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Décision n° 2010-622 DC du 28 décembre 2010 - Saisine par 60 sénateurs

Loi de finances pour 2011
Non conformité partielle

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel
Mesdames et Messieurs les Conseillers
2 rue de Montpensier
75001 PARIS

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

Nous avons l'honneur de vous déférer conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution la loi de finances pour 2011.

I. Sur le placement de certaines dispositions en première partie de la loi de finances et le respect des dispositions organiques

L'article 34 de la LOLF pose la subdivision de la loi de finances de l'année en deux parties distinctes et limite strictement le champ de la première partie de la loi de finances. Concernant les dispositions relatives aux ressources, cette première partie autorise la perception des ressources de l'Etat et des impositions de toute nature affectées à des personnes morales autres que l'Etat, et comporte les dispositions relatives aux seules ressources de l'Etat qui affectent l'équilibre budgétaire.

Au regard de ces dispositions, plusieurs articles de la loi de finances pour 2011 ont fait l'objet d'un placement erroné en première partie.

Il s'agit d'abord de l'article 21 qui propose de soumettre à la taxe sur les contrats d'assurance (TSCA) les contrats d'assurance maladie dits « solidaires et responsables », actuellement exonérés de cette taxe. Le produit de cette nouvelle taxation, estimé à 1,1 milliard d'euros, serait affecté à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES).

Ainsi, cet article n'autorise en rien la perception d'une imposition dès lors qu'il propose de la majorer. Au demeurant, c'est toujours l'article 1er de la loi de finances qui autorise la perception des impositions. D'autre part, l'article 21 n'affecte pas l'équilibre budgétaire, puisque le produit serait intégralement affecté au financement de la CADES.

Le respect des dispositions organiques aurait donc a minima conduit à inscrire cet article en seconde partie, l'article 34 disposant que celle-ci « peut comporter […] des dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature qui n'affectent pas l'équilibre budgétaire ». Au demeurant, la logique aurait voulu que cette mesure figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), même si elle ne relève pas de son domaine exclusif.

Il en va de même concernant l'article 22 du projet de loi de finances, qui soumet le compartiment euros des contrats d'assurance-vie multi-supports aux prélèvements sociaux « au fil de l'eau ». Les prélèvements concernés sont intégralement affectés aux régimes de sécurité sociale.

L'article 35 enfin adapte la taxe due au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) par les chaînes de télévision. Codifiée aux articles L. 115-6 à L. 115-13 du code du cinéma et de l'image animée, cette taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision est due par tout éditeur de services de télévision établi en France, et par tout distributeur de services de télévision établi en France.
Le produit de la taxe dite « taxe COSIP » est intégralement affecté au Centre national du cinéma et de l'image animée, qui gère le compte de soutien à l'industrie des programmes. Elle est acquittée directement auprès de l'agent comptable du CNC.

Une fois encore, l'aménagement du régime de cette taxe est sans effet sur les ressources et le budget de l'État, puisque son produit est affecté à une autre personne morale. Cette disposition aurait donc dû être présentée et votée dans le cadre de la seconde partie de la loi de finances.

La circonstance que, à l'initiative de la commission des finances du Sénat, cet article a été amendé pour prévoir, au II, un prélèvement exceptionnel de 20 millions d'euros sur le produit des ressources affectées au bénéfice du budget général ne modifie en rien cet état de fait, dès lors qu'il ne conduit pas à proprement parler à une nouvelle affectation de ressources, mais bien à un prélèvement sur les ressources affectées à une personne morale autre que l'Etat. Ce prélèvement seul aurait pu faire l'objet, le cas échéant, d'une disposition spécifique inscrite dans la première partie de la loi de finances, pour tenir compte de son impact budgétaire.

L'article 35 appelle des observations complémentaires. D'une part, la hausse de la taxe au 2 ° du I est mise à la charge des éditeurs distributeurs, au titre de leurs activités de distribution. Elle est contraire au principe d'égalité dès lors que les activités de distribution ne sont plus taxées de la même façon selon qu'elles sont exercées de manière autonome ou groupée avec des activités d'édition, alors même que les activités d'édition font l'objet d'une imposition spécifique à ce titre même.

Sur l'ensemble de ces dispositions, il convient d'observer que le Rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée lui-même a observé que « la première partie du présent projet de loi de finances comporte plusieurs dispositions qui, en application de la LOLF, devraient figurer en seconde partie ». Il soulignait que le rattachement des dispositions en cause porte atteinte aux modalités d'organisation de la discussion budgétaire. Celle-ci « s'organise en effet autour d'un équilibre qui, en fixant, en fin de première partie, l'évaluation des recettes de l'État et le montant de son solde budgétaire pour l'année à venir, définit un plafond de dépenses que la deuxième partie doit respecter. La distinction entre les deux parties est un fondement de notre droit budgétaire, protecteur des finances publiques ». Il ajoutait que ce rattachement « réduit sensiblement les délais d'examen des dispositions en cause par l'Assemblée nationale », cette réduction s'inscrivant « dans un mouvement plus général de détérioration des conditions d'examen du projet de loi de finances » .

II. Sur le transfert de 4 millions d'euros d'autorisations d'engagement et de crédits de paiement au sein de la mission budgétaire « Enseignement scolaire ».

A l'article 82 Etat B du projet de loi de finances pour 2011, le transfert de crédit de 4 millions d'euros au sein de la mission budgétaire « Enseignement scolaire » conduit à une rupture d'égalité de traitement entre l'enseignement public et l'enseignement privé.

En effet, 4 millions d'euros inscrits au programme n° 214 « Soutien de la politique de l'éducation nationale (titre 2 dépenses du personnel) » ont été retirés et affectés au programme n° 139 « Enseignement privé du premier et du second degré » (titre 2 dépenses du personnel).

Les acteurs du programme « Soutien de la politique de l'éducation nationale » ont pour fonction de participer à la rénovation du système scolaire dont l'objectif principal est la réussite de tous les élèves, aussi bien dans l'enseignement public que dans l'enseignement privé. Retirer des crédits de ce programme transversal en faveur de l'enseignement privé compromet donc sa mission générale d'organisation de l'ensemble des services de l'éducation nationale.

Ce mouvement de crédit contrevient totalement à l'égalité de traitement entre l'enseignement public et l'enseignement privé en méconnaissant le devoir de l'État concernant « l'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés » imposé par le Préambule de la Constitution de 1946 et confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958.
Cette opération budgétaire conduit à diminuer le nombre des suppressions de postes d'enseignants dans l'enseignement privé. Ce n'est pas le cas pour l'enseignement public.

Depuis 2007, la politique du gouvernement est axée sur le non remplacement d'un enseignant sur deux qui part à la retraite.

