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Décision n° 2012-656 DC du 24 octobre 2012 - Observations du Gouvernement

Loi portant création des emplois d'avenir
Conformité - réserve

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, d'un recours dirigé contre la loi portant création des emplois d'avenir. Sont spécifiquement contestées les dispositions des articles L. 5134-120 et L. 5143-125 du code du travail que l'article 4 de la loi déférée introduit.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I/ SUR L'ARTICLE L. 5134-120 DU CODE DU TRAVAIL.

A. Les députés requérants soutiennent que cet article, qui crée des « emplois d'avenir professeur », méconnaît l'article 6 de la Déclaration des droits et de l'homme et du citoyen - et le principe d'égal accès aux fonctions publiques que garantirait le dix-huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 - car il confèrerait aux étudiants titulaires de bourses de l'enseignement supérieur un « monopole d'accès » à des emplois qui doivent être regardés comme des « emplois publics » au sens de l'article 6. L'accès devrait, en conséquence, résulter d'une sélection fondée sur les « capacités, (…) sans autre distinction que celle de leurs vertus et leurs talents ».

Auraient également été méconnus le principe d'égalité et celui de la liberté contractuelle.

B. Le Gouvernement considère qu'aucun de ces griefs n'est fondé.

1. En premier lieu, les emplois d'avenir professeur ne peuvent être regardés comme des emplois, a fortiori comme des emplois publics au sens de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Le législateur a mis en place un dispositif social d'aide à l'emploi, dont le but est d'accompagner vers la profession d'enseignant des étudiants titulaires de bourses de l'enseignement supérieur inscrits en deuxième année de licence - ou, le cas échéant, en troisième année de licence ou en première année de master - âgés de 25 ans au plus. Le contrat est destiné à ces étudiants qui se préparent à devenir enseignants mais qui n'ont pas encore les compétences ou les titres nécessaires pour exercer cette profession. Ce dispositif tient compte de la récente réforme de la « mastérisation » qui, en élevant le niveau du diplôme requis pour se présenter aux concours de recrutement des enseignants de la licence au master, crée un risque d'éviction au détriment des étudiants issus des familles les plus modestes.

Il convient également de souligner que, durant la durée de leur activité sous contrat, le statut d'étudiant leur est conservé et leur activité limitée au maximum à un mi-temps. Ainsi, ce contrat contribue au financement de la poursuite de leurs études tout en leur permettant d'acquérir des compétences utiles pour exercer le métier auquel ils se destinent. Pour devenir enseignant, aucun concours spécial ou aménagement d'épreuves n'est prévu. Il faudra que les étudiants concernés réussissent un concours d'accès à la fonction publique dans les conditions du droit commun. Et s'ils réussissent, la loi ne prévoit pas de prise en compte de la période passée sur un contrat d'emploi d'avenir professeur. Il ne s'agit donc pas d'un dispositif de pré-recrutement.

Par ailleurs, les étudiants recrutés ne seront pas nommés sur un emploi vacant. Ils n'occuperont donc pas un poste au sens de l'article 12 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

Eu égard tant à la finalité sociale du dispositif qu'au fait que les emplois d'avenir professeur ne sont pas destinés à répondre à des besoins de recrutement de l'administration, la situation des étudiants sous contrat d'emplois d'avenir professeur se distingue du cas des assistants d'éducation qui ont pu être qualifiés d'« emplois publics » (v. CC, 24 avril 2003, n° 2003-471 DC, Loi relative aux assistants d'éducation, considérant 10). En effet, un assistant d'éducation, selon l'article L. 916-1 du code de l'éducation, participe à l'action éducative et, en vertu de la dérogation prévue par le 6 ° de l'article 3 de la loi 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, occupe un emploi permanent de l'Etat et de ses établissements publics.

Par conséquent, les principes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi qu'en tout état de cause du dix-huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 - lequel, en réalité, n'a plus d'objet depuis la disparition de l'Union française - n'ont pas été méconnus.

2. Le dispositif, en deuxième lieu, ne porte pas atteinte au principe d'égalité.

Le principe d'égalité, selon une jurisprudence constante, ne s'oppose pas à que ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ou qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans les deux cas la différence de traitement soit en rapport ave l'objet de la loi.

Or la situation des étudiants titulaires de bourses de l'enseignement supérieur ayant résidé dans une zone urbaine sensible, une zone de revitalisation rurale, un département d'outre-mer - ou ayant effectué une partie de leur scolarité dans un établissement situé dans cette zone ou relevant de l'éducation prioritaire - est spécifique, eu égard aux réalités sociologiques et professionnelles qui sont la justification même de l'existence de ces zones. Les possibilités d'accès à l'emploi, notamment dans le secteur éducatif, sont statistiquement moins importantes que celles dont disposent les autres publics et les limitations et obstacles à la réussite sont plus nombreux. Des mesures incitatives réservées à ces étudiants résultent directement de cette différence de situation.

