Contenu associé

Décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 - Réplique par 60 sénateurs

Loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité
Non conformité partielle

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,

Les observations du Gouvernement sur le recours dirigé contre la loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, appellent en réplique les remarques suivantes de la part des députés et sénateurs socialistes.

Parce que d'une manière générale les requérants ne sont pas convaincus par les arguments en défense avancés par le gouvernement, ils maintiennent l'ensemble des griefs contenus dans leur requête initiale.

Sans qu'il soit nécessaire de revenir sur tous les moyens qui demeurent valides, certains éléments appellent les considérations suivantes.

SUR L'ARTICLE 4

Les requérants s'interrogent sur la pertinence de l'argument du gouvernement selon lequel la disposition en cause « poursuit une finalité exclusivement statistique ».

En effet, s'il n'est pas difficile d'envisager - sans toutefois préjuger de son opportunité - ce que pourrait être le contenu de données statistiques indiquant la part des français possédant une ou plusieurs autres nationalités, il est en revanche beaucoup moins aisé de mesurer l'utilité statistique de déterminer la part de ces mêmes français selon qu'ils entendent conserver ou non leur(s) autre(s) nationalité(s), alors que, comme indiqué dans la saisine initiale, cet élément relève non pas de la volonté des personnes concernées, mais des législations des Etats dont elles possèdent par ailleurs la nationalité.

SUR L'ARTICLE 10

Les requérants ne peuvent souscrire aux arguments du Gouvernement pour la bonne et simple raison que ce dernier fait dire à la disposition en cause ce que précisément elle ne dit pas.

Ainsi, il indique que le fait qu'un groupe d'étrangers vient d'arriver sur le territoire « résultera normalement de sa découverte à proximité d'une frontière extérieure ». Or cette exigence que la découverte se fasse « à proximité d'une frontière maritime ou terrestre » avait bien été introduite par le Sénat en première lecture, mais elle a justement été ensuite supprimée. Le Gouvernement ne saurait dès lors l'invoquer à bon droit.

Il indique ensuite que la durée de la zone d'attente concernée sera limitée dans le temps, « sans possibilité de renouvellement ». Or là aussi, rien dans le texte qui vous est déféré n'exclut cette possibilité de renouvellement.
Il prétend également que seuls les étrangers membres d'un groupe seront concernés par le nouveau régime, et non ceux qui, bien que se trouvant dans le périmètre de la zone d'attente concernée, n'appartiennent pas audit groupe. Mais aucun élément objectif qui permettrait de distinguer un étranger d'un autre étranger dans ce périmètre ne vient à l'appui de sa prétention. Par cette assertion non étayée, il ne fait que donner corps au risque d'arbitraire évoqué par les requérants dans leur saisine initiale.

Enfin les requérants s'étonnent que le Gouvernement n'ait pas pris la peine de répondre au grief de l'atteinte au principe d'indivisibilité de la République. Cela les conforte néanmoins dans l'opinion que ce moyen devrait utilement prospérer.

SUR LES ARTICLES 12 ET 57

Les requérants donnent acte au Gouvernement d'admettre que « s'il apparaissait que l'étranger a été dans l'impossibilité d'invoquer une irrégularité antérieure à la première audience lors de celle-ci, il devrait pouvoir le faire lors de la seconde ».

Il appartiendra cependant à votre haute juridiction d'exprimer une réserve en ce sens, afin que cette interprétation des dispositions concernées s'impose effectivement, conformément au troisième alinéa de l'article 62 de la Constitution, « à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».

SUR L'ARTICLE 13

Le gouvernement reconnaît que l'existence de garanties de représentation n'impose pas la remise en liberté d'une personne placée en zone d'attente, mais « peut suffire » à cette remise en liberté. Comme les requérants l'indiquaient dans leur saisine initiale, il s'agit bien là d'une simple faculté.

Or la privation de cette faculté pour le Juge des libertés et de la détention (JLD) de justement décider de la remise en liberté d'une personne porte une atteinte manifeste à son office, contraire à l'article 66 de la Constitution et au droit à un recours effectif.

A cet argument précis, pourtant développé par les auteurs de la requête initiale, le Gouvernement n'a pas répondu.