L'article 442-14 du code de l'éducation précise que « le montant des crédits affectés à la rémunération des personnels enseignants des classes, faisant l'objet d'un des contrats prévus aux articles L. 442-5 et L. 442-12, au titre de leurs tâches d'enseignement, est déterminé chaque année par la loi de finances. Il est fixé en fonction des effectifs d'élèves accueillis et des types de formation dispensés dans les établissements d'enseignement publics et dans les classes sous contrat des établissements d'enseignement privés, et compte tenu des contraintes spécifiques auxquelles sont soumis les établissements d'enseignement publics du fait de conditions démographiques, sociales ou linguistiques particulières. Aucun nouveau contrat ne peut être conclu que dans la limite des crédits mentionnés au présent article. »

Pour l'année scolaire 2009-2010, l'enseignement privé sous contrat a accueilli 1 835 966 élèves, soit 15,59 % des élèves et a bénéficié globalement de 20 % des postes d'enseignants.

De plus, les inscriptions des élèves dans l'enseignement privé stagnent (+0,059 %) et 1 633 postes d'enseignants ont été supprimés. Si, le principe de parité avait été respecté, 3 200 postes auraient dû être supprimés au lieu de 1633, soit 20 %.

Parallèlement, 9 942 190 élèves ont été scolarisés dans l'enseignement public (ce qui représente 84,41 % des élèves) et la hausse du nombre d'élèves est 50 fois plus importante que celle de l'enseignement privé. 13 367 postes d'enseignants du secteur public ont été supprimés.

Par votre décision n° 93-329 DC du 13 janvier 1994 vous énoncez : « que la loi viole le principe d'égalité en permettant à parité entre établissements publics et établissements privés des concours financiers alors que les charges et contraintes des uns sont supérieures à celles des autres ».

Supprimer en proportion moins de postes d'enseignants dans l'enseignement privé que dans l'enseignement public ne permet donc pas de respecter le principe d'égalité et favorise objectivement l'enseignement privé.

Ainsi, selon le ministère de l'éducation nationale, l'enseignement public du 1er degré accueille 5333 élèves supplémentaires cette année et contraint à la suppression de 8967 postes d'enseignants. A l'opposé, les effectifs de l'enseignement privé du 1er degré diminuent de 2300 élèves et 223 suppressions de postes d'enseignants sont prévues.

Par votre décision n° 99-414 DC du 08 juillet 1999 vous affirmez que « le principe d'égalité impose qu'élèves de l'enseignement privé et public bénéficient d'un égal accès aux formations dispensées dans le cadre du service public de l'enseignement, […]; qu'en revanche, il ne saurait exiger que toutes les formations dispensées dans les établissements de l'enseignement public le soient avec l'aide de l'État dans les établissements de l'enseignement privé ».

Le déséquilibre en faveur de l'enseignement privé ne parait donc pas être une juste appréciation du principe de la liberté d'enseignement dans la mesure où l'avantage est particulièrement favorable à ce dernier.

Votre Conseil ne pourra donc que censurer cette rupture d'égalité compte tenu du caractère manifeste de l'avantage consenti à l'enseignement privé au détriment de l'enseignement public et au regard de l'objectif poursuivi par le législateur.

III. Les modalités de mise en œuvre du dispositif de réduction homothétique de certains avantages fiscaux définies par l'article 105 constituent un cas d'incompétence négative du Parlement et conduisent à une rupture du principe d'égalité

A. Les modalités d'application de cette disposition conduisent à une méconnaissance par le législateur de sa propre compétence

Le I de l'article 105 dispose que l'ensemble des avantages fiscaux retenus pour l'application du plafonnement global prévu au b du 2 de l'article 200-0 A du code général des impôts font l'objet d'une diminution de 10 %. Il est précisé que les taux et les plafonds de ces réductions ou crédits d'impôt sont multipliés par 0,9, après prise en compte de leurs majorations éventuelles. Enfin, lorsque plusieurs avantages fiscaux sont soumis à un plafond commun, ce dernier est minoré également de 10 %.

Pour autant, la loi de finances ne procède pas à la fixation des taux et plafonds de chacun des différents dispositifs, non plus que des éventuels plafonds communs, mais renvoie à un décret en Conseil d'Etat pour cette fixation définitive. Conformément à la rédaction issue du Sénat, ce décret devra être pris avant le 30 avril 2011, en prenant pour référence le droit en vigueur au 1er janvier 2011.

Selon l'article 34 de la Constitution, « la loi fixe les règles concernant (...) l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures (...) ». Par nature, les dispositifs de réductions et crédits d'impôts modifient directement, selon les cas, le taux où l'assiette des impositions auxquels ils se rattachent et doivent donc être prévus par la loi.

Malgré les précisions relatives à la date du décret, qui ne peut néanmoins constituer une injonction faite au gouvernement, et au droit de référence pour l'application de la réduction de 10 % en l'absence de laquelle il aurait été totalement impossible, au moment de l'entrée en application de la loi de finances, de déterminer a priori le niveau de l'avantage fiscal réel demeurant ouvert aux contribuables, on constate que le choix de ne pas modifier par la loi avec précision les différents dispositifs visés laisse une marge importante d'appréciation au pouvoir exécutif et par là d'incertitude.

On citera d'abord l'ignorance dans laquelle le législateur semble demeurer quant à l'existence des différents plafonds communs applicables au 3 ° du I.

Le Sénat a, à l'initiative de sa commission des finances, précisé que n'était pas visé, en l'occurrence, le plafonnement global de certains avantages fiscaux prévu à l'article 200-0 A. Mais aucune définition positive de ces plafonds n'a été produite durant la discussion budgétaire.

De même, le Parlement a été amené à préciser, pour un dispositif en particulier, les règles de calcul de la réduction dès lors que la règle générale d'arrondi à l'unité inférieure (2 ° du I) pourrait conduire à une réduction en réalité bien supérieure à 10 % des avantages ouverts aux contribuables.

Ainsi, à l'initiative de la commission des finances de l'Assemblée a été adoptée au VI de l'article une précision relative au dispositif visé à l'article 199 septvicies du Code général des impôts (dispositif dit du « Scellier intermédiaire »). Faute d'une telle précision, l'application du présent article dans sa forme initiale aurait conduit, comme l'a rappelé le Rapporteur général du Sénat « à un taux de 1 % (1,8 % arrondi à 1 %), soit une réduction de 50 % ».

L'existence d'autres cas de ce type n'est pas à exclure, dès lors qu'aucune étude générale des effets de cette disposition n'a été fournie durant l'examen du projet de loi de finances. Le Rapporteur général du Sénat s'est contenté à cet égard d'une formulation ouverte en indiquant que : « il ne semble pas exister d'autre niche pour laquelle ce phénomène est aussi marqué ».

