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Décision n° 2010-623 DC du 28 décembre 2010 - Saisine par 60 députés

Loi de finances rectificative pour 2010
Non conformité partielle

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel
Mesdames et Messieurs les Conseillers
2 rue de Montpensier
75001 PARIS

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs

Nous avons l'honneur de vous déférer conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution la loi de finances rectificative pour 2010 et notamment ses articles 12 bis H, 13, 15 et 16, 17 bis A et 34.

- Sur le non respect des règles posées par la LOLF en matière d'affectation des surplus de recettes fiscales à la réduction des déficits.

Depuis la révision du 12 juillet 2005, l'article 34 de la LOLF dispose que la loi de finances « arrête les modalités selon lesquelles sont utilisés les éventuels surplus, par rapport aux évaluations de la loi de finances de l'année, du produit des impositions de toute nature établies au profit de l'Etat ». Cette disposition devait dans l'esprit du législateur permettre d'assurer que les surplus de recettes non anticipés soient utilisés à la réduction du déficit budgétaire.

Conformément à cette disposition, le IV de l'article 67 de la Loi de finances pour 2010 dispose que : « Pour 2010, les éventuels surplus (...) sont utilisés dans leur totalité pour réduire le déficit budgétaire ». Il précise néanmoins qu'« il y a constatation de tels surplus si, pour l'année 2010, le produit des impositions de toute nature établies au profit de l'État net des remboursements et dégrèvements d'impôts, révisé dans la dernière loi de finances rectificative de l'année 2010 ou, à défaut, dans le projet de loi de finances pour 2011, est, à législation constante, supérieur à l'évaluation figurant dans l'état A mentionné au I du présent article ».

Pourtant, dans le cadre de la loi de finances rectificative n°2010-463 du 7 mai 2010, le gouvernement a proposé de prendre acte d'un surplus de 900 millions d'euros de TVA prétendument constaté au titre des recettes de TVA pour l'affecter explicitement et directement au financement de l'aide apportée à la Grèce et non pas à la réduction du déficit.

Le ministre du budget, François Baroin, indiquait le 3 mai 2010 que la dégradation du déficit budgétaire résultant de ce collectif budgétaire serait moindre que celle qui aurait dû résulter de la prise en compte de la totalité des crédits affectés à ce plan de soutien. « Comme vous pouvez le constater toutefois, cette dégradation ne s'élève qu'à 3 milliards d'euros et non à 3,9 milliards, car l'ouverture de 3,9 milliards d'euros de crédits de paiement est en partie compensée par une réévaluation à la hausse des recettes de la TVA - plus 900 millions d'euros -. Ce surcroît de recettes de TVA a déjà été notifié à Bruxelles le 8 avril dernier, comme vous le savez ».

Comme l'a rappelé très justement le Rapporteur général de l'Assemblée nationale lors de la discussion de la loi de finances rectificative n°2010-463 du 7 mai 2010, la solution respectueuse de la règle posée par l'article 34 de la LOLF, et des dispositions votées à l'article 67 de la loi de finances initiale pour 2010, aurait dû être de « gager » la totalité des crédits ouverts par des moindres dépenses à hauteur de 900 millions d'euros, dans l'attente du constat définitif des recettes encaissées de TVA tel que révisé par la dernière loi de finances rectificative pour 2010 ou la loi de finances initiale pour 2011.
C'est ce à quoi invitait d'ailleurs le Président de la commission des finances de l'Assemblée nationale en indiquant que « c'est en fin d'année que ces surplus doivent être constatés et que, dans l'hypothèse où ils le sont, ils doivent servir au seul désendettement.
Dès lors, puisque ces 900 millions d'euros vont être consacrés au plan d'aide à la Grèce et que, par là même, le tableau des emprunts ne sera pas modifié, cette somme ne sera plus constatée en fin d'année. Puisqu'il suffit qu'en cours d'année un surplus soit affecté à une autre destination que celle prévue, l'article 34 devient sans objet ».

Une solution théorique, quoiqu' insatisfaisante, pour assurer un respect formel de l'article 34 de la LOLF aurait pu être envisagée, consistant à modifier les modalités d'affectation des surplus prévue à l'article 67 de la loi de finances initiale pour 2010 par une nouvelle disposition votée en collectif budgétaire dès mai 2010. Dès lors que l'article 67 disposait que le constat des surplus se faisait globalement et au titre des évaluations présentées dans le dernier collectif afférent à l'année considérée, le gouvernement n'avait pas jugé nécessaire, dans le cadre du collectif de mai, de proposer une modification de l'affectation intégrale des surplus au déficit, tout en prévoyant pourtant explicitement un contournement de ce principe.

Pourtant, rien ne permet, en cours d'exécution, d'affirmer avec certitude le niveau des éventuels surplus en fin d'année, ni même si de tels surplus seront constatés au titre de l'année considérée. La loi de finances rectificative dont le Conseil constitutionnel est saisi permet d'ailleurs d'en juger, dès lors qu'elle fait apparaître une révision à la baisse du montant de TVA nette pour 2010, au vu des recouvrements, de 600 millions d'euros par rapport au montant prévu dans le cadre du collectif budgétaire de mai 2010. Or c'est explicitement les surplus au titre de la TVA que le gouvernement, par la voix du ministre du Budget, proposait comme « gage » des dépenses nouvelles.

Ainsi, au regard des montants inscrits en loi de finances initiale, le surplus ne serait pas de 900 millions d'euros mais de seulement 300 millions d'euros. Dès lors, l'affectation de 900 millions d'euros au titre du plan d'aide à la Grèce n'a pas conduit, comme on aurait pu le craindre en mai 2010, à limiter le montant des surplus de recettes affectées in fine à la réduction du déficit, mais, pire, à creuser le déficit budgétaire !

Si tel devenait l'esprit de la règle, il permettrait dans tout collectif intermédiaire de décider de dépenses nouvelles sur la base des premiers surplus envisagés, en rendant difficile voire impossible, dans le collectif de fin d'année, un ajustement permettant le respect formel de la règle sauf à procéder à des annulations massives peu probables en fin d'année.

Ainsi, la règle posée à l'article 34 de la LOLF a été vidée de son sens, au point de contribuer à une dégradation du déficit par rapport à la loi de finances initiale. A minima, il appartiendra au Conseil constitutionnel de préciser les conditions d'application, pour l'avenir, des dispositions de l'article 34 de la LOLF afin de prévenir des contournements similaires de la règle posée par le législateur organique.

La seule solution envisageable pour respecter l'esprit du législateur serait ainsi que toute nouvelle dépense ou réduction de recettes proposée en cours d'année conduise à une majoration à due concurrence des recettes ou à l'annulation d'autres crédits, ou à défaut, qu'une disposition explicite revienne le cas échéant sur les modalités d'affectation des surplus votées en loi de finances initiale.