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Décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012 - Observations du Gouvernement

Loi de finances rectificative pour 2012 (II)
Non conformité partielle

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et par plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la deuxième loi de finances rectificative pour 2012.

Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I/ SUR L'ARTICLE 3

A. Les sénateurs et députés requérants soutiennent que les dispositions de cet article, qui procède à l'abrogation partielle du dispositif issu de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007, d'exonérations de cotisations sociales et fiscales des heures supplémentaires et complémentaires effectuées par les salariés, seraient contraires à la Constitution sur quatre points.

- La suppression des avantages résultant des exonérations antérieures porterait atteinte à la liberté d'entreprendre et à l'exercice du droit à l'emploi par un plus grand nombre, garanti par le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;

- L'abrogation des exonérations d'impôt sur le revenu à compter du 1er août 2012 serait rétroactive, la loi devant être promulguée postérieurement à cette date ;

- Le dispositif serait inintelligible ;

- Les dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant l'impôt dans la mesure où elles procèdent à l'abrogation des avantages à compter du 1er septembre 2012 pour les salariés dont le temps de travail n'est pas annualisé et à compter du 31 décembre 2012 pour ceux dont le cycle de travail est annualisé.

B. Le Gouvernement considère qu'aucun de ces griefs n'est fondé.

1/ En premier lieu, la suppression d'avantages fiscaux ou sociaux ne saurait porter atteinte à la liberté d'entreprendre, garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (v., pour la suppression d'une exonération fiscale : décision n° 89-268 DC, 29 décembre 1989, cons. 40, Rec. p. 110). Le chef d'entreprise reste libre de créer ou de conduire son activité. Il doit le faire, comme vous le jugez de manière constante, « dans le respect du cadre social et fiscal ».

Le législateur dispose, dans cette matière, d'une marge d'appréciation importante. Il a pu en particulier estimer que la suppression de mesures ayant pour effet d'inciter les salariés et les employeurs à recourir aux heures supplémentaires, loin de méconnaître les objectifs énoncés par le cinquième alinéa du Préambule de 1946, pouvait au contraire contribuer à mieux les atteindre en favorisant le recrutement de nouveaux salariés.

2/ En deuxième lieu, l'abrogation des exonérations d'impôt sur le revenu à compter du 1er août 2012 n'est pas rétroactive, même si la loi sera promulguée postérieurement à cette date. En effet, conformément à une jurisprudence constante, le fait générateur de cette imposition est constitué au 31 décembre de l'année de perception des revenus. Quand bien même elle aurait retenu une date d'application à compter du 1er janvier 2012, la mesure contestée n'aurait pas été entachée de rétroactivité dès lors qu'elle sera promulguée avant le terme de la période de référence pour le calcul de l'impôt sur le revenu. En retenant une date d'effet au 1er août 2012, postérieure à la présentation du projet de loi et même à son adoption définitive par le Parlement, le législateur a pris soin d'éviter toute application rétrospective des règles nouvelles.

3/ En troisième lieu, le dispositif n'est pas inintelligible et ne rompt pas l'égalité devant les charges publiques.

Il faut en effet bien distinguer, au sein de cet article, deux dispositifs qui ont chacun leur logique et leurs exigences propres.

a) D'un côté, l'article modifie des exonérations d'impôt sur le revenu.

Comme il a déjà été dit, une date unique a été choisie : le 1er août 2012. De même, les dispositions de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 qui avaient créé les exonérations avaient opté pour la date unique du 1er octobre 2007. Aucune différence n'est faite, dans ce cas, entre les personnes dont le décompte du travail est mensuel ou calculé selon des cycles plus longs, parfois annuels. En effet, dans cette configuration, le système propre à l'impôt sur le revenu, de déclaration l'année suivant celle où les revenus ont été perçus permet d'avoir une vision générale. Il autorise notamment le calcul d'un prorata d'heures supplémentaires ou complémentaires effectués sur un cycle long ou annualisé en fonction de la date d'entrée en vigueur de la loi.

En 2007, une instruction administrative était venue commenter, comme il est d'usage pour les réformes fiscales significatives, les modalités d'application pratiques de la loi selon les différents cas de figure susceptibles de se présenter. La méthode d'application de loi déférée, qui a opté pour un mécanisme comparable fondée sur une date unique, sera similaire. Dans ces conditions, la loi ne peut être regardée comme inintelligible sur ce point.

Précisons qu'il était permis au législateur de décider que les nouvelles règles d'imposition des revenus ne concernent que les revenus perçus à compter d'une certaine date à l'intérieur de l'année civile d'imposition, sans méconnaître le principe d'égalité. S'il a choisi le 1er août 2012, c'est dans le souci de ne pas remettre en cause le traitement fiscal dont ont bénéficié les heures supplémentaires ou complémentaires déjà effectuées au moment du vote de la loi.

D'un autre côté, l'article modifie des exonérations de cotisations sociales.

Dans ce cas, une différence est faite entre les heures comptabilisées en rythme mensuel ou plus long. Pour les premières, la fin des exonérations sera effective au 1er septembre 2012 - pour les autres, c'est à la fin du cycle, et au plus tard le 31 décembre 2012. Cette différence s'explique précisément par le souci d'assurer l'égalité. Ce qui est possible pour l'imposition sur le revenu, compte tenu du caractère rétrospectif de son calcul, ne l'est pas pour les cotisations sociales, qui doivent être constatées et calculées au moment de la rémunération. Une proratisation serait excessivement complexe à gérer par les entreprises. Elle pourrait par ailleurs être source d'injustice, car il est le plus souvent impossible de déterminer les heures supplémentaires ou complémentaires effectuées avant le 1er septembre dans le cas où leur calcul se fonde sur un rythme long.

