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Décision n° 2013-671 DC du 6 juin 2013 - Observations du gouvernement

Loi portant prorogation du mandat des membres de l'Assemblée des Français de l'étranger
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante sénateurs d'un recours dirigé contre la loi portant prorogation du mandat des membres de l'Assemblée des Français de l'étranger relevant de la série B (Europe, Asie et Levant). Aux termes de l'article unique de cette loi, le mandat des membres de cette série dont le renouvellement est prévu en juin 2013 prend fin, au plus tard, en juin 2014.
Les auteurs du recours critiquent cette prorogation de mandats en cours sous trois angles. Ils considèrent, d'une part, qu'elle porte atteinte au droit que les électeurs tirent de l'article 3 de la Constitution. Ils soutiennent, d'autre part, qu'elle méconnaît l'égalité devant la loi dès lors qu'en raison d'un premier report, les mandats des élus de la série B seront plus longs que ceux des élus de la série A. Ils font grief enfin au législateur d'avoir validé « rétroactivement une illégalité commise (. . .) par le Gouvernement ».
Ces griefs appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

1.- Selon une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel considère que, « compétent en application de l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant le régime électoral » d'une assemblée, le législateur « peut, à ce titre, déterminer la durée du mandat des élus » mais que « dans l'exercice de cette compétence, il doit se conformer aux principes d'ordre constitutionnel, qui impliquent notamment que les électeurs soient appelés à exercer leur droit de suffrage selon une périodicité raisonnable » (v. nt. 11 février 2010, n° 2010-603 DC). Dans ce cadre, la modification de la durée de mandats électifs par rapport à aux échéances normales doit être justifiée par un motif d'intérêt général, revêtir « un caractère exceptionnel et transitoire » (décision n° 2005-529 DC du 15 décembre 2005) et permettre aux électeurs l'exercice de leur droit au suffrage selon une « périodicité raisonnable » (v. nt. 6 février 1996, n° 96-372 DC ; 9 mai 2001, n° 2001-444 DC ; 11 février 2010, n° 2010-603 DC)

2.- Le législateur a respecté ces exigences.

2.1. - La loi déférée est indissociable du projet de loi relatif à la représentation des Français établis hors de France, les deux textes ayant été déposés et examinés conjointement au Parlement. Le second projet de loi, qui est en fin de discussion au Parlement, a pour objet une réforme d'ampleur de la représentation des Français établis hors de France, à l'issue de laquelle l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE) a vocation à être remplacée par un ensemble fondé au niveau local sur des conseils consulaires et relayé au niveau central par un Haut Conseil des Français de l'étranger.
La tenue d'élections au moment où se trouve discutée au Parlement une telle réforme n'était pas envisageable. La sincérité du scrutin n'aurait pas été assurée, compte tenu de l'incertitude quant à la portée réelle des élections et la durée des mandats à pourvoir. Croyant accorder un mandat de six ans à des représentants appelés notamment à désigner en septembre 2014 les sénateurs des Français de l'étranger, les électeurs auraient en réalité élu pour une seule année des membres de l'AFE n'ayant, à terme, plus vocation à participer au collège électoral des sénateurs. Une telle situation aurait créé une grande confusion et n'aurait favorisé ni la mobilisation de candidats en nombre suffisant, ni la participation du corps électoral, dans un contexte déjà marqué par un fort taux d'abstention des électeurs établis hors de France pour ce type de consultation.

Ce sont ces préoccupations d'intérêt général qui ont conduit le législateur à décider de proroger le mandat des élus qui venaient à échéance en juin 2013 au plus tard jusqu'à juin 2014, échéance à laquelle la réforme de l'AFE devant résulter de la loi en cours de discussion sera entrée en vigueur.

2.2. - Le Gouvernement note que le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de juger qu'éviter « la concomitance [d'un] renouvellement et de l'examen par le Parlement d'une réforme » portant sur le statut d'une assemblée est un motif d'intérêt général de nature à justifier une modification de la durée des mandats (décision n° 96-372 DC du 6 février 1996, ct 1 et 4 ), tout comme l'est le souci de respecter les « exigences de clarté et de loyauté de l'élection » (11 février, n° 2010-603 DC, ct 14).

