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Décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 - Observations du gouvernement

Loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité
Non conformité partielle

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité.

Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I/ SUR LA PROCEDURE D'ADOPTION DE LA LOI

A/ Les députés requérants soutiennent que, faute qu'elle ait été convoquée dans les dix jours suivant le dépôt du projet de loi, la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale n'a pas été mise en mesure de se prononcer sur l'étude d'impact jointe à ce projet, en violation de l'article 9 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

Ils estiment également que la fixation, en première lecture à l'Assemblée nationale, d'un « temps législatif programmé » manifestement insuffisant, et le refus par la Conférence des présidents d'accorder un temps supplémentaire, ont privé les députés de leur droit d'expression et d'amendement et méconnu les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.

B/ Le Gouvernement ne partage pas ce point de vue.

1/ En ce qui concerne le grief relatif au contenu de l'étude d'impact jointe au projet de loi, il sera observé que, si l'article 9 de la loi organique du 15 avril 2009 prévoit, conformément à l'article 39, alinéa 4, de la Constitution, que la Conférence des présidents de l'assemblée sur le bureau de laquelle le projet de loi a été déposé « dispose d'un délai de dix jours suivant le dépôt » pour constater que les règles relatives notamment à cette étude d'impact ont été méconnues, ces dispositions n'imposent nullement que la Conférence se réunisse systématiquement, en toute hypothèse, dans le délai de dix jours. Sa réunion ne pourrait en effet être regardée comme obligatoire que dans le cas où le Président de l'Assemblée nationale aurait été saisi, en temps utile, d'une demande d'un président de groupe tendant à ce que la Conférence soit réunie afin d'exercer les compétences qui lui sont reconnues par les mêmes dispositions, comme le prévoit l'article 47, paragraphe 2, du règlement de l'Assemblée nationale.

Or, au cas d'espèce, le projet de loi et l'étude d'impact l'accompagnant ont été mis en ligne sur le site de l'Assemblée nationale dès le vendredi 2 avril 2010 et rendus disponibles sur papier au service de la distribution le 6 avril au matin, laissant ainsi un délai suffisant aux membres de la Conférence des présidents pour, le cas échéant, contester la conformité de l'étude d'impact aux prescriptions de la loi organique du 15 avril 2009. Ils ont d'ailleurs eu la possibilité de le faire à l'occasion de la réunion de cette conférence qui, contrairement à ce qui est soutenu par les députés requérants, s'est tenue le 6 avril 2010, soit dans les dix jours du dépôt du projet de loi.

Enfin, s'il est vrai que le président du groupe « socialiste, radical, citoyen et divers gauche » a contesté l'étude d'impact dans un courrier parvenu à la présidence de l'Assemblée nationale le 12 avril suivant, cette demande était tardive. En effet, le délai de dix jours imparti par l'article 9 de la loi organique du 15 avril 2009 n'est suspendu, conformément au second alinéa de cet article, que dans le cas où le Parlement n'est pas en session. Or le Parlement était à l'époque en session, la circonstance que l'Assemblée nationale a interrompu ses travaux pendant la période du 12 au 25 avril 2010 étant sans incidence à cet égard.

2/ En ce qui concerne le grief tiré des conditions dans lesquelles a été mise en œuvre, en première lecture à l'Assemblée nationale, la procédure dite du « temps législatif programmé », les députés requérants rappellent à juste titre que le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision n° 2009-581 DC du 25 juin 2009, que, « lorsqu'une durée maximale est décidée pour l'examen de l'ensemble d'un texte, cette durée ne saurait être fixée de telle manière qu'elle prive d'effet les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire ». Dans le cas où la durée maximale initialement fixée se révèlerait insuffisante au regard de ces exigences, l'article 49, paragraphe 12, du règlement de l'Assemblée nationale permet ainsi à la Conférence des présidents d'augmenter celle-ci.

Au cas d'espèce, toutefois, les députés requérants ne démontrent pas que la durée maximale initialement fixée pour l'examen du projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité était, eu égard à la teneur de ce projet, manifestement insuffisante. En particulier, la seule circonstance que les membres du groupe « socialiste, radical, citoyen et divers gauche » ont épuisé leur temps de parole au cours de la deuxième séance du 7 octobre 2010, qui était la treizième consacrée à l'examen du projet de loi, ne suffit pas à apporter une telle démonstration. Elle traduit seulement, de l'avis du Gouvernement, le choix fait par les députés membres de ce groupe de consacrer une part substantielle du temps qui leur était imparti à la discussion de certains articles du projet de loi examinés lors des séances précédentes. Que ce choix se traduise par une réduction corrélative du temps dont les députés concernés ont disposé lors de la discussion des articles suivants est une conséquence inhérente à la logique même du « temps législatif programmé ».

Les députés requérants font certes valoir que la durée maximale initialement fixée n'a pas été augmentée pour tenir compte, notamment, de l'accroissement substantiel du volume du projet de loi lors de son examen en commission. Ils soulignent, à cet égard, que le président du groupe « socialiste, radical, citoyen et divers gauche » a demandé en vain au Président de l'Assemblée nationale, par un courrier du 4 octobre 2010, l'augmentation de la durée maximale d'examen du projet de loi.

Toutefois, alors que, à deux reprises, cette question aurait pu être abordée en Conférence des présidents, conformément à l'article 49, paragraphe 12, du règlement de l'Assemblée nationale, aucun représentant du groupe « socialiste, radical, citoyen et divers gauche » n'a participé à ces réunions.

Dans ces conditions, le Gouvernement estime que les conditions dans lesquelles a été mise en oeuvrela procédure du « temps législatif programmé » n'ont pas porté atteinte aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, non plus qu'au droit d'expression et d'amendement des députés.

II/ SUR L'ARTICLE 2

A/ Les auteurs des saisines font grief au législateur d'avoir, par l'article 2 de la loi déférée, méconnu l'étendue de sa compétence en renvoyant à un décret en Conseil d'État, à l'article 21-24 du code civil, le soin d'approuver la charte des droits et devoirs du citoyen français que tout candidat à la naturalisation doit signer.

B/ Ce grief ne pourra être retenu par le Conseil constitutionnel.

Il n'est certes pas contestable que, dans son principe, l'obligation faite à tout candidat à la naturalisation de signer la charte des droits et devoirs du citoyen français, qui constitue une condition d'acquisition de la nationalité française, relève du domaine de la loi, à laquelle l'article 34 de la Constitution réserve la compétence pour fixer les règles concernant la nationalité.

Le législateur pouvait en revanche, sans méconnaître l'étendue de sa compétence, renvoyer au pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge administratif, le soin de mettre en oeuvrecette règle en approuvant la charte, dès lors qu'il en avait lui-même déterminé le contenu avec une précision suffisante. En effet, la disposition litigieuse prévoit que la charte des droits et devoirs du citoyen français devra se borner à rappeler les « principes, valeurs et symboles essentiels de la République française ». La charte, dont la rédaction sera confiée à un conseil composé de parlementaires, de juristes ou encore d'historiens, ne pourra donc contenir que le rappel de principes ou symboles consacrés par le droit positif - notamment au niveau constitutionnel - et de valeurs dont ce droit constitue indiscutablement l'expression.

L'approbation d'un tel document, qui ne met en cause aucune règle ou principe dont la fixation ressortit au législateur, pouvait ainsi être confiée à un décret en Conseil d'État.

III/ SUR L'ARTICLE 4

A/ L'article 4 de la loi déférée insère dans le code civil un article 21-27-1 selon lequel : « Lors de son acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique ou par déclaration, l'intéressé indique à l'autorité compétente la ou les nationalités qu'il possède déjà, la ou les nationalités qu'il conserve en plus de la nationalité française ainsi que la ou les nationalités auxquelles il entend renoncer. » Les auteurs des saisines soutiennent que ces dispositions instituent entre les Français, selon qu'ils se sont vu attribuer la nationalité française à leur naissance ou l'ont acquise postérieurement, une différence de traitement contraire à la Constitution, et qu'elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elles imposent aux intéressés une obligation qui ne dépend pas de leur volonté.

B/ Ces griefs ne sont pas fondés.

D'une part, en effet, la disposition contestée a pour seul objet de favoriser une meilleure connaissance du phénomène des nationalités multiples à l'occasion des démarches qu'accomplissent nécessairement les ressortissants étrangers souhaitant acquérir la nationalité française, que ce soit par décision de l'autorité publique ou par déclaration. Or, au regard de cet objet, il existe, entre ces ressortissants, qui accomplissent une démarche volontaire, et les Français de naissance qui possèdent par ailleurs la nationalité d'un ou plusieurs autres États, une différence de situation objective justifiant la différence de traitement critiquée.

D'autre part, il ressort clairement des travaux parlementaires que la formalité déclarative en question, qui poursuit une finalité exclusivement statistique et n'implique nullement, contrairement à ce que suggèrent les requérants, que les personnes concernées s'engagent à renoncer à la ou aux autres nationalités qu'elles possèdent, n'est en aucune manière une condition d'acquisition de la nationalité française.

Le législateur n'a donc, ni méconnu le principe d'égalité, ni commis d'erreur manifeste d'appréciation.

IV/ SUR L'ARTICLE 10

A/ L'article 10 de la loi déférée complète l'article L. 221-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui détermine les conditions dans lesquelles sont délimitées les zones d'attente, par un alinéa ainsi rédigé : « Lorsqu'il est manifeste qu'un groupe d'au moins dix étrangers vient d'arriver en France en dehors d'un point de passage frontalier, en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d'au plus dix kilomètres, la zone d'attente s'étend, pour une durée maximale de vingt-six jours, du ou des lieux de découverte des intéressés jusqu'au point de passage frontalier le plus proche. »

Les auteurs des saisines soutiennent que ces dispositions, par leur manque de précision, méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, et créent ainsi un risque d'arbitraire dans leur application, de nature notamment à porter atteinte au droit d'asile et à l'égalité entre les demandeurs d'asile.

