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Décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012 - Réplique par 60 sénateurs

Loi relative à la protection de l'identité
Non conformité partielle

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,

Les observations du gouvernement sur le recours dont vous ont saisi les requérants relativement à la loi sur la protection de l'identité appellent en réplique les considérations suivantes.

Tout d'abord, non convaincus par les arguments du gouvernement, ils maintiennent l'ensemble des griefs invoqués dans leur saisine initiale, sans qu'il soit nécessaire de les développer tous à nouveau. Votre haute juridiction ne manquera d'ailleurs pas de noter à cet égard que le gouvernement s'est abstenu de répondre à l'une des questions fondamentales soulevée par la création de ce fichier biométrique géant, celle liée au risque de piratage ou de fraude.
Ensuite les requérants relèvent que, comme il l'a été démontré à l'occasion des travaux préparatoires, ainsi que dans la saisine initiale, et contrairement à ce que laisse entendre le gouvernement dans ses observations, le système du « lien fort » - pas plus que celui du « lien faible » - ne peut en aucun cas prévenir une tentative d'usurpation d'identité au moment du dépôt d'une première demande de titre. Pour parer à une telle usurpation, seul le contrôle en amont de la validité des actes d'état civil nécessaires à l'établissement d'une carte nationale d'identité est efficace. Contrôle qui est par ailleurs renforcé à juste titre par la loi qui vous est déférée.

L'argument selon lequel le système du « lien faible » ne permettrait pas de déceler une fraude consistant à présenter des demandes multiple sous des identités différentes ne saurait non plus prospérer. Primo parce que d'ici 5 à 10 ans toutes les identités seront enregistrés dans le fichier. Deuxio parce ce que si une personne qui est déjà enregistrée sous une identité tente d'obtenir une nouvelle identité, l'identité alléguée ne correspondra pas à l'empreinte déjà enregistrée. Alors certes le « lien faible » ne permettra pas de connaitre l'identité de la personne correspondant aux empreintes déjà enregistrées, mais il permettra à 99,9 % de déceler la tentative d'usurpation, ce qui demeure l'objectif principal de la loi. Tertio, parce qu'ici, comme pour les premières demandes de titre, c'est le contrôle de la validité des actes d'état civil qui est le seul à même de mettre en évidence l'identité réelle et l'identité alléguée.
Les requérants s'inquiètent également de ce que le gouvernement reconnaisse que « toute forme de mise en relation automatique de ces données avec celles contenues dans d'autres traitements se trouve ainsi prohibée », alors que précisément la saisine initiale faisait état non pas d'un risque de mise en relation automatique

Les requérants ne sauraient non plus s'en remettre à l'argument du gouvernement selon lequel il n'existerait aucun risque que le fichier ne fut consulté dans des cas autres que ceux énoncés aux point II à V de l'article 5 de la loi. Certes il ne fait pas de doute que les précisions apportées aux articles 55-1, 76-2 et 154-1 du code de procédure pénale constituent des règles spéciales qui doivent en principe l'emporter sur les règles générales. Mais les articles 60-1, 60-2, 77-1-1, 77-1-2, 99-3 et 99-4 du même code constituent également des règles spéciales pour l'obtention de documents numériques ou l'accession à des informations contenues dans des fichiers nominatifs. Rien de laisse donc préjuger de leur éviction.

En outre le gouvernement n'a pas su réfuter l'argument des requérants selon lequel il suffirait d'ouvrir une enquête préliminaire ou une information judiciaire sur un volet fraude à l'identité connexe à une infraction principale pour permettre un recours généralisé au fichier. Au contraire même puisqu'il reconnait expressis verbis que, « par hypothèse, en effet, il est souvent difficile d'établir l'identité réelle de la personne soupçonnée d'avoir commis ou tenté de commettre l'une des infractions » énumérées à l'article 55-1 du code de procédure pénale. Mais si cette forme de tautologie ne peut souffrir de contestation, puisqu'en effet il est par définition difficile de déterminer l'identité d'un usurpateur d'identité, il n'est pour autant pas moins difficile de déterminer l'auteur d'une infraction en général. Le prétexte du doute sur l'existence d'une usurpation pourra ainsi être quasiment toujours évoqué pour justifier la consultation du fichier.

Quant à l'article 10 de la loi, le gouvernement affirme que les garanties prévues à l'article 5 contre la recherche d'une identité sur la base de la découverte d'empreintes digitales s'appliqueraient également aux services en charge de la lutte contre le terrorisme. Pareille interprétation ne repose pourtant sur aucun fondement. Les pouvoirs spéciaux des services anti-terroristes ne relèvent pas des dispositions des articles 55-1, 76-2, 99-5 et 154-1 du code de procédure pénale, et rien donc ne commande que l'encadrement prévu à l'égard d'une procédure judiciaire s'applique à la prévention du terrorisme.
Enfin, et c'est probablement là l'essentiel, de l'aveu même du gouvernement, le système de prélèvement des empreintes digitales sera inefficace et donc parfaitement inutile ! Comme l'indique effectivement le gouvernement dans ses observations qui méritent là d'être citées in extenso : « Il importe d'ailleurs de souligner que, eu égard au nombre limité d'empreintes qu'il comportera et au fait que ces empreintes seront recueillies à plat et non roulées, comme il est d'usage en matière d'identification judiciaire, le traitement litigieux sera en tout état de cause inapte, dans la majorité des cas, à servir à l'identification des traces digitales ».

Si les requérants avaient voulu démontrer, et telle était leur intention, que le législateur n'avait pas su éviter « une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d'infractions » (1), ils ne l'auraient donc pas dit autrement. Aussi vous inviteront-ils à nouveau, au regard de la dangerosité et de l'inutilité avérée du dispositif envisagé, d'y opposer votre censure.

  1. 2012-223 QPC du 17 février 2012, cons. 4