C'est pourquoi il a été jugé nécessaire que les salariés et agents publics en cycle long ou annualisé bénéficient du dispositif le plus favorable, jusqu'à la fin de leur cycle ou au plus tard le 31 décembre 2012. De cette manière, ils ne perdent pas l'avantage, que les personnes dont le temps de travail est mensuel conservent, des exonérations pour les heures antérieures au 1er septembre 2012.

La disposition attaquée, fondée sur deux logiques distinctes, est par conséquent parfaitement intelligible et, loin de méconnaître l'égalité devant les charges publiques, vise au contraire à respecter ses exigences.

II/ SUR L'ARTICLE 4

Les sénateurs et députés requérants estiment que cet article, qui crée une contribution exceptionnelle sur la fortune au titre de l'année 2012, porte atteinte à la garantie des droits résultant de l'article 16 de la DDHC de 1789 et méconnaît le principe d'égalité devant l'impôt. Sont particulièrement mis en avant le fait que cette contribution serait dégressive et que, en l'absence de tout plafonnement du montant de cet impôt en raison des revenus, des contribuables, qui doivent acquitter d'autres impôts (impôt sur le revenu, impôts locaux, CSG, CRDS), pourraient être astreints à vendre une partie de leur patrimoine. Ce résultat serait en outre confiscatoire car il ferait peser sur certains contribuables une charge excessive, contraire à l'article 13 de la DDHC et au droit de propriété.

Le Gouvernement ne partage pas cette analyse.

Il rappelle d'abord que, selon votre jurisprudence constante, l'égalité devant l'impôt ainsi que le respect de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen s'apprécie impôt par impôt, au regard des caractéristiques propres de cet impôt et de l'objectif du législateur.

C'est dans ce cadre qu'il faut apprécier la constitutionnalité de la contribution exceptionnelle sur la fortune.

1/ Créée au titre de la seule année 2012, il s'agit d'un impôt autonome. Il est distinct de l'impôt de solidarité sur la fortune, dont l'économie a été modifiée en dernier lieu par la loi de finances rectificative pour 2011. Le fait générateur de la contribution est, en l'absence de précision de la loi, l'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative.

Le caractère autonome et non rétroactif de cette contribution est d'ailleurs souligné par le fait que les personnes devenues non résidentes entre le 1er janvier et le 4 juillet 2012 seront imposées non en raison de leur patrimoine mondial mais de leur patrimoine situé en France. S'applique alors la règle habituelle de détermination de l'assiette applicable aux contribuables non résidents en matière d'impôt sur la fortune.

Quant à l'assiette de cette contribution, elle est déterminée par référence à celle de l'impôt de solidarité sur la fortune - les biens détenus au 1er janvier 2012 - par souci de simplification administrative pour les contribuables. Il s'agit là d'un choix qui n'est pas rare (v. la contribution exceptionnelle à l'impôt sur les sociétés ; décision n° 99-422 DC, 21 décembre 1999).

Le grief tiré de la rétroactivité de la loi, qui n'aurait d'ailleurs pas été de nature à la rendre inconstitutionnelle eu égard aux motifs d'intérêt général auxquels elle répond, manque en tout état de cause en fait.

2/ Cette contribution, si elle n'est pas accompagnée d'un dispositif de plafonnement à raison du revenu tel que celui prévu par l'article 885 V bis du code général des impôts, intervient dans des circonstances et présente des caractéristiques telles qu'elle ne peut être regardée comme confiscatoire ni comme faisant peser sur certains contribuables une charge excessive.

2.1. L'assiette de cette contribution exceptionnelle sur la fortune est la détention d'un ensemble de biens et de droits. Comme vous l'avez jugé récemment (décisions n° 2010-44 QPC et n° 2010-99 QPC), cette détention, même non productrice de revenus, est une « capacité contributive ». Dans cette décision vous avez jugé conforme à la Constitution la décision de plafonner le plafonnement de l'impôt sur la fortune, alors existant. Vous avez considéré que le législateur pouvait décider de décourager la détention d'un patrimoine non productif de revenus, compte tenu de l'objet de l'imposition et de la nature de la capacité contributive qu'elle saisit.

Vous n'avez par ailleurs jamais posé comme principe le plafonnement en fonction du revenu d'une telle imposition. La décision précitée n° 2010-99 QPC souligne au contraire que le plafonnement par rapport au revenu ne s'impose pas par principe à un impôt qui a pour objet de saisir la capacité contributive que constitue le patrimoine, indépendamment du niveau des revenus.

La question de savoir si, au regard de la Constitution, une imposition sur la détention de biens, y compris non productifs de revenus, est confiscatoire ou excessive appelle un examen qui tienne compte de l'ensemble des caractéristiques de l'impôt en cause, et notamment de son assiette, de son taux et de son caractère exceptionnel ou pérenne.