Ils soutiennent également qu'elles portent atteinte au principe d'indivisibilité de la République, en permettant la création de zones d'attente en dehors du tout rattachement géographique à un point de passage frontalier.

B/ Le Gouvernement estime que les principes invoqués n'ont nullement été méconnus par les dispositions contestées.

Ces dispositions ont pour seul objet de permettre l'application du régime de droit commun de la zone d'attente aux étrangers qui, généralement à l'initiative de « passeurs », franchissent les frontières, en groupe, en dehors des points de passage frontaliers auxquels ils auraient normalement dû se présenter. Le législateur a ainsi entendu tenir en échec les stratégies de « passeurs » qui, en organisant de telles arrivées groupées, s'efforcent de contourner le régime de franchissement des frontières dites « extérieures » de l'« espace Schengen » mis en place au niveau européen.

L'application de ce nouveau dispositif, qui consiste non pas à transformer en zones d'attente de vastes portions du territoire national mais à permettre l'application du régime de la zone d'attente aux personnes qui auront contourné les procédures d'admission sur le territoire national, est subordonnée, par la loi déférée, à de strictes conditions.

Ainsi, ce régime ne pourra être mis en oeuvrequ'en cas d'arrivée sur le sol français d'un groupe d'au moins dix étrangers, sinon en un point unique des frontières extérieures, du moins en un ensemble de lieux distants d'au plus dix kilomètres. Il faudra en outre qu'il soit établi que ce groupe « vient d'arriver » en France, ce qui résultera normalement de sa découverte à proximité d'une frontière extérieure : la disposition critiquée prévoit d'ailleurs expressément le rattachement de la zone d'attente au point de passage frontalier le plus proche. La durée de cette zone d'attente est au surplus limitée dans le temps, puisqu'elle ne pourra excéder vingt-six jours, sans possibilité de renouvellement : seule l'arrivée d'un nouveau groupe d'étrangers en dehors d'un point de passage frontalier pourra justifier la création d'une nouvelle zone. Le respect de ces conditions sera naturellement contrôlé, le cas échéant, par le juge.

Par ailleurs, l'application du régime juridique de la zone d'attente concernera les seuls étrangers membres du groupe qui aura justifié sa création, et non les autres étrangers en situation irrégulière qui pourraient se trouver dans le périmètre défini par l'autorité administrative compétente : contrairement à ce qui est suggéré par les requérants, le dispositif critiqué ne pourra donc en aucun cas être utilisé pour éluder le recours aux mesures d'éloignement forcé prévues, en cas d'entrée ou de séjour irrégulier, par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Enfin, le régime applicable aux étrangers maintenus dans ces zones d'attente ne présentera aucune spécificité par rapport au régime de droit commun résultant actuellement des articles L. 221-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et garantira aux intéressés des droits strictement identiques.

En particulier, le traitement des demandes d'admission sur le territoire au titre de l'asile (procédure dite de l'« asile à la frontière ») sera assuré selon les modalités prévues par les articles L. 213-2 et suivants du code. Ainsi, si la demande d'asile n'est pas manifestement infondée, l'étranger sera admis sur le territoire afin d'être mis en mesure de présenter sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dans l'hypothèse inverse, il disposera, contre le refus d'admission, du recours suspensif prévu par l'article L. 213-9 du code.

Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu par les requérants, la mise en oeuvrede la disposition contestée ne portera atteinte en aucune manière au droit d'asile.

V/ SUR LES ARTICLES 12 ET 57

A/ L'article 12 complète l'article L. 222-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui définit les conditions dans lesquelles le juge des libertés et de la détention statue sur les demandes de maintien d'un étranger en zone d'attente, par un alinéa ainsi rédigé : « A peine d'irrecevabilité, prononcée d'office, aucune irrégularité antérieure à l'audience relative à la première prolongation du maintien en zone d'attente ne peut être soulevée lors de l'audience relative à la seconde prolongation ». L'article 57 apporte la même précision en ce qui concerne l'office du juge des libertés et de la détention statuant sur une demande de seconde prolongation de la rétention d'un étranger en instance d'éloignement.

Les requérants soutiennent que ces dispositions portent atteinte au droit des intéressés à un recours juridictionnel effectif. À titre subsidiaire, ils demandent au Conseil constitutionnel de juger que la « purge des nullités » ainsi organisée ne trouverait pas à s'appliquer dans le cas où des éléments attestant de l'existence d'une irrégularité antérieure à la première audience n'auraient été révélés que postérieurement à celle-ci.

B/ Le Gouvernement entend souligner d'emblée que les dispositions critiquées se bornent à donner force de loi à une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, selon laquelle sont irrecevables, à l'occasion de l'instance ayant pour objet la seconde prolongation de la rétention, les moyens de nullité tirés d'irrégularités antérieures à la décision juridictionnelle ayant statué sur la première demande de prolongation (v. Cass. civ. 2e, 18 décembre 1996, n° 95-50096, Bull. civ. II, n° 296 ; 12 novembre 1997, n° 96-50101, Bull. civ. II, n° 268 ; 18 mars 1998, n° 97-50029 ; 29 mars 2001, n° 00-50072 ; 6 juin 2002, n° 00-50083).

Le Gouvernement estime que cette jurisprudence, qui organise, en substance, une spécialisation des rendez-vous successifs devant le juge des libertés et de la détention, ne porte aucune atteinte au droit des personnes concernées à un recours juridictionnel effectif. En effet, si les irrégularités antérieures à la première audience ne peuvent plus être soulevées lors de la seconde, c'est précisément parce qu'elles ont pu l'être lors de la première.

Il va de soi, néanmoins, que s'il apparaissait que l'étranger a été dans l'impossibilité d'invoquer une irrégularité antérieure à la première audience lors de celle-ci, il devrait pouvoir le faire lors de la seconde.

VI/ SUR L'ARTICLE 13

A/ Le 2 ° de l'article 13 insère dans l'article L. 222-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui définit les conditions dans lesquelles le juge des libertés et de la détention statue sur les demandes de maintien d'un étranger en zone d'attente, un alinéa ainsi rédigé : « L'existence de garanties de représentation de l'étranger n'est pas à elle seule susceptible de justifier le refus de prolongation de son maintien en zone d'attente. »

Les requérants soutiennent que ces dispositions violent le principe de liberté individuelle.

B/ Le Gouvernement ne partage pas ce point de vue.

En adoptant les dispositions critiquées, le législateur a entendu remédier à une conséquence paradoxale de la jurisprudence selon laquelle, le maintien en zone d'attente n'étant qu'une faculté pour l'administration, la circonstance qu'un étranger ayant fait l'objet d'un refus d'admission sur le territoire justifie de garanties de représentation, résultant d'un passeport ou d'un hébergement, peut suffire à justifier le rejet de la demande de prolongation (v. par ex. Cass. civ. 2e, 8 juillet 2004, n° 03-50096, Bull. civ. II, n° 363 ; 21 février 2002, n° 00-50079, Bull. civ. II, n° 23).

Ce raisonnement se justifie lorsqu'est en jeu la prolongation de la rétention administrative, dans la mesure où, même si l'existence de garanties de représentation conduit à remettre l'intéressé en liberté, ceci ne remet pas en cause dans son principe la décision d'éloignement sur le fondement de laquelle le placement en rétention avait été décidé. Une telle approche est en revanche problématique dans le cas où il s'agit de maintenir un étranger en zone d'attente. En effet, le refus de prolongation a nécessairement pour conséquence, dans ce cas, l'admission de l'intéressé sur le territoire national, ce qui, concrètement, prive d'effet la décision administrative par laquelle cette admission lui avait été refusée, alors même qu'il ne remplit pas les conditions légales pour entrer en France - lesquelles, il faut le souligner, résultent en grande partie, aujourd'hui, du droit de l'Union européenne (en particulier du règlement n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes).

Une telle conséquence se justifie, par exemple, lorsque l'intéressé n'a pas bénéficié, à l'occasion de son maintien en zone d'attente, des garanties prévues par les textes, ou encore lorsque l'administration n'a pas accompli les diligences nécessaires à son départ dans les meilleurs délais. Elle ne saurait en revanche, sans qu'il soit porté atteinte dans son principe même à la possibilité de maintenir en zone d'attente les étrangers ne remplissant pas les conditions d'entrée en France, résulter de la seule circonstance que l'intéressé fait état de garanties de représentation.

Dans ces conditions, le Gouvernement estime que les dispositions critiquées, qui n'interdisent pas au juge des libertés et de la détention de prendre en compte, parmi d'autres éléments, les garanties de représentation de l'étranger, ne portent aucune atteinte inconstitutionnelle à la liberté d'aller et de venir, eu égard notamment au fait que, comme le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de le relever à propos des « zones de transit », le maintien en zone d'attente « n'entraîne pas à l'encontre de l'intéressé un degré de contrainte sur sa personne comparable à celui qui résulterait de son placement dans un centre de rétention » (décision n° 92-307 DC du 25 février 1992, cons. 14).

VII/ SUR LES ARTICLES 16 ET 58

A/ L'article 16 de la loi déférée porte de quatre à six heures le délai pendant lequel l'étranger dont le juge des libertés et de la détention a mis fin au maintien en zone d'attente est maintenu à la disposition de la justice afin de permettre au ministère public de demander au premier président de la cour d'appel ou à son délégué de déclarer suspensif son recours contre l'ordonnance rendue en première instance. L'article 58 fait de même en ce qui concerne le recours du ministère public contre les ordonnances mettant fin à la rétention.

