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Décision n° 2012-647 DC du 28 février 2012 - Saisine par 60 députés

Loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi
Non conformité totale

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Nous avons l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la proposition de loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi.
Cette loi nous paraît doublement inconstitutionnelle.
D'une part, cette loi ne ressort pas du champ législatif. Il n'est nullement prévu par la Constitution que le Législateur s'autorise le droit de formuler une vérité historique et qu'il en sanctionne les manquements en l'assortissant d'une peine de prison et d'une amende.
Qui plus est, notre Parlement ne peut « se défausser » sur le Conseil Européen qui dans sa décision-cadre de 2008, ne vise que la sanction des crimes contemporains et non ceux du passé.
D'autre part, cette loi constitue une atteinte manifeste à la liberté d'opinion et d'expression dès lors qu'il n'y a pas appel ou incitation à la haine raciale. La loi crée un délit nouveau de « minimisation » de tout crime qualifié de génocide par notre Parlement.
La mission d'information de l'Assemblée nationale conduite en son temps par Bernard Accoyer avait pourtant dénoncé dans un bel ensemble, à l'unanimité, ces lois mémorielles où le Législateur se fait historien et interdit à la critique historique de faire son travail.
Vous trouverez ci-joint les signatures des 66 députés qui souhaitent saisir le Conseil Constitutionnel au sujet de cette loi.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers, l'expression de ma haute considération.
Jacques MYARD
Député des Yvelines
Michel DIEFENBACHER
Député de Lot-et-Garonne

Mémoire de saisine sur la loi, adoptée par le Sénat le 23 janvier 2012, visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi.

