité, conformément au principe de nécessité et de proportionnalité des peines, prévoir des circonstances aggravantes au délit de fraude fiscale pour prévenir et réprimer le recours à ces techniques de fraude fiscale sophistiquées.

2-Ces infractions se caractérisent également par la difficulté d'appréhender leurs auteurs.

C'est la raison pour laquelle le législateur a souhaité confier des pouvoirs d'investigation étendus aux enquêteurs, y compris l'extension de la durée de la garde à vue à 96 heures, en raison à la fois de la gravité de ces délits et de la complexité des investigations nécessaires pour obtenir les éléments nécessaires à la manifestation de la vérité.

3-La notion de bande organisée est définie par l'article 132-71 du code pénal, comme « tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions ».

Certaines techniques de fraude sophistiquées sont mises en oeuvre par des réseaux organisés, multipliant les intermédiaires. Elles justifient pleinement l'application de la notion de « bande organisée » au délit de fraude fiscale. Elles justifient également des sanctions plus sévères que celles habituellement appliquées en matière de fraude fiscale.

L'aggravation de la répression des délits de fraude fiscale commis en bande organisée ne méconnaît donc pas le principe de nécessité et de proportionnalité des peines.

La gravité toute particulière de ces infractions et la complexité des fraudes fiscales commises en bande organisée justifient l'utilisation des pouvoirs spéciaux d'enquête prévus aux articles 706-80 à 706-87 et 706-95 à 706-103 du code de procédure pénale.

4- Le législateur a également inclus l'utilisation de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger parmi les circonstances aggravantes du délit de fraude fiscale.

Le législateur n'a pas entendu réprimer le fait de posséder des comptes ou des contrats à l'étranger. En revanche, dans le cas d'une fraude fiscale constituée, le fait d'avoir utilisé de tels instruments démontre la volonté d'échapper au contrôle fiscal en utilisant les limites de la coopération administrative internationale. Le législateur a légitimement entendu sanctionner ces faits plus sévèrement que de simples fraudes fiscales.

S'agissant de l'évasion fiscale, des affaires ayant récemment mis en cause de grands groupes bancaires internationaux illustrent l'ampleur des enjeux budgétaires liés aux avoirs non déclarés à l'étranger, et les difficultés de l'administration fiscale et des services judiciaires d'enquête de les détecter et de les appréhender. Les affaires de fraude fiscale en lien avec l'étranger portent parfois sur des montants s'élevant à plusieurs dizaines de millions d'euros.

Par définition, la localisation d'actifs dans d'autres Etats ou juridictions limite les possibilités d'investigation de l'administration et des services judiciaires français alors même que les fraudeurs peuvent se livrer à ce type de fraude de manière relativement aisée.

Si l'administration dispose d'un fichier centralisé des comptes bancaires ouverts en France (FICOBA) lui permettant un contrôle simple de ceux-ci, un tel dispositif n'existe pas pour les comptes ouverts à l'étranger.

Dans ces conditions, les peines encourues doivent être dissuasives pour éviter une diffusion massive de ce type de fraude, et distinctes des peines habituelles applicables en matière de fraude fiscale.

Le législateur a donc pu, pour mettre en oeuvre l'objectif constitutionnel de lutte contre l'évasion fiscale, prévoir que l'utilisation de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger pour réaliser une fraude fiscale pouvait constituer une circonstance aggravante du délit de fraude fiscale.

Les griefs dirigés contre l'article 9 de la loi déférée ne pourront donc qu'être écartés.

IV- SUR L'ARTICLE 15

A- L'article 15 de la loi déférée complète l'article L. 247 du livre des procédures fiscales pour prévoir que l'administration ne peut transiger lorsqu'elle envisage de mettre en mouvement l'action publique pour les infractions mentionnées au code général des impôts.

Les requérants estiment que cette disposition méconnaît le principe de séparation des pouvoirs et la garantie des droits consacrés par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le principe d'individualisation des peines et le principe d'intelligibilité de la loi.

B- Le Gouvernement ne partage pas ce point de vue.

1- Sur la séparation des pouvoirs et la garantie des droits

L'article L. 247 du livre des procédures fiscales permet à l'administration fiscale d'accorder au contribuable, par voie de transaction, une atténuation d'amendes fiscales ou de majorations d'impôts lorsque ces pénalités et, le cas échéant, les impositions auxquelles elles s'ajoutent ne sont pas définitives.

