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Décision n° 2012-647 DC du 28 février 2012 - Observations du Gouvernement

Loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi
Non conformité totale

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi.

Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I. SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA MÉCONNAISSANCE, PAR LE LÉGISLATEUR, DE SA PROPRE COMPÉTENCE ET DE L'ATTEINTE À LA SÉPARATION DES POUVOIRS

A. Selon les auteurs des saisines, le législateur, par l'article 1er de la loi déférée, ne pouvait, sans méconnaître l'étendue de sa compétence, assortir de sanctions pénales la contestation ou la minimisation outrancière de l'existence des crimes de génocide « reconnus comme tels par la loi française », car, selon eux, une loi ayant pour objet la reconnaissance d'un génocide, telle que la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, est nécessairement dépourvue de caractère impératif et ne se rattache à aucun des chefs de compétence législative qu'énumère l'article 34 de la Constitution.

Ils soutiennent, en outre, qu'en faisant dépendre un délit de la reconnaissance de l'existence d'un crime par le législateur, lequel n'est pas compétent pour « établir lui-même les cas concrets d'application de la loi pénale », l'article 1er de la loi déférée, qui entend réprimer la contestation d'une « sorte de vérité officielle », empiète sur la compétence des juridictions et méconnaît ainsi la séparation des pouvoirs.

B. Ces griefs, qui reposent sur une appréciation inexacte de la portée des dispositions contestées, ne sont pas fondés.

  1. Ainsi que le rappellent les auteurs des saisines, l'article 1er de la loi déférée est une disposition à caractère pénal, qui vise à réprimer, par une peine d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou l'une de ces deux peines seulement, la contestation de l'existence de certains crimes de génocide ou la minimisation outrancière de ces crimes, c'est-à-dire ce que le langage courant entend par « négationnisme ».

Les crimes concernés sont ceux qui répondent à la définition du génocide figurant à l'article 211-1 du code pénal et qui, en outre, ont été reconnus comme tels par la loi française. Eu égard à la spécificité de chaque crime de génocide, le législateur a eu le souci, en effet, de ne réprimer les comportements négationnistes qu'après s'être assuré, au cas par cas, de la nécessité d'une telle répression. En l'état du droit, seul a fait l'objet d'une reconnaissance, par la loi précitée du 29 janvier 2001, le génocide arménien de 1915.

Cette loi, et celles qui, à l'avenir, pourraient avoir un objet similaire, contribuent ainsi à délimiter le champ d'application de la disposition législative contestée. De ce fait, et indépendamment de leur portée politique et symbolique, ces lois, en tant que la loi déférée s'y réfère, ne peuvent être regardées comme dépourvues de caractère normatif. Elles constituent, au contraire, l'exercice de la compétence qui appartient exclusivement au législateur, en vertu de l'article 34 de la Constitution, de déterminer les crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables.

  1. On ne saurait davantage lui reprocher de réaliser ou d'entériner, ce faisant, un empiètement du législateur sur la compétence des juridictions, en méconnaissance de la séparation des pouvoirs.

D'une part, en effet, en reconnaissant l'existence d'un génocide, le législateur ne vient pas concurrencer, contrairement à ce que suggèrent les auteurs des saisines, les juridictions appelées à juger les auteurs de crimes de génocide. Ceci est évident dans le cas du génocide arménien de 1915, dont, eu égard à la date des faits, les auteurs, étant décédés, ne sont plus susceptibles d'être poursuivis de ce chef. Pour autant, le crime n'en a pas moins été commis (certains de ses auteurs ont d'ailleurs été condamnés en 1919, sur le fondement de la loi pénale ottomane, par la cour martiale d'Istanbul), et on ne voit pas ce qui justifierait que le législateur s'interdise de tirer aucune conséquence de cette réalité.