Les saisissants ont l'honneur de vous déférer l'article premier de la proposition de loi définitivement adoptée par le Sénat le 23 janvier 2012, visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi, et le dernier alinéa de l'article 2, qui en est indissociable.
Ils tiennent à préciser d'emblée que la saisine n'entend nullement soutenir ou tolérer un négationnisme quelconque : tout génocide est absolument, irrémédiablement et sans conteste condamnable par la conscience individuelle et collective : cela n'est pas en cause.
Ce qui est en cause, c'est la volonté législative de soustraire de tels faits à la réflexion collective et au débat public en employant des voies pénales. Il convient en effet de souligner que le texte déféré établit le principe, d'une manière inédite dans notre droit, d'un délit subordonné à une reconnaissance légale. A la différence de la loi n° 90- 615 du 13 juillet 1990, il ne vise pas un événement historique révolu, reconnu par le droit international, précis et ne vise pas davantage à réprimer des actes racistes ou xénophobes, mais il crée un délit applicable en fonction d'une reconnaissance législative totalement aléatoire.
L'histoire n'est en effet pas un sujet juridique et elle ne peut donc être un sujet législatif.
Il n'est pas besoin de lire Orwell pour savoir que les Etats totalitaires peuvent pratiquer une « police » de l'histoire, en régir l'usage, en interdire le débat. La démocratie, au contraire, si elle se doit de juger les auteurs de crimes contre l'humanité, de les dénoncer constamment ne saurait, précisément pour ce motif, exercer une police de l'histoire. Or, le texte déféré ne porte pas sur l'incrimination du génocide, déjà présente en droit français comme international, il porte sur la prohibition de la contestation de certains génocides : ceux qui ont été ou seront reconnus par la loi.
On se demande sur quelle base un pouvoir d'appréciation du génocide peut ainsi être établi au seul plan législatif : non pour le juger mais pour faire obstacle à la liberté d'expression : le génocide arménien, reconnu par la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 serait il -et selon quel critère - plus ou moins « contestable » - au sens du texte déféré que les exactions commises au Cambodge, dans l'ex- Yougoslavie, au Rwanda ? Les guerres de religion en France, le « génocide vendéen », que plusieurs propositions de loi visent à reconnaître, ou, plus proches de nous les évènements en Cote d'ivoire et en Libye doivent ils tomber sous le coup du délit ainsi créé, et dans l'affirmative à quel moment et selon quel critère ?
La sanction d'un crime contre l'humanité appartient en toute hypothèse au juge, appliquant des critères nationaux ou internationaux. Elle ne saurait résulter d'une reconnaissance législative.
Si le critère de cette reconnaissance est historique, alors le législateur n'est pas fondé à pénaliser, à un moment de l'histoire, la contestation du génocide : en quoi cette contestation est-elle plus scandaleuse aujourd'hui qu'hier ? S'il tient au caractère concerté de l'action, au sens de l'article L.211-1 du code pénal, quel est le degré d'implication d'une population exigé. Si le critère tient au nombre de victimes, y a-t-il des degrés dans l'horreur ?
Cette saisine ne saurait donc faire abstraction de la remise en cause plus générale, des lois dites « mémorielles », auquel le texte déféré fait référence, tentatives d'appréhension législative d'un jugement de faits historiques, dont il serait nécessaire de pénaliser la remise en cause publique.
Le texte qui vous est déféré ne constitue qu'une expression, particulièrement mal construite au plan juridique, de cette volonté de pénalisation attachée à la contestation d'un fait historique. Or la loi n'a pas à « faire » l'histoire, ni à la définir, ni à la protéger. En s'assignant un tel but, le législateur poursuit un objectif impossible à atteindre : affirmer le caractère intouchable, indiscutable d'appréciations de faits révolus. Ce ne sont pas les faits qui seraient ainsi pénalisés, comme ils le sont par ailleurs, mais bien leur débat.
Le législateur ne peut tout faire. On mesure d'emblée l'impossible prohibition juridique portant non sur des faits réprimés par le code pénal comme par le droit international, mais sur des appréciations historiques : en pénalisant la négation de certains génocides, le législateur poursuit un objectif que le droit ne peut atteindre : celui de sanctuariser des faits historiques considérés comme indiscutables. En s'attachant à l'histoire des peuples, fût elle tragique, le législateur touche à l'irrationnel, au sentiment national, à l'appartenance collective, à l'analyse de faits. Faut-il citer Paul Veyne : « le rangement d'évènements dans des catégories exige l 'historisation préalable de ces catégories, sous peine de classement erroné ou d'anachronisme. De même, employer un concept en croyant qu'il va de soi est risquer un anachronisme implicite » (Comment on écrit l'histoire, Seuil, 1971, p.95).
En touchant à des appréciations subjectives, le législateur entre dans l'inconstitutionnalité.
Les saisissants ne contestent nullement l'existence des génocides, ni la possibilité d'en incriminer les auteurs ou les promoteurs. Ils contestent, en revanche, au plan constitutionnel, la possibilité de créer un délit nouveau, subordonné à une reconnaissance législative, et aléatoire, de faits historiques. Le jugement, au sens juridique du terme, appartient aux juges (et non, on y reviendra infra, au législateur). Le jugement, au sens heuristique du terme, ne peut appartenir qu'au débat historique public, que la loi vise précisément à empêcher. Le jugement, au sens éthique du terme, ne peut appartenir qu'à la conscience humaine, individuelle ou collective. En créant un délit de contestation d'un fait historique, à contenu aléatoire en fonction d'une reconnaissance par la loi, le texte déféré confond ces différentes catégories.
La disposition qui vous est déférée, même si elle s'insère dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, n'en constitue pas moins une disposition répressive : elle vise à punir la contestation de l'existence d'un crime de génocide d'une peine d'un an de prison et de 45 000 € d'amende.
En incidente, et même s'il n'incombe pas au Conseil Constitutionnel d'assurer la conventionnalité de la loi, il convient d'observer en outre que le texte déféré peut également s'avérer contraire au statut de la Cour Pénale Internationale, dont les décisions risquent de diverger avec la « reconnaissance » législative interne prévue par ce texte, et alors même que celui-ci pourrait faire obstacle aux témoignages ou à l'exercice des droits de la défense devant cette Cour.
Nonobstant la mention de la Convention portant statut de la Cour dans l'article 53-1 de la Constitution, le Conseil (n° 2008-612 DC du 5 août 2010) a refusé d'y voir une obligation qui imposerait à la loi le respect de la Convention, à l'égal de celle qui résulte de son article 88-1. Pour autant, les risques de distorsions avec le droit international, largement ignorés lors du débat parlementaire, ne peuvent manquer d'être soulignés. Ils démontrent une certaine impréparation législative, qui en affecte par ailleurs gravement le contenu.
Elle ne saurait résister aux nombreux griefs d'inconstitutionnalité qu'elle encourt.

1 °) Le législateur a méconnu sa propre compétence.