2.2. Compte tenu des caractéristiques propres de la contribution instituée par l'article 4 de la loi déférée, celle-ci ne peut être regardée comme confiscatoire ni comme portant une atteinte caractérisée à l'égalité devant les charges publiques.

a) On soulignera d'abord que cette contribution exceptionnelle vise à atteindre l'objectif de déficit public pour 2012, qui est d'intérêt général compte tenu des engagements européens de la France et de la situation particulière de l'état des finances publiques françaises. Le fait qu'elle participe au redressement des finances publiques est important. Un mécanisme proche de celui de l'article 885 V bis représenterait ainsi un coût budgétaire de plus de 500 millions d'euros.

b) En second lieu, les caractéristiques de la contribution exceptionnelle sur la fortune sont telles qu'il n'est pas possible de la voir comme excessive ou confiscatoire.

- Il s'agit, d'abord, d'un impôt à la fois différentiel et progressif.

Le législateur a estimé, dans un souci d'égalité devant l'impôt, qu'il devait être tenu compte de la contribution aux charges publiques déjà acquittée par les contribuables à raison de leur patrimoine. Se trouve ainsi imputé sur le montant de la contribution l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de 2012 - étant précisé que c'est le montant brut de l'imposition, c'est-à-dire avant réduction d'impôt (au titre de l'investissement dans les PME ou des dons aux associations, entre autres), qui est pris en compte, ce qui est favorable aux contribuables. Cette imputation est une modalité de paiement de l'impôt, proche d'une logique de crédit d'impôt. Elle traduit la volonté du législateur de limiter la charge fiscale globale due au titre de 2012 à raison du patrimoine.

La marque de cette volonté est soulignée par le choix de calcul de son assiette et la détermination des taux. Ces derniers sont similaires à ceux existant avant la réforme introduite en 2011 de l'impôt de solidarité sur la fortune. Si les versements complémentaires n'auront pas une évolution linéaire, c'est en raison des particularités du calcul de l'imposition sur la fortune résultant de la dernière réforme. Mais la contribution, une fois pris en compte le montant des sommes acquittés au titre de l'imposition sur la fortune et le versement complémentaire exigé du contribuable, s'appliquera de manière progressive. La contribution prend donc parfaitement en compte la capacité contributive.

L'assiette, par ailleurs, contient des exonérations, similaires à celles applicables pour l'impôt sur la fortune, de nature à la minorer en prenant en compte les particularités de certaines activités. Un traitement spécifique est toujours réservé à la résidence principale, qui bénéficie d'un abattement. Et, à la différence de l'imposition sur la fortune appliquée avant la réforme de 2011, la contribution se déclenche à compter de la détention d'un patrimoine d'une valeur de 1,3 millions d'euros, et non de 800 mille euros. Contrairement à ce que suggèrent les sénateurs requérants, les personnes détenant un patrimoine inférieur à 1,3 millions d'euros ne seront pas assujetties à la contribution exceptionnelle sur la fortune.

- Cette contribution a un caractère limité dans le temps. Elle est, aux termes de la loi, prévue pour l'année 2012 uniquement. Il n'est pas sans intérêt de relever à cet égard que les contribuables qui bénéficient du mécanisme du bouclier fiscal au titre de l'année 2011 (pour un montant total supérieur à 700 millions d'euros) pourront imputer sur le montant de leur cotisation à l'ISF, et donc sur les montants dûs au titre de l'imposition du patrimoine en 2012, les montants qui leur sont dus au titre de la dernière année d'application du bouclier fiscal.

- Il convient enfin de souligner que la contribution contestée ne préjuge pas, contrairement à ce que les recours suggèrent, un prochain mécanisme pérenne. Si un dispositif analogue devait être pérennisé, il conviendrait d'examiner si le caractère récurrent de l'impôt à acquitter serait de nature à modifier l'appréciation portée sur l'absence de caractère confiscatoire.

Compte tenu de l'ensemble des caractéristiques de la contribution exceptionnelle instituée par l'article 4, le Gouvernement estime qu'elle n'encourt aucun des griefs articulés dans les saisines.

III/ SUR L'ARTICLE 10

Les sénateurs considèrent que l'instauration par l'article 10 d'une contribution exceptionnelle sur la valeur des stocks de produits pétroliers méconnaît l'égalité devant les charges publiques car, d'une part, elle ne vise que les entreprises de négoce de produits pétroliers et, d'autre part, elle exclut les entreprises qui auraient totalement interrompu leur activité pendant une durée continue supérieure à trois mois au cours du premier semestre 2012. Ils estiment également qu'il s'agit d'une « imposition arbitraire et obligée » car elle est assise sur la possession de stocks de produits pétroliers, qui peut ressortir d'une obligation légale.

Le Gouvernement estime que ces griefs sont infondés.

1/ En premier lieu, aucun principe constitutionnel n'interdit d'imposer la capacité contributive que procure la détention d'un bien, même dans le cas où celle-ci ressort d'une obligation légale. Le législateur n'était donc pas tenu de prévoir une exonération pour les stocks stratégiques de pétrole. Si un tel choix avait été fait, d'ailleurs, on peut considérer qu'aurait été rompue l'égalité entre des entreprises qui, détenant un même produit, sont dans une situation identique, l'origine de cette détention n'étant pas à lui seul un critère pertinent de différenciation pour apprécier la capacité contributive des assujettis.

2/ En second lieu, la disposition ne méconnaît pas le principe d'égalité devant les charges publiques.