SUR LES ARTICLES 16 ET 58

Contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement, l'expérience n'a pas démontré que le délai de 4 heures pour former un appel suspensif est à l'origine de sa faible utilisation par le ministère public. Il ressort en effet clairement, comme indiqué dans la saisine initiale, que cela résulte de raisons structurelles.

Par surcroit, le rapport Mazeaud invoqué par le Gouvernement ne disait pas autre chose, et surtout, il ne proposait pas d'allonger le délai pendant lequel l'appel pouvait être formé, mais de modifier le moment où ce délai commençait à courir, à savoir la notification au procureur de la décision du JLD, et non le prononcé de cette décision.

SUR L'ARTICLE 33

En relevant que, « déjà, à la vérité, la portée du texte actuel (…) n'exige nullement que les deux conjoints soient mus par une intention frauduleuse », le Gouvernement ne fait rien d'autre que reconnaître expressément l'absence de nécessité de la nouvelle disposition pourtant requise par l'article 8 de la Déclaration de 1789, et, par voie de conséquence, l'erreur manifeste d'appréciation commise par le législateur en l'adoptant.

SUR L'ARTICLE 37

Quant au risque de fuite, le Gouvernement semble faire abstraction de l'avis du Conseil d'Etat rendu le 21 mars 2011 (n° 345978 et 346612) selon lequel les points 1 °, 2 ° et 4 ° du II de l'actuel article L. 511-1 du CESEDA, qui correspondent aux a), b), et c) du point 3 de l'article L. 511-1-II ici en cause, ne méconnaissaient pas la directive « retour », à condition que la mesure soit « assortie d'un délai de retour approprié à la situation de l'intéressé et supérieur à sept jours ».

Ce considérant est néanmoins de nature à rendre manifeste l'erreur de transposition de la directive « retour » dont se défend le Gouvernement.

Quant au fait que l'interdiction de retour ne relèverait pas selon le Gouvernement de l'article 8 de la Déclaration de 1789, les requérants s'en tiennent à votre jurisprudence qui a qualifié sans détour l'interdiction de territoire de sanction ayant le caractère d'une punition (93-325 DC du 13 août 1993, cons. 48-49).

Ce caractère punitif est ici d'autant plus manifeste que l'interdiction prononcée ne vaut pas pour le seul territoire Français, mais pour l'ensemble du territoire de l'Union européenne.

Enfin le Gouvernement indique que l'interdiction de retour ne fait pas « obstacle à ce qu'un étranger qui aurait fait l'objet d'une telle mesure présente à la frontière une demande d'admission sur le territoire national au titre de l'asile ».

Encore une fois il fait dire à la loi ce qu'elle ne dit pas. Si c'est effectivement l'interprétation qu'il faut retenir de cette disposition, alors il appartiendra à votre haute juridiction, si elle ne la censure pas, d'émettre une réserve en ce sens.

SUR LES ARTICLES 44 ET 47

Le Gouvernement donne raison aux requérants en admettant que l'article L. 551-1 du CESEDA devrait être interprété comme donnant la priorité à l'assignation à résidence sur la rétention administrative.

Mais c'est précisément ce que la loi ne dit pas, puisqu'elle fait de l'assignation une simple alternative à la rétention, et en aucun cas une mesure qui doit être envisagée en priorité.

Cet aveu du Gouvernement conforte ainsi le grief tiré de l'erreur de transposition manifeste de la directive « retour » énoncé dans la saisine initiale.

Quant à l'assignation à résidence en tant que telle, le Gouvernement se méprend sur les arguments avancés par les requérants.

Il ressort en effet clairement de la saisine initiale que le manquement à l'article 66 de la Constitution ne résulte pas de l'absence de contrôle judiciaire sur l'assignation à résidence elle-même, mais de l'absence de contrôle judiciaire sur les actes préalables à son prononcé (arrestation, contrôle d'identité, garde à vue).

SUR LES ARTICLES 48 ET 51

Les requérants ne peuvent que s'étonner du parallèle que tente d'établir le Gouvernement entre les étrangers en situation irrégulière et les personnes attentes de troubles mentaux en se référant à votre décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010.

Si cette décision est en l'espèce pertinente, c'est uniquement en ce qu'elle rappelle que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible », et que seules des considérations spécifiques aux personnes concernées ont pu justifier un délai supérieur à 48 heures sans intervention du juge judiciaire. C'est ce qui ressort clairement de votre considérant selon lequel : « toutefois, les motifs médicaux et les finalités thérapeutiques qui justifient la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux hospitalisées sans leur consentement peuvent être pris en compte pour la fixation de ce délai » (cons. 25).