Le texte renvoie la sanction à deux critères cumulatifs : la définition du crime de génocide à l'article 211-1 du code pénal et la « reconnaissance comme tels par la loi française ».
La loi ne peut pas « reconnaître » un génocide, puisque cette disposition par elle-même est dénuée de toute force opératoire : la loi ne « reconnaît » pas, elle dispose, ordonne, prohibe, détermine, et doit posséder une valeur impérative. C'est ce qui ressort très clairement de la décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005 : « Considérant qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier ; son article 34 ; qu'à cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi ».
L'exigence d'impérativité de la loi est d'autant plus évidente que depuis la révision du 23 juillet 2008, l'article 34-1 de la Constitution offre un cadre adéquat à des« reconnaissances ».
Le Conseil a déjà eu l'occasion de se prononcer sur une « reconnaissance » de faits historiques par la loi. La décision n° 2006-203 L du 31 janvier 2006, qui ne statuait que sur le seul point de savoir si le texte déféré présentait ou non un caractère réglementaire et non sur sa constitutionnalité (n° 95-177 L du 8 juin 1995, cons. l) n'a pu que constater que la mention - on n'emploiera pas ici le terme de « disposition »- selon laquelle : « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer : notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit » ne ressort pas du domaine de la loi.
La situation est ici aggravée par le fait que cette reconnaissance législative, en elle-même inopérante, permettrait de déclencher des poursuites pénales.
Il n'est donc pas possible de faire dépendre l'application de la loi d'une condition législative distincte, en elle-même inopérante, et qui n'est soumise à aucun critère : tel génocide entrera dans le champ d'application de l'article 24 ter de la loi du 29 juillet 1881, si le législateur en décide ainsi, tel autre n'y entrera pas faute d'une reconnaissance spécifique. Outre la rupture d'égalité qui en résulte (voir infra), ce texte est donc d'application aléatoire en fonction de cette « reconnaissance » qu'aucun critère n'encadre.
Sauf à considérer que toute loi reconnaissant un génocide aurait une valeur définitive --auquel cas le législateur méconnaîtrait son pouvoir d'abroger ou de modifier le champ d'une disposition antérieure- et que le sujet en lui même entre bien dans le domaine de la loi -alors qu'aucune des catégories de l'article 34 de la Constitution ne vise de tels textes- l'article premier du texte déféré pourrait à tout moment voir son champ modifié du fait d'un déclassement ou d'une abrogation, rendant ainsi l'application d'un délit particulièrement aléatoire, puisqu'elle dépendrait dans le premier cas du pouvoir réglementaire, dans le second d'une simple abrogation.
On voit mal comment la « reconnaissance » par la loi d'un fait historique mais aux conséquences pénales certaines, pourrait échapper à l'inconstitutionnalité : elle ne répond ni aux critères constitutionnels de clarté, de généralité et d'impérativité de la loi et n'entre dans aucune des catégories de l'article 34 de la Constitution. Comment sur une telle base juridique, inconstitutionnelle, est-il alors possible de créer une incrimination ? Une loi inopérante en elle-même, susceptible de déclassement ou de remise en cause par le législateur ne peut servir de base à la détermination précise d'un délit.
L'impérativité, la clarté et l'intelligibilité de la loi sont donc méconnues.
La détermination d'un délit par reconnaissance d'un fait précis par la loi, c'est-à-dire par renvoi à une autre loi, qui ne présente aucune portée en elle-même, qui n'a pas de valeur générale, mais ne vise qu'un cas précis, et conditionne ainsi l'application de la loi pénale à ce cas, ne peut échapper à la censure.

2 °) L'article XVI de la Déclaration des droits de l'homme est méconnu.

En faisant dépendre l'application même du délit non seulement de la décision du juge pénal, en application de l'article 211-1 du code pénal, mais également d'une « reconnaissance » par le législateur d'un génocide précis, l'article 1er de la proposition méconnaît en outre la séparation des pouvoirs : le législateur ne peut établir lui-même les cas concrets d'application de la loi pénale, mais seulement déterminer la généralité des cas auxquels elle s'applique.

3 °) La clarté et l'intelligibilité de la loi pénale sont méconnues

La jurisprudence constitutionnelle condamne justement, en matière pénale, toute imprécision législative : ainsi le mot famille a-t-il été considéré comme insuffisamment précis pour une simple tentative de qualifier -et non pas réprimer- l'inceste (n° 2011- 163, QPC 16 septembre 2011 : le législateur « ne pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, s'abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification comme membres de la famille »)
La notion de« minimisation de façon outrancière » de l'existence d'un fait« reconnu » comme génocide ne répond pas à la nécessaire clarté de la loi pénale. Le débat scientifique d'un fait - lieu d'un massacre, durée, nombre de victimes, méthodes d'extermination massive, etc.- doit trouver sa place en histoire, et peut conduire à minimiser tel ou tel fait. Qu'est-ce qu'une « minimisation de façon outrancière », notion qui ne peut que conduire à une appréciation purement subjective ? L'outrance est elle dans la remise en cause d'un nombre de victimes, dans la contestation de la durée du crime contre l'humanité, dans la discussion d'un lieu, ou de l'auteur réel d'un acte, dans la prise en compte d'une résistance parmi le groupe des criminels, etc.?
Une telle mention, par son imprécision, est en elle-même contraire à l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme.
Cette mention ne peut échapper à l'inconstitutionnalité.