Les dispositions contestées, qui se bornent à interdire à l'administration fiscale de transiger dans des matières relevant de sa compétence lorsqu'elle envisage de mettre en mouvement l'action publique, n'ont ni pour objet, ni pour effet de confier un pouvoir de transaction administrative à l'autorité judiciaire.

Elles ne portent donc aucune atteinte à la garantie des droits et à la séparation des pouvoirs proclamées par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

2-Sur les critiques tirées de la méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

Les sénateurs requérants considèrent que le terme « envisage » serait imprécis et qu'il ne distinguerait pas les diverses infractions susceptibles de sanctions pénales.

On ne peut pourtant que constater que le terme « envisage » ne fait que tirer les conséquences des dispositions de l'article L. 228 du livre de procédures fiscales qui subordonnent le dépôt d'une plainte par l'administration tendant à l'application de sanctions pénales en matière d'impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d'affaires, de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre à un avis conforme de la commission des infractions fiscales. Ainsi, quand l'administration saisira la commission des infractions fiscales, elle ne pourra plus transiger jusqu'à ce que cette dernière rende sa décision.

Par ailleurs, la loi a pour objet d'interdire la pratique transactionnelle lorsque l'administration envisage de déposer une plainte tendant à l'application de sanctions pénales. Elle n'a donc pas à énumérer les différentes infractions pénales concernées.

Le législateur a donc prévu des dispositions suffisamment précises et non équivoques et n'a, ainsi, pas méconnu l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

3- Sur le principe d'individualisation des peines

La loi n'a ni pour objet, ni pour effet, de créer une nouvelle sanction. Elle se borne à imposer à l'administration de ne pas transiger lorsqu'elle envisage des poursuites pénales dans un souci d'égalité et de lutte contre les comportements frauduleux. Elle ne méconnaît donc pas le principe d'individualisation des peines.

Les griefs dirigés contre l'article 15 de la loi déférée ne pourront donc qu'être écartés.

IV- SUR LES ARTICLES 37 à 40

A-L'article 37 de la loi déférée confirme la possibilité pour l'administration fiscale d'exploiter (hors de la procédure de visite domiciliaire) toute information, quelle qu'en soit l'origine, sous réserve qu'elle ait été régulièrement portée à sa connaissance dans le cadre d'un droit de communication ou d'une assistance administrative internationale. L'article 39 prévoit la même règle pour l'administration des douanes.

L'article 38 de la loi déférée permet au juge des libertés et de la détention de prendre en compte l'ensemble des documents régulièrement transmis à l'administration fiscale, quelle qu'en soit l'origine, pour apprécier le bien-fondé d'une requête visant à obtenir l'autorisation de mettre en oeuvre un droit de visite et de saisie dans le cadre des articles L 16 B et L. 38 du livre des procédures fiscales. L'article 40 prévoit la même règle pour les procédures régies par l'article 64 du code des douanes.

Les requérants estiment que ces dispositions portent atteinte au respect à la vie privée ainsi qu'au respect des droits de la défense en permettant de prendre en compte des documents dont l'origine est illégale mais qui ont été régulièrement transmis à l'administration.

B- Le Gouvernement ne partage pas cette analyse.

1-Sur le respect de la vie privée

i- Le droit au respect de la vie privée se déduit de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (décision n°99-416 DC du 23 juillet 1999). Il implique notamment le respect des données à caractère personnel des individus. La collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent ainsi être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif (décision n°2012-652 DC du 22 mars 2012).

La possibilité pour l'administration d'exploiter des pièces, quelle qu'en soit l'origine, y compris illégale, sera conditionnée au fait que ces preuves ont été régulièrement portées à sa connaissance dans le cadre d'un droit de communication ou d'une assistance administrative internationale. Elle ne jouera qu'au cas par cas. La disposition contestée n'a donc ni pour objet, ni pour effet, de prévoir un dispositif visant à assurer la collecte de données à caractère personnel. Le législateur n'a donc pas porté une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée au regard de l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude.

ii- Le législateur a également prévu que le juge pourrait prendre en compte les documents, pièces ou informations régulièrement transmis à l'administration, quelle qu'en soit l'origine, pour autoriser un droit de visite et de saisie en application des articles L. 16 B et L. 38 du livre des procédures fiscales et 64 du code des douanes.

