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Décision n° 2011-632 DC du 23 juin 2011 - Observations du gouvernement

Loi fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région
Non conformité totale

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, d'un recours contre la loi fixant le nombre des conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I/ SUR LA PROCEDURE D'ADOPTION DE LA LOI

A/ Les députés auteurs de la saisine soutiennent que la loi déférée a été adoptée à l'issue d'une procédure irrégulière, dans la mesure où, ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales, le projet de loi dont elle est issue aurait dû être soumis en premier au Sénat par application de l'article 39, alinéa 2, de la Constitution.

B/ Le Gouvernement ne partage pas ce point de vue. En effet, le projet de loi dont est issue la loi déférée ne peut être regardé comme ayant eu « pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales » au sens de l'article 39, alinéa 2, de la Constitution.

1/ Il convient en premier lieu de souligner que le régime électoral des assemblées délibérantes des collectivités territoriales n'est pas au nombre des règles relatives à l'organisation de ces collectivités au sens de ces dispositions.

Ceci résulte sans aucune ambiguïté des travaux préparatoires de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, dont sont issues les dispositions actuellement en vigueur de l'article 39, alinéa 2, de la Constitution. Ainsi, M. Pascal Clément, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale et rapporteur du projet de loi constitutionnelle, s'est exprimé, au cours de la première séance du 22 novembre 2002, dans les termes suivants : « Il est parfaitement clair - je le souligne pour que cela figure dans les travaux préparatoires - que les modes de scrutin ne sont pas concernés puisqu'ils sont traités non par ce code [le code général des collectivités territoriales], mais par le code électoral ». Au cours de la même séance, le garde des sceaux, M. Dominique Perben, avait, quant à lui, tenu à « rappeler […] que la Constitution sépare toujours les règles d'organisation et de fonctionnement du régime électoral », de sorte que, plus largement, il était, selon lui, « tout à fait clair que l'expression »organisation des collectivités territoriales« ne couvr[ait] pas les régimes électoraux ». Cette interprétation a été réitérée devant le Sénat (séance du 11 décembre 2002).

Une lecture a contrario du cinquième alinéa de l'article 74 de la Constitution confirme d'ailleurs que, dans le texte constitutionnel, la notion d'organisation d'une collectivité territoriale exclut le régime électoral de l'assemblée délibérante de celle-ci. Selon cet alinéa, en effet, la loi organique fixe, pour chaque collectivité d'outre-mer, « les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la collectivité et le régime électoral de son assemblée délibérante » : c'est donc bien que ce régime électoral n'est pas au nombre des règles d'organisation et de fonctionnement de l'assemblée.

Ainsi, il n'est pas contestable qu'une loi relative au régime électoral des conseils généraux et des conseils régionaux ne pourrait être regardée comme ayant pour objet l'organisation des départements et des régions au sens de l'article 39, alinéa 2, de la Constitution.

2/ Or la répartition des sièges de conseiller territorial entre les départements de chaque région française, qui constitue l'objet principal de la loi déférée, est partie intégrante du régime électoral des conseils généraux et régionaux. En effet, ce régime va au-delà de la seule détermination du mode de scrutin.

Plusieurs articles de la Constitution recourent à la notion de « régime électoral » à laquelle se réfèrent les travaux préparatoires de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003. En particulier, l'article 34 prévoit, en son septième alinéa, que la loi fixe « le régime électoral des assemblées parlementaires, des assemblées locales et des instances représentatives des Français établis hors de France ». Or il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu'au nombre des règles concernant le régime électoral des assemblées parlementaires et des assemblées locales, au sens de cet article, « figurent notamment celles qui sont relatives à l'attribution du droit de suffrage, à l'éligibilité, au mode de scrutin [et] à la répartition des sièges » (décision n° 62-20 L du 4 décembre 1962, cons. 1). Ainsi, en particulier, la « délimitation des circonscriptions électorales » est une composante du régime électoral des assemblées concernées (décision n° 86-208 DC du 2 juillet 1986, cons. 7).