Selon les requérants, ces dispositions, qui allongent le délai pendant lequel l'intéressé est maintenu à la disposition de la justice au-delà de ce qui est strictement nécessaire à l'exercice par le ministère public de ses prérogatives, méconnaissent par là-même les dispositions de l'article 66 de la Constitution.

B/ Le Gouvernement estime que ce grief n'est pas fondé.

Ainsi que le rappellent les requérants, le Conseil constitutionnel a expressément admis la conformité à la Constitution des dispositions aujourd'hui codifiées, en ce qui concerne le maintien en rétention, à l'article L. 552-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, eu égard notamment à la circonstance que la possibilité de demander qu'un caractère suspensif soit conféré à l'appel est reconnue au parquet, qui est partie intégrante de l'autorité judiciaire au sens de l'article 66 de la Constitution (v. les décisions n° 97-389 DC du 22 avril 1997, cons. 56 et s., et n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, cons. 72 et s.). Cette conformité doit a fortiori être admise en ce qui concerne le maintien en zone d'attente, dont il a été rappelé précédemment que, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il « n'entraîne pas à l'encontre de l'intéressé un degré de contrainte sur sa personne comparable à celui qui résulterait de son placement dans un centre de rétention » (décision n° 92-307 DC du 25 février 1992, cons. 14).

Certes, les décisions précitées rappellent le principe selon lequel « il résulte de l'article 66 de la Constitution que, lorsqu'un magistrat du siège a, dans la plénitude des pouvoirs que lui confère son rôle de gardien de la liberté individuelle, décidé par une décision juridictionnelle qu'une personne doit être mise en liberté, il ne peut être fait obstacle à cette décision, fût-ce dans l'attente, le cas échéant, de celle du juge d'appel ». Le Gouvernement ne peut donc que souscrire à l'affirmation des requérants selon laquelle le délai pendant lequel l'étranger qui bénéficie d'une ordonnance refusant la prolongation de son maintien en zone d'attente ou en rétention est maintenu à la disposition de la justice ne doit pas excéder ce qui est nécessaire à l'exercice par le ministère public de la prérogative qui lui a été reconnue, en conformité avec la Constitution, de demander que soit conféré à son appel un caractère suspensif.

L'expérience a toutefois démontré que le délai actuellement prévu par la loi est en réalité insuffisant pour permettre au ministère public, d'une part, de confronter l'ensemble des éléments du dossier à la décision du juge des libertés et de la détention afin d'apprécier l'opportunité de demander le bénéfice de l'appel suspensif, d'autre part, de motiver sa demande dans les conditions fixées par la loi. Cette difficulté, particulièrement lorsque de nombreuses affaires sont portées au rôle des audiences du juge des libertés et de la détention, a été soulignée par le rapport de la commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d'immigration, présidée par M. Pierre Mazeaud (pp. 90-91), qui a relevé qu'elle compromettait l'objectif de lutte contre l'immigration irrégulière, lequel participe de la sauvegarde de l'ordre public, qui est une exigence de valeur constitutionnelle (v. la décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, cons. 23). En effet, comme le même rapport le constate, « un appel non suspensif est privé d'effet pratique ».

Dans ces conditions, l'allongement du délai de quatre à six heures, qui laisse intactes l'ensemble des autres garanties qui avaient été relevées par le Conseil constitutionnel dans ses décisions des 22 avril 1997 et 20 novembre 2003, n'excède pas ce qui, compte tenu des conditions concrètes d'exercice de ses fonctions par le ministère public, est nécessaire pour assurer l'effectivité de la prérogative qui lui a été reconnue par les dispositions que modifient les articles contestés.

Le Gouvernement estime donc que le grief soulevé par les requérants n'est pas fondé.

VIII/ SUR LES ARTICLES 26, 40 ET 70

A/ L'article 26 de la loi déférée modifie le 11 ° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatif aux conditions de délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité. L'article 40 tire les conséquences de cette modification à l'article L. 511-4 du même code, qui énumère les catégories d'étrangers ne pouvant faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Le III de l'article 70 fait de même en ce qui concerne, d'une part, les catégories d'étrangers ne pouvant faire l'objet d'une mesure d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes (art. L. 521-3), et, d'autre part, les conditions dans lesquelles les étrangers malades ayant fait l'objet d'un arrêté d'expulsion non exécuté peuvent être assignés à résidence (art. L. 523-4).

Les requérants estiment que ces dispositions méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, en ce que, tout en subordonnant la délivrance de plein droit d'une carte de séjour temporaire ou la protection contre une mesure d'éloignement à l'« absence » d'un traitement approprié dans le pays d'origine de la personne concernée, elles permettent à l'autorité administrative de s'affranchir de cette condition en cas de « circonstance humanitaire exceptionnelle ». Selon les auteurs des saisines, cette notion est d'une imprécision telle qu'elle engendrera nécessairement, entre les étrangers concernés, des différences de traitement injustifiées. Ils soutiennent également que la procédure selon laquelle l'existence d'une telle circonstance sera constatée ne garantit pas le respect du secret des informations à caractère médical transmises par les intéressés.

B/ Ces critiques ne sont pas fondées.

1/ Il importe d'abord de rappeler que, dans sa rédaction actuelle, le 11 ° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile subordonne la délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à deux conditions cumulatives : d'une part, l'état de santé de l'étranger concerné doit nécessiter une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; d'autre part, l'intéressé ne doit pas pouvoir « effectivement bénéficier » d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire. Ces conditions sont reprises aux articles L. 511-4, L. 521-3 et L. 523-4 du même code.

Jusqu'à récemment, la seconde condition était interprétée, par la jurisprudence administrative, comme s'entendant de l'inexistence, dans le pays d'origine de l'intéressé, du traitement que son état de santé nécessite, c'est-à-dire que l'étranger ne pouvait utilement faire valoir les difficultés d'ordre géographique ou financier faisant obstacle, le cas échéant, à un accès effectif aux soins (v. notamment Conseil d'État, 13 février 2008, n° 297518). Ceci n'interdisait pas à l'intéressé, toutefois, de faire valoir, devant l'administration, que, à titre exceptionnel, des circonstances de cette nature justifiaient que lui soit tout de même délivré un titre de séjour, ou qu'une mesure d'éloignement ne puisse être prise à son encontre.

Par deux décisions de Section du 7 avril 2010 (n° 301640 et n° 316625), le Conseil d'État a toutefois fait évoluer sa jurisprudence en posant en principe que, si des possibilités de traitement approprié existent dans le pays d'origine de l'étranger, mais que l'intéressé fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à l'autorité administrative, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement du traitement en cause.

En raison de son caractère systématique, l'obligation ainsi mise à la charge de l'administration est apparue porteuse à la fois de risques pour les finances publiques et génératrice de complexités administratives. Par les dispositions contestées, le législateur a ainsi entendu revenir à l'état antérieur de la jurisprudence administrative, tout en formalisant et en encadrant le pouvoir de régularisation de l'administration en cas de « circonstance humanitaire exceptionnelle ». Compte tenu notamment du contexte jurisprudentiel qui vient d'être rappelé, ces dispositions ne souffrent, contrairement à ce qui est soutenu, d'aucune imprécision et ne méconnaissent pas, dès lors, l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

D'une part, en effet, la notion d'« absence » d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'étranger renvoie à ce qu'était l'état du droit et de la pratique administrative antérieurement aux décisions du 7 avril 2010. Il en résulte notamment que, comme le ministre chargé de l'immigration l'a rappelé à plusieurs reprises au cours des débats parlementaires, les dispositions contestées ne remettent pas en cause les directives données depuis plusieurs années par le ministère de la santé en vue d'une appréciation réaliste de l'existence, dans les pays en développement, des traitements de certaines pathologies graves. Ainsi, par exemple, comme l'indiquent les circulaires de la direction générale de la santé de 2005 et de 2010, qui demeureront d'actualité, il n'est pas encore possible de dire que les traitements antirétroviraux contre l'infection par le VIH existent dans les pays en développement.

D'autre part, la notion de « circonstance humanitaire exceptionnelle », en dépit de nuances de formulation, se retrouve dans de nombreux textes nationaux ou internationaux relatifs notamment au droit des étrangers (v. par exemple, en ce qui concerne la possibilité pour un État membre de l'espace Schengen d'admettre sur son territoire pour des « motifs humanitaires » un ressortissant d'un pays tiers ne remplissant pas les conditions d'entrée fixées par le droit de l'Union européenne, l'article 5, paragraphe 4, sous c) du règlement n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes). Au cas d'espèce, elle permettra ainsi à l'administration de prendre en compte, sous le contrôle du juge, les « particularités de la situation personnelle » de l'étranger auxquelles font référence les décisions du Conseil d'État du 7 avril 2010, qu'elles tiennent à la nature de la pathologie dont il est atteint ou aux difficultés spécifiques d'accès aux soins qu'il serait susceptible de rencontrer en cas de retour dans son pays d'origine.

Comme il est d'usage, des directives seront adressées aux préfets afin d'encadrer l'exercice du pouvoir d'appréciation qui leur est ainsi reconnu par le législateur, tout en préservant l'exigence d'un examen au cas par cas de la situation des étrangers concernés. L'obligation faite aux préfets de recueillir l'avis du directeur général de l'agence régionale de santé contribuera également à l'harmonisation des pratiques en la matière. Dans ces conditions, le Gouvernement estime infondée la crainte, exprimée par les requérants, d'un traitement différent des étrangers concernés selon le point du territoire où leur situation sera examinée.