4 °) L'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est méconnu.

La prohibition de la contestation du génocide, et la peine qui en découlent, n'est en rien nécessaire. Un nombre très élevé d'auteurs, et non des moindres, jugent au contraire qu'il est indispensable que le débat portant sur des faits historiques ait lieu : empêcher, c'est précisément laisser accroître qu'il y aurait une vérité historique légale, protégée parce reconnue officiellement, incontestable publiquement donc soumise à suspicion. Or les saisissants répètent que, précisément parce qu'il existe une vérité historique, il ne saurait y avoir de vérité historique légale.
On ne lutte pas contre une affirmation, si mensongère soit elle en en empêchant l'expression, mais au contraire en démontrant publiquement son caractère erroné.
Ni la prohibition, ni la peine qui s'y attache ne sont nécessaire à l'objectif de lutte contre les génocides et de sanction de leurs auteurs et de leurs promoteurs.

5 °) Le dispositif est contraire à la liberté de communication, garantie par l'article XI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

En prévoyant une véritable censure de propos, l'article premier de la proposition de loi porte une atteinte à la liberté de communication.
Les saisissants n'ignorent certes pas que la Cour de cassation, par la décision n° 12008 du 7 mai 2010, a refusé de voir une question de constitutionnalité « sérieuse » dans la loi n° 90- 615 dite « loi Gayssot », en se fondant sur le fait que « l'incrimination se réfère à des textes régulièrement introduits en droit interne ». Outre le fait que la référence à toutes les lois promulguées et à venir reconnaissant des génocides, ne peut être considérée comme constitutionnelle, et donc régulièrement introduite en droit interne, le raisonnement ainsi suivi paraît tautologique : ce n'est pas parce que le législateur a défini une incrimination que la question de constitutionnalité n'est pas sérieuse. En réalité, la Cour a statué en opportunité, privant le Conseil constitutionnel de la compétence d'attribution qui lui est exclusivement dévolue par l'article 61-1 de la Constitution, confondant ainsi le rôle de filtre et celui de juge du fond de la QPC. La question de constitutionnalité posée par les lois d'incrimination mémorielle est bien « sérieuse » au sens de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 : pénaliser une atteinte au passé peut il être jugé conforme à la liberté de communication ?
La jurisprudence issue de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme (Marais c/ France n°31159/96, 24 juin 1996), par laquelle a été appréciée la conventionnalité de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, admet que la liberté d'expression telle qu'elle est conçue par la Convention n'est pas méconnue dans un cas particulier : « La Commission estime que les écrits du requérant vont à l'encontre de valeurs fondamentales de la Convention, telle que l'exprime son préambule, à savoir la justice et la paix. Elle considère que le requérant tente de détourner l'article 10 (art. 10) de sa vocation en utilisant son droit à la liberté d'expression à des fins contraires au texte et à l'esprit de la Convention et qui, si elles étaient admises, contribueraient à la destruction des droits et libertés garantis par la Convention ». Même si l'on peut s'étonner que dans d'autres cas, la dignité de la personne humaine ne soit pas valorisée par la jurisprudence de la Cour (C.E.D.H. K.A. c/ Belgique, 17 février 2005), on comprend que la finalité même de la Convention soit en l'espèce mise en avant pour justifier que la protection de la libre communication ne soit pas invocable du fait de la Convention elle-même : cette décision retient justement que le jugement du tribunal de Nuremberg peut être opposé à l'intéressé. Elle statue également sur une disposition qui entend donner plein effet à une convention internationale, en l'espèce le statut du tribunal international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945. Elle n'est donc pas transposable au cas d'un texte qui porte atteinte à toute liberté de communication au regard de seuls critères nationaux.
En toute hypothèse, ce n'est pas sous l'angle de la conventionnalité que doit être appréciée l'incrimination en cause, mais bien sous le seul angle de la constitutionnalité. Or, à cet égard la jurisprudence du Conseil est explicite. Elle ne saurait admettre une impossibilité d'expression, pénalement sanctionnée. La décision n° 2009 580 DC du 8 juin 2009, affirme ainsi avec la plus grande netteté : « la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés : que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi ». En l'espèce, même en admettant que l'objectif poursuivi soit seulement la reconnaissance d'un génocide, la prohibition de sa remise en cause n'est certainement pas proportionnée à cet objectif.
Dès lors que sont en cause tous les moyens d'expressions publiques visés par l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881 : discours, imprimés, images, discours, affiches, communication électronique, etc. le délit considéré prive, par sa généralité, non seulement les historiens, non seulement les citoyens, mais aussi ceux qui seraient « désignés » par la rumeur publique comme les auteurs ou les complices d'un génocide du droit de se défendre publiquement par les moyens qu'il souhaite, dès lors que la loi aurait reconnu l'existence dudit génocide.
L'article X de la Déclaration des droits de l'homme est de ce fait méconnu.

