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Décision n° 2013-677 DC du 14 novembre 2013 - Observations complémentaires de sénateurs

Loi organique relative à l'indépendance de l'audiovisuel public
Non conformité partielle

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Nous souhaitons, par la présente lettre, maintenir notre position selon laquelle la loi organique relative à l'indépendance de l'audiovisuel public a été adoptée selon une procédure contraire à la Constitution, et entendons apporter les compléments suivants, en réplique au mémoire que vous a adressé le Gouvernement, le 12 novembre 2013.

La Constitution garantit les expressions pluralistes des opinions (article 4) et entend conférer aux groupes parlementaires d'opposition des droits spécifiques (article 51-1). Elle confie à la conférence des présidents de chaque chambre le soin de fixer son ordre du jour, dont deux semaines sur quatre sont réservées par priorité à un ordre du jour fixé par le Gouvernement et une semaine est réservée par priorité au contrôle de l'action du Gouvernement et à l'évaluation des politiques publiques (article 48). Elle fixe en outre strictement les conditions de convocation des commissions mixtes paritaires et d'inscription à l'ordre du jour parlementaire des conclusions élaborées par celles-ci (article 45).

Comme nous l'avons précisé dans notre lettre d'observation, nous n'avons jamais prétendu que l'article 48 prévoyait que l'ordre du jour des semaines de contrôle soit réservé exclusivement à des travaux de contrôle. Cependant, il convient de constater que depuis le mois d'avril dernier, pas une seule demande du groupe UMP n'a été retenue dans l'ordre du jour proposé par la conférence des présidents pour les semaines de contrôle, malgré ses demandes réitérées. Depuis cette date ont toujours été retenues les demandes formulées par les commissions ou délégations (dans neuf cas) ou par le groupe majoritaire et les groupes minoritaires (dans six cas).

Ainsi, nous considérons que nos demandes d'inscription à l'ordre du jour de travaux de contrôle auraient dû prévaloir sur l'inscription de travaux d'ordre législatifs. Si l'article 48 de la Constitution n'impose aucune exclusivité, encore faudrait-il que les demandes d'inscription de débats de contrôle soient épuisées et que les droits des groupes d'opposition soient respectés.

Le Gouvernement considère en outre qu'il suffirait qu'une « part significative » de l'ordre du jour des semaines prévues par l'article 48 alinéa 4 de la Constitution soit consacrée au contrôle de l'action du Gouvernement pour que le Sénat puisse décider d'inscrire des projets ou propositions de lois de son choix.

A ce titre, nous nous interrogeons sur la manière d'appréhender cette notion. Le Gouvernement considère, pour justifier la régularité de la procédure d'adoption de la loi organique relative à l'indépendance de l'audiovisuel public, que l'inscription d'une proposition de résolution et la tenue de cinq débats de contrôle au cours de cette semaine sont de nature à constituer « une part significative » de l'ordre du jour réservé au contrôle de l'action du Gouvernement et à l'évaluation des politiques publiques.

A titre d'illustration, au cours de la semaine sénatoriale de contrôle du 3 juin dernier, le Sénat a finalement consacré la totalité de ses travaux à l'examen du projet de loi relatif à l'affirmation des métropoles. Le Gouvernement considère-t-il de la même manière que l'examen de ce seul projet de loi en semaine de contrôle constitue une « part significative » de l'ordre du jour réservé au contrôle, de nature à rendre la procédure d'adoption de cette loi conforme à la Constitution ?

Les exemples d'empiètement du Gouvernement sur l'ordre du jour réservé au Parlement se multiplient alors même que l'article 48 de la Constitution confie la programmation de l'ordre du jour à chaque assemblée en énumérant un certain nombre de priorités liées soit à la nature des textes, soit à une période considérée, soit au délai qui s'est écoulé depuis la transmission d'un texte par une assemblée à l'autre. Nous estimons que cette pratique d'empiètement, conformément à l'intention du Constituant, devrait être l'objet d'un usage modéré et ne devrait pas pouvoir s'imposer aux chambres sous la seule contrainte conjointe d'un gouvernement et de sa majorité.