2/ En ce qui concerne ensuite le respect du secret médical, l'obligation faite au préfet de prendre en compte, après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, la « circonstance humanitaire exceptionnelle » éventuellement avancée par l'étranger concerné, n'a nullement pour objet ou pour effet de lui permettre d'avoir accès à des informations couvertes par le secret qui auraient été antérieurement recueillies par le médecin de l'agence régionale de santé ou, à Paris, par le médecin, chef du service médical de la préfecture de police. En effet, c'est à l'intéressé, et à lui seul, lorsqu'il entend faire état d'une telle circonstance, d'apprécier les éléments qu'il entend porter à la connaissance du préfet.

À cet égard, la situation ne différera en rien de ce qu'elle est aujourd'hui à la suite des décisions du Conseil d'État du 7 avril 2010. Ces décisions imposent d'ores et déjà au préfet, en effet, d'apprécier, sur la base des éléments transmis par l'étranger concerné, la possibilité pour ce dernier d'accéder effectivement, dans son pays d'origine, aux soins que nécessite son état de santé. Le rapporteur public avait d'ailleurs relevé, à cet égard, que la question du respect du secret médical était résolue par la circonstance que « ce n'est qu'à la demande de l'étranger et à partir des éléments qu'il aura[it] fournis pour étayer ses allégations que la question de l'accessibilité sera[it] examinée ».

Bien évidemment, tant le préfet que le directeur général de l'agence régionale de santé et leurs subordonnés seront tenus, quant aux informations à caractère médical qui pourront, le cas échéant, leur être soumises par l'étranger, au respect du secret professionnel.

Dans ces conditions, le Gouvernement estime que les dispositions contestées ne portent atteinte ni au secret médical, ni, plus largement, au droit des personnes concernées au respect de leur vie privée.

IX/ SUR L'ARTICLE 33

A/ Le premier alinéa de l'article L. 623-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose, dans sa rédaction actuellement en vigueur, que : « Le fait de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d'une protection contre l'éloignement, ou aux seules fins d'acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. » L'article 33 de la loi déférée complète ces dispositions par une phrase selon laquelle : « Ces peines sont également encourues lorsque l'étranger qui a contracté mariage a dissimulé ses intentions à son conjoint. »

Selon les requérants, cette dernière disposition est constitutive d'une « rupture manifeste d'égalité entre les nationaux et les étrangers », dans la mesure où elle vise l'étranger qui a cherché à obtenir sa régularisation en France tout en exonérant le Français qui, le cas échéant, a cherché à lui faire obtenir cette régularisation.

B/ Telle n'est toutefois pas la portée de la disposition contestée.

En effet, les dispositions actuellement en vigueur de l'article L. 623-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne sont pas modifiées par la disposition contestée, incriminent le fait de contracter mariage aux seules fins, non seulement d'obtenir, mais aussi de faire obtenir l'un des avantages qu'elles énumèrent. Par conséquent, le ressortissant, français ou étranger, qui, demain, contractera mariage avec un ressortissant étranger aux fins de lui faire obtenir l'un de ces avantages se rendra, comme aujourd'hui, passible des peines prévues par cet article. Le grief articulé par les requérants manque donc en fait.

En réalité, l'article 33 de la loi déférée a pour seule portée de préciser que le conjoint qui, en contractant mariage, a exclusivement cherché à obtenir pour lui-même l'un des avantages énumérés par l'article L. 623-1, et qui, par construction, est nécessairement un ressortissant étranger, tombe sous le coup de l'incrimination édictée par cet article alors même que son conjoint, français ou étranger, est, quant à lui, animé par une intention matrimoniale sincère.

Telle est déjà, à la vérité, la portée du texte actuel, qui n'exige nullement que les deux conjoints soient mus par une intention frauduleuse, et dont la conformité à la Constitution a été reconnue par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 (cons. 43). Il n'en était pas moins loisible au législateur, ainsi qu'il l'a fait par la disposition contestée, de lever toute ambiguïté à cet égard.

Il n'a, ce faisant, porté aucune atteinte au principe d'égalité.

X/ SUR L'ARTICLE 37

A/ L'article 37 de la loi déférée récrit entièrement l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans sa nouvelle rédaction, cet article prévoit, en son I, les cas dans lesquels un étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Le II dispose que, pour satisfaire à cette obligation, l'étranger dispose en principe d'un délai de trente jours à compter de la notification de celle-ci, mais que l'autorité administrative peut, par décision motivée, décider que l'intéressé est obligé de quitter sans délai le territoire français dans certaines hypothèses. Enfin, le III précise les cas et conditions dans lesquels l'autorité administrative peut assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur ce territoire, d'une durée maximale de trois ans.

Les requérants soutiennent, en premier lieu, que les a), b), c) et f) du 3 ° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de l'article 37 de la loi déférée, qui définissent des cas dans lesquels le risque que l'étranger se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français doit, sauf circonstance particulière, être tenu pour établi, ce qui justifie qu'aucun délai de départ volontaire ne lui soit accordé, sont manifestement incompatibles avec la notion de « risque de fuite » figurant dans la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

Les requérants estiment, en deuxième lieu, que l'interdiction de retour dont peut être assortie l'obligation de quitter le territoire français constitue une sanction qui, d'une part, est manifestement disproportionnée aux comportements qu'elle a pour objet de réprimer, et dont, d'autre part, le prononcé n'est entouré par la loi déférée d'aucune des garanties applicables en pareille hypothèse, notamment le respect des droits de la défense.

Ils soutiennent enfin, en troisième lieu, que, en faisant obstacle à l'accès au territoire national, l'interdiction de retour porte atteinte à l'exercice effectif du droit d'asile.

B/ Aucun de ces griefs ne pourra être retenu par le Conseil constitutionnel.

1/ En ce qui concerne, d'abord, le grief tiré d'une mauvaise transposition de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, le Gouvernement entend rappeler à titre liminaire que, si les dispositions contestées ont bien pour objet de transposer cette directive, c'est seulement en cas d'incompatibilité manifeste qu'il appartiendrait au Conseil constitutionnel de constater une violation de l'article 88-1 de la Constitution, dont découle l'exigence constitutionnelle de transposition des directives en droit interne (v., en dernier lieu, la décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010, cons. 17 à 19).

Au cas d'espèce, les dispositions contestées du II de l'article L. 511-1 ont pour objet de mettre en oeuvrela faculté ouverte par l'article 7, paragraphe 4, de la directive du 16 décembre 2008, selon lequel : « S'il existe un risque de fuite […], les États membres peuvent s'abstenir d'accorder un délai de départ volontaire ou peuvent accorder un délai inférieur à sept jours. » D'après l'article 3, sous 7), de la même directive, le « risque de fuite » s'entend du « fait qu'il existe des raisons, dans un cas particulier et sur la base de critères objectifs définis par la loi, de penser qu'un ressortissant d'un pays tiers faisant l'objet de procédures de retour peut prendre la fuite ».

Ces objectifs ont été pleinement mis en oeuvrepar le législateur.

Ainsi, d'une part, le 3 ° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile définit, sur la base de critères objectifs, six hypothèses dans lesquelles le risque de soustraction à la mesure d'éloignement doit en principe être regardé comme établi. Le législateur s'est, en substance, attaché à identifier les cas dans lesquels l'étranger a eu un comportement ne permettant pas l'établissement d'une relation de confiance avec l'administration. Il en va ainsi lorsqu'il a, par le passé, enfreint la réglementation, en entrant ou en se maintenant irrégulièrement sur le territoire sans demander un titre de séjour ou sans que le titre demandé lui ait été accordé ; il en va également ainsi lorsque l'intéressé s'est déjà soustrait à une précédente mesure d'éloignement ou a tenté de se maintenir en France par fraude ; il en va de même, enfin, en l'absence de garanties de représentation, par exemple parce que l'étranger ne justifie pas de la possession d'un titre de voyage permettant son rapatriement vers son pays d'origine ou parce qu'il a dissimulé son identité à l'autorité administrative.

D'autre part, il résulte des termes mêmes des dispositions contestées que, même lorsque les conditions objectives ainsi énoncées sont remplies, la présomption qu'il existe un risque de fuite n'a pas un caractère irréfragable, et est susceptible d'être renversée par les « circonstances particulières » que l'examen individuel de chaque cas pourra faire apparaître.

Ces dispositions ne sauraient ainsi être regardées comme manifestement incompatibles avec les dispositions précitées de la directive du 16 décembre 2008.

2/ En ce qui concerne, ensuite, l'interdiction de retour, le Gouvernement ne partage pas l'avis des requérants selon lequel celle-ci serait constitutive d'une sanction ayant le caractère d'une punition, à laquelle seraient par suite applicables les principes constitutionnels régissant la matière répressive. Il s'agit en effet, en réalité, d'une mesure de police.

a) Le critère déterminant pour distinguer la sanction ayant le caractère de punition et la mesure de police doit être recherché dans l'objet de la mesure en cause. Or l'interdiction de retour n'a pas pour objet de réprimer l'irrégularité du séjour en France des étrangers à l'égard desquels a été prise une obligation de quitter le territoire français, mais de prévenir la réitération de comportements attentatoires, à des degrés divers, à l'ordre public.