D'autre part, et ainsi que plusieurs orateurs l'ont souligné lors des débats parlementaires (v., par ex., l'intervention de M. Hervé Marseille, sénateur, lors de la séance du 23 janvier 2012, compte rendu intégral, p. 344, 1re col.,
4, pour qui « le juge […] et lui seul, peut sur le fondement de l'article 211-1 du code pénal qualifier juridiquement les faits », ou encore, lors de la même séance, l'intervention de M. Philippe Kaltenbach, ibid., p. 346, 1re col.,
1, selon lequel « on ne peut […] plus accuser le Parlement de vouloir se muer en tribunal » dans la mesure où « c'est seulement le juge qui, sur le fondement de l'article 211-1 du code pénal, sera amené à qualifier juridiquement les faits »), la référence aux génocides reconnus par la loi française, à l'article 1er de la loi déférée, ne saurait être interprétée comme restreignant la compétence, quant à la qualification des faits dont la contestation ou la minimisation outrancière sera poursuivie sur son fondement, des juridictions qui seront appelées à statuer sur ces poursuites.

Il résulte de la lettre même de cet article, en effet, que ces juridictions devront, en toute hypothèse, s'assurer que ces faits répondent à la définition du crime de génocide figurant à l'article 211-1 du code pénal. La reconnaissance, par la loi, que ces faits sont constitutifs d'un génocide est une condition nécessaire à leur incrimination mais ne dispense pas de son office le juge à qui il appartiendra de statuer, le cas échéant, sur toute contestation de la qualification des faits au regard de l'article 211-1.

Pour autant, il va de soi que les juridictions ne pourront ignorer que les faits auront fait l'objet d'une reconnaissance par le législateur, eu égard au consensus scientifique qui aura normalement présidé à cette reconnaissance. Il n'est pas sans intérêt de relever, à cet égard, que c'est en se fondant notamment sur l'avis du collège d'experts consulté à l'occasion de l'adoption de la loi du 29 janvier 2001 que les juridictions suisses ont constaté « l'existence d'un large consensus de la communauté, que traduisent les déclarations politiques, et qui repose lui-même sur un large consensus scientifique sur la qualification des faits de 1915 comme génocide » (Tribunal fédéral, 12 décembre 2007, 6B_3982007, point 4.2).

L'article 1er de la loi déférée, qui ne réalise ni n'entérine aucun empiètement du législateur sur la compétence des juridictions, ne porte donc aucune atteinte à l'indépendance de celles-ci, non plus qu'au caractère spécifique de leurs fonctions, garantis par l'article 16 de la Déclaration de 1789 et l'article 64 de la Constitution (v., sur ce dernier point, la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-626 DC du 29 mars 2011, cons. 16).

Il n'est en rien contraire, dès lors, à la séparation des pouvoirs.

II. SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA VIOLATION DU PRINCIPE DE LÉGALITÉ DES DÉLITS

A. Les auteurs des saisines reprochent à l'article 1er de la loi déférée de méconnaître le principe de légalité des délits, qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'il a pour effet de réprimer la contestation de l'existence du génocide arménien de 1915 ou sa minimisation outrancière, alors que les éléments constitutifs de ce génocide n'ont pas été précisément identifiés dans une convention internationale ou un jugement revêtu de l'autorité de la chose jugée.

Ils estiment également que la rédaction de la loi déférée ne permet pas de savoir si sont seules visées les lois ayant pour objet de reconnaître un génocide, ou si sont également concernées les lois qui, selon eux, ont un tel effet, comme la loi n° 95-1 du 2 janvier 1995 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 827 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 ou la loi n° 96-432 du 22 mai 1996 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations Unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis en 1994 sur le territoire du Rwanda et, s'agissant des citoyens rwandais, sur le territoire d'États voisins.

Ils soutiennent, enfin, que la notion de minimisation outrancière à laquelle recourt l'article 1er de la loi déférée n'est pas suffisamment précise pour satisfaire aux exigences du principe de légalité des délits.

B. Le Gouvernement ne partage pas ce point de vue.

  1. D'abord, en effet, ainsi qu'il a été dit plus haut, l'article 1er de la loi déférée détermine les faits dont la négation ou la minimisation outrancière pourra être réprimée par référence à la définition du crime de génocide figurant à l'article 211-1 du code pénal, dont il ne peut être sérieusement soutenu qu'elle ne satisferait pas aux exigences du principe de légalité des crimes et des délits tel qu'il résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Or, à l'égard des faits ainsi qualifiés, l'intervention d'une loi reconnaissant qu'ils sont constitutifs du crime de génocide, loin de méconnaître ces exigences, renforce au contraire la prévisibilité des dispositions de l'article 1er de la loi déférée, en faisant en sorte que nul ne puisse ignorer à quels événements ces dispositions sont susceptibles de s'appliquer. Les requérants ne sont donc pas fondés à tirer argument, à l'appui de leur grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits, de la circonstance qu'une telle reconnaissance, précisément parce qu'elle n'a nullement vocation à constituer le substitut d'une condamnation pénale des auteurs du crime ou à imposer au juge du délit de négationnisme une quelconque « vérité officielle », ne puisse être formulée qu'en termes généraux.