Cette pratique dommageable et contraire à l'esprit de la Constitution révisée en 2008 conduit à la fabrication d'un ordre du jour d'initiative ou de contrôle parlementaires totalement artificiels.

L'exemple de l'inscription des conclusions de la commission mixte paritaire sur la loi organique relative à l'indépendance de l'audiovisuel public le 17 octobre, mais également de deux autres lectures de conclusions de commissions mixtes paritaires le même jour, illustrent ce point, le Gouvernement n'osant pas assumer ses empiètements réitérés et préférant le déguiser en « demande sénatoriale », ce qui constitue, en l'espèce, une erreur manifeste de procédure.

En 2008, le Constituant a décidé d'étendre les prérogatives du Parlement en prévoyant, dans l'article 45, alinéa 2 de la Constitution, que, concurremment à la prérogative donnée au Premier ministre pour l'ensemble des textes, les Présidents des assemblées parlementaires pourraient, conjointement, décider de convoquer une commission mixte paritaire sur une proposition de loi.

Pour autant, le troisième alinéa de cet article précise sans ambiguïté que c'est le Gouvernement, et lui seul, qui peut décider de soumettre, pour approbation aux deux assemblées, le texte élaboré par une commission mixte paritaire : « Le texte élaboré par la commission mixte peut être soumis par le Gouvernement pour approbation aux deux Assemblées. Aucun amendement n'est recevable sauf accord du Gouvernement. ».

C'est donc bien que le Constituant a entendu réserver cette faculté au seul pouvoir exécutif, qui s'explique d'ailleurs parfaitement par le fait que l'étape de la réunion de commission mixte est la seule de la procédure législative à laquelle le Gouvernement n'a pas la possibilité de participer. Il peut donc parfaitement décider de ne pas soumettre à l'approbation des assemblées les conclusions d'une commission mixte paritaire.

Ainsi, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement dans les observations qu'il vous a transmises, la conférence des Présidents du Sénat n'était absolument pas fondée à inscrire à l'ordre du jour du Sénat « sur proposition du président du Groupe socialiste » un certain nombre de lectures de conclusions de commissions mixtes paritaires dans l'espace précédemment laissé libre le jeudi 17 octobre 2013 au soir. Elle n'était pas davantage habilitée à faire apparaître ce point, ni même l'auteur de la demande dans ses conclusions publiées et lues en séance publique le 9 octobre.

Une telle prérogative n'appartenait pas plus au président du groupe socialiste, mais devait émaner du seul Gouvernement. Cette compétence lui appartient en effet exclusivement. Il ne peut, sans méconnaître la Constitution, se démettre de ses propres prérogatives.

A suivre d'ailleurs l'argumentaire développé par le Gouvernement, celui-ci aurait été parfaitement fondé à proposer lui-même l'inscription desdites conclusions de commission mixte paritaire à la Conférence des Présidents. En pensant rendre valable cette inscription en semaine de contrôle par le biais d'une demande émanant du groupe socialiste, le Sénat a méconnu l'étendue de ses propres pouvoirs.

Le mémoire en défense du Gouvernement se fonde donc sur un argumentaire parfaitement erroné en justifiant la procédure d'inscription de ce texte, puisque lui seul pouvait en faire la demande.

La lecture combinée de l'article 45 de la Constitution et de son article 48 interdisaient donc formellement la conférence des présidents de « retenir la suggestion » formulée par le groupe socialiste pour que soit soumis au Sénat les conclusions de cette commission mixte paritaire.

Nous confirmons donc notre position et vous invitons à juger que la loi organique relative à l'indépendance de l'audiovisuel public a été adoptée selon une procédure irrégulière.