Une telle imprécision, et le décalage potentiellement important entre l'intention générale exprimée par le législateur et la traduction qui pourrait en être tirée - y compris en respectant une règle « mathématique » - souligne que le législateur est resté en-deçà de sa compétence ne votant pas avec précision les taux applicables des différents avantages fiscaux visés par cet article.

  1. L'exclusion de certains avantages fiscaux d'un dispositif à prétention générale constitue une rupture d'égalité sans rapport avec un motif d'intérêt général ou avec l'objet de la loi

Le I de l'article 105 exclut explicitement de son application le crédit d'impôt pour frais de garde des enfants âgés de moins de 6 ans (0,9 milliard d'euros en 2010), le dispositif en faveur de l'emploi d'un salarié à domicile (3,05 milliards d'euros, dont 1,3 milliard d'euros pour la réduction d'impôt et 1,75 milliard d'euros pour le crédit d'impôt) et la réduction d'impôt au titre des investissements effectués dans le secteur du logement social dans les départements et collectivités d'outre-mer (20 millions d'euros).

Alors même qu'une première différenciation entre les avantages fiscaux dits « subis » et « choisis » avait présidé à la définition du périmètre des avantages soumis au plafonnement global prévu à l'article 200-0 A, l'application du mécanisme de réduction homothétique est proposée sur un champ encore plus réduit.

S'agissant des réductions et crédit d'impôt pour l'emploi de salariés à domicile, cette exclusion n'est motivée par aucun motif d'intérêt général et elle n'a a fortiori pas de lien direct avec l'objet de la loi, la disposition fiscale en cause présentant un coût élevé (supérieur à 3 milliards d'euros) alors que l'objet de l'article 105 est d'introduire une réduction du coût des avantages fiscaux à l'impôt et de majorer de ce fait les recettes fiscales.

Le fait que cet avantage fiscal puisse dans une certaine mesure produire des effets positifs en terme d'emplois, outre qu'elle n'est certainement pas vérifiée de manière indubitable dès lors que les effets d'aubaine tendent à l'emporter et dans la mesure où les plafonds de dépenses prises en compte ont été très sensiblement relevés, n'est pas une justification d'intérêt général recevable dès lors que plusieurs dispositifs inclus dans le champ de l'article 105 ont été introduits avec le même objectif final de création d'emploi à travers de la stimulation de l'investissement et de l'activité économique.

Le Conseil constitutionnel ne pourra donc qu'annuler pour non respect du principe d'égalité l'exclusion des dispositifs visés à l'article 199 sexdecies.

IV. Sur l'insertion de dispositifs étrangers au domaine de la loi de finances : article 115

L'article 115 du projet de loi dispose que la période pendant laquelle un fonctionnaire ou agent non titulaire bénéficie d'un congé pour raison de santé ne peut ouvrir droit à un temps de repos lié au dépassement de durée annuelle du travail.

Introduite sans aucune concertation ni évaluation préalable, cette disposition de pur affichage ne ressort d'aucune des catégories de dispositions pouvant figurer au sein d'une loi de finances conformément au 7 ° de l'article 34 de la LOLF. Le Conseil constitutionnel ne pourra donc que l'annuler à ce titre.

V. L'ouverture du bénéfice de l'exonération pour deux ans de cotisation foncière des entreprises à de nouvelles catégories d'auto-entrepreneurs conduit à une rupture d'égalité entre contribuables : article 137

Dans sa rédaction actuelle, l'article 1464 K du Code général des impôts dispose clairement que les contribuables ayant opté pour le versement libératoire de l'impôt sur le revenu mentionné à l'article 151-0 sont exonérés de la cotisation foncière des entreprises pour une période de deux ans à compter de l'année qui suit celle de la création de leur entreprise.

L'accès au régime du prélèvement libératoire est conditionné notamment par le niveau de revenu fiscal du contribuable. Le 2 ° de l'article 151-0 dispose que l'option pour le prélèvement libératoire est ouverte à condition que les revenus du foyer fiscal au titre de l'avant dernière année soient inférieurs à la limite de la troisième tranche du barème de l'impôt sur le revenu par part de quotient familial, majorée de 50 et 25 % par demi-part ou quart de part supplémentaire.

Le nouveau cas d'exonération posé par l'article 137 du projet de loi a été motivé essentiellement par la volonté de faire bénéficier de l'exonération prévue à l'article 1464 K l'ensemble des contribuables qui auraient pu y prétendre, c'est-à-dire aux auto-entrepreneurs qui, tout en respectant les conditions permettant d'accéder au régime du prélèvement libératoire, n'y auraient pas souscrit par méconnaissance du droit en vigueur. Il a en effet été argué du fait que la communication gouvernementale concernant le statut de l'auto-entrepreneur avait sans doute par trop mis en avant l'idée selon laquelle ce statut permettrait d'échapper à toute imposition.

L'annonce de cette correction avait d'ailleurs précédé la présentation de l'amendement, le rapporteur général du Sénat indiquant que « le secrétaire d'État compétent en la matière, Frédéric Lefèbvre, ayant annoncé que tout le monde serait remboursé, il faut bien régulariser maintenant la décision prise » . Or tel n'est pas le cas avec la disposition votée qui étend ce bénéfice au-delà de cette population strictement définie des entrepreneurs qui auraient omis de s'affilier au régime du prélèvement libératoire.

En substituant à une condition de revenu la seule condition que l'auto-entrepreneur bénéficie du régime dit « microsocial » prévu à l'article L. 133-6-8 du Code de la Sécurité sociale, l'article 137 a procédé à un assouplissement excessif des conditions d'exonérations de la cotisation foncière des entreprises, et notamment de la cotisation minimale.

Cette disposition introduit donc une nouvelle différence de traitement avec d'autres entreprises ne bénéficiant pas du régime de l'auto-entrepreneur qui resteront soumises dès leur création à une cotisation foncière. Elle n'est justifiée par aucune différence réelle de situation entre les différents modes d'exercice des activités, étant au contraire à appliquer une règle fiscale plus favorable à des contribuables qui disposeraient globalement de ressources personnelles plus élevées que ceux qui n'auraient pas optés pour le régime de l'auto-entrepreneur. Cette extension abusive ne pourra donc qu'être censurée par le Conseil, étant entendu qu'il convient de lui substituer un dispositif permettant la « régularisation » de la situation des entrepreneurs qui, tout en pouvant bénéficier en l'état du droit de l'exonération, auraient omis d'opter pour le régime y ouvrant droit.