La perspective d'une réforme à venir de l'instance élue peut notamment justifier un allongement de la durée de mandats en cours. Ainsi, les mandats des membres du conseil économique, social et environnement ont pu être prorogés dans la perspective de la modification de cette institution. Revêt, à cet égard, un « caractère exceptionnel et transitoire » un délai maximal de un an et deux mois (30 juillet 2009, 2009-586 DC, ct 2) - en comparaison, en l'espèce, il s'agit d'un délai d'un an.

2.3. - Le législateur pouvait par ailleurs décider d'une nouvelle prorogation d'un an des mandats des membres de la série B alors même qu'ils avaient déjà été prorogés d'une année par la loi n° 2011-663 du 15 juin 2011.

D'une part, les motifs ne sont pas de même nature puisqu'il s'agissait la première fois d'éviter la multiplication au printemps 2012 de trop nombreuses échéances électorales tandis que la loi déférée répond au risque de confusion qui serait résulté de la tenue d'élections alors qu'une réforme profonde de la représentation des Français établis hors de France est en cours. La date retenue par la loi déférée permet d'éviter des élections qui n'auraient pu se tenir dans des conditions satisfaisantes à la date prévue et auraient été organisées pour désigner les titulaires d'un mandat voué à une interruption rapide si la réforme est définitivement adoptée dans le délai prévu.

D'autre part, la durée finale des mandats des élus de la série B sera d'au maximum huit ans, ce qui constitue au regard des durées de mandat existantes un délai qui peut être regardé comme compatible avec l'exigence d'une « périodicité raisonnable ».

Pour ces raisons, la loi déférée n'est pas contraire aux exigences découlant de l'article 3 de la Constitution.

3. - Le principe d'égalité n'a pas davantage été méconnu.

Aux termes du projet de loi relatif à la représentation des Français établis hors de France toujours en discussion au Parlement, le mandat des membres de l'AFE élus en juin 2009 au titre de la série A serait réduit à quatre ans. La loi déférée, en regard, a pour effet de porter à huit ans maximum la durée du mandat des membres de la zone B élus en juin 2006.

Cette différence est toutefois la conséquence directe de l'objectif du législateur de prévoir, dans la loi à venir, une durée unique de mandat de six ans pour tous les membres - à la place de la règle actuelle d'un renouvellement par moitié tous les trois ans. Il ne peut atteindre ce but qu'en interrompant les mandats en cours au même moment, soit nécessairement à un stade différent de leur déroulement selon qu'il s'agit d'élus de la série A ou B. Le traitement différent des membres de la série B par rapport à ceux de la série A est par conséquent justifié par l'objectif d'intérêt général du législateur d'assurer un seul renouvellement tous les six ans, ce qui est de nature à améliorer la participation du corps électoral.

Le Conseil constitutionnel a déjà jugé que, dans des circonstances similaires, le principe d'égalité n'avait pas été méconnu. Confronté à une loi devant assurer la concomitance des renouvellements des conseils généraux et régionaux, il a considéré que les différences de traitement sont « limitées dans le temps et doivent se résorber à terme » et « qu'elles apparaissent comme la conséquence d'une réforme qui répond à la volonté du législateur d'assurer une participation accrue du corps électoral aux élections tant des conseils généraux que des conseils régionaux » et qu'ainsi elles « trouvent (. . .) une justification dans des considérations d'intérêt général en rapport avec l'objet de la loi déférée » (6 décembre 1990, n° 90-280 DC, ct. 17 ; v. aussi : 13 janvier 1994, n° 93-331 DC, ct. 11).

4. - En dernier lieu, la loi, contrairement à ce qui est soutenu, n'a aucun effet rétroactif et ne peut donc être regardée comme « validant une illégalité ». Elle proroge des mandats qui, à la date de son entrée en vigueur, ne seront pas expirés.

* * *

Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement estime que doit être rejeté le recours dirigé contre la loi portant prorogation du mandat des membres de l'Assemblée des Français de l'étranger