D'une part, le choix d'une assiette (la valeur des volumes détenus au cours du dernier trimestre 2011) antérieure au fait générateur de l'impôt (la détention de stocks au 4 juillet 2012) s'explique par le souci de déterminer une assiette cohérente. Son étalement sur un trimestre permet de mieux prendre en compte la capacité contributive réelle des contribuables en évitant les distorsions ponctuelles dans la détention de stocks de pétrole, résultant par exemple de livraisons importantes.

D'autre part, l'exclusion des entreprises dont l'activité a été interrompue pendant plus de trois mois au cours du premier semestre 2012 répond à un intérêt général. Elle permet de préserver la compétitivité des sites industriels concernés et, ainsi, de sauvegarder l'emploi. Le critère de l'interruption d'activité sur une longue période est par ailleurs un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi, de nature à écarter toute méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques.

IV/ SUR L'ARTICLE 12

Les députés requérants critiquent le choix opéré par l'article 12 d'anticiper le versement de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés créée par l'article 30 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 à la charge des personnes redevables de l'impôt sur les sociétés dont le chiffre d'affaires est supérieur à 250 millions d'euros. Cette décision n'aurait pas été prévisible et poserait un grave problème de trésorerie aux entreprises concernées. La garantie des droits énoncée à l'article 16 de la Déclaration de 1789 aurait ainsi été méconnue.

Le Gouvernement ne partage pas cette position.

Il entend d'abord rappeler que le calendrier prévisionnel de paiement d'un impôt ne peut être considéré comme une situation légalement acquise. Le législateur est en droit d'exiger le paiement d'un impôt au fur et à mesure de la constitution de son assiette. S'agissant spécifiquement de l'impôt sur les bénéfices, il convient de souligner que c'est par mesure de tempérament que le paiement est décalé en partie sur l'exercice suivant.

Ce choix ne fait pas obstacle à ce que le législateur décide de diminuer l'avantage de trésorerie résultant de ce décalage en avançant la date de versement de la contribution du 15 avril 2013 au 15 décembre 2012. Cette dernière date étant éloignée de plusieurs mois de l'entrée en vigueur de la loi contestée, les contribuables sont en mesure de s'organiser dans un délai raisonnable.

Pour toutes ces raisons, la garantie des droits n'a pas été méconnue et le grief pourra être écarté.

V/ SUR L'ARTICLE 20

Les sénateurs et les députés requérants estiment injustifié le choix du législateur d'étendre la contribution de la société France Télécom, prévue par la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996, aux « risques non communs » des agents de cette société qui sont restés fonctionnaires. S'ils reconnaissent la nécessité de se conformer à la décision exécutoire, nonobstant le recours de France, de la Commission européenne du 20 décembre 2011, ils estiment qu'était ouvert un autre moyen que le recours à un impôt, dont France Télécom ne pourra pas obtenir le remboursement en cas d'annulation de la décision de la Commission. Ce prélèvement conduirait la société à payer une seconde fois cette contribution, à la différence de la société La Poste, qui se trouve dans une situation identique ; il s'agirait d'une double méconnaissance du principe d'égalité.

Le Gouvernement ne partage pas cette analyse.

1) Il faut d'abord lire cet article au regard de son contexte.

S'il trouve certainement place en loi de finances, il ne constitue pas une mesure de rendement budgétaire. La modification qu'il opère de l'article 30 de la Loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La poste et à France Télécom vise à assurer une égalité concurrentielle entre France Télécom et les autres entreprises intervenant dans le même secteur d'activité, comme en témoigne la rédaction du C) du 2 ° de l'article 30 : « Le taux de la contribution libératoire est calculé de manière à égaliser les niveaux de charges sociales et fiscales obligatoires assises sur les salaires entre France Télécom et les autres entreprises du secteur des télécommunications relevant du droit commun des prestations sociales ».

L'objectif poursuivi par le relèvement du taux répond à la nécessité d'assurer l'exécution, dans les sept mois de sa notification, de la décision du 20 décembre 2011 de la Commission européenne. Cette dernière a estimé que la contribution destinée à assurer l'égalité concurrentielle entre France Télécom et ses concurrents était insuffisante pour pleinement atteindre son but. Elle a requis de la France que le niveau en soit relevé, afin de prendre en compte, outre les « risques communs » aux fonctionnaires et aux salariés du secteur privé, les risques non communs à ces deux catégories, à savoir les cotisations chômage et assurances garantie des salaires des salariés du privé, la cotisation 1 % solidarité et les prestations en espèces pour arrêts de travail. A défaut d'exécution, la France se trouverait en situation de manquement à ses obligations communautaires.

Même si l'article 30 de la loi de 1990 modifié par l'article contesté ne contient pas de référence à cette décision de la Commission européenne, il doit être lu comme renvoyant à l'obligation d'exécution de cette décision.

2) La voie législative est la seule qui soit ouverte et elle ne fait pas obstacle à ce que France Télécom recouvre ensuite les sommes concernées si la décision de la Commission était annulée par le juge communautaire.

D'une part, la proposition esquissée par les requérants de prévoir le versement des suppléments de contribution exigés sur un compte séquestre n'est pas envisageable. La décision de la Commission, exécutoire, enjoint en effet à l'État de recouvrer des contributions supplémentaires fondées sur une autorisation législative. La modification de la loi est donc nécessaire pour respecter la décision de la Commission.