VI. Sur les restrictions d'accès à l'aide médicale d'Etat (AME) : article 186 et 188

Les auteurs de la saisine rappellent leur attachement aux principes constitutionnels qui garantissent le droit à la santé pour tous. Ce principe issu notamment du 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 doit conduire en toutes circonstances le législateur à concilier les améliorations apportées à la qualité des soins pour tous et à l'organisation du système de santé sur tout le territoire, d'une part, tout en recherchant les modalités d'un système de financement solidaire et pérenne y contribuant, d'autre part. Le respect du principe constitutionnel de l'équilibre des comptes publics ne peut pas servir de prétexte à la remise en cause du principe du droit à la santé en restreignant l'accès aux soins de première nécessité pour les plus démunis. A cet égard, les dispositions adoptées aux articles 186 et 188 du présent texte, constituent une atteinte caractérisée au droit à la santé constitutionnellement garanti.

1 L'origine de l'AME repose sur les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et constitue un système équilibré d'accès aux soins pour les plus démunis

L'aide médicale d'Etat (AME) est issue de l'article 18 la loi du 24 vendémiaire An II qui disposait que « tout malade, domicilié de droit ou non, qui sera sans ressources, sera secouru ou à son domicile de fait, ou à l'hospice le plus voisin ». La loi du 15 juillet 1893 relative à l'aide médicale gratuite, précisait qu'elle concernait les indigents français et étrangers.

La loi du 27 juillet 1999 portant création d'une couverture maladie universelle (CMU) a permis l'accès à la couverture maladie pour tous les citoyens français et étrangers ayant un titre de résidence offerte par la sécurité sociale. Elle a réservé l'AME aux étrangers dépourvus de titre de résidence sur le territoire français afin de leur permettre la prise en charge des dépenses de soins, de consultations médicales à l'hôpital ou en médecine de ville, de prescriptions médicales et de forfait hospitalier dès lors qu'ils sont pratiqués au tarif opposable. Le bénéficiaire de cette aide est dispensé de l'avance des frais, à l'hôpital ou en médecine de ville.

Ce dispositif figure aux articles L. 251-1 à L. 251-3 du code de l'action sociale et des familles. Il fait l'objet d'un contrôle étroit, tant sur le plan financier que sur les conditions d'accès comme l'ont démontré les deux précédents rapports de l'inspection générale des affaires sociales de février 2003 et mai 2007. L'AME est un dispositif efficace et géré de manière rigoureuse, en restreindre l'accès n'est donc pas nécessaire et risque d'entrainer un phénomène de renonciation aux soins pour la population d'immigrés sans titre de séjour.
Les estimations du bureau international du travail (BIT) portent sur la présence de 350 000 à 400 000 personnes en situation irrégulière en France, ainsi plus de cent mille personnes ne font pas de demande d'AME.

Lors du contrôle exercé par le Parlement lors du vote annuel de la dotation budgétaire qui lui est dédiée, à plusieurs reprises les commissions des finances et des affaires sociales du Sénat ont démontré, au cours des dernières années, la sous-dotation de cette ligne budgétaire. D'après le rapport pour avis pour 2011 du sénateur Alain Milon, le projet de loi de finances pour 2011 semble y avoir mis un terme. Ainsi le budget prévisionnel de l'AME s'établit à 588 millions d'euros pour 215 763 bénéficiaires au 31 décembre 2009.

L'état de santé moyen des titulaires de l'AME est bien plus médiocre que celui de la population générale, pourtant le coût moyen des soins pour un titulaire de l'AME s'élève à 2055 euros contre 2188 euros pour les assurés sociaux. L'AME ne représente donc pas une charge financière disproportionnée par rapport à l'assurance maladie dont bénéficie le reste de la population. Le coût moyen par bénéficiaire est également resté stable sur les huit dernières années (+ 2 % en huit ans). On note toutefois de fortes disparités entre la prise en charge moyenne en ville, qui s'élève à 625 euros par an en moyenne, et à l'hôpital, 9 000 euros.

L'augmentation des dépenses hospitalières expliquerait, d'après les services du ministère de la santé, la moitié de la hausse du coût de l'AME depuis 2008. Or cette croissance est moins due aux soins qu'à la tarification adoptée par les hôpitaux qui facturent les assurés qui ne sont pas couverts par un régime d'assurance maladie au tarif journalier de prestation. Celui-ci est plus élevé que celui des groupes homogènes de séjour, habituellement appliqué. Or, depuis quelques années, les établissements ont beaucoup augmenté le TJP, sans justification particulière. De plus, l'accueil des publics précaires est couvert depuis deux ans par une dotation spécifique au sein des missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC). La facturation des soins hospitaliers dans le cadre de l'AME a donc augmenté au cours des dernières années pour répondre aux besoins financiers des hôpitaux, sans lien avec les malades.

L'existence de l'AME repose sur des nécessités sanitaires et sociales, elle est issue des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

La délivrance de cette carte donne accès à la CMU-C, tandis que L'AME tend à permettre à ceux dont l'état de santé ne met pas immédiatement en cause l'espérance vitale d'être soignés.

L'existence de ce dispositif se justifie par des considérations sanitaires et sociales, il est indépendant de la politique française d'immigration, car l'Etat ne peut se désintéresser de la situation sanitaire des personnes présentes, avec ou sans titre, sur le territoire national.

Les obligations internationales de la France consacrent l'obligation de l'AME. Le Conseil d'Etat a ainsi jugé que l'article 97 de la loi de finances rectificative pour 2003 qui subordonnait le bénéfice de l'AME à une résidence d'au moins trois mois sur le territoire national ne pouvait être appliqué aux mineurs. L'article 3-1 de la Convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant interdit en effet que les enfants connaissent des restrictions dans l'accès aux soins nécessaires à leur santé.

Par ailleurs dans le cadre d'un don d'organe, le donneur vivant ne doit, dans le respect des lois de bioéthique, se voir imposer aucun frais. Or, comme l'indique l'agence de biomédecine, certains donneurs sont des étrangers qui viennent en France pour faire don d'un organe à un membre de leur famille.

Ils disposent de la possibilité de bénéficier de l'AME à titre dérogatoire mais il est essentiel que celle-ci puisse continuer à couvrir l'ensemble de leurs frais sous peine de remettre en cause le caractère éthique du don en lui imposant des contraintes financières.

Restreindre les conditions d'entrée dans le dispositif d'AME va contribuer à augmenter les renoncements aux soins, aggraver des pathologies au détriment du malade et faire courir ainsi des risques à l'ensemble de la collectivité sans compter l'augmentation inévitable des coûts des soins.