En témoigne notamment la circonstance que le dernier alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit l'abrogation de plein droit de l'interdiction de retour dont a été assortie une obligation de quitter le territoire français lorsque celle-ci laissait à l'étranger un délai de départ volontaire et que l'intéressé s'est conformé à cette obligation dans le délai imparti. De ce fait, l'interdiction de retour ne pèsera, en définitive, que sur deux catégories d'étrangers :

- ceux, d'une part, qui ne se seront pas conformés dans le délai de départ volontaire à une obligation de quitter le territoire français ;

- ceux, d'autre part, qui auront fait l'objet d'une telle obligation non assortie d'un délai de départ volontaire, ce qui suppose, soit que leur comportement ait été regardé comme constitutif d'une menace pour l'ordre public, soit qu'ils se soient vu refuser la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour au motif que leur demande était manifestement infondée ou frauduleuse, soit enfin que leur comportement non coopératif ait d'emblée fait apparaître un risque de fuite.

C'est précisément la réitération de tels comportements que, au-delà du seul séjour irrégulier, l'interdiction de retour a pour objet de prévenir. Les dispositions contestées prévoient d'ailleurs expressément que la menace pour l'ordre public que représenterait le retour en France de l'intéressé est au nombre des critères à prendre en compte pour décider tant du principe que de la durée de l'interdiction de retour.

Cette interdiction se distingue donc nettement de l'interdiction du territoire d'une durée d'un an assortissant de plein droit les arrêtés de reconduite à la frontière que, par sa décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel avait regardée comme constitutive d'une sanction ayant le caractère d'une punition, contraire, en l'espèce, aux exigences de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. L'invocation par les requérants de cette disposition, ainsi que du principe du respect des droits de la défense, apparaît ainsi, en l'espèce, inopérante (v. en ce sens la décision n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001, cons. 40).

b) La mesure de police que constitue l'interdiction de retour doit en revanche être confrontée au principe, résultant de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel les libertés individuelles ne sauraient être entravées par une rigueur non nécessaire (v. par exemple les décisions n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, cons. 32, n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, cons. 74, et n° 2005-527 DC du 8 décembre 2005, cons. 16 et 21).

Tel n'est pas le cas en l'espèce.

Il importe en effet de souligner que, loin d'être automatique, l'interdiction de retour est une simple faculté pour l'autorité administrative, qui doit prendre la décision d'en assortir l'obligation de quitter le territoire français au cas par cas ; et il en va de même en ce qui concerne la fixation de sa durée, dans la limite des durées maximales fixées par le texte. Le législateur a indiqué les critères à prendre en compte à cet effet : il s'agit de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et, ainsi qu'il a été dit, de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Par ailleurs, il est expressément prévu que l'autorité administrative peut à tout moment abroger l'interdiction de retour, et cette abrogation, on l'a vu, est de droit lorsque l'obligation de quitter le territoire français laissait à l'étranger un délai de départ volontaire et que l'intéressé s'est conformé à cette obligation dans le délai imparti.

L'autorité administrative disposera donc, sous le contrôle du juge, des moyens d'adapter sa décision à chaque cas particulier. Dans ces conditions, il ne saurait être fait grief aux dispositions contestées de méconnaître l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

3/ Enfin, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les dispositions relatives à l'interdiction de retour ne font nullement obstacle à ce qu'un étranger qui aurait fait l'objet d'une telle mesure présente à la frontière une demande d'admission sur le territoire national au titre de l'asile, selon les modalités prévues par les articles L. 213-2 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'article 5 de la directive du 16 décembre 2008 prévoit d'ailleurs expressément que ses dispositions ne portent pas atteinte à l'obligation qu'ont les États membres de respecter le principe de non-refoulement.

Le grief tiré de la violation du droit d'asile devra donc également être écarté par le Conseil constitutionnel.

XI/ SUR LES ARTICLES 44 ET 47

A/ L'article 44 de la loi déférée récrit l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui fixe les cas et conditions dans lesquels un étranger peut être placé en rétention administrative. L'article 47, quant à lui, rétablit dans le livre V du même code un titre VI consacré à l'assignation à résidence.

Les requérants soutiennent, d'une part, que ces dispositions, qui n'imposent pas qu'il ne soit recouru au placement en rétention que lorsque l'assignation à résidence n'est pas envisageable, sont manifestement incompatibles avec le principe du recours prioritaire aux mesures les moins coercitives possibles qui résulte de l'article 15, paragraphe 1, de la directive du 16 décembre 2008.

Ils font valoir, d'autre part, que la possibilité offerte à l'autorité administrative d'assigner à résidence un étranger en instance d'éloignement, sans que soit prévue à aucun moment l'intervention du juge judiciaire, prive de garanties légales la liberté constitutionnelle d'aller et venir.

B/ Ces griefs pourront être écartés par le Conseil constitutionnel.

1/ En ce qui concerne, d'abord, les conditions auxquelles est subordonné le placement en rétention administrative d'un étranger en instance d'éloignement, c'est avec raison que les requérants rappellent que l'article 15, paragraphe 1, de la directive du 16 décembre 2008 ne permet le recours à cette mesure qu'à la condition que d'autres mesures moins coercitives ne puissent être appliquées efficacement.

Dans ces conditions, le Gouvernement estime que la disposition de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de l'article 44 de la loi déférée, selon laquelle le placement en rétention peut être prononcé « à moins [que l'étranger] ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561‑2 », doit être interprétée en ce sens que le placement en rétention n'est possible que si l'assignation à résidence n'est pas suffisante pour prévenir le risque que l'intéressé se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet.

Les dispositions critiquées ne sauraient dès lors être regardées comme manifestement incompatibles avec les dispositions de l'article 15, paragraphe 1, de la directive du 16 décembre 2008.

2/ En ce qui concerne, ensuite, les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction issue de l'article 47 de la loi déférée, celles-ci définissent les conditions dans lesquelles un étranger en instance d'éloignement peut, comme alternative à son placement en rétention, être assigné à résidence pour une durée maximale de quarante-cinq jours, renouvelable une fois.

Contrairement à ce que suggèrent les requérants, l'assignation à résidence dans les conditions prévues par les dispositions critiquées, qui ne constitue pas une mesure privative de liberté, n'entre pas dans le champ de l'article 66 de la Constitution, et ne nécessite pas, dès lors, l'intervention de l'autorité judiciaire. La circonstance que l'assignation à résidence constitue ici une alternative au placement en rétention ne modifie pas cette analyse.
Le législateur a donc pu, sans méconnaître aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle, s'abstenir de prévoir l'intervention du juge judiciaire pour prolonger ou renouveler la mesure d'assignation à résidence prise par l'autorité administrative, sous le contrôle du juge administratif.

XII/ SUR LES ARTICLES 48 ET 51

A/ Les articles 48 et 51 de la loi déférée organisent les recours qui peuvent être exercés par l'étranger qui a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français et à l'égard duquel a été prise une décision de placement en rétention administrative.

D'une part, selon le III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue des dispositions contestées, l'intéressé peut demander au président du tribunal administratif l'annulation de la décision de placement en rétention dans les quarante-huit heures suivant sa notification. Le même recours peut également être dirigé contre l'obligation de quitter le territoire français, ainsi que la décision refusant un délai de départ volontaire, la décision mentionnant le pays de destination et la décision d'interdiction de retour qui, le cas échéant, l'accompagnent, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention. Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne dispose alors d'un délai de soixante-douze heures pour statuer.

D'autre part, l'article 51 porte à cinq jours à compter de la décision de placement en rétention, au lieu de quarante-huit heures actuellement, le délai à l'issue duquel le juge des libertés et de la détention doit être saisi aux fins de prolongation de la rétention.

Selon les requérants, ce délai de cinq jours, qui ne peut être regardé comme « le plus court possible », contrairement aux exigences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, méconnaît les articles 66 de la Constitution et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

B/ Le Gouvernement ne partage pas l'opinion des requérants.

1/ Les requérants rappellent à juste titre que, si l'article 66 de la Constitution ne fait pas obstacle à ce qu'une mesure privative de liberté telle que le placement en rétention d'un étranger en instance d'éloignement soit initialement prise par une autorité administrative, il implique que le juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle, intervienne dans le plus court délai possible (décision n° 79-109 DC du 9 janvier 1980, cons. 4).

Ce délai ne peut toutefois être déterminé de façon abstraite et une fois pour toutes. Il résulte en effet de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que, « dans l'exercice de sa compétence, le législateur peut fixer des modalités d'intervention de l'autorité judiciaire différentes selon la nature et la portée des mesures affectant la liberté individuelle qu'il entend édicter » (décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, cons. 14). Il convient, en outre, de tenir compte de la nécessité de concilier l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, notamment la liberté individuelle, avec d'autres principes et objectifs de valeur constitutionnelle, en particulier l'objectif de lutte contre l'immigration irrégulière, lequel participe de la sauvegarde de l'ordre public, qui est une exigence de valeur constitutionnelle (décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, cons. 23).

Enfin, il ne peut être fait abstraction du principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel, « à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle » (décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, cons. 15). En effet, dans le cas de la rétention administrative des étrangers, la mesure privative de liberté est la conséquence directe de mesures relatives à l'entrée et au séjour dont il appartient en principe à la seule juridiction administrative de connaître (décision n° 89-261 DC du 28 juillet 1989, cons. 22 à 28). Les conditions d'intervention de l'autorité judiciaire doivent donc tenir compte de la nécessité d'assurer l'exercice effectif, par la juridiction administrative, de la compétence qui lui est ainsi reconnue par la Constitution, conformément à l'objectif de bonne administration de la justice, qui revêt une valeur constitutionnelle (v. par exemple la décision n° 2010-62 QPC du 17 décembre 2010, cons. 4 à 7).

2/ A plusieurs égards, la situation actuelle n'apparaissait pas satisfaisante.