D'autre part, si la décision de la Commission devait être annulée ultérieurement, la disposition contestée perdrait par là-même le motif qui en justifie l'existence. France Télécom serait en ce cas pleinement justifié à réclamer les restitutions de trop-versé. La loi, qui a institué le prélèvement contesté dans le seul but de se conformer à la décision de la Commission européenne, doit en effet être lue comme subordonnant l'obligation mise à la charge de France Télécom à la validité de la décision de la Commission européenne. Si une décision de la Cour de justice de l'Union européenne venait infirmer la décision de la Commission, les sommes prélevées devraient être restituées à France Télécom. Il ressort nettement en effet des travaux préparatoires de la loi que celle-ci ne poursuivait pas d'autre but que l'exécution de la décision de la Commission européenne et qu'en l'absence de cette décision, les sommes prélevées ne seraient pas dues.

Cette interprétation de la loi est à la fois conforme aux objectifs du législateur et de nature à écarter les critiques formées au regard du principe d'égalité devant les charges publiques.

3) Les derniers griefs ne sont pas davantage fondés.

Il est inexact d'affirmer que la contribution résultant de la décision de la Commission aboutirait à imputer une seconde fois à France Télécom la charge des pensions de ses fonctionnaires. Prises ensemble, en effet, la soulte prévue par l'article 6 de la loi 96-660 versée en 1997, et la contribution prévue par l'article 20 de la LFR, ne couvrent que partiellement la prise en charge par l'État des pensions de retraite des fonctionnaires employés par France Télécom.

Quant à la situation de La Poste, elle est différente de celle de France Télécom. La soulte versée par la première a été explicitement considérée par la Commission européenne, après notification, comme suffisante pour couvrir l'écart entre le taux d'équité concurrentielle fixé en application de la loi et ce qu'il serait en réintégrant les risques non communs. On ajoutera, à titre subsidiaire, que ces deux entreprises, de statuts différents et intervenant dans des secteurs différents, sont redevables de contributions spécifiques potentiellement différentes aux fins d'assurer une égalité concurrentielle dans leurs secteurs respectifs.

Pour l'ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel ne saurait retenir les griefs soulevés par les requérants.

VI/ SUR L'ARTICLE 28

Les députés requérants estiment que l'alinéa de cet article soumettant au taux réduit de TVA à 5,5 % différents spectacles introduit une inégalité devant les charges publiques entre les spectacles vivants, les spectacles de variété ayant lieu dans des établissements où il est d'usage de consommer pendant les séance étant exclus du bénéfice de ce taux réduit.

Le Gouvernement n'est pas de cet avis.

L'exclusion du bénéfice d'un taux réduit de TVA pour les spectacles de variétés qui sont donnés dans les établissements où il est d'usage de consommer pendant les séances a été introduite en 1971 en même temps que la TVA sur les spectacles. Cette exclusion depuis est constante, dans des termes identiques, seul le quantum du taux réduit de TVA applicable aux autres spectacles vivants ayant fait l'objet de modifications. La dernière en date est le passage du taux de 7 % au taux de 5,5 % dans le cadre du présent article 28.

En décidant d'un traitement différent des spectacles de variété en fonction de la possibilité de consommer pendant les spectacles, le législateur s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la taxation. Le taux réduit vise à favoriser l'accès aux prestations culturelles, non à des prestations composites pour lesquelles la part culturelle n'est que partielle dans l'intérêt global de la prestation. A cet égard, le critère de la consommation pendant le spectacle est un critère pertinent et les catégories retenues par le législateur sont cohérentes. La disposition contestée, n'entraîne aucune rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

VII/ SUR L'ARTICLE 29
Les sénateurs et députés requérants critiquent l'extension aux non résidents des prélèvements sociaux sur les revenus fonciers et plus-values immobilières sous deux angles. Ils estiment, d'une part, que cette disposition relève exclusivement du domaine de la loi de financement de la sécurité sociale et, d'autre part, que la disposition méconnaîtrait le droit communautaire, les conventions internationales de non double imposition et, par là même, les articles 55 et 88-1 de la Constitution.

Le Gouvernement ne partage pas ces positions.

1/ Cet article n'est pas étranger au champ de la loi de finances. Le a) du 7 ° du II de l'article 34 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances dispose que les lois de finances peuvent « comporter des dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature ». Le Conseil constitutionnel juge de manière constante que les prélèvements visés par l'article contesté - la contribution sociale généralisée (CSG), la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) et le prélèvement social - constituent des impositions et non des cotisations sociales (v., s'agissant de la CSG : n° 90-285 DC du 28 décembre 1990 sur la loi de finances pour 1991 ; de la CRDS : n° 2000-442 DC du 28 décembre 2000 sur la loi de finances pour 2001 ; du « prélèvement social » : n° 97-393 DC du 18 décembre 1997 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998).

2/ Les recours ne peuvent utilement invoquer la méconnaissance de conventions internationales ou du droit communautaire, un tel contrôle ne relevant pas du Conseil constitutionnel saisi en application de l'article 61 de la Constitution (v. décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, cons. 2 à 7) - étant précisé que la loi contestée n'assure pas la transposition d'une directive (v., fondée sur l'article 88-1 de la Constitution, la décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique, cons. 7 et six décisions ultérieures).