2 les articles 186 et 188 restreignent l'accès à l'AME portant ainsi atteinte au droit à la protection de la santé

L'article 186, ajouté par voie d'amendement à l'Assemblée nationale, prévoit l'obligation d'un agrément préalable des caisses avant l'autorisation de soins hospitaliers dépassant un cout fixé par décret.

Il complète l'article L. 251-2 du code de l'action sociale et des familles en prévoyant un agrément préalable de la caisse dont dépend le bénéficiaire de l'AME pour les soins hospitaliers dont le coût dépassera un montant fixé par décret en Conseil d'Etat.

L'agrément sera accordé après vérification du fait que les conditions de résidence continue et de revenus sont toujours remplies.

Cette disposition va conduire à retarder la prise en charge des soins en imposant le réexamen systématique des conditions d'accès à l'AME dont la durée moyenne actuelle est de vingt-trois jours. Cela ne peut conduire qu'à aggraver la situation sanitaire du malade et risque de transformer des examens planifiés en soins inopinés, privant les bénéficiaires de soins appropriés à leur état de santé et par ailleurs elle fera peser un soupçon sur le bien fondé des décisions médicales.

L'article 188 vise à créer un droit de timbre annuel de trente euros pour les bénéficiaires de l'AME et à limiter le nombre d'ayants-droit.

Ce nouvel article 968 E du code général des impôts prévoit le conditionnement de la prise en charge des soins des bénéficiaires de l'AME à l'acquittement d'un droit de timbre annuel de trente euros par bénéficiaire majeur, les enfants étant exclus de toute participation financière en raison du respect des conventions internationales. Ce versement prendrait la forme d'un timbre fiscal acquitté lors de la remise de l'attestation d'admission au dispositif, car les caisses de sécurité sociale ne peuvent pas encaisser d'argent en espèces.

L'AME étant accordée pour un an, ce forfait devra être de nouveau acquitté lors du renouvellement de l'aide.

Ce droit de timbre de 30 euros représente environ 4,9 % du revenu maximal des titulaires de l'AME. Il constitue une entrave importante dans l'accès aux soins de cette partie de la population.

Cet article prévoit également la création d'un fonds destiné à collecter cette nouvelle recette et à prendre en charge les dépenses d'AME en insérant un nouvel article L. 253-3-1 dans le code de l'action sociale et des familles instituant un fonds national de l'aide médicale de l'Etat.

Ce fonds prendra en charge les dépenses de l'aide médicale de l'Etat et ses propres frais de fonctionnement. Il sera administré par un conseil de gestion dont la composition, les modalités de désignation des membres et les modalités de fonctionnement seront fixées par décret. Sa gestion sera assurée par la Caisse des dépôts et consignations.
En recettes, le fonds sera alimenté par le produit issu du droit de timbre créé. Un arrêté des ministres chargés de la santé et du budget constatera, chaque année, le montant du produit collecté et versé au fonds. L'Etat assurera l'équilibre du fonds en dépenses et en recettes.

La création de ce fonds fait perdre tout son sens au dispositif actuel qui repose sur le principe de la gratuité pour une population très précaire et doit en conséquence relever de la solidarité nationale et non pas de la logique assurantielle comme les prestations de sécurité sociale qui reposent sur les cotisations et les participations des bénéficiaires.

Concernant l'argument du nécessaire équilibre des comptes, la grande complexité du dispositif mis en place pour assurer la collecte du droit de timbre qui suppose la création d'un nouveau fonds va entrainer de nouveaux coûts disproportionnés par rapport aux gains attendus. Ainsi le rendement espéré du droit de timbre devrait s'élever à moins de 7 millions d'euros, si l'on se fonde sur le nombre actuel de bénéficiaires et d'ayants-droit majeurs. A cela il faut préciser que la Ministre de la santé, lors d'une audition devant la commission des finances du Sénat du 23 juin 2010, avait annoncé son souhait concernant l'instauration d'un tel forfait d'accès, dont le montant envisagé à l'époque était de 15 euros.

Elle avait reconnu la nécessité de créer un fonds de gestion et souligné la nécessité de connaître le nombre de timbres fiscaux qui seront traités pour chaque année civile, ce qui allait obliger la caisse primaire d'assurance maladie à développer des outils informatiques. Or la Cour des comptes dans son dernier rapport sur les lois de financement de la sécurité sociale a justement montré les carences importantes en matière d'informatisation de celle-ci.

S'agissant de la limitation du nombre d'ayants droit, elle peut sembler avoir un effet limité puisque 80 % des bénéficiaires de l'AME sont des personnes isolées. Si l'AME est de droit pour les enfants en vertu des conventions internationales, il peut sembler effectivement cohérent de ne pas ouvrir immédiatement de droits pour leurs parents et famille. Toutefois cela peut s'apparenter à une atteinte au droit à la santé dans la mesure où il convient de ne pas limiter l'accès aux soins des parents qui s'occupent d'un enfant malade.

Ces articles portent manifestement atteinte au droit à la santé et à la protection sociale, tel que reconnu par le 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a régulièrement rappelé les obligations faites au législateur d'une part et au pouvoir réglementaire d'autre part pour concilier et respecter ce principe.

La décision n° 2002-463 DC du 12 décembre 2002 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 a indiqué que le niveau du tarif forfaitaire dit de responsabilité devait être fixé à un niveau tel que ne soient pas remises en cause les exigences constitutionnelles relatives à la protection de la santé (considérant 21 et 22).

La décision n° 2004-504 DC du 12 août 2004 a précisé que la participation forfaitaire pour certains actes ou consultations médicaux pris en application du II de l'article L 322-2 du code de la sécurité sociale devait être fixée à un niveau tel que ne soient pas remises en cause les mêmes exigences (considérant 19). Dans cette même décision, la majoration en application de l'article L 162-5-3 du code de la sécurité sociale pour un patient n'ayant pas choisi de médecin traitant ou consultant un autre médecin sans prescription de son médecin traitant ne peut pas également être fixée à un niveau pour lequel les exigences du 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 seraient alors méconnues.

La décision n° 2007-558 DC du 13 décembre 2007 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a considéré que l'article 52 de cette loi n'était pas inconstitutionnel dans la mesure où le législateur a la possibilité de laisser à la charge des assurés sociaux une franchise pour certains frais relatifs aux prestations et produits de santé pris en charge par l'assurance maladie dans le souci du respect du principe de l'équilibre financier de la sécurité sociale (considérant 5).

Toutefois le Conseil constitutionnel a assorti ce considérant d'une réserve puisque le montant de la franchise et le niveau des plafonds devront être fixés de façon telle que ne soient pas remises en cause les exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (considérants 6 et 7).