Quant aux interventions des juges administratifs et judiciaires, le Gouvernement s'arcboute sur l'idée que l'intervention du juge administratif devrait être préalable à celle du juge judiciaire, au mépris du rôle dévolu à chaque ordre de juridictions.

Contrairement à ce qu'il affirme, l'intervention préalable du juge judiciaire ne prive en aucun cas d'effet utile celle du juge administratif. En effet, ce dernier peut être saisi, conformément à l'article 34 de la loi, en plus de la décision de placement en rétention, de l'Obligation de quitter le territoire, de la décision de refus de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination, et de l'interdiction de retour.

Or même si le JLD décide de la non prolongation de la rétention, la décision du juge administratif gardera tout son effet si elle vient à valider l'ensemble de ces décisions qui pourront par la suite faire l'objet d'une exécution, sans pouvoir être à nouveau contestées.

Quant à l'argument selon lequel le régime de la garde à vue et de la rétention administrative sont distincts, il ne saurait prospérer. A suivre ce raisonnement en effet, il suffirait de faire se suivre des privations de liberté de courte durée selon des régimes distincts pour échapper à tout contrôle du juge judiciaire.

Votre haute juridiction ne s'y est d'ailleurs pas trompée en jugeant que le régime de mise à la disposition de la justice pour une durée de 20 heures, fut-il distinct de celui de la garde à vue, exigeait néanmois l'intervention d'un magistrat du siège lorsque la garde à vue avait duré 48 heures (2010-80 QPC du 17 décembre 2010, cons. 11).

SUR L'ARTICLE 56

Le Gouvernement avance que ce sont 20 à 30 % des procédures de reconduite à la frontière qui échouent en raison d'une délivrance des laissez-passer consulaires tardive. Ce n'est pourtant absolument pas ce qui ressort du dernier rapport Comité interministériel de contrôle de l'immigration qui indique que pour 2009, sur 12219 laissez-passer demandés, 3823 ont été obtenus, 3870 refusés, et seulement 404 obtenus hors délai, soit 3,3 % (p. 78).

SUR L'ARTICLE 94

Vous ne pourrez vous rendre aux arguments du Gouvernement selon lequel l'article 94 n'a pas pour objet de transposer la directive « retour ».

Comme il l'est indiqué dans le commentaire aux Cahiers de votre décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, « l'identification d'une loi de transposition au sens de l'article 88-1 de la Constitution est parfois rendue aisée par les termes mêmes de la loi si celle-ci indique elle-même qu'elle transpose ou qu'une partie de ses dispositions transpose une directive », et, « en l'absence d'indication par le législateur, le Conseil constitutionnel utilise le texte de la directive invoquée en le comparant à la loi déférée, ainsi qu'un faisceau d'indices tels que les travaux préparatoires de la loi (exposé des motifs, rapports, débats) ou des décisions juridictionnelles afin de déterminer si la disposition législative entre dans le champ de transposition de la directive ».

Or, primo, il ne saurait être contesté que la loi qui vous est soumise a, tout au moins en partie, vocation à transcrire dans le droit interne ladite directive.

Et, secundo, comme l'indique l'exposé des motifs du projet de loi initiale, cet article en particulier est une disposition de « coordination » des nouvelles dispositions du CESEDA qui mettent directement en œuvre la directive « retour ». Pour s'en convaincre, il suffit de relever que l'article 94 se réfère à l'interdiction de retour dont il n'est pas contestable qu'elle découle de la directive.

Mais, de manière plus générale, les requérants attirent votre attention sur le caractère potentiellement pernicieux de l'argumentation que vous soumet le Gouvernement.

En effet, à suivre son raisonnement, on aboutirait à ce qu'une disposition législative qui serait tellement manifestement contraire à la directive qu'elle transpose ne pourrait être regardée comme ayant pour objet de la transposer. Cela reviendrait à assimiler le manquement à l'obligation de transposition à une absence de transposition, alors même qu'il vous appartient de vérifier que « la loi de transposition ne contredise ni les dispositions ni l'objectif général de la directive qu'elle a pour objet de transposer » (commentaire aux Cahiers précité de votre décision n° 2008-564 DC).