Dans tous les cas, un intérêt général particulièrement fort justifie l'ouverture d'un dispositif spécifique à l'égard du public visé par le législateur. Il s'agit de lutter contre le chômage et l'exclusion (v., sur la qualification d'objectif d'intérêt général : CC, 18 décembre 2003, Loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité, cons. 26) et de permettre une meilleure insertion professionnelle de personnes jeunes connaissant des difficultés d'accès à l'emploi. Le droit d'accéder à un emploi, d'ailleurs, fait partie des règles et principes à valeur constitutionnelle (v. CC, 10 juin 1998, n° 98-401 DC, Loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail) et il incombe au législateur « de poser des règles propres à assurer, conformément aux dispositions du Préambule de 1946, le droit pour chacun d'obtenir un emploi tout en permettant l'exercice de ce droit par le plus grand nombre » (CC, 4 février 2011, n° 2010-98 QPC, cons. 3).

C'est selon une logique comparable que des mesures de compensation ont été admises pour prendre en compte et combattre des inégalités, qu'elles soient territoriales (v, pour des avantages fiscaux : CC, 26 janvier 1995, n° 94-358 DC, Loi relative à l'aménagement et au développement du territoire), liées à des difficultés sociales ou, précisément, d'accès à l'emploi (CC, 26 juillet 2005, n° 2005-846 DC). Ont notamment été jugés conformes au principe d'égalité des dispositifs réservés aux jeunes (v., entre autres, CC, 30 mars 2006, n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi pour l'égalité des chances), aux salariés âgés (CC, 25 juillet 1989, n° 89-257 DC, Loi modifiant le Code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion) ou encore l'embauche préférentielle de chômeurs rencontrant des difficultés particulières d'insertion (CC, 25 janvier 1995, n° 94-357 DC, Loi portant diverses dispositions d'ordre social).

Par conséquent, dès lors que le législateur s'est fondé sur des critères rationnels et objectifs en rapport direct avec l'objet de la loi et qu'il existe tant une différence de situation qu'un intérêt général suffisant, le principe d'égalité n'a pas été méconnu.

3. En troisième lieu, le fait d'ouvrir à certaines catégories de personnes un type de contrat n'est en lui-même pas de nature à porter atteinte à la liberté contractuelle (v. CC, 19 décembre 2000, n° 2000-437 DC, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2001), l'établissement employeur restant libre du choix de recourir à ce type de contrat plutôt qu'à un autre et libre du choix de l'étudiant qu'il pourrait recruter.

Pour toutes ces raisons, les griefs invoqués contre l'article L. 5134-120 devraient être écartés.

II/ SUR L'ARTICLE L. 5134-125 DU CODE DU TRAVAIL.

A. Les députés requérants considèrent que le recours à des contrats de droit privé méconnaît le 13ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « l'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat » ainsi que divers principes :

- le principe suivant lequel les personnes physiques, collaborateurs de personnes morales de droit public, sont des agents publics ;

- le principe selon lequel les actes d'une personne morale publique sont des actes administratif relevant du droit administratif ;

- le principe selon lequel les personnels non statutaires travaillent pour le compte d'un service public à caractère administratif géré par une personne publique sont des agents contractuels de droit public, quel que soit leur emploi.

B. Le Gouvernement est d'avis qu'aucune règle ou principe à valeur constitutionnelle ne s'oppose à ce que le législateur prévoie que des agents peuvent être recrutés sur un contrat régi par le code du travail par un établissement public local d'enseignement.

1. D'une part, la valeur constitutionnelle des principes avancés n'est pas établie. Ni la Constitution ni aucun principe ou exigence constitutionnelles n'impose aux personnes morales de droit public, de manière générale - ni à celles d'entre elles qui sont chargées d'une mission de service public à caractère administratif, en particulier - de recruter des agents sur un contrat régi par le droit public. S'il est vrai que le Tribunal des conflits a posé en principe que « les personnels non statutaires des personnes morales de droit public travaillant pour le compte d'un service public administratif sont des agents de droit public quel que soit leur emploi » (TC, 25 mars 1996, Préfet de la région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône et autres c/ Conseil de prud'hommes de Lyon (Berkani), n° 03000, au R), c'est sous réserve d'une « disposition législative contraire » (TC, 22 octobre 2001, M. Cabanel c/ Recteur de l'académie de Grenoble, n° 3271, au R.). Cette possibilité est précisément fondée sur l'absence de contrainte constitutionnelle, qui permet au législateur de décider du régime juridique auquel sont soumis les agents recrutés par les personnes publiques, y compris celles chargées d'une mission de service public administratif.

Le législateur a d'ailleurs eu recours à des contrats de droit privé à de nombreuses reprises pour des contrats aidés, y compris dans le domaine de l'éducation - ainsi des travaux d'utilité collective, des contrats, encore actuels, d'accompagnement dans l'emploi, dont le contrat d'avenir professeur est une modalité adaptée au besoin du public visé, ou des contrats emplois solidarité. Par conséquent, si le lien de droit public est le plus courant, il ne répond à aucune exigence constitutionnelle qui serait applicable à l'ensemble des services publics à caractère administratif.

2. D'autre part, le devoir assigné à l'Etat par le treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 d'organiser un enseignement public gratuit et laïque n'a ni pour objet ni pour effet de contraindre le choix du cadre juridique applicable au recrutement des agents contractuels. Il n'implique notamment pas d'assimiler le service public de l'enseignement à une mission de souveraineté qui ne pourrait être exercée que par des agents tenus par des obligations de service et disposant de prérogatives que seul un statut de droit public pourrait garantir. Au demeurant, il importe de rappeler que les personnes qui seront recrutées dans le cadre des emplois d'avenir professeur ne sont pas appelées à assurer des missions d'enseignement.

Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans les saisines ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.