Les articles L. 16 B et L. 38 du LPF ainsi que l'article 64 du code des douanes assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de la lutte contre la fraude fiscale qui constitue un objectif à valeur constitutionnelle. Ils assurent le contrôle effectif par le juge de la nécessité de procéder à chaque visite et lui donnent les pouvoirs d'en suivre effectivement le cours, de régler les éventuels incidents et, le cas échéant, de mettre fin à la visite à tout moment (décisions n°84-184 DC du 29 décembre 1984 et n° 89-268 DC du 29 décembre 1989).

La possibilité ouverte par loi au juge de prendre en compte des éléments régulièrement transmis à l'administration, quelle qu'en soit l'origine, pour autoriser un droit de visite est strictement encadrée.

La prise en compte de ces documents, pièces ou informations ne pourra intervenir qu'à titre exceptionnel lorsqu'il apparaît que leur utilisation par l'administration est proportionnée à l'objectif de recherche et de répression des infractions prévues par le code général des impôts et le code des douanes.

Ainsi, le droit de visite et de saisie ne pourra être accordé que si les éléments présentés par l'administration laissent présumer l'existence d'une infraction d'une particulière gravité justifiant, dans ce cas de figure, le recours à une visite domiciliaire.

Dans ces conditions, le législateur n'a pas porté une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée.

2- Sur le respect des droits de la défense

i- Les informations régulièrement portées à la connaissance de l'administration fiscale par des tiers, dans le cadre de procédures encadrées par la loi, doivent, en application des dispositions du livre des procédures fiscales, être produites dans des conditions garantissant un procès équitable.

L'administration fiscale, en application de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, est en effet tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition. Elle est également tenue de communiquer, avant la mise en recouvrement, une copie de ces documents au contribuable qui en fait la demande.

L'absence du respect de ces dispositions constitue une irrégularité substantielle entachant la procédure d'imposition et entraînant la décharge des impositions supplémentaires et des pénalités auxquelles le contribuable a été assujetti.

Les dispositions des articles 37 et 39 ne portent donc pas atteinte au respect des droits de la défense et à l'équité de la procédure fiscale car les preuves sont portées à la connaissance du contribuable et peuvent être discutées dans le cadre du débat oral et contradictoire.

ii- Le droit de visite et de saisie régi par les dispositions de l'article L. 16 B et L. 38 du LPF ainsi que de l'article 64 du code des douanes respectent les droits de la défense.

La procédure garantit la sincérité des constatations faites et l'identification certaine des pièces saisies lors des visites (décision n°84-184 DC du 29 décembre 1984). Le Conseil a d'ailleurs constaté que des garanties supplémentaires pour les personnes soumises à ces visites ont été introduites par l'article 164 de la loi du 4 août 2008 en leur ouvrant la faculté de saisir le premier président de la cour d'appel d'un appel de l'ordonnance autorisant la visite des agents de l'administration fiscale ainsi que d'un recours contre le déroulement de ces opérations (décision n° 2010-19/27 QPC du 30 juillet 2010).

La possibilité pour le juge d'autoriser des visites en prenant en compte les documents, pièces ou informations régulièrement portées à la connaissance de l'administration, quelle qu'en soit l'origine, ne méconnaît pas les droits de la défense même si ces éléments d'information ont été obtenus de manière illicite.

En matière pénale, dans le cadre du régime de liberté de la preuve, prévu par l'article 427 du code de procédure pénale, les juges répressifs peuvent prendre en compte des moyens de preuve en dépit de leur caractère illicite ou déloyal sauf s'ils émanent des enquêteurs eux-mêmes.

De la même manière, la cour européenne des droits de l'homme estime également que la production de preuves illégales ne porte pas atteinte à l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que les droits de la défense sont respectés et que la preuve obtenue de manière illégale est corroborée par d'autres éléments ou bien ne prête à aucun doute (CEDH, Grande chambre, 10 mars 2009, Bykov c-Russie).

Le Gouvernement estime que les dispositions contestées, qui s'inscrivent dans le même cadre, respectent bien les droits de la défense.

En premier lieu, elles ne permettent l'utilisation que des documents régulièrement transmis à l'administration fiscale ou douanière. Elles ne permettent pas l'utilisation de documents qui seraient obtenus de manière illicite par les agents chargés du contrôle.

En deuxième lieu, les requérants peuvent contester l'utilisation de ces documents en saisissant le premier président de la cour d'appel d'un recours contre l'ordonnance autorisant ces opérations.