6 °) La liberté de la recherche est méconnue

La liberté de la recherche est affirmée avec netteté dans la décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984 : « par leur nature même, les fonctions d'enseignement et de recherche non seulement permettent mais demandent, dans l'intérêt même du service, que la libre expression et l'indépendance des personnels soient garanties par les dispositions qui leur sont applicables ».
Plus précisément, la décision n° 2010-20 QPC réaffirme : « la garantie de l'indépendance des enseignants-chercheurs résulte d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République ».
En faisant obstacle à la négation d'un fait historique, la loi porte atteinte à la liberté, constitutionnellement garantie, de la recherche et à l'indépendance des enseignants chercheurs qui en découle.

7 °) Le délit établit une distinction entre le génocide « reconnu par la loi française » et tous les autres crimes contre l'humanité, et méconnaît le principe d'égalité, sans justification appropriée.

Le texte crée un délit de négation des seuls génocides reconnus par la loi française, selon des critères exclusivement nationaux.
Ainsi, un génocide jugé par le tribunal pénal international (point qui sera abordé infra), ou par le juge pénal français, voire par l'un et par l'autre- ce que l'article 17 du statut n'exclut pas pourrait continuer d'être contesté au plan interne, tandis qu'un génocide défini à l'article 211-1 du code pénal et reconnu par la loi ne pourrait plus l'être.
En établissant une distinction reposant sur de seuls critères législatifs nationaux entre les génocides, l'article premier de la proposition introduit une différence de traitement qui n'est pas justifiée au regard des objectifs de lutte contre le négationnisme.
Une même rupture d'égalité résulte du fait que ce texte ne vise que le génocide et omet les autres crimes contre l'humanité visés à l'article 212-1 du code pénal ou à l'article 7 du statut du tribunal militaire annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945, texte d'ailleurs visé par la proposition de loi dans sa version initiale. Si le Conseil admet une distinction entre les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, comme le précise la décision n° 2010- 612 DC du 6 août 2010 Les crimes contre l'humanité sont pourtant, tous, punis par le code pénal par les mêmes peines. Est il plus dangereux pour la démocratie ou la dignité de l'homme, de nier le génocide que la déportation ou la pratique systématique de la torture ?
En limitant le champ d'une incrimination à des génocides, le législateur commet également une rupture d'égalité au regard des autres crimes contre l'humanité.
Donc, à supposer même que le Conseil admette que les atteintes manifestes portées par le texte déféré aux principes du droit pénal, à la liberté de communication et à la liberté de la recherche soient justifiables au regard des objectifs poursuivis par le texte déféré, serait alors en cause le principe d'égalité, sans aucune justification au regard de ces mêmes objectifs.

8 °) Le libre exercice d'activités des partis politiques est limitée sans justification appropriée.

Les seules limites qu'impose l'article 4 de la Constitution à la formation et à l'activité des partis politiques résident dans le respect des principes de la souveraineté nationale et de la démocratie, auxquels naturellement s'ajoute le respect du principe de légalité dans leur fonctionnement ou leurs règles de financement. Les débats politiques ne sauraient être autrement restreints que par les limites posées à l'article 4.
Un parti politique, au sens de cet article, peut donc parfaitement s'appuyer sur une vision de l'histoire, des relations internationales, un dialogue avec des partis politiques étrangers la conduisant à remettre en cause les incidences d'un génocide passé sur la conduite des relations internationales aujourd'hui. Compte tenu de la rédaction retenue, et même dans le cas d'un parti parfaitement démocratique, la pénalisation des propos publics peut ainsi être une entrave à l'activité des partis politiques. La question, par exemple, de l'entrée de la Turquie dans l'Union Européenne est à ce point liée à la reconnaissance du génocide arménien que tout débat pourrait rapidement tomber sous le coup de l'incrimination, puisque l'appréciation des faits n'est évidemment pas sans conséquences actuelles. Or les partis politiques ne pourraient donc plus contester, ni même débattre, de ce point.
Ainsi, le dispositif est il contraire à l'article 4 de la Constitution.

Tels sont les motifs pour lesquels les saisissants demandent au Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution l'article premier de la proposition de loi déférée, ainsi que le troisième alinéa de son article 2, qui en est indissociable.