Il apparaît à la lecture de cette jurisprudence constante et régulière que les dispositions prises par le législateur ne doivent pas porter atteinte au droit à la santé et à la protection sociale. Or, l'obligation d'un agrément préalable des caisses avant l'autorisation de soins hospitaliers dépassant un cout fixé par décret et l'instauration d'un forfait d'accès de 30 euros vont conduire à priver de garanties légales ce principe constitutionnel.

VII. Sur « la mise en œuvre d'un mécanisme de péréquation interne au secteur du logement social » : article 210

  1. Cet article a été amplement modifié par le Parlement qui, plutôt que d'assujettir les organismes concernés à une contribution sur les revenus locatifs, a préféré modifier, premièrement, le prélèvement prévu à l'article L 423-14 du code de la construction et de l'habitation , deuxièmement, la part variable de la cotisation additionnelle instituée par l'article L 452-4-1 du code de la construction et de l'urbanisme.

Par l'effet de ces modifications, le prélèvement au titre de l'article L 423-14 deviendrait une contribution, toujours perçue sur les organismes d'habitations à loyer modéré qui disposent d'un patrimoine locatif. Elle serait toujours assise sur leur potentiel financier, mais le calcul de celui-ci s'opérerait désormais à la lumière des cinq exercices précédents. Par ailleurs, le produit attendu de la part variable de la cotisation additionnelle de l'article L 425-4-1, assise sur l'autofinancement, s'élèverait désormais à 70 millions d'euros. Le produit de ces deux prélèvements serait versé sur un fonds, dont la gestion est confiée à la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS), destiné à contribuer, selon les termes de l'article L 452-1-1, in fine, « au développement et à l'amélioration du parc de logements locatifs sociaux appartenant aux organismes d'habitation à loyer modéré et aux sociétés d'économie mixte, ainsi qu'à la rénovation urbaine ».

  1. Il n'est pas indifférent, avant d'aller plus loin de rappeler que l'institution de ce prélèvement avait été censurée une première fois par le Conseil constitutionnel , qui avait sanctionné une incompétence négative du législateur et, de ce fait, n'avait pas eu à examiner les autres moyens invoqués dans les saisines.

Le dispositif fut ensuite repris, par amendement gouvernemental , à l'occasion du débat sur la loi de finances rectificative pour 2009, précitée.

Celle-ci ne fut pas déférée au Conseil constitutionnel qui ne put donc exercer son contrôle, et ceci méritait d'être souligné, à titre liminaire.

  1. L'objectif affiché, tel que l'expliqua le ministre lorsqu'il présenta l'amendement au projet de loi de finances rectificative consistait, d'une part, à opérer un prélèvement sur ceux que l'on avait pris l'habitude d'appeler les « dodus dormants », c'est-à-dire les bailleurs sociaux qui ne construisaient pas suffisamment, d'autre part, à faire en sorte que le produit de ce prélèvement permît « de financer les travaux de réhabilitation de HLM et de renforcer ainsi la logique de péréquation entre organismes ». C'était donc, très clairement, un mécanisme de péréquation, mais d'une péréquation portant, étonnamment, sur le produit de ce qui était voulu comme une sanction.

  2. Avec les nouvelles dispositions, tout change ou au moins beaucoup, puisque ces prélèvements frapperont désormais la grande majorité des organismes, y compris ceux qui n'ont jamais été des dodus dormants ou ont cessé d'être dodus ou d'être dormants.

En réalité, l'opération paraît obéir à une volonté simple et discutable : prélever des sommes très importantes sur les organismes afin, d'une part, de couvrir une partie des dettes de l'Etat à l'égard de l'ANRU, d'autre part, de rendre le reste aux organismes contributeurs mais seulement après l'avoir en quelque sorte « étatisé », artificiellement, ce qui autorise alors à prétendre que les sommes concernées traduisent les efforts de l'Etat en matière de logement social.

Un tel subterfuge est contestable en tout état de cause, mais au moins lui faudrait-il, pour réussir, que son dispositif respecte l'ensemble des principes et des règles de valeur constitutionnelle.

  1. Tel n'est pas le cas du triple point de vue de la finalité de la contribution A), du calcul (B) puis du choix (C) de son assiette. Ce sont donc les trois aspects qu'il conviendra d'examiner successivement.

A - Sur la finalité de la contribution

  1. Elle visait jusqu'ici à assurer la péréquation que le législateur avait souhaité organiser en 2009.

C'est ce que traduit l'article L 452-1-1 du code, selon lequel le prélèvement alimente un fonds, géré par la CGLLS, qui « attribue des concours financiers aux organismes d'habitations à loyer modéré et aux sociétés d'économie mixte pour la réalisation de leurs opérations de construction et d'amélioration de leur parc de logements locatifs sociaux ».
Mais cela cesserait en partie d'être le cas puisque, par l'effet de la disposition analysée, ce fonds devrait dorénavant contribuer en plus « à la rénovation urbaine ».

Cet ajout soulève immédiatement plusieurs difficultés.

  1. La première tient au caractère cavalier de la disposition. S'agissant d'un fonds qui est extérieur au budget, alimenté par des ressources également extérieures au budget, on ne voit pas à quel titre la définition de sa destination pourrait figurer en loi de finances.

Elle ne relève d'aucun des domaines évoqués au premier alinéa de l'article premier de la LOLF non plus que de ceux dont la liste limitative apparaît au 7 ° de son article 34. Par le passé, le Conseil constitutionnel n'a pas manqué de censurer des dispositions comparables comme étrangères aux domaines des lois de finances ou de financement de la sécurité sociale, y compris lorsque cette censure ne porte que sur une fraction d'un article .

Mais c'est néanmoins et avant tout pour des raisons de fond que ce membre de phrase devra être immanquablement censuré.

  1. Les organismes concernés par le dispositif sont, jusqu'à présent et de manière collective, à la fois les contributeurs et les bénéficiaires du fonds, comme il est très logique puisque c'est à cela que se reconnaît une péréquation.

Au contraire, en introduisant la rénovation urbaine parmi les destinations des sommes ainsi collectées, ce n'est plus de péréquation qu'il s'agit.
Quelles que puissent être la légitimité et la nécessité de telles dépenses, elles peuvent concerner les objets les plus divers - de création d'une crèche à la construction d'un commissariat de police en passant par la réhabilitation d'un centre commercial - et n'ont en commun que d'être parfaitement extérieures au rôle et à la vocation des organismes HLM.

On ne voit dès lors pas à quel titre les organismes concernés et même, parmi eux, ceux que l'on appelle les dodus dormants, devraient sélectivement contribuer au financement d'une mission qui les dépasse et qui relève de la seule responsabilité des collectivités publiques.