En troisième lieu, comme il a déjà été dit, le droit de visite et de saisie ne pourra être accordé que si les éléments présentés par l'administration laissent présumer l'existence d'une infraction d'une particulière gravité justifiant, dans ce cas de figure, le recours à une visite domiciliaire

Dans ces conditions, les griefs des auteurs des saisines pourront être écartés.
V- SUR L'ARTICLE 44

A- L'article 44 de la loi déférée prévoit que l'amende de 1 500 € prévue à l'article 1734 du code général des impôts quand le contribuable ne remet pas une copie des documents soumis au droit de communication de l'administration est applicable pour chaque document, sans que le total des amendes puisse être supérieur à 10 000 € ou, si ce montant est supérieur, à 1 % du chiffre d'affaires déclaré par exercice soumis à contrôle ou à 1 % du montant des recettes brutes déclaré par année soumise à contrôle.

Les requérants estiment que cette sanction est excessive au regard de l'objectif poursuivi par le législateur qui est de faciliter les modalités de contrôle par l'administration fiscale.

B- Le Gouvernement ne partage pas ce point de vue.

Le principe de nécessité des peines « ne saurait interdire au législateur de fixer des règles assurant une répression effective de la méconnaissance des obligations fiscales » (décision n°2011-220 QPC du 10 février 2012).

La disposition contestée vise à mettre fin à une pratique non coopérative de certaines entreprises qui refusent de donner des copies ou l'autorisation de prendre ces copies au service vérificateur. La sanction se justifie donc pleinement pour assurer le respect effectif de l'obligation instituée par le législateur.

L'argument selon lequel la sanction serait extrêmement lourde ne peut convaincre puisque ses modalités de fixation ont pour objectif de prendre en compte les capacités financières des contribuables et de limiter la lourdeur de l'amende par l'institution d'un plafond.

La proportionnalité du plafond de l'amende au chiffre d'affaires se justifie par la volonté du législateur d'assurer une égalité de traitement entre les entreprises soumises au contrôle fiscal.

Pour conserver à l'amende son caractère dissuasif à l'égard des entreprises ayant un chiffre d'affaires important, une amende proportionnelle est en effet nécessaire. Une simple amende forfaitaire crée, de fait, une situation plus favorable pour les plus grandes entreprises qui peuvent aisément acquitter le montant de l'amende tout en entravant l'action du contrôle fiscal. L'application d'une simple amende forfaitaire conduirait donc à une inégalité de traitement entre les grandes et les petites entreprises.

En tout état de cause, l'amende peut faire l'objet de réclamations et de recours juridictionnels devant le juge de l'impôt qui exerce son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration.

Dans ces conditions, le principe de nécessité des peines est pleinement assuré.

VI- SUR L'ARTICLE 57

A- L'article 57 de la loi déférée modifie l'article 238-0 A du code général des impôts et a pour objet de permettre l'ajout, à compter du 1er janvier 2016, sur la liste des Etats et territoires non coopératifs en matière de lutte contre l'évasion fiscale des Etats et territoires qui refuseraient de mettre en place un échange automatique d'informations.

Les sénateurs requérants estiment que cette disposition méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques car le critère d'échange automatique introduit par la loi serait imprécis et pourrait ainsi entraîner un élargissement du champ d'application de ce dispositif disproportionné au regard de l'objectif constitutionnel de lutte contre l'évasion fiscale.

B- Le Gouvernement ne partage pas cette analyse.

1-Sur le principe d'égalité devant les charges publiques

Le principe d'égalité devant les charges publiques impose au législateur, quand il entend mettre en oeuvre l'objectif constitutionnel de lutte contre l'évasion fiscale de se fonder « sur des critères objectifs et rationnels » (décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010, cons. 4).

Tel est bien le cas en l'espèce.

L'échange automatique d'informations est une modalité d'échange prévue par les commentaires de l'article 26 du Modèle de convention fiscale de l'OCDE dont la dernière mise à jour a été adoptée par le Conseil de l'OCDE du 17 juillet 2012. Les points 9 et 9.1 des commentaires du paragraphe I de l'article 26 prévoient expressément cette forme d'échange d'informations.

A l'intérieur de l'Union européenne, l'échange automatique d'informations est déjà prévu par la directive « Epargne » et par la directive relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal pour certaines catégories de revenu et de capital. La Commission a proposé, le 12 juin 2013, à la demande de la France et d'autres membres, de modifier cette dernière directive pour étendre le champ d'application de l'échange automatique d'informations.