En tout état de cause, les conventions fiscales internationales prévoient généralement l'imposition des revenus fonciers et des plus-values immobilières dans l'Etat de situation des biens générateurs de ces revenus et plus-values, et non dans l'Etat de résidence de la personne percevant ces revenus ou plus-values. La disposition introduite par le législateur est conforme à cette orientation.

VIII/ SUR L'ARTICLE 32

Les députés requérants soutiennent que cet article introduit une inégalité de traitement entre employeurs dans la mesure où le relèvement du taux de contribution patronale sur les retraites chapeau s'applique aux seules rentes versées au titre des retraites liquidées à compter du 1er janvier 2013.

Le Gouvernement est d'avis que cette différence de traitement ne résultant que de l'entrée en vigueur d'un nouveau dispositif, aucune rupture d'égalité ne peut être retenue (v. décision n° 2011-150 QPC). Il était en effet permis au législateur de modifier le taux pour l'avenir, auquel cas la situation des personnes soumises à la nouvelle législation est différente, du fait du choix du législateur, de celles qui ont bénéficié des anciennes dispositions.

Par conséquent, le grief ne pourra être retenu.

IX/ SUR L'ARTICLE 41

Les députés et sénateurs requérants soutiennent que cet article, qui vise à faciliter l'accès aux soins des personnes éligibles à l'aide médicale d'Etat (AME), pose plusieurs difficultés :

il serait étranger, en son entier, au domaine des lois de finances ; en son sein et plus particulièrement, la disposition (3 ° du I) ouvrant la possibilité de recueillir les demandes pour les centres communaux d'action sociale (CCAS), les services sanitaires et sociaux du département de résidence ou les associations à but non lucratif agréés aurait été introduite de manière irrégulière, en méconnaissance de l'article 40 de la Constitution, et n'aurait pas non plus sa place en loi de finances ;

il méconnaîtrait « les exigences constitutionnelles de bon emploi des deniers publics » ;

il entraînerait une rupture d'égalité entre les personnes en situation irrégulière, pouvant bénéficier de l'aide médicale d'Etat (AME) et, d'une part, les personnes en situation régulière pouvant bénéficier de la couverture maladie universelle et, d'autre part, les personnes en affection longue durée (ALD).

Le Gouvernement est d'avis que ces griefs ne sont pas fondés.

1/ En premier lieu, l'article en son entier a sa place en loi de finances.

En effet, la suppression du timbre prévu à l'article 968 E du code général des impôts (CGI) et des éléments qui y sont associés relève du domaine partagé des lois de finances à la fois en tant que mesure relative à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature n'affectant pas l'équilibre budgétaire (v. a) du 7 ° du II de l'article 34 de la LOLF) et en tant que mesure affectant directement les dépenses de l'Etat en 2012 (v. b) du 7 ° du II de l'article 34 de la LOLF), le produit du timbre étant affecté au financement de l'AME qui, à défaut, est intégralement à la charge de la mission « Santé » du budget général de l'État.

Quant aux autres mesures, y compris celles du 3 ° du I introduites par amendement au Sénat, elles visent à faciliter l'accès à l'AME en supprimant des barrières qui avaient été mises en œuvre spécifiquement à cet effet. Leur abrogation, en facilitant l'accès à une prestation à la charge de l'Etat, aura un impact direct et certain sur le budget. Leur inscription en loi de finances rectificative est dès lors possible au titre du b) du 7 ° du II de l'article 34 de la LOLF.

2/ S'agissant, en deuxième lieu, de l'invocation par les députés requérants d'une méconnaissance de l'article 40, elle n'est pas de nature à entraîner la censure de la disposition contestée.

On peut s'interroger sur la recevabilité de ce grief. Les députés invoquent le fait qu'un amendement formulé dans des termes similaires a été déclaré irrecevable à l'Assemblée nationale au titre de l'article 40 de la Constitution pour invoquer cet article à l'encontre d'un amendement introduit devant le Sénat.

Or, vous jugez de manière constante (v. nt. Décisions n° 2002-464) « qu'il appartient tant au Gouvernement qu'aux instances compétentes des assemblées, selon les procédures prévues par les règlements propres à chaque assemblée, de veiller au respect des règles de recevabilité des amendements déposés par les membres du Parlement en matière financière » et que, par ailleurs (v. décision n° 2006-544) que la question de la recevabilité financière des amendements d'origine parlementaire doit avoir été soulevée devant la première chambre qui en a été saisie pour que vous puissiez en examiner la conformité à l'article 40.

Ce cadre a été respecté. L'amendement sénatorial à l'origine de la disposition contestée (le 3 ° du a) du 1 ° du I de l'article 28 du projet de loi) a vu sa recevabilité financière examinée dans le cadre de la procédure prévue à cet effet par le Règlement du Sénat. Cette recevabilité n'a, à aucun moment, été contestée en séance publique, ni par un sénateur, ni par le Gouvernement. La circonstance que l'amendement adopté par le Sénat soit rédigé dans les mêmes termes qu'un amendement préalablement déclaré irrecevable à l'Assemblée nationale est sans incidence sur la régularité de la procédure d'adoption.