  1. Il ressort sans ambiguïté des débats parlementaires, ensuite, que le législateur, en se référant aux génocides « reconnus comme tels par la loi française », a eu en vue les seules lois ayant expressément pour objet une telle reconnaissance, et non celles, à supposer qu'il en existe, qui pourraient avoir incidemment un tel effet. Il en résulte qu'en l'état du droit, ainsi qu'il a été dit, les dispositions de l'article 1er de la loi déférée ne sont susceptibles de recevoir application que dans le cas du génocide arménien de 1915.

Au demeurant, le principe d'interprétation stricte de la loi pénale commanderait, même en l'absence de précision, sur ce point, dans les travaux préparatoires, d'adopter une telle lecture des dispositions contestées.

  1. Enfin, en réprimant non seulement le fait de contester l'existence des crimes de génocide compris dans son champ d'application, mais aussi le fait de minimiser ceux-ci de façon outrancière, l'article 1er de la loi déférée n'a pas davantage méconnu le principe de légalité des délits.

Cette précision, qui vise à déjouer les stratégies du négationnisme, est en effet directement reprise de la jurisprudence des juridictions judiciaires relative à l'application de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, issu de la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, dite « loi Gayssot ». Alors que ce texte n'incrimine à proprement parler que la contestation de l'existence des crimes entrant dans son champ d'application, la Cour de cassation a jugé qu'il devait trouver à s'appliquer également à la « minoration outrancière » du nombre des victimes de la politique d'extermination dans un camp de concentration déterminé, lorsqu'elle est faite de mauvaise foi (Cass. crim., 17 juin 1997, n° 94-85126, Bull. crim., n° 237).

La notion de minimisation outrancière à laquelle recourt l'article 1er de la loi déférée doit donc, au regard de cette jurisprudence dont s'est inspiré le législateur, s'entendre comme le fait, sans en contester ouvertement l'existence, de minimiser, dans des proportions excédant manifestement les besoins du débat public ou de la discussion scientifique, les éléments constitutifs d'un crime de génocide entrant dans le champ d'application de ces dispositions, et notamment le nombre de ses victimes.

Pour l'ensemble de ces raisons, le grief tiré de la violation du principe de légalité des délits ne pourra qu'être écarté par le Conseil constitutionnel.

III. SUR LES GRIEFS TIRÉS DE LA VIOLATION DE LA LIBERTÉ D'EXPRESSION ET DE COMMUNICATION, DE LA LIBERTÉ DE LA RECHERCHE, DU LIBRE EXERCICE PAR LES PARTIS POLITIQUES DE LEUR ACTIVITÉ ET DU PRINCIPE DE NÉCESSITÉ DES PEINES

A. Les députés et sénateurs requérants soutiennent que l'article 1er de la loi déférée, en interdisant la libre discussion de faits historiques, porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression et de communication garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi qu'à la liberté de la recherche et au libre exercice, par les partis politiques, de leur activité.

Faute d'être justifiée par des raisons sérieuses d'ordre public, la disposition contestée méconnaîtrait également, selon les auteurs des saisines, le principe de nécessité des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789.

B. Ces griefs ne pourront être retenus par le Conseil constitutionnel.

  1. Ainsi que le rappellent les requérants, il résulte d'une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel que la liberté d'expression et de communication garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés.

Il n'en résulte pas pour autant que soit proscrite toute atteinte à l'exercice de cette liberté, qui doit être conciliée avec d'autres exigences de valeur constitutionnelle, dès lors que cette atteinte est nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi (v., en dernier lieu, la décision n° 2011-131 QPC du 20 mai 2011, cons. 3). Et, au nombre des objectifs de valeur constitutionnelle susceptible de justifier une telle restriction, figurent la sauvegarde de l'ordre public et de la liberté d'autrui (v. la décision n° 2001-450 DC du 11 juillet 2001, cons. 16).