La France entend également développer cette modalité d'assistance administrative avec les autres pays. S'ils refusent de s'engager dans cette voie, il est légitime que ces pays non membres de l'Union européenne puissent être inscrits sur la liste des Etats et territoires non coopératifs prévue à l'article 238-0 A du code général des impôts.

La France a déjà prévu, à l'article 1649 AC du code général des impôts, la possibilité d'organiser un échange automatique d'informations pour l'application des conventions conclues par la France.

Au niveau international de nombreux gouvernements ont conclu ou doivent conclure des accords avec les Etats-Unis prévoyant des échanges automatiques d'informations dans le cadre de la loi « US Foreign Account Tax Compliance Act » (FATCA).

Dans ce cadre déjà existant, un standard d'échange automatique d'informations est en cours de définition et a vocation à trouver une large application au niveau mondial. Il sera pleinement applicable au 1er janvier 2016.

Le critère de l'échange automatique d'informations est donc un critère objectif et rationnel qui peut être retenu par le législateur pour permettre l'établissement de la liste des Etats et territoires non coopératifs en vue de lutter contre la fraude fiscale.

2- Sur le principe de nécessité des peines

La disposition contestée, qui se borne à prévoir que les pays qui refuseraient de s'engager sur la voie de l'échange automatique d'informations peuvent être inscrits sur la liste prévue à l'article 238-0 A, ne modifie aucune des mesures fiscales liées à l'inscription sur cette liste.

Elle n'a ainsi aucune incidence sur l'absence d'application du régime fiscal des sociétés mères aux produits des titres établis dans un Etat ou un territoire non coopératif, conformément au j) de l'article 145-6 du code général des impôts, compte tenu de l'impossibilité de vérifier la réalité de l'imposition de la société fille en raison de l'absence d'échange d'information, et de l'exclusion, par voie de conséquence, du régime des plus-values à long terme, conformément au a sexies-0 ter de l'article 219 du code général des impôts.

Elle ne modifie pas le taux majoré de retenue à la source sur les dividendes versés dans un Etat ou un territoire non coopératif, conformément à l'article 187-2 du code général des impôts afin de dissuader les entreprises de constituer des montages reposant sur des structures de détention installées dans ces pays.

Par ailleurs, compte tenu du contexte international décrit plus haut, l'échange automatique d'informations a vocation à se développer de manière importante au niveau international. Les conventions d'assistance administrative conclues entre la France et ses partenaires seront adaptées pour tenir compte de cette nouvelle modalité d'échange d'informations. Ainsi, la crainte exprimée par les requérants d'une augmentation importante du nombre de pays figurant sur la liste des Etats et territoires non coopératifs est infondée.

Le grief tiré de ce que la disposition élargirait le champ d'application de mesures fiscales pénalisantes manque donc en fait.

Les griefs dirigés contre l'article 57 de la loi déférée ne pourront donc qu'être écartés.

VII - SUR L'ARTICLE 61

A-L'article 61 modifie l'article 1763 du code général des impôts pour durcir les sanctions applicables en cas de refus par une entreprise, après mise en demeure, de se conformer à des obligations déclaratives strictement énumérées visant à prévenir les opérations de transfert de bénéfices notamment international.

Ainsi, en ce qui concerne les obligations déclaratives qui concernent les actionnaires détenant plus de 10 % du capital et les filiales et participations, chaque manquement constaté entraîne l'application d'une amende de 1 500 € ou 10 % des droits rappelés si ce dernier montant est plus élevé.

Les requérants estiment que la loi est insuffisamment précise sur les éléments déclaratifs qui seront demandés aux entreprises et que la sanction prévue est disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi par le législateur qui est de faciliter les modalités de contrôle par l'administration fiscale.

B- Le Gouvernement ne partage pas ce point de vue.

1-Sur la critique tirée de ce que la loi serait imprécise.

La critique tirée de ce que la loi n'indiquerait pas de manière précise la nature des éléments demandés aux entreprises manque en fait.

