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Décision n° 2011-148/154 QPC du 22 juillet 2011 - Décision de renvoi CE

M. Bruno L. et autres [Journée de solidarité]
Conformité

Conseil d'État

N° 346648
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
1ère et 6ème sous-sections réunies
M. Jacques Arrighi de Casanova, président
M. Jean Lessi, rapporteur

lecture du mercredi 4 mai 2011
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le mémoire, enregistré le 14 février 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par M. Bruno A, demeurant ..., en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; M. A demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la circulaire du directeur général des finances publiques en date du 10 décembre 2010 relative aux règles de vie quotidienne dans les services déconcentrés de la DGFiP (temps de travail et autorisations d'absence) , de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles 2 à 6 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Vu la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004, notamment ses articles 2, 3, 4, 5 et 6 ;

Vu la loi n° 2010-751 du 5 juillet 2010 ;

Vu le code du travail ;

Vu le code rural et de la pêche maritime ;

Vu le décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean Lessi, Auditeur,

- les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

Considérant qu'il résulte de l'article 2 de la loi du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées que la journée de solidarité instituée en vue d'assurer le financement des actions en faveur de l'autonomie de ces personnes prend la forme, pour les employeurs publics et privés, d'une contribution financière et, pour les salariés, d'une journée supplémentaire de travail non rémunéré ; que, s'agissant des fonctionnaires et agents non titulaires relevant de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, l'article 6 de la loi du 30 juin 2004 renvoie à un arrêté de chaque ministre le soin de déterminer la forme que prendra dans les services de son ministère la journée supplémentaire de travail mentionnée à l'article 2 ; que, par un arrêté du 27 décembre 2005, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a prévu que cette journée se traduirait par un jour de réduction du temps de travail en moins par an ; que M. A, fonctionnaire en poste dans une direction départementale des finances publiques, a demandé au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du directeur général des finances publiques du 10 décembre 2010 relative aux règles de vie quotidienne dans les services déconcentrés de la DGFiP (temps de travail et autorisations d'absence) qui rappelle notamment, au point III de son chapitre II, les modalités de mise en oeuvre de la journée de solidarité dans cette direction générale ; qu'à l'appui de ses conclusions dirigées contre ce dernier point, M. A soutient que cette circulaire réitère les dispositions de l'arrêté du 27 décembre 2005 qu'il estime entachées d'illégalité, en ce qu'elles auraient été prises pour l'application des dispositions de la loi du 30 juin 2004, elles-mêmes contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par les ministres :

Considérant, d'une part, que, contrairement à ce que soutiennent les ministres, les dispositions concernées de la circulaire litigieuse, alors même qu'elles se bornent à réitérer les prescriptions de l'arrêté du 27 décembre 2005 mentionné ci-dessus, présentent un caractère impératif et sont, par suite, susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1er du décret du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires : Les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l'Etat sont tenues à la disposition du public sur un site internet relevant du Premier ministre. (...) / Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné au précédent alinéa n'est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s'en prévaloir à l'égard des administrés (...) ; que la circonstance qu'une circulaire n'aurait pas été mise en ligne sur le site internet créé en application de ces dispositions est sans incidence sur la recevabilité d'un recours contre les dispositions impératives de cette circulaire ; que la fin de non-recevoir opposée par les ministres, tirée de ce que la circulaire du directeur général des finances publiques du 10 décembre 2010 ne ferait pas grief faute d'avoir été mise en ligne sur ce site, ne peut dès lors, et en tout état de cause, qu'être écartée ;

Sur le renvoi au Conseil constitutionnel :

Considérant qu'eu égard à l'objet tant de la circulaire litigieuse que des dispositions législatives dont elle entend préciser les modalités d'application, les dispositions des articles L. 212-16, L. 212-17, L. 212-4-2, L. 212-8, L. 212-9, L. 212-15-3 du code du travail et des articles L. 713-14, L. 713-15 et L. 713-19 du code rural, dans leur rédaction issue respectivement des articles 2 et 3 de la loi du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, ainsi que les articles 4, 5 et 6 de cette même loi, dans leur rédaction initiale, d'une part, et, d'autre part, la version de ces mêmes dispositions en vigueur à la date de la circulaire attaquée, figurant désormais, s'agissant des dispositions issues de l'article 2 de la loi du 30 juin 2004, aux articles L. 3133-7 à L. 3133-12 et à l'article L. 3123-1 du code du travail et, s'agissant des dispositions de l'article 6 de cette même loi, dans leur rédaction issue de la loi du 5 juillet 2010, qui définissent l'économie générale du dispositif de la journée de solidarité pour les employeurs publics et privés ainsi que pour leurs agents et salariés, sous la forme d'une contribution financière pour les premiers et d'une journée supplémentaire de travail pour les seconds, doivent être regardées comme applicables au présent litige, au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ;

Considérant que ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;

Considérant que le moyen tiré de ce que ces dispositions, en ce qu'elles limitent le champ d'application du dispositif de la journée de solidarité aux employeurs publics et privés ainsi qu'à leurs agents et salariés et en exonèrent ainsi, notamment, les travailleurs indépendants et les professions libérales n'employant pas de salariés, portent atteinte au principe d'égalité devant la loi et au principe d'égalité devant les charges publiques résultant des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, soulève une question présentant un caractère sérieux ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;

DECIDE :

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution, d'une part, des dispositions des articles L. 212-16, L. 212-17, L. 212-4-2, L. 212-8, L. 212-9, L. 212-15-3 du code du travail et des articles L. 713-14, L. 713-15 et L. 713-19 du code rural, dans leur rédaction issue respectivement des articles 2 et 3 de la loi du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, d'autre part, des articles 4, 5 et 6 de cette même loi dans leur rédaction initiale et, enfin, de la version des dispositions issues des articles 2, 3, 4, 5 et 6 de la loi du 30 juin 2004 en vigueur au 10 décembre 2010, figurant désormais, s'agissant des dispositions issues de l'article 2, aux articles L. 3133-7 à L. 3133-12 et à l'article L. 3123-1 du code du travail et, s'agissant des dispositions de l'article 6, dans leur rédaction issue de la loi n° 2010-751 du 5 juillet 2010, est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de M. A jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Bruno A, au Premier ministre, au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement et à la ministre des solidarités et de la cohésion sociale.