Au cas d'espèce, l'incrimination, par l'article 1er de la loi déférée, de la négation de certains génocides est justifiée par de tels objectifs et n'excède pas ce qui est nécessaire pour les atteindre.

D'une part, en effet, le crime de génocide, tel qu'il est défini par l'article 211-1 du code pénal, se singularise, outre par la gravité des agissements concernés, par un élément spécifique tenant à ce que ces agissements doivent avoir été commis « en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire ». Nier l'existence d'un génocide, lorsque la réalité de celui-ci est établie, c'est donc, nécessairement, jeter l'opprobre sur un groupe déterminé dont les membres sont, au moins implicitement, désignés comme les auteurs d'un mensonge collectif.

Le négationnisme, quelles qu'en soient les motivations, est donc généralement, fût-ce de manière indirecte, une incitation à la discrimination, qui, eu égard au trouble à l'ordre public qui en résulte, ne peut pas davantage être tolérée que la provocation ouverte à un tel comportement réprimée par le huitième alinéa de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881. Au-delà, contester ou minimiser un crime de génocide, c'est également, en vertu d'un paradoxe qui n'est qu'apparent, le justifier, ce qui apparente ce comportement à une forme larvée d'apologie qui, là encore, mérite d'être réprimée à l'instar de l'apologie pure et simple mentionnée au cinquième alinéa du même article 24.

Dans sa décision sur la recevabilité du 24 juin 2003 dans l'affaire Garaudy c France (n° 6583201), la Cour européenne des droits de l'homme a d'ailleurs relevé, pour écarter toute violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, que « la contestation de crimes contre l'humanité appara[issait] comme l'une des formes les plus aiguës de diffamation raciale envers les Juifs et d'incitation à la haine à leur égard » et que « la négation ou la révision de faits historiques de ce type remett[aient] en cause les valeurs qui fondent la lutte contre le racisme et l'antisémitisme et sont de nature à troubler gravement l'ordre public ».

D'autre part, et en tout état de cause, le négationnisme est, en lui-même, une atteinte à la mémoire des victimes et à la dignité de leurs descendants qui, comme l'injure ou la diffamation, doit pouvoir être réprimée, dans certaines circonstances, au nom de la préservation de l'ordre public, notamment de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation, qui est un principe à valeur constitutionnelle (v. la décision n° 94-343344 DC du 27 juillet 1994, cons. 2), et de la liberté d'autrui.

Le Gouvernement entend d'ailleurs souligner qu'il existe, en la matière, un consensus à l'échelle de l'Union européenne, lequel s'est traduit par l'adoption de la décision-cadre 2008913JAI du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal, dont l'article 1er fait obligation à chaque État membre, sous certaines réserves et conditions, de réprimer, notamment, l'apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide.

Sans doute l'article 1er de la loi déférée ne précise-t-il pas, à l'instar de la décision-cadre, qui vise également les autres crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, que la négation des crimes de génocide n'est passible de poursuites que « lorsque le comportement est exercé d'une manière qui risque d'inciter à la violence ou à la haine à l'égard d'un groupe de personnes ou d'un membre d'un tel groupe ». La raison en est que la formulation expresse d'une réserve en ce sens n'apparaissait pas s'imposer, dès lors qu'un tel risque peut être regardé comme consubstantiel à la contestation du crime de génocide, pour les raisons qui ont été indiquées précédemment. Elle est toutefois, pour cette raison même, inhérente à l'économie de la disposition soumise à l'examen du Conseil constitutionnel. Comme la Cour d'arbitrage de Belgique a eu l'occasion de le souligner à propos de dispositions ayant une portée similaire à celles de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, en effet, « qu'il s'agisse de nier le génocide, de l'approuver, de chercher à le justifier ou de le minimiser grossièrement, les agissements érigés en infraction par la loi présentent ce trait commun qu'il n'est guère concevable de les adopter sans vouloir, ne fût-ce qu'indirectement, réhabiliter une idéologie criminelle et hostile à la démocratie et sans vouloir, par la même occasion, offenser gravement une ou plusieurs catégories d'êtres humains » (arrêt n° 45-96 du 12 juillet 1996, B.7.10).