Enfin, si votre jurisprudence se réfère à l'existence d'une contestation devant la première chambre « saisie », cette référence renvoie nécessairement à la première chambre devant laquelle l'amendement est adopté. La circonstance qu'un autre amendement rédigé en termes identiques ait été présenté à l'Assemblée nationale est sans incidence sur le fait que l'amendement dont est issue la disposition contestée a été présenté au Sénat, lequel a été la première chambre saisie de la disposition inscrite dans la loi déférée.

3/ En troisième lieu, la suppression du droit de timbre et de la procédure d'agrément se fonde sur des considérations d'intérêt général.

La loi de finances pour 2011 a subordonné (art L. 251-1 du code de l'action sociale et des familles) l'attribution de l'AME à l'acquittement par chaque bénéficiaire majeur, à compter du 1er mars 2011, d'un droit d'entrée annuel, fixé à 30 € par l'article 968 E du CGI. Ce dispositif avait notamment pour conséquence d'accroître, in fine, les dépenses d'assurance maladie, le renoncement aux soins ou le report de l'accès aux soins se traduisant à terme par des soins plus lourds pour les intéressés et plus coûteux pour la collectivité. Une mission conjointe IGF/IGAS avait, en 2011, recommandé de ne pas créer de droit d'entrée.

Par ailleurs, la mise en œuvre de la procédure d'agrément préalable pour les soins hospitaliers coûteux s'est heurtée à de nombreux obstacles pratiques. Il s'agissait d'une procédure administrative lourde pour les hôpitaux et les CPAM, risquant de retarder l'accès aux soins, sans pour autant être un outil efficace de lutte contre la fraude, dans la mesure où la CPAM devait l'instruire dans un délai de 15 jours, faute de quoi l'agrément était tacitement accordé. Elle n'a pas été mise en place.

Ces raisons justifient le choix de l'article de revenir sur les dispositions antérieures.

4/ En dernier lieu, la disposition attaquée n'entraîne pas de rupture d'égalité devant les charges publiques.

Le bénéfice de la CMUc (CMU complémentaire) n'est subordonné à aucun droit d'entrée. La suppression du droit d'accès à l'AME ne crée donc aucune inégalité entre ces deux populations en termes d'accès aux dispositifs, qui sont gratuits dans les deux cas. Et les deux dispositifs sont accessibles aux personnes disposant d'un même plafond de ressources (661 € pour une personne seule actuellement), les bénéficiaires de la CMUc bénéficiant même de meilleures prestations que ceux de l'AME.

S'agissant des personnes prises en charge au titre des affections de longue durée, elles ne se trouvent pas dans une situation comparable aux bénéficiaires de l'AME. En effet, l'exonération de participation dont elles bénéficient n'est pas liée à un niveau de ressources, mais à un état de santé. C'est à ce titre, et uniquement pour les soins inscrits sur le protocole de soins et pour une durée limitée, que ces patients sont exonérés de ticket modérateur.

On rajoutera que le dispositif des franchises n'est pas un droit d'accès préalable, mais d'un mode de participation aux frais de santé. Les patients atteints d'une ALD ne sont pas exonérés des franchises. Toutefois s'ils relèvent de la CMUc du fait de leur niveau de ressources, ils n'en sont pas redevables. A un niveau de ressources inférieur ou égal au plafond de la CMU, nul n'est donc redevable des franchises.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement considère que l'article 42 ne devrait pas être annulé.

X/ SUR L'ARTICLE 42

Les sénateurs et députés requérants sollicitent la censure de cet article pour méconnaissance du principe de sécurité juridique, de gratuité de l'enseignement public et d'« égalité républicaine devant le savoir ».

Il faut d'abord rappeler l'historique de la question que vient régler l'article attaqué.

La mission de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), établissement public national à caractère administratif, est notamment, aux termes de l'article L. 452-2 du code de l'éducation issu à l'origine de la loi n° 90-588 du 6 juillet 1990, d'« aider les famille des élèves français ou étranger à supporter les frais liés à l'enseignement français à l'étranger … ». Par ailleurs, l'article L. 452-8 de ce code, issu de l'article 8 de la loi de 1990, fait obligation à l'agence de publier annuellement un rapport faisant notamment « le point … des frais de scolarité ». Le principe du caractère payant de l'enseignement français à l'étranger est par conséquent consacré par des dispositions législatives existantes.

En pratique, il est plus ancien. Un décret du 20 octobre 1972, notamment, autorisait la perception de frais dans les établissements d'enseignement du premier et du second degré relevant du ministère des affaires étrangères.

Le caractère payant de la scolarité vaut dans l'ensemble des établissements scolaires français à l'étranger. Parmi les 485 établissements existants en 2011, seuls 75 sont en gestion directe par l'AEFE ; ils constituent des services déconcentrés de l'Agence. Les autres établissements sont de droit privé, soit liés à l'Agence par contrat (établissements dits « conventionnés »), soit partenaires dans un autre cadre.

Une instruction générale de 2007 de l'AEFE a prévu une prise en charge financière par l'Etat des frais de scolarité à compter de la rentrée 2007 pour les élèves de terminale en rythme nord ainsi que ceux de première et terminale en rythme sud. La mesure a été étendue aux classes de première à la rentrée 2008-2009, puis aux classes de seconde à la rentrée 2009-2010.

