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Décision n° 2012-258 QPC du 22 juin 2012 - Décision de renvoi CE

Établissements Bargibant S.A. [Nouvelle-Calédonie - Validation - Monopole d'importation des viandes]
Conformité - réserve

Conseil d'État

N° 356339
Publié au recueil Lebon
10ème et 9ème sous-sections réunies
M. Philippe Martin, président
M. Nicolas Labrune, rapporteur
Mme Delphine Hedary, rapporteur public
SCP MONOD, COLIN ; SCP ANCEL, COUTURIER-HELLER, MEIER-BOURDEAU, avocats

lecture du mercredi 11 avril 2012
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le jugement n° 11313 du 31 janvier 2012, enregistré le 31 janvier 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par lequel le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, avant de statuer sur la demande des ETABLISSEMENTS BARGIBANT SA tendant à l'annulation de la décision du 27 juillet 2011 par laquelle le directeur régional des douanes de Nouvelle-Calédonie a rejeté leurs demandes d'importation de viande bovine, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la loi du pays n° 2011-6 du 17 octobre 2011 portant validation des actes pris en application des articles 1er et 2 de la délibération n° 116/CP du 26 mai 2003 relative à la régulation des importations de viandes et abats en Nouvelle-Calédonie ;

Vu le mémoire, enregistré le 16 décembre 2011 au greffe du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, présenté pour les ETABLISSEMENTS BARGIBANT SA, dont le siège est 25, rue Georges Claude, ZI Ducos, BP 2994 à Nouméa (98846 Cedex), en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 61-1 et son titre XIII ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu l'accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998 ;

Vu la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ;

Vu la loi du pays n° 2011-6 du 17 octobre 2011 portant validation des actes pris en application des articles 1er et 2 de la délibération n° 116/CP du 26 mai 2003 relative à la régulation des importations de viandes et abats en Nouvelle-Calédonie ;

Vu la délibération n° 116/CP du 26 mai 2003 relative à la régulation des importations de viandes et abats en Nouvelle-Calédonie ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Labrune, Auditeur,
- les observations de la SCP Monod, Colin, avocat des ETABLISSEMENTS BARGIBANT SA et de la SCP Ancel, Couturier-Heller, Meier-Bourdeau, avocat du président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie,
- les conclusions de Mme Delphine Hedary, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Monod, Colin, avocat des ETABLISSEMENTS BARGIBANT SA et à la SCP Ancel, Couturier-Heller, Meier-Bourdeau, avocat du président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ;

Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 107 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie : « Les dispositions d'une loi du pays peuvent faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité, qui obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-12 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. » ;

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

Considérant que les articles 1er et 2 de la délibération n° 116/CP du 26 mai 2003 ont confié à l'office de commercialisation et d'entreposage frigorifique l'exclusivité de l'importation en Nouvelle-Calédonie des viandes et abats des espèces bovines, porcines, ovines, caprines, chevalines et des cervidés ;

Considérant qu'aux termes de l'article unique de la loi du pays n° 2011-6 du 17 octobre 2011 : « Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les actes réglementaires et individuels pris en application des articles 1er et 2 de la délibération n° 116/CP du 26 mai 2003 relative à la régulation des importations de viandes et abats en Nouvelle-Calédonie sont validés en tant que leur légalité serait contestée par le moyen tiré de ce que l'exclusivité que ces dispositions confèrent à l'office de commercialisation et d'entreposage frigorifique pour importer des viandes et abats des espèces bovines, porcines, ovines, caprines, chevalines et cervidés porterait au principe de liberté du commerce et de l'industrie une atteinte excessive qui ne serait pas justifié par un motif d'intérêt général suffisant » ;

Considérant que, pour demander au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la loi du pays n° 2011-6 du 17 octobre 2011, les ETABLISSEMENTS BARGIBANT SA soutiennent que ses dispositions méconnaissent les principes de la séparation des pouvoirs et du droit à un recours juridictionnel garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions de l'article 107 de la loi organique du 19 mars 1999 qu'il appartient au Conseil d'Etat de se prononcer sur le caractère législatif ou réglementaire des dispositions d'une loi du pays de Nouvelle-Calédonie ;

Considérant qu'il résulte des articles 22 et 99 de la loi organique du 19 mars 1999 qu'afin de respecter l'équilibre des compétences transférées de façon définitive à la Nouvelle-Calédonie en application de l'article 77 de la Constitution, le congrès de la Nouvelle-Calédonie peut, seul, valider par une loi du pays, dans un but d'intérêt général, un acte réglementaire ou individuel dès lors que cette validation intervient dans un domaine ressortissant à l'une de ces compétences définitivement transférées et énumérées à l'article 22 de la loi organique, même si les dispositions ainsi validées ne relèvent pas des matières mentionnées à l'article 99 de la loi organique ;

Considérant que les actes administratifs validés par la loi du pays contestée ressortissent à des matières réservées à la Nouvelle-Calédonie par l'article 22 de la loi organique du 19 mars 1999 ; qu'il résulte de ce qui précède que la loi du pays contestée est intervenue avec force législative pour valider ces actes ; que, par suite, elle est au nombre des dispositions visées par le deuxième alinéa de l'article 107 de la loi organique ; qu'elle est en conséquence susceptible de faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité ;

Considérant, en second lieu, que la loi du pays n° 2011-6 du 17 octobre 2011 est applicable au litige dont est saisi le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ; que cette disposition n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce qu'elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution soulève une question présentant un caractère sérieux ; qu'ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;

D E C I D E :

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de la loi du pays n° 2011-6 du 17 octobre 2011 est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : La présente décision sera notifiée aux ETABLISSEMENTS BARGIBANT SA, au congrès de la Nouvelle-Calédonie représenté par son président et au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie représenté par son président.
Copie en sera adressée pour information au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, au Premier ministre et au tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie.