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Décision n° 2011-628 DC du 12 avril 2011 - Observations de parlementaires

Loi organique relative à l'élection des députés et des sénateurs
Conformité - réserve - déclassement organique

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Nous avons 1'honneur de vous transmettre le présent mémoire afin de communiquer des observations concernant la loi organique relative à l'élection des députés et sénateurs dont vous êtes saisis conformément à l'article 61 alinéa 1er de la Constitution.
L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 proclame que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège soit qu'elle punisse. » C'est le principe d'égalité qui fonde essentiellement la critique ici adressée contre le texte déféré qui institue au bénéfice des parlementaires un régime juridique privilégié au regard de celui qui s'applique aux citoyens ordinaires.
De manière constante, le Conseil constitutionnel rappelle « que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ». Le juge en déduit que « toute différence de traitement qui ne serait pas justifiée par une différence de situation en rapport avec l'objet de la loi se trouve en conséquence prohibée » (91-304 OC du 15 janvier 1992, cons. 15). Il a eu l'occasion de préciser que le rapport en question devait être« direct » (96-375 OC du 9 avril 1996, cons. 8).
L'article 2 de la loi qui vous est déférée prévoit que « le fait pour un député d'omettre sciemment de déclarer une part substantielle de son patrimoine ou d'en fournir une évaluation mensongère (...) est puni de 30000 euros d'amende et, le cas échéant, de l'interdiction des droits civiques (...) ainsi que de l'interdiction d'exercer une fonction publique (...) » à l'exclusion de toute peine de prison.
Cette disposition place les parlementaires dans une situation particulièrement avantageuse au regard des citoyens qui - pour des faits similaires - encourent une peine de prison. Ainsi par exemple, l'article 1741 du Code général des impôts prévoit-il que « quiconque s'est frauduleusement soustrait ou CI tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts visés dans la présente codification, soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt, soit qu'il ait organisé son insolvabilité ou mis obstacle par d'autres manoeuvres au recouvrement de l'impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse, est passible, indépendamment des sanctions fiscales applicables, d'une amende de 37500 euros et d'un emprisonnement de cinq ans. »
Ainsi encore l'article 441-1 du code pénal prévoit-il que « Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques. Le faux et l'usage de faux sont punis de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende. »
Or, aucune différence de situation ni aucune raison d'intérêt général ne justifie la différence de traitement ainsi instituée au profit des députés qui - pour des faits similaires et contrairement aux citoyens ordinaires - ne risquent aucune peine d'emprisonnement.
Il appartient dès lors au Conseil constitutionnel de faire application de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de censurer l'article 2 du projet déféré.
Nous vous prions, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers, d'agréer l'expression de notre haute considération.