Dans ces conditions, l'article 1er de la loi déférée ne peut être regardé comme portant une atteinte excessive à la liberté d'expression et de communication, que soient en cause des particuliers ou les membres des partis politiques, auxquels la Constitution ne réserve, à cet égard, aucun traitement particulier. Pour les mêmes raisons, il ne méconnaît pas le principe de nécessité des peines énoncé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, étant souligné à nouveau, au surplus, que le législateur a pris soin, en subordonnant les poursuites à une reconnaissance législative préalable, de se donner les moyens de constater, au cas par cas, la nécessité de réprimer la négation de tel ou tel crime de génocide.

  1. L'article 1er de la loi déférée n'a pas davantage pour effet de restreindre de façon arbitraire la libre expression des enseignants-chercheurs, qui résulte d'une exigence constitutionnelle (v. la décision n° 93-322 DC du 28 juillet 1993, cons. 7), et, d'une manière générale, ne porte aucune atteinte à la liberté de la recherche historique.

D'une part, en effet, le délit prévu par la disposition critiquée ne sera constitué, ainsi qu'il a été dit plus haut, que si les faits contestés ou minimisés de façon outrancière sont reconnus, par la juridiction saisie des poursuites, comme constitutifs du crime de génocide au sens de l'article 211-1 du code pénal. Seule pourra donc être poursuivie la négation de faits dont cette juridiction constatera qu'ils sont établis au-delà de toute contestation par le consensus des historiens ainsi que, le cas échéant, par les pièces produites devant elle.

D'autre part, à l'instar du comportement réprimé par l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, tel qu'interprété par la Cour de cassation, la contestation ou la minimisation outrancière d'un crime de génocide ne sera passible des sanctions prévues par l'article 1er de la loi déférée que si celle-ci est faite de mauvaise foi (v. Cass. crim., 17 juin 1997, préc.). L'auteur d'un travail répondant aux exigences d'objectivité et de sérieux de la recherche historique, aussi iconoclaste qu'en soient les conclusions, ne pourra donc en aucun cas être poursuivi sur le fondement de ces dispositions.

La loi déférée ne saurait donc être regardée comme de nature à entraver le développement de la recherche historique sur les crimes compris dans son champ d'application.

IV. SUR LE GRIEF TIRÉ DE LA MÉCONNAISSANCE DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ

A. Les auteurs des saisines soutiennent que l'article 1er de la loi déférée consacre une double différence de traitement qui n'est pas justifiée par l'objectif de lutte contre le négationnisme que s'est assigné le législateur : entre le crime de génocide et les autres crimes contre l'humanité, d'une part ; entre les génocides reconnus par la loi française et ceux qui ne le sont pas, alors même qu'ils auraient été reconnus par des juridictions, d'autre part.

Ils en déduisent que les dispositions contestées sont contraires au principe constitutionnel d'égalité.

B. Ce grief n'est pas davantage fondé que les précédents.

D'une part, en effet, ainsi qu'il a été rappelé plus haut, le crime de génocide se singularise, au sein des crimes contre l'humanité, par un élément intentionnel spécifique, qui donne à la négation d'un tel crime une portée particulière. Eu égard à cette différence de situation, l'article 1er de la loi déférée a pu, sans méconnaître le principe d'égalité, comprendre dans son champ d'application les seuls crimes de génocide, à l'exclusion des autres crimes contre l'humanité ou encore des crimes de guerre.

D'autre part, en ce qui concerne les crimes de génocide, et indépendamment de ceux dont la contestation est d'ores et déjà réprimée par l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, le législateur a pu, sans erreur manifeste d'appréciation, estimer, d'une part, qu'il était particulièrement nécessaire de réprimer la négation du génocide arménien de 1915, eu égard tant à l'ampleur, en ce qui le concerne, du phénomène négationniste qu'au grand nombre de descendants des victimes de ce crime qui vivent sur le sol français, et qu'il était désormais possible de le faire eu égard à la place occupée par ce génocide dans la mémoire collective républicaine, dont témoigne le consensus ayant présidé à l'adoption de la loi du 29 janvier 2001.

L'article 1er de la loi déférée n'est donc en rien contraire au principe constitutionnel d'égalité

Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans les saisines ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.