  1. Il va de soi que les constats qui précèdent, attestent de l'existence d'une rupture d'égalité des citoyens devant les charges publiques puisque les organismes visés par le dispositif, et eux seuls, seraient ainsi appelés à contribuer à une dépense qui est d'intérêt général.

Certes, le Conseil constitutionnel considère

« qu'en vertu de l'article 34 précité de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose »,

mais c'est pour ajouter aussitôt

« que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques » .

Et il est ici une singularité qui atteste de la présence d'une telle rupture caractérisée.

  1. Curieusement, il ne semble pas qu'existe à ce jour de décision dans laquelle ait été posée au Conseil constitutionnel la question de la portée et des limites d'un mécanisme de péréquation.
    Or, au cas présent, tous les auteurs de la loi, Gouvernement et Parlement confondus, ont souligné à l'envie que les dispositions en cause étaient bien conçues et voulues comme opérant une péréquation. Celle-ci suppose donc qu'une seule et même catégorie de personnes réunisse à la fois tous les contributeurs et tous les bénéficiaires de la mesure, faute de quoi il ne s'agirait plus d'une péréquation.

Dès lors, donc, qu'une fraction, même indéterminée, voire modeste, des sommes en jeu irait à la rénovation urbaine, les bailleurs sociaux cesseraient, sur cette partie, d'être bénéficiaires du dispositif et la rupture d'égalité s'en trouverait d'autant plus caractérisée.

En conséquence, les mots : « et à la rénovation urbaine » ne sauraient échapper à la censure.

B - Sur le calcul de l'assiette de la contribution

  1. Celle-ci est constituée du « potentiel financier » des organismes concernés, auquel est ensuite appliqué un taux proportionnel et progressif déterminé en fonction du nombre de logements détenus.

Ce potentiel financier est, à quelques éléments près, celui défini par l'actuel troisième alinéa de l'article L 423-14.

Toutefois, un changement très important résulterait de la disposition contestée par rapport au droit en vigueur puisque le barème s'appliquerait à la moyenne des potentiels financiers par logement des cinq exercices précédents, au lieu des deux exercices précédents dans le droit présent.

  1. Le mécanisme actuel, parce qu'il poursuivait deux objectifs contradictoires, a donné des résultats contrastés.

D'un côté, il tendait à réveiller les dodus dormants et, à cet égard, il a assez largement réussi. Mais, d'un autre côté, il visait également à apporter des ressources aussi élevées que possible à la CGLLS dont les pouvoirs publics sont d'autant plus friands qu'ils peuvent, comme on l'a déjà souligné (supra, 4), présenter ces sommes comme représentatives de leur propre effort. Toutefois, plus le premier objectif était atteint, moins le second pouvait l'être, puisque les investissements auxquels les organismes ont été incités ont eu pour effet automatique de diminuer le rendement du prélèvement opéré sur leurs réserves.

Certes, il s'était également trouvé que certains organismes avaient découvert la possibilité de recourir à l'optimisation fiscale pour réduire, y compris d'une manière que les pouvoirs publics jugent artificielle, l'écart entre les ressources de long terme et les emplois à long terme, ce qui réduisait dans les mêmes proportions le montant du prélèvement.

C'est donc officiellement pour mettre fin à cette pratique, mais en réalité pour grossir bien au-delà de celle-ci le produit des prélèvements, que le législateur entend prendre en considération le potentiel financier par logement des cinq exercices précédents : puisque la référence aux deux dernières années ne produit pas assez, on passera à cinq.

  1. L'essentiel ici tient à la profondeur que revêt la prise en considération d'exercices antérieurs.
    Cette prise en considération est déjà présente dans le dispositif actuel, même si elle n'est limitée qu'à deux exercices. Mais, sachant que « la conformité à la Constitution des termes d'une loi promulguée ne peut être utilement contestée qu'à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine » , ce principe rétrospectif peut être critiqué autant que nécessaire.

  2. Il pourrait l'être du point de vue de la rétroactivité. Sur celle-ci, le Conseil constitutionnel, tout en observant que :

« le principe de non-rétroactivité des lois n'a valeur constitutionnelle, en vertu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, qu'en matière répressive »,

rappelle néanmoins que :

« si le législateur a la faculté d'adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles » .

En ajoutant l'adjectif « suffisant » depuis la décision précitée, le Conseil a entendu montrer qu'il ne saurait se satisfaire de n'importe quelle invocation d'un intérêt général imprécis et que, celui-ci étant identifié, il faut encore qu'il soit assez impératif pour rendre légitime la rétroactivité éventuelle.

Mais c'est au regard d'un autre fondement que ce dispositif mérite d'être déclaré contraire à la Constitution.

  1. En effet, l'on n'en connaît pas d'autre qui conduise à remonter si loin dans le passé : cinq exercices antérieurs, que les intéressés pouvaient croire définitivement soldés, produiraient désormais des effets de droit, au demeurant découverts a posteriori.

L'ampleur, semble-t-il inédite, de ce retour en arrière ne peut laisser le Conseil constitutionnel indifférent.
Admettre que le législateur puisse, à tout moment et sans préavis, remettre en cause des situations légalement acquises est évidemment un problème, surtout lorsque la mesure n'a d'autre objet que de gonfler le produit d'un prélèvement obligatoire .

Si la jurisprudence, jusqu'ici, a toujours refusé de reconnaître valeur constitutionnelle au principe de sécurité juridique (ou à son équivalent communautaire qu'est celui de confiance légitime), elle s'en approche néanmoins fréquemment par le recours au principe de la garantie des droits tel qu'énoncé à l'article 16 de la Déclaration de 1789. Celle-ci, en effet, se trouve entamée si, d'une manière ou d'une autre, les titulaires de droits, soit voient ceux-ci remis en cause, soit sont placés dans l'impossibilité de les exercer normalement.

Ce serait le cas en l'espèce.
16. La construction de logements sociaux est une opération de long terme, que l'on ne saurait assimiler à des consommations immédiates.
Elle suppose de se projeter plusieurs décennies dans le futur. Elle implique, en particulier pour des programmes ambitieux, la mobilisation de ressources importantes, lesquelles exigent plusieurs années, parfois nombreuses, pour être réunies.

Dans ces conditions, les « dodus » ne peuvent dormir que d'un œil et s'occuper, en réalité, à accumuler des réserves non pour thésauriser - ce qui, dans leur cas, ne présenterait aucun intérêt tangible - mais en vue de financer le moment venu les programmes qu'ils se proposent de mettre en œuvre.
Ayant normalement acquitté les prélèvements, pouvant normalement s'estimer à l'abri d'un impôt de solidarité sur la fortune des personnes morales dont ils seraient les seuls contributeurs, les organismes concernés étaient jusqu'ici en droit de considérer que les exercices clos du passé ne produiraient plus d'autres effets que ceux enregistrés dans leurs résultats.