En effet, dans l'état du droit en vigueur, l'intervention du juge des libertés et de la détention est requise dès l'expiration d'un délai de quarante-huit heures à compter du placement en rétention.

Or, d'une part, ce délai apparaît, en règle générale, trop bref pour que le juge intervienne dans de bonnes conditions. Le rapport de la commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d'immigration, présidée par M. Pierre Mazeaud, relève ainsi que « la précipitation actuelle est excessive et nuit à la fois à la justice (dont elle mobilise abusivement les membres : juge, personnel de greffe, personnels de sécurité), à la mise en oeuvrede la politique des pouvoirs publics (dont les demandes sont examinées dans des conditions exécrables) et aux étrangers eux-mêmes (qui, levés à l'aube, attendent interminablement dans les salles du tribunal de grande instance, sans confort et dans la promiscuité) » (p. 88).

D'autre part, l'intervention du juge des libertés et de la détention précède généralement celle du juge administratif saisi de la mesure d'éloignement et, le cas échéant, de la décision de placement en rétention, dans la mesure où, si ce dernier doit également être saisi dans les quarante-huit heures de la notification de ces décisions, il dispose pour statuer d'un délai de soixante-douze heures. Cette situation n'est pas satisfaisante. Lorsque le juge des libertés et de la détention prolonge le placement en rétention d'un étranger, il peut en effet apparaître, peu après, lorsque le juge administratif se prononce, que ce placement reposait en réalité sur une mesure d'éloignement illégale. A l'inverse, lorsque le juge des libertés et de la détention met fin au placement en rétention, le juge administratif demeure tenu de statuer sur une mesure d'éloignement et, le cas échéant, de placement en rétention, dont l'éventuelle annulation n'aura, le plus souvent, qu'un effet pratique limité, voire nul.

Cet état de fait est à l'évidence contraire à l'objectif constitutionnel de bonne administration de la justice et porte atteinte, plus profondément, à la crédibilité de la justice.

3/ Le report à l'expiration d'un délai de cinq jours de l'intervention du juge des libertés et de la détention pour prolonger le placement en rétention d'un étranger en instance d'éloignement vise à remédier, autant que possible, à ces difficultés, en mettant fin à la superposition des interventions du juge judiciaire et du juge administratif, au profit d'une succession de celles-ci dans le temps.

Dès lors, c'est seulement après que la légalité de la décision de placement en rétention aura été confirmée par le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué par lui, dans un délai maximal de cinq jours à compter de la notification de cette décision, que l'intervention du juge des libertés et de la détention sera requise pour prolonger la rétention. Ainsi sera assuré le plein effet utile de l'intervention des juges successifs, chacun dans sa sphère de compétence propre, conformément aux principes constitutionnels qui fondent la dualité de juridictions.

La réforme poursuit donc un double objectif de bonne administration de la justice et d'amélioration de la lutte contre l'immigration irrégulière.

Compte tenu de ce double objectif, le délai de cinq jours est apparu comme étant le plus court possible afin de permettre que le juge administratif statue en premier sur la légalité des diverses décisions administratives qui se trouvent à l'origine du placement en rétention : décision de placement en rétention, mais aussi, le cas échéant, obligation de quitter le territoire français, décision refusant un délai de départ volontaire, décision mentionnant le pays de destination et décision d'interdiction de retour.

Il ne serait pas raisonnable, en effet, d'impartir au juge un délai inférieur à soixante-douze heures pour statuer sur cet ensemble de décisions ; il ne le serait pas davantage, eu égard à l'exigence d'assurer l'effectivité du droit au recours, de réduire en deçà de quarante-huit heures le délai dans lequel le juge administratif doit être saisi par l'étranger placé en rétention.

4/ Indépendamment même de ces dernières considérations, un délai de cinq jours avant la première intervention du juge des libertés et de la détention apparaît adapté à la nature et à la portée d'une mesure de rétention administrative, qui a pour seul objet d'assurer la mise à exécution d'une mesure d'éloignement et n'appelle pas une intervention immédiate de l'autorité judiciaire.

Il résulte de la jurisprudence précitée du Conseil constitutionnel, en effet, que les exigences de l'article 66 de la Constitution sont susceptibles d'être modulées. Il n'est pas sans intérêt de relever qu'il en va de même, par exemple, dans le système de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, dans le cas notamment de « l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours », l'article 5, paragraphe 4, de cette convention prévoit seulement qu'un tribunal doit statuer « à bref délai » sur la légalité de la détention, alors que le paragraphe 3 du même article exige qu'une personne arrêtée ou détenue en vue d'être conduite devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis une infraction, soit « aussitôt traduite » devant un juge.

Il importe d'ailleurs de souligner que, même allongé dans les conditions qui ont été rappelées, le délai de la première intervention du juge des libertés et de la détention en matière de rétention administrative demeure en deçà du délai de sept jours qui avait été jugé excessif par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 79-109 DC du 9 janvier 1980.

Les requérants font certes observer que, dans le cas où l'étranger a été préalablement placé en garde à vue pour 24 heures et où cette garde à vue a été renouvelée pour une nouvelle période de 24 heures, la durée totale de la privation de liberté de l'intéressé sans intervention d'un juge judiciaire du siège atteint un total de sept jours.

Il peut toutefois être objecté à cette approche globale que, ainsi qu'il a été dit, la garde à vue et la rétention administrative sont deux mesures privatives de liberté qui diffèrent par leur nature et leur portée et dont les finalités sont distinctes.

Il importe de relever, d'ailleurs, que, dans ses précédentes décisions relatives au délai à l'expiration duquel l'intervention du juge judiciaire est requise pour prolonger le placement d'un étranger en rétention administrative, le Conseil constitutionnel a apprécié la conformité de ce délai aux exigences de l'article 66 de la Constitution indépendamment d'une éventuelle garde à vue ayant précédé le placement en rétention. Il a ainsi nécessairement admis, en particulier, que, dans l'état actuel du droit, l'intervention du juge des libertés et de la détention, à l'expiration d'un délai de 48 heures après le placement en rétention, puisse représenter, dans le cas où l'étranger retenu aurait été antérieurement placé en garde à vue pour la même durée, la première intervention d'un magistrat du siège à l'issue d'une période de quatre jours de privation de liberté.

Enfin, et en tout état de cause, l'hypothèse d'une garde à vue de 48 heures suivie d'un placement en rétention apparaît largement théorique. Il est très rare, en effet, qu'une garde à vue justifiée seulement par une infraction à la législation sur les étrangers soit prolongée au-delà de 24 heures.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement estime que les dispositions contestées ne méconnaissent pas l'article 66 de la Constitution.

XIII/ SUR L'ARTICLE 56

A/ L'article 56 de la loi déférée fixe, à l'article L. 552-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la durée maximale des prolongations successives dont la rétention administrative des étrangers en instance d'éloignement est susceptible de faire l'objet par le juge des libertés et de la détention. En règle générale, cette durée maximale est fixée à 45 jours, soit le délai initial de cinq jours et deux prolongations de vingt jours chacune. Dans le cas particulier des étrangers condamnés à une peine d'interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou sous le coup d'une mesure d'expulsion pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées, le placement en rétention peut être renouvelé pour une durée d'un mois renouvelable dans la limite d'un maximum de dix-huit mois.

Selon les requérants, ces dispositions sont contraires à l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui interdit que la liberté individuelle soit entravée par une rigueur qui n'est pas nécessaire.

B/ Le Gouvernement ne partage pas cette analyse.

1/ En ce qui concerne, d'abord, le délai de rétention de droit commun, il convient de rappeler, d'une part, que, ainsi qu'il a été dit précédemment, la rétention ne pourra être décidée que si l'assignation à résidence, qui est son alternative, n'est pas possible, et, d'autre part, que le maintien en rétention reste conditionné à l'existence d'une perspective raisonnable d'éloignement et ne sert qu'à préparer celui-ci, l'administration devant exercer toute diligence à cet effet. Par ailleurs, tout au long de la rétention, le juge des libertés et de la détention peut être saisi par l'étranger ou se saisir d'office afin de vérifier que les conditions légales du maintien en rétention sont remplies.

Dans ce contexte, l'allongement de la durée maximale de la rétention tend exclusivement à assurer l'adaptation de cette durée aux exigences liées à la préparation des éloignements. En effet, la durée maximale de 32 jours qui prévaut actuellement ne garantit plus l'objectif d'efficacité des procédures de retour, compte tenu notamment des délais exigés par les pays tiers pour l'identification de leurs ressortissants et la délivrance des laissez-passer consulaires. Les procédures échouent en effet, dans une forte proportion (entre 20 et 30 % selon les années), du fait des délais d'obtention de ces laissez-passer. Cette situation incite aux comportements frauduleux de dissimulation ou de falsification d'identité.

Or le nombre de laissez-passer consulaires délivrés entre 32 et 45 jours est important, ce qui permet d'escompter une amélioration significative du taux de mise à exécution grâce à l'allongement dans cette mesure de la durée maximale de la rétention. Ainsi, par exemple, le délai moyen de délivrance des laissez-passer consulaires obtenus hors délais s'établit à 35 jours pour la Chine, 36 jours pour le Pakistan, 37 jours pour l'Inde, 38 jours pour le Mali et 43 jours pour le Nigéria.

Par ailleurs, le niveau de la négociation des accords de réadmission est désormais européen, et la durée de 45 jours correspond à la règle actuellement négociée par la Commission avec divers pays tiers pour la délivrance des laissez-passer consulaires dans le cadre des accords de réadmission européens.