Le IV de l'article 1763 du CGI vise les listes de personnes ou groupements de personnes de droit ou de fait prévues en application des articles 53 A, 172, 172 bis et 223 du CGI. Ces articles prévoient le respect d'obligations déclaratives dont le contenu est précisé aux articles 38, 40 A et 46 C de l'annexe III au code général des impôts. Il s'agit de la liste des associés détenant au moins 10 % du capital, filiales et participations que doivent déposer les entreprises réalisant des bénéfices industriels, commerciaux ou artisanaux, des bénéfices non commerciaux ou assimilés ou des bénéfices agricoles, soumis au régime du bénéfice réel ainsi que les personnes morales ou associations passibles de l'impôt sur les sociétés.

L'article 1763 A du CGI sanctionne le non-respect des obligations déclaratives afférentes aux entités soumises à un régime fiscal privilégié. Ces obligations sont prévues au IV de l'article 209 B et leur contenu à l'article 102 Z de l'annexe II au CGI.

Les obligations déclaratives dont le manquement est sanctionné sont donc définies avec précision par la loi.

L'argument selon lequel une entreprise pourrait ne pas connaître ses filiales et participations ou les actionnaires détenant au moins de 10 % de son capital ne saurait convaincre.

2- Sur le caractère disproportionné des sanctions.

Tout d'abord, ces sanctions ne seront applicables qu'après mise en demeure et ont pour but de sanctionner uniquement les entreprises qui refusent délibérément de fournir à l'administration des informations qui sont à leur disposition.

L'amende prévue au IV de l'article 1763 sera d'un montant forfaitaire de 1 500 € ou, si ce dernier montant est plus élevé, de 10 % des droits rappelés à raison des éléments retenus pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt relatifs aux associés, participations et filiales dont l'entreprise contrôlée a refusé, après mise en demeure, de révéler l'identité à l'administration.

L'application d'une amende forfaitaire au titre d'un manquement déclaratif constitue une pratique traditionnelle. Elle permet notamment d'assurer une sanction dans les cas où le manquement à l'obligation déclarative interdit de constater que des impôts ont été éludés. Ainsi, par exemple, l'administration ne peut savoir que des intérêts servis à une personne auraient dû être partiellement réintégrés au bénéfice taxable si elle ignore que cette personne est un associé de l'entreprise débitrice.

Le nouveau niveau forfaitaire retenu, soit 1 500 €, permet d'assurer un caractère dissuasif à la sanction sans être susceptible d'aboutir à un cumul de sanctions présentant un caractère excessif. Par construction, une entreprise ne peut avoir plus de 10 actionnaires détenant au moins 10 % de son capital. Une entreprise refusant, après mise en demeure, de révéler l'identité de ses actionnaires à l'administration s'expose donc à une sanction maximale de 15 000 € dans ce cas théorique extrême.

Des niveaux de sanction supérieurs ne sont possibles que pour des entreprises détenant des participations et filiales nombreuses. Il s'agit d'entreprises de taille d'autant plus importante que ce réseau de filiales et participations est étendu, pour lesquelles le niveau de sanction doit permettre d'assurer l'effectivité de l'obligation déclarative qui est, dans ce cas, particulièrement nécessaire au contrôle fiscal.

En second lieu, l'article prévoit, si ce montant est plus élevé, une sanction en proportion des droits rappelés. Les droits concernés sont ceux qui résultent des redressements afférents à des opérations réalisées avec les personnes dont l'entreprise a refusé, après mise en demeure, de révéler l'identité, lorsque de tels redressements s'avèrent possibles.

Cette sanction est donc strictement proportionnelle à la gravité de l'infraction constatée : les impositions éludées au titre d'une opération réalisée avec une partie dont l'identité aurait dû être déclarée par l'entreprise contrôlée le sont, en effet, en raison même des liens les unissant dont la dissimulation constitue l'infraction sanctionnée.

Cette majoration de 10 % est, au surplus, inférieure à la sanction de droit commun en cas de défaut de réponse suite à une mise en demeure qui s'élève à 40 % de l'impôt éludé (article 1728 1 b du CGI) dont le taux a été jugé comme n'étant pas manifestement disproportionné (décisions n° 2011-220 QPC du 10 février 2012, relative à la majoration de 40 % pour non déclaration de comptes bancaires à l'étranger ou de sommes transférées vers ou depuis l'étranger et n° 2012-267 QPC du 20 juillet 2012, relative à la sanction du défaut de déclaration des sommes versées à des tiers ).