Il n'est pas douteux, au vu de cette jurisprudence, que la répartition des sièges de conseiller territorial entre les départements de chaque région française, sur des bases essentiellement démographiques, est une opération qui relève pleinement du régime électoral des conseils généraux et régionaux, et qui n'a sa place dans la loi déférée, comme le relève d'ailleurs, à propos des dispositions de même objet qui figuraient dans la loi de réforme des collectivités territoriales, le commentaire aux Cahiers de la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010 (p. 8), qu'en vertu du septième alinéa de l'article 34 de la Constitution. La principale exigence constitutionnelle à laquelle doit satisfaire cette répartition est d'ailleurs le respect du principe d'égalité devant le suffrage, qui constitue l'une des pierres angulaires du droit constitutionnel électoral. Ainsi le Conseil constitutionnel a-t-il rappelé, dans sa décision du 9 décembre 2010, au soutien d'un dispositif déclarant contraire à la Constitution la répartition des sièges de conseiller territorial initialement adoptée par le législateur, « qu'il résulte des articles 1er, 24 et 72 de la Constitution que l'organe délibérant d'un département ou d'une région de la République doit être élu sur des bases essentiellement démographiques selon une répartition des sièges et une délimitation des circonscriptions électorales respectant au mieux l'égalité devant le suffrage » (cons. 38).

Or la loi déférée a pour objet principal la répartition des sièges de conseiller territorial entre les départements de chaque région française, en vue de remédier aux atteintes à l'égalité devant le suffrage ayant conduit le Conseil constitutionnel à déclarer contraire à la Constitution la répartition initialement adoptée par le législateur : elle est donc principalement relative au régime électoral des conseils généraux et des conseils régionaux.

3/ Sans doute cette opération de répartition s'accompagne-t-elle de la fixation du nombre de membres de chaque conseil régional et de chaque conseil général. Mais ceci ne saurait suffire à faire regarder la loi déférée comme ayant pour objet principal l'organisation des régions et des départements - notion qui, d'après les travaux préparatoires de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, doit s'entendre au sens que lui donne le code général des collectivités territoriales.

D'une part, en effet, il est clair que la fixation du nombre des membres de chaque conseil général est une simple conséquence de l'opération de répartition des sièges attribués à chaque région : elle ne saurait donc remettre en cause la conclusion selon laquelle l'objet principal de la loi déférée est bien le régime électoral des conseils généraux et régionaux. Quant au fait que le législateur ait choisi de retenir un nombre minimal de quinze conseillers par département, il n'est pas davantage de nature à infirmer cette conclusion, car ce correctif traduit précisément, ainsi que le Conseil constitutionnel l'a relevé dans sa décision du 9 décembre 2010 (cons. 39), le souci que la fixation du nombre de membres de ces assemblées ne fasse en aucune manière obstacle à la bonne application des dispositions législatives régissant par ailleurs leur fonctionnement. Ainsi le législateur s'est-il assuré que l'entrée en vigueur de loi déférée demeurerait sans influence sur l'application de ces dernières dispositions, qui figurent aux articles L. 3121-7 et suivants du code général des collectivités territoriales (siège, règlement intérieur, conditions de réunion et de tenue des séances, modalités d'adoption des délibérations, droit d'information des membres, formation des commissions et des groupes d'élus du conseil général) et ont incontestablement trait, quant à elles, à l'organisation du département au sens de l'article 39, alinéa 2, de la Constitution.