Des négociations sont désormais engagées avec des partenaires-clefs, présentant de plus forts enjeux migratoires et ayant des positions de négociation plus exigeantes tenant à leurs contraintes internes (territoires vastes, capacités administratives limitées, problèmes d'articulation entre les consulats et les administrations centrales, absence d'état-civil informatisé et centralisé, contraintes sécuritaires fortes, dans un contexte de multiplication des cas de fausses déclarations d'identité et de nationalité).

La durée de rétention actuelle pour la France constitue dans la négociation un facteur bloquant, alors même que la France est favorable par principe à la conclusion d'accords au niveau européen.

Ainsi, compte tenu tant de l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public que de l'exigence de transposition de la directive du 16 décembre 2008, qui impose un éloignement effectif des étrangers en séjour irrégulier, le Gouvernement estime que l'allongement à 45 jours de la durée maximale du placement en rétention constitue une rigueur nécessaire au sens de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

2/ En ce qui concerne, ensuite, les dispositions concernant spécifiquement les étrangers condamnés à une peine d'interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou sous le coup d'une mesure d'expulsion pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées, le Gouvernement estime qu'elles sont également nécessaires pour doter l'administration d'un moyen efficace d'assurer l'éloignement effectif des personnes concernées, qui constitue une exigence impérieuse pour la sauvegarde de l'ordre public.

Dans un avis émis le 13 janvier 2011, que le Conseil constitutionnel trouvera joint aux présentes observations, le Conseil d'État, consulté par le Gouvernement, a admis que le législateur pouvait instaurer pour cette catégorie d'étrangers dont l'éloignement constitue une impérieuse nécessité, une durée maximale de rétention administrative excédant la durée de droit commun, sous réserve du respect d'un certain nombre de principes : nécessité de la rétention pour l'exécution de la mesure d'éloignement ; absence d'alternative moins contraignante suffisamment efficace ; existence d'une perspective raisonnable d'exécution de la mesure ; intervention de l'autorité judiciaire pour autoriser la prolongation à échéances régulières et fixation d'une durée maximum de rétention ; exigence que la rétention se déroule dans le respect des droits fondamentaux de l'étranger autres que sa liberté d'aller et de venir. Enfin, une rétention de longue durée ne saurait être admise que dans le cas des étrangers dont la présence en France comporte les risques les plus graves.

Les dispositions du cinquième alinéa de l'article 56 de la loi déférée répondent à ces exigences en fixant un cadre très strict pour la mise en oeuvrede ce dispositif dérogatoire.

En premier lieu, la rétention prolongée ne peut être mise en oeuvrequ'à l'égard d'étrangers ayant été condamnés à une peine d'interdiction du territoire pour des actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal ou faisant l'objet d'une mesure d'expulsion prononcée pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées, et ce, en raison de l'intérêt particulier qui s'attache à leur éloignement eu égard à leur dangerosité particulière, ainsi que des difficultés particulières que présente cet éloignement. Il est parfois exclu, en effet, de renvoyer l'intéressé vers son pays d'origine, en raison de la peine de mort ou des traitements inhumains ou dégradants qu'il risquerait d'y subir du fait précisément de ses activités terroristes passées, ce qui implique la recherche, nécessairement complexe, d'un autre pays d'accueil.

En deuxième lieu, elle ne peut intervenir que si aucune décision d'assignation à résidence ne permettrait un contrôle suffisant de cet étranger. La rétention de longue durée vient ainsi compléter l'éventail des moyens dont l'autorité administrative dispose à l'égard de cette catégorie très particulière d'étrangers en instance d'éloignement, notamment le placement sous surveillance électronique mobile prévu par l'article 116 de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

Il importe toutefois de souligner que ce dernier dispositif, qui ne peut être mis en place qu'avec l'accord de l'étranger, s'accompagne de contraintes fortes pour celui qui en est porteur et nécessite une collaboration active de sa part. Si l'étranger refuse ce dispositif, le placement en rétention peut, dans certains cas, être nécessaire pour prévenir tout risque de fuite dans l'attente de la mise à exécution de la décision d'éloignement.

Quant à la simple assignation à résidence, l'exemple récent de la fuite, entre deux pointages, d'un ressortissant algérien condamné à huit ans d'emprisonnement assortis d'une interdiction définitive du territoire français pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme démontre que, dans certains cas, les garanties offertes par cette mesure sont insuffisantes.

En troisième lieu, la décision de maintien en rétention relève de la compétence du juge des libertés et de la détention près le tribunal de grande instance de Paris qui devra réexaminer la situation à chaque échéance mensuelle puisque le maintien ne peut être prononcé que pour une période d'un mois renouvelable.

En quatrième lieu, et conformément à la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2003-494 DC du 20 novembre 2003, le juge des libertés et de la détention conservera la possibilité d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifieront, à la demande de l'étranger, de sa propre initiative ou à la demande du ministère public.

En cinquième lieu, la rétention ne peut être prolongée que tant qu'il existe une perspective raisonnable d'exécution de la mesure d'éloignement. L'autorité administrative devra être en mesure de démontrer à chaque demande de prolongation devant le juge des libertés et de la détention qu'elle fait preuve de toute la diligence requise pour procéder à l'éloignement, que le retard subi est dû à des raisons indépendantes de sa volonté et qu'il existe des perspectives raisonnables de mise à exécution dans le délai de la rétention.

En sixième lieu, enfin, sa durée maximale ne peut en principe excéder six mois. Elle ne peut être prolongée de douze mois supplémentaires que dans un cas défini très précisément : lorsque, malgré les diligences de l'administration, l'éloignement ne peut être exécuté en raison soit du manque de coopération de l'étranger, soit des retards subis pour obtenir du consulat dont il relève les documents de voyage nécessaires.

Au regard des garanties très fortes ainsi prévues, l'atteinte portée à la liberté individuelle des étrangers concernés n'apparaît pas excessive au regard de l'objectif de leur éloignement commandé par la sauvegarde de l'ordre public.

XIV/ SUR LES ARTICLES 73 A 88

A/ Le titre IV de la loi déférée a notamment pour objet de transposer en droit interne la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

B/ Le Gouvernement observe que, si les requérants invitent le Conseil constitutionnel à s'assurer que les dispositions des articles 73 à 88 de la loi déférée ne sont pas manifestement incompatibles avec les dispositions de la directive qu'ils ont pour objet de transposer, ils n'assortissent leur grief d'aucune précision.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra écarter ce grief.

XV/ SUR L'ARTICLE 94

A/ L'article 94 de la loi déférée modifie les dispositions pénales codifiées à l'article L. 624-1, qui répriment le fait, pour un étranger, de se soustraire ou de tenter de se soustraire à l'exécution d'une mesure d'éloignement, pour tirer les conséquences, notamment, de la création de l'interdiction de retour.

Les requérants soutiennent que les dispositions de cet article sont manifestement incompatibles avec les articles 15 et 16 de la directive du 16 décembre 2008, tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 28 avril 2011, Hassen El Dridi (aff. C-61/11 PPU).

B/ Par l'arrêt invoqué par les requérants, la Cour de justice, qui était saisie d'une question préjudicielle par une juridiction italienne, a dit pour droit que : « La directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, notamment ses articles 15 et 16, doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation d'un État membre, telle que celle en cause dans l'affaire au principal, qui prévoit l'infliction d'une peine d'emprisonnement à un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier pour le seul motif que celui-ci demeure, en violation d'un ordre de quitter le territoire de cet État dans un délai déterminé, sur ledit territoire sans motif justifié. »

Cette solution repose sur l'idée, exprimée au point 59 de l'arrêt, selon laquelle « une telle peine, en raison notamment de ses conditions et modalités d'application, risque de compromettre la réalisation de l'objectif poursuivi par [la] directive, à savoir l'instauration d'une politique efficace d'éloignement et de rapatriement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ». La Cour précise toutefois que ceci n'exclut pas la faculté, pour les États membres, d'adopter « des dispositions réglant la situation dans laquelle les mesures coercitives n'ont pas permis de parvenir à l'éloignement d'un ressortissant d'un pays tiers qui séjourne sur leur territoire de façon irrégulière » (point 60). La répression pénale n'est donc pas exclue par principe, pourvu qu'il s'agisse d'un ultime recours, après l'échec de la mise en oeuvredes mesures coercitives prévues par la directive.

Le Gouvernement n'entend pas contester que, eu égard à la généralité des dispositions contestées, leur application pourrait, en certaines hypothèses, s'avérer incompatible avec l'interprétation ainsi donnée par la Cour de justice de l'Union européenne des dispositions de la directive du 16 décembre 2008. Une circulaire du Garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 12 mai 2011, a ainsi recommandé aux procureurs généraux près les cours d'appel, avant toute poursuite fondée sur l'article L. 624-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, « de s'attacher à caractériser un défaut manifeste de coopération dans la phase d'identification se déroulant pendant la rétention administrative ou de résistance à l'exécution forcée de la procédure d'éloignement ».

Le Gouvernement entend toutefois faire valoir, d'une part, que les dispositions pénales de l'article 94 de la loi déférée ne peuvent être regardées comme ayant pour objet la transposition de la directive du 16 décembre 2008. En effet, comme le rappelle la Cour de justice elle-même dans son arrêt du 12 mai 2011, en principe, « la législation pénale et les règles de la procédure pénale relèvent de la compétence des États membres » (point 53), même si ces États « ne sauraient appliquer une réglementation, fût-elle en matière pénale, susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par une directive et, partant, de priver celle-ci de son effet utile » (point 55).