  1. Or voici que deux lois coup sur coup, l'une en 2009 et l'autre dès 2010 remettent en cause ce qu'ils pouvaient légitimement tenir pour acquis, retraitent leur situation passée pour leur imposer une contribution présente et future, alourdie par ce subterfuge.

Dans ce mécanisme, le législateur ne se pose pas la question de savoir si les conséquences de ces retours en arrière, inattendus et d'une importance aggravée par la loi déférée, compromettent la réalisation de programmes envisagés ou bouleversent les plans d'investissements, souvent définis longtemps à l'avance, que les intéressés avaient pu bâtir, ou encore aboutissent à des prélèvements d'un montant excessif pour beaucoup, exorbitant pour certains.

C'est bien la garantie des droits qui se trouve alors directement atteinte, puisque l'on découvre que des droits que l'on croyait légalement et définitivement acquis peuvent retentir négativement sur le devenir de leurs titulaires en produisant, au-delà de la clôture de chaque exercice, des conséquences de droit et financières imprévisibles a priori.

  1. Le droit, notamment fiscal, connaît des situations assez nombreuses dans lesquelles la situation d'une personne s'apprécie au regard des variations qui ont pu être enregistrées entre une année et l'année précédente.

L'actuel article L 423-14 plonge son regard sur deux exercices antérieurs, ce qui est déjà assez inusuel. En faisant porter cette rétro-vision non plus sur deux mais sur cinq exercices clos, la disposition contestée, outre qu'elle entamerait comme on vient de le voir la garantie des droits, créerait un précédent des plus préoccupants : si le législateur, à tout moment, sur tout sujet, pour toute finalité pouvait décider de donner au passé des effets juridiques autres que ceux que ce passé lui-même avait produits, alors il n'existerait plus aucune sécurité, d'aucune sorte, pour quiconque.

Telles sont les raisons pour lesquelles ce dispositif doit être déclaré contraire à la Constitution et le sera.

C - Sur le choix de l'assiette de la contribution

  1. Les alinéas 11 à 14 de l'article L 423-14 seraient ainsi rédigés :

« Un organisme d'habitations à loyer modéré ou une société d'économie mixte de construction et de gestion de logements sociaux qui contrôle de manière exclusive ou conjointe, dans les conditions prévues par l'article L. 233-16 du code de commerce, un ou plusieurs organismes ou sociétés peut opter, avec leur accord, pour une détermination consolidée du potentiel financier par logement. Cette option est valable pour une période de cinq ans.
« Dans ce cas, le potentiel financier consolidé par logement est obtenu en faisant la somme algébrique des ressources, des emplois et des logements de chaque organisme ou société.
« Chaque organisme ou société est alors redevable d'un prélèvement égal au produit du nombre de ses logements au sens des deuxième et troisième alinéas de l'article L 452-4 du présent code sur lesquels il détient un droit réel au 31 décembre de l'année précédente par la contribution moyenne par logement du groupe.
« Chaque membre du groupe opte, soit pour le prélèvement mentionné aux trois alinéas précédents, soit pour le prélèvement calculé à partir de ses seules données déclaratives. »

  1. Il résulte de ces dispositions que les sociétés membres d'un groupe se verront offrir un droit d'option leur permettant de choisir la plus favorable des deux assiettes soit celle du groupe ou soit la leur propre.

En lui-même, un tel mécanisme n'a rien qui puisse heurter. Tout juste peut-on noter au passage qu'il s'agit là d'un privilège réservé aux seules sociétés membres d'un groupe, tandis que celles qui sont isolées n'ont pas la même facilité, mais on observe aussitôt que les unes et les autres ne se trouvent pas placées dans la même situation, de droit autant que de fait, de sorte qu'il n'y a là, en soi, aucune rupture d'égalité.

Mais la question prend un tour tout différent lorsque l'on s'intéresse à la nature de la contribution en cause.

  1. Il résulte explicitement et formellement du 5ème alinéa de l'article L 423-14 que :

« La contribution moyenne par logement résulte de l'application, à la moyenne des potentiels financiers par logement des cinq exercices précédents, dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé du logement qui portent le produit total annuel du prélèvement sur l'ensemble des organismes visés au premier alinéa à 175 millions d'euros… ».

En tout état de cause, donc, la contribution devra engendrer un produit annuel de 175 millions d'euros dont la charge sera répartie entre tous les assujettis selon les modalités déterminées par la loi et précisées par un arrêté.

  1. S'il s'agissait d'un impôt de quotité, les prélèvements opérés sur les uns seraient indifférents aux prélèvements opérés sur les autres, d'éventuelles mesures favorables réservées à certains n'ayant alors comme conséquences que de diminuer le produit total de la contribution.
    Au contraire, pour une contribution dont le législateur a voulu faire un impôt par répartition, tous les assujettis sont rendus solidaires, de sorte que la diminution du prélèvement opéré sur les uns se traduirait aussitôt et immanquablement par une augmentation à due concurrence du prélèvement opéré sur les autres. Les seconds seraient ainsi amenés à payer pour les premiers.

Peu importent ici la cause de la diminution ou le volume de l'augmentation. Seul compte le principe, lequel aboutit inévitablement à une rupture d'égalité.
23. D'une part, deux sociétés présentant exactement les mêmes données déclaratives n'acquitteraient pas pour autant la même contribution si l'une des deux est membre d'un groupe dont les données moyennes lui permettent de diminuer l'assiette de sa contribution.

D'autre part et surtout, l'avantage ainsi consenti au profit de celle-ci se traduirait par une augmentation automatique au détriment de celle-là qui, conjointement avec tous les autres assujettis, devraient en supporter le coût.
Non seulement l'on cherche en vain ce qui pourrait justifier de tels effets, mais encore ces derniers pourraient même se révéler directement contraires à l'objectif poursuivi par le législateur et sur lequel est fondé l'ensemble du dispositif : pour reprendre l'expression imagée qui définit la cible, un véritable « dodu dormant », pour peu qu'il soit membre d'un groupe, pourrait se révéler finalement moins taxé qu'un moins dodu et moins dormant.

  1. Parce que ces constats résultent directement de la loi qui a omis de tirer les conséquences naturelles de ce qu'un impôt par répartition ne fonctionne pas selon la même logique et les mêmes mécanismes qu'un impôt de quotité, la rupture d'égalité qui en résulte est à la fois objective et mécanique.

A ce double titre, les dispositions en cause ne pourront qu'être déclarées contraires à la Constitution.

Nous vous prions, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, d'agréer l'expression de notre haute considération.