Concernant les entités établies à l'étranger et soumises à un régime fiscal privilégié, la majoration applicable en cas de défaut de réponse suite à une mise en demeure de dépôt des déclarations est portée à 40 % de l'impôt établi sur le fondement de l'article 209 B du CGI. Ce montant correspond à celui de la pénalité de droit commun en cas défaut de réponse suite à une mise en demeure (article 1728 1 b du CGI).

Cette majoration s'inscrit dans la volonté de renforcer l'efficacité des outils de lutte contre l'évasion fiscale et permet à l'administration d'obtenir des informations nécessaires à l'établissement de l'impôt.

Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel ne pourra qu'écarter les griefs des auteurs de la saisine.
VIII- SUR L'ARTICLE 65

A-L'article 65 de la loi crée un procureur de la République financier compétent pour poursuivre des délits d'atteinte à la probité et de fraude fiscale dans les affaires d'une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d'auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s'étendent.

Elle est complétée par une loi organique afin de limiter les fonctions de procureur de la République financier à une durée de sept années.

Les requérants estiment que le législateur n'a pas épuisé sa compétence en ne précisant pas les modalités de règlement des conflits de compétence entre le procureur de la République financier et le procureur de la République territorialement compétent.

B- Le Gouvernement ne partage pas cette analyse.

1- La loi a prévu une compétence concurrente du procureur de la République financier et des procureurs territorialement compétents ou compétents au titre des juridictions interrégionales spécialisées pour les affaires d'une grande complexité.

Ce mécanisme a été retenu en raison de sa souplesse, particulièrement utile pour le traitement des affaires touchant à la matière économique et financière, le degré de complexité de celles-ci se révélant au fil des investigations et nécessitant une analyse approfondie.

2- Les mécanismes de compétence concurrente entre autorités judiciaires sont très répandus en procédure pénale et ne peuvent aboutir à des situations de blocage. Le législateur n'a donc pas à prévoir une disposition spécifique pour régler d'éventuels conflits de compétence.

Il existe ainsi une compétence territoriale concurrente en matière de droit pénal général.

En cas de conflit de compétence entre deux parquets du ressort d'une même cour d'appel, il appartiendra au parquet général de ladite cour d'appel, compte tenu de l'autorité hiérarchique dont il dispose sur les parquets locaux concernés, de régler les éventuels conflits de compétence.

En cas de conflit de compétence entre des parquets dépendant de cours d'appel différentes, le conflit de compétence est évoqué entre les parquets concernés, à défaut d'accord, entre les procureurs généraux concernés, à qui il appartient de régler le conflit, sans que l'un des procureurs généraux dispose d'une quelconque autorité sur l'autre.

Cette compétence concurrente existe actuellement en matière économique et financière où il existe quatre niveaux de compétence entre les tribunaux de grande instance, les pôles de l'instruction, les pôles spécialisés en matière économique et financière et les juridictions interrégionales spécialisées.

Lorsqu'il existe un conflit de compétence entre deux parquets ne dépendant pas de la même cour d'appel, ce conflit est également réglé par une concertation entre les procureurs généraux concernés.

Un mécanisme identique existe enfin en matière de terrorisme où il existe une compétence concurrente entre le parquet territorialement compétent et le procureur de la République de Paris qui peut exercer ses attributions sur toute l'étendue du territoire national en application de l'article 706-17 du code de procédure pénale.

Dans ce cas, analogue au mécanisme mis en place par la loi déférée, la loi ne prévoit aucune disposition pour régler d'éventuels conflits de compétence entre le parquet de Paris et le parquet territorialement compétent.

Les dessaisissements interviennent en bonne intelligence entre les parquets concernés et, en cas de désaccord, par une concertation entre les procureurs généraux concernés.

Si, par extraordinaire, les procureurs généraux concernés ne pouvaient parvenir à un accord sur le parquet compétent, il reviendrait à la direction des affaires criminelles et des grâces, agissant au nom du ministre de la justice, de garantir le bon fonctionnement de l'appareil judiciaire et d'assurer, en concertation avec les procureurs généraux, la désignation d'un parquet compétent.

Le mécanisme de compétence concurrente introduit par la loi déférée ne se distingue pas de ces mécanismes généraux. Le législateur n'avait donc pas à prévoir de précisions particulières quant aux modalités de règlement des conflits de compétence entre le procureur de la République financier et les procureurs territorialement compétents ou compétents au titre des juridictions interrégionales spécialisées pour les affaires d'une grande complexité.

Le grief dirigé contre l'article 65 de loi ne pourra donc qu'être écarté.

Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans la saisine ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.