Or il est de jurisprudence constante que l'exigence constitutionnelle de transposition des directives de l'Union européenne ne peut être utilement invoquée devant le Conseil constitutionnel, lorsqu'il est saisi en application de l'article 61 de la Constitution, qu'à l'encontre des dispositions qui ont pour objet de transposer une directive en droit interne (v. les décisions n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, cons. 28, et n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, cons. 31).

Le grief soulevé par les requérants apparaît donc inopérant.

D'autre part, et en tout état de cause, il résulte de ce qui a été dit plus haut que la Cour de justice de l'Union européenne n'a nullement entendu interdire aux États membres de maintenir dans leur législation des dispositions à caractère pénal réprimant, notamment, le fait pour un étranger de se soustraire aux mesures prises en vue de son éloignement. Les objectifs de la directive ne font dès lors pas obstacle à ce que, tout en respectant le principe de proportionnalité, fasse l'objet d'une sanction pénale comprenant le cas échéant une peine privative de liberté le comportement consistant en une soustraction effective et délibérée à l'exécution forcée d'une mesure d'éloignement entrant dans le champ d'application de la directive, telle que l'obligation de quitter le territoire ou l'arrêté de reconduite à la frontière.

Il convient en outre d'observer que l'article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive donne aux États membres la possibilité de décider de ne pas appliquer cette directive aux ressortissants de pays tiers faisant l'objet d'une sanction pénale prévoyant ou ayant pour conséquence leur retour conformément au droit national, telle l'interdiction judiciaire du territoire (anciennement interdiction du territoire français), ou faisant l'objet de procédures d'extradition. La soustraction à l'exécution de ces mesures, qui est réprimée par la disposition contestée, n'entre donc pas dans le champ d'application de la directive.

Dans ces conditions, le Gouvernement estime qu'il n'existe pas d'incompatibilité manifeste entre les dispositions contestées et les objectifs de la directive du 16 décembre 2008.

XVI/ SUR L'ARTICLE 95

A/ Le 2 ° de l'article 95 de la loi déférée complète l'article L. 731-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par un alinéa ainsi rédigé : « Le bénéfice de l'aide juridictionnelle ne peut pas être demandé dans le cadre d'un recours dirigé contre une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant une demande de réexamen lorsque le requérant a, à l'occasion d'une précédente demande, été entendu par l'office ainsi que par la Cour nationale du droit d'asile, assisté d'un avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle. »

Les requérants estiment que cette disposition constitue un « recul du droit à un recours effectif » qui justifierait « à lui seul » une censure par le Conseil constitutionnel. Ils soutiennent en outre qu'elle est manifestement incompatible avec l'article 15, paragraphe 2, de la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres.

B/ Le Gouvernement ne partage pas ce point de vue.

1/ En premier lieu, en effet, les dispositions contestées ne portent pas « d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif », qui résulte de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996).

En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, améliorer le fonctionnement de la Cour nationale du droit d'asile, en limitant la présentation de recours en réexamen, qui constituent environ 20 % des recours formés devant elle, et sont le plus souvent manifestement infondés. La limitation du droit à l'aide juridictionnelle en pareille hypothèse responsabilisera les requérants et, en allégeant les charges pesant sur la Cour, permettra à cette juridiction d'améliorer ses délais de jugement, au bénéfice des étrangers en réel besoin de protection.

Par ailleurs, les dispositions contestées ne font pas obstacle en toute hypothèse à ce que le bénéfice de l'aide juridictionnelle soit accordé à un demandeur d'asile à l'occasion d'un recours contre le rejet d'une demande de réexamen. En effet, leur application est subordonnée à la double condition que le requérant ait été, à l'occasion d'une précédente demande, entendu par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ainsi que par la Cour nationale du droit d'asile, et assisté devant cette cour par un avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle. Ainsi, si, à l'occasion d'un recours contre le rejet d'une demande de réexamen, il apparaît que le requérant n'a pas précédemment été entendu par l'OFPRA et n'a pas bénéficié de l'assistance d'un avocat pris en charge par l'aide juridictionnelle, il aura droit à cette aide dans les conditions de droit commun.

En tout état de cause, les étrangers auxquels s'appliqueront les dispositions contestées ne seront pas privés de la possibilité de former un recours en réexamen devant la Cour nationale du droit d'asile, que ce soit avec l'assistance d'un avocat qu'ils rétribueront, ou même sans cette assistance, dès lors qu'aucune disposition ne rend obligatoire le ministère d'avocat devant cette juridiction.

Dans ces conditions, les dispositions contestées ne sauraient être regardées comme portant une atteinte inconstitutionnelle au droit à un recours effectif.

2/ En ce qui concerne, ensuite, la compatibilité des dispositions contestées avec l'article 15 de la directive du 1er décembre 2005, il est vrai que, comme le soulignent les requérants, le paragraphe 2 de cet article pose en principe que, « en cas de décision négative de l'autorité responsable de la détermination, les États membres veillent à ce que l'assistance judiciaire et/ou la représentation gratuites soient accordées sur demande ».

Ce principe ne vaut toutefois que « sous réserve des dispositions du paragraphe 3 » du même article, dont le a) prévoit que les États membres peuvent prévoir dans leur droit national que l'assistance judiciaire et/ou la représentation gratuites sont accordées uniquement « dans le cadre des procédures devant une cour ou un tribunal prévues au chapitre V et à l'exclusion de tout autre recours juridictionnel ou administratif prévu dans le droit national, y compris le réexamen d'un recours faisant suite à un recours juridictionnel ou administratif ».

Or, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il n'apparaît pas manifeste que la notion de « réexamen d'un recours faisant suite à un recours juridictionnel ou administratif » ne s'applique pas à un recours dirigé contre une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant une demande de réexamen d'une demande d'asile, alors même qu'une telle demande de réexamen devrait être regardée comme une « demande ultérieure » au sens de l'article 39 de la directive.

Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel ne pourra qu'écarter le grief soulevé sur ce point par les requérants.

XVII/ SUR L'ARTICLE 98

A/ L'article 98 de la loi déférée ouvre la possibilité à la Cour nationale du droit d'asile, dans certaines conditions, d'entendre un requérant par un moyen de communication audiovisuelle.

Les requérants soutiennent que cette disposition constitue une « violation manifeste du principe d'égalité devant la loi » en ce que l'exigence du consentement du requérant, pour le recours à un tel moyen de communication, est limitée aux seuls étrangers se trouvant en France métropolitaine, à l'exception de ceux qui séjournent outre-mer. Ils ajoutent que, dans ces conditions, les garanties d'un procès juste et équitable ne sont pas réunies.

B/ Le Conseil constitutionnel écartera ces griefs.

D'une part, en effet, en ce qui concerne la rupture d'égalité alléguée, il est manifeste que les demandeurs d'asile se trouvent dans une situation différente, en ce qui concerne les justifications du recours à un moyen de communication audiovisuelle pour la tenue des audiences devant la Cour nationale du droit d'asile, selon qu'ils séjournent ou non sur le territoire métropolitain de la France.

L'impossibilité, à ce jour, de recourir à la visioconférence pour la tenue des audiences a en effet pour conséquence, jusqu'à aujourd'hui, soit que le demandeur d'asile qui séjourne dans une collectivité située outre-mer doit être autorisé à venir en métropole, en principe à ses frais, soit que la Cour doit tenir dans cette collectivités des audiences foraines. Des missions foraines ont ainsi été organisées en 2007 en Guadeloupe (500 dossiers), à Mayotte (141 dossiers) et en Guyane (342 dossiers), en 2008 en Guadeloupe (369 dossiers), en 2009 en Guyane (210 dossiers) et à Mayotte (360 dossiers), et en 2011 en Martinique (225 dossiers) et en Guyane (450 dossiers), une mission à Mayotte étant prévue pour la fin de l'année.

Eu égard à la difficulté de l'organisation de ces missions et aux délais de jugement qu'elles occasionnent, l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice justifiait que, en ce qui concerne les demandeurs d'asile séjournant dans des collectivités situées outre-mer, leur consentement ne soit pas requis préalablement à la décision de recourir à la visioconférence. Les mêmes considérations n'existant pas en ce qui concerne les demandeurs présents sur le territoire métropolitain, cette décision a pu, en revanche, en ce qui les concerne, être subordonnée à leur consentement, sans qu'il en résulte aucune atteinte inconstitutionnelle au principe d'égalité devant la loi.

D'autre part, il est vrai que, dans sa décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, le Conseil constitutionnel, a relevé, pour admettre la tenue par un moyen de télécommunication audiovisuelle des audiences organisées par le juge des libertés et de la détention pour, notamment, statuer sur une demande de prolongation de la rétention, que « le déroulement des audiences au moyen de techniques de télécommunication audiovisuelle est subordonné au consentement de l'étranger, à la confidentialité de la transmission et au déroulement de la procédure dans chacune des deux salles d'audience ouvertes au public » (cons. 82).

Néanmoins, il ne résulte pas de cette décision que le consentement de l'étranger soit, par lui-même, et en toute hypothèse, une condition de l'équité de la procédure. Au cas d'espèce, la disposition contestée, qui est justifiée, ainsi qu'il a été dit, par des impératifs de bonne administration de la justice, prévoit que le moyen de communication audiovisuelle utilisé devra garantir la confidentialité de la transmission avec une salle d'audience spécialement aménagée à cet effet, ouverte au public et située dans des locaux relevant du ministère de la justice. Le requérant bénéficiera, par ailleurs, de l'ensemble des garanties offertes par la procédure juridictionnelle devant la Cour nationale du droit d'asile, telles qu'elles sont prévues par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Dans ces conditions, la disposition contestée ne porte aucune atteinte à l'exigence d'un procès juste et équitable.

Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans les saisines ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.