D'autre part, s'il est intellectuellement possible de distinguer la fixation du nombre des conseillers territoriaux de chaque région et la répartition ultérieure des sièges correspondants entre les départements de cette région, force est de reconnaître que, en l'absence de règle de niveau supérieur fixant ce nombre (comme c'est le cas pour les assemblées parlementaires), cette fixation apparaît, là encore, comme un corollaire, davantage que comme un point de départ, de l'opération de répartition. Il n'est pas sans intérêt de relever, à cet égard, que, à l'heure actuelle, c'est le code électoral, et non le code général des collectivités territoriales, qui détermine la composition des conseils généraux et des conseils régionaux (v., respectivement, les articles L. 191 et L. 337 du code électoral). Ce choix de codification traditionnel montre bien à quel point la fixation du nombre des membres d'une assemblée délibérante a toujours été conçue par le législateur comme indissociable de la détermination de son régime électoral.

Ainsi, si le gouvernement n'entend pas soutenir que la fixation de l'effectif des assemblées délibérantes des collectivités départementales et régionales est entièrement étrangère aux règles d'organisation et de fonctionnement de ces assemblées, il estime qu'elle n'est pas dissociable de l'opération de répartition des sièges entre les départements de chaque région qui, quant à elle, est, d'après la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, partie intégrante du régime électoral des assemblées en question. Or il importe de rappeler qu'il résulte clairement des travaux préparatoires de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 que le constituant a entendu que soit interprété strictement le champ d'application de la dérogation, qui résulte de la nouvelle rédaction que cette loi constitutionnelle a donnée à l'article 39, alinéa 2, de la Constitution, à la liberté de choix, par le gouvernement, de l'assemblée qu'il saisit en premier des projets de loi.

Dans ces conditions, le gouvernement estime que le projet de loi dont est issue la loi déférée ne pouvait être regardé comme ayant « pour objet principal » l'organisation des collectivités départementale et régionale au sens de ces dernières dispositions, et qu'il a donc pu, sans que celles-ci soient méconnues, être soumis en premier à l'Assemblée nationale.

II/ SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DU PRINCIPE D'EGALITE DEVANT LE SUFFRAGE

A/ Les députés requérants soutiennent que la loi déférée méconnaît le principe d'égalité devant le suffrage, dans la mesure où la fixation du nombre de conseillers territoriaux par région à laquelle elle procède révèle, pour certaines régions, des écarts excessifs, en ce qui concerne le nombre de personnes représentées par chaque conseiller, par rapport à la moyenne nationale.

B/ Ce grief devra également être écarté.

En effet, le principe d'égalité devant le suffrage, qui implique, comme le rappelle la décision du Conseil constitutionnel du 9 décembre 2010, que l'organe délibérant d'un département ou d'une région de la République soit élu sur des bases essentiellement démographiques, ne saurait être utilement invoqué à l'appui d'une contestation de la fixation du nombre des conseillers territoriaux de chaque région, dès lors que ces conseillers n'ont pas vocation à constituer, au niveau national, une assemblée unique. Le grief apparaît donc, de l'avis du gouvernement, inopérant.

À supposer même que les requérants aient entendu invoquer, plus généralement, le principe d'égalité devant la loi, le gouvernement entend faire valoir qu'il ne résulte nullement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que ce principe exige que la fixation de l'effectif de l'assemblée délibérante de chacune des collectivités d'une même catégorie doive obéir essentiellement à des considérations d'ordre démographique. Les écarts par rapport à la moyenne nationale, en ce qui concerne le nombre de personnes représentées par les conseillers territoriaux de chaque région, que relèvent les requérants, ne sont donc pas, par eux-mêmes, de nature à établir l'existence d'une rupture de l'égalité devant la loi.

D'ailleurs, dans sa décision du 9 décembre 2010, le Conseil constitutionnel, s'il a remis en cause, au regard du principe d'égalité devant le suffrage, la répartition des sièges de conseillers territoriaux entre les départements de certaines régions, n'a pas jugé nécessaire, comme il en avait le pouvoir, de relever d'office que la différence de traitement résultant de la fixation du nombre de conseillers de chaque région revêtirait, compte tenu des exigences du principe d'égalité devant la loi, un caractère manifestement disproportionné.

Dans ces conditions, le gouvernement estime que le grief ne pourra qu'être écarté.

Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans la saisine ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.