Devant l'impact budgétaire de cette mesure, le législateur est intervenu. Il a d'abord prévu une étude d'impact comme préalable à une extension du dispositif (art. 133 de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009). Il a ensuite plafonné la prise en charge par l'Etat des frais de scolarité (art. 141 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011).

L'article contesté abroge ces deux derniers articles, afin de revenir au droit commun issu des dispositions du code de l'éducation.

1/ S'agissant des griefs avancés par les recours.

a) Le grief tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique n'est, en tout état de cause, pas fondé. Le législateur pouvait mettre fin pour l'avenir au dispositif de plafonnement de la prise en charge qui constituait une mesure favorable et n'avait pas créé de droit acquis. A cet égard, il n'est pas possible de considérer, comme les recours, qu'un « quasi-contrat » se serait constitué entre les parents d'élèves et l'AEFE à l'approche de la prochaine rentrée scolaire. Il était loisible au législateur de modifier les conditions de prise en charge.

b) Les deux autres griefs tirés de la gratuité de l'enseignement public et d'« égalité républicaine devant le savoir » sont également infondés.

Il est vrai que l'alinéa 13 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que « la nation garantit l'égale accès de l'enfant et de l'adule à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat ». On ne peut cependant considérer que l'enseignement offert à l'étranger dans le cadre de l'AEFE relève du « devoir de l'Etat » français au sens où l'entend l'alinéa 13 du Préambule. L'obligation que ce dernier impose vaut pour le territoire de la République française. D'ailleurs, l'enseignement primaire et secondaire en France est gratuit pour l'ensemble des résidents, quelle que soit leur nationalité. Cette offre gratuite est liée à l'obligation scolaire, consacrée par le législateur.

C'est pourquoi l'enseignement français à l'étranger, s'il participe certainement de la politique de rayonnement de la France, ne se rattache pas au cadre garanti par l'alinéa 13 du Préambule. On ajoutera que la résidence à l'étranger des élèves constitue un critère pertinent de différenciation entre nationaux français. La situation des élèves scolarisés sur le territoire français n'est pas identique à celle des élèves scolarisés à l'étranger. L'égalité entre eux n'est donc pas méconnue

Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis qu'il n'y a pas matière à censure de l'article contesté.

XI/ SUR LA PLACE DE CERTAINES DISPOSITIONS EN LOI DE FINANCES.

Les deux recours mettent en avant un ensemble de dispositions qui ne relèveraient pas du champ de la loi de finances.

Outre ceux pour lesquels l'argumentation antérieure a justifié de leur insertion dans la loi attaquée, les autres articles contestés relèvent bien de la compétence du législateur financier.

Il en va ainsi des contributions obligatoires sans contrepartie tels que le prélèvement social sur les stock-options et attributions gratuites d'actions (article 31), le forfait social (article 33) et la cotisation au Centre national de la fonction publique territoriale (article 45). Toutes trois ne constituent pas des rémunérations pour service rendu, ni des cotisations créatrices de droit aux prestations et avantages servis par les régimes de sécurité sociale. Ce sont des impositions de toute nature au sens de l'article 34 de la Constitution. Dès lors, la modification des taux de ces impositions relève du domaine partagé de la loi de finances au titre du a) du 7 ° du II de l'article 34 de la LOLF. En outre, le relèvement du taux, même affectée intégralement à la sécurité sociale, ne figure pas dans la liste des mesures relevant du domaine exclusif des lois de financement de la sécurité sociale tel qu'il est fixé par l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale.

S'agissant de l'article 44 de la loi attaquée, qui reporte l'accession aux responsabilités et compétences élargies (RCE) des universités d'Antilles-Guyane et de la Réunion au 1er janvier 2013, il relève du domaine des lois de finances en application du b) du 7 ° du II de l'article 34 de la LOLF, dans la mesure où il affecte l'autorisation parlementaire de la dépense de l'année.

En effet, le régime des responsabilités et compétences élargies prévoit notamment qu'à la date d'accession à ce régime, la gestion des emplois et de la masse salariale afférente à l'université concernée lui est concédée. Ainsi l'absence de report de la date d'entrée d'accession au régime des compétences élargies des universités d'Antilles-Guyane et de la Réunion entraînerait une bascule automatique à ces universités de la gestion de leurs emplois et de leur masse salariale au 12 août prochain. Une gestion directe par l'Etat implique l'imputation de la dépense sous forme de masse salariale de l'Etat et la consommation du plafond d'emplois prévu à l'article 7 de la LOLF. Une gestion transférée à un établissement public implique l'imputation de la dépense de l'Etat sous forme de subvention et la consommation du plafond d'emplois des opérateurs fixé pour 2012 à l'article 70 de la loi de finances initiale pour 2012. Dans le cas d'espèce, 1745 équivalents temps plein travaillés sont concernés : leur masse salariale du 12 août au 31 décembre 2012 s'élèvera à environ 140 M€.

Or, l'article 7 de la LOLF prévoit que « les crédits ouverts sur le titre des dépenses de personnel de chaque programme constituent le plafond des dépenses de cette nature » et que ces crédits particuliers sont « assortis de plafonds d'autorisation des emplois rémunérés par l'Etat ». Aussi la répartition des crédits d'un programme entre les dépenses de personnel et les dépenses d'autre nature relève clairement de l'autorisation parlementaire au même titre que le niveau des crédits du programme. Il en va de même du plafond des emplois rémunérés par l'Etat.

Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans les saisines ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.