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Décision n° 2010-614 DC du 4 novembre 2010 - Observations du gouvernement

Loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et la Roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire français
Non conformité totale

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, d'un recours dirigé contre la loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire de la République française et à leur retour dans leur pays d'origine ainsi qu'à la lutte contre les réseaux d'exploitation concernant les mineurs.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

A titre préalable, et dès lors que les critiques faites à l'accord du 1er février 2007 renvoient pour un bon nombre d'entre elles à des questions d'interprétation des clauses de cet accord, le Gouvernement entend souligner qu'il résulte de la lettre même de l'accord et en particulier de la mention de son préambule introductif aux termes de laquelle les parties contractantes « respectent les législations nationales de leurs Etats » ainsi que des stipulations de son article 1er qui affirment clairement que les parties contractantes collaboreront « conformément aux législations nationales de leurs Etats » que l'accord ne peut être interprété comme ayant entendu déroger à la législation en vigueur.
Le Gouvernement entend également souligner que la décision par laquelle le parquet ou le juge des enfants autorise le retour dans son pays, à la demande des autorités compétentes de Roumanie, d'un mineur roumain isolé sur le territoire national ne peut en aucune manière être assimilée à une mesure d'éloignement. La décision en cause a seulement pour objet de permettre le retour de l'enfant auprès de sa famille ou auprès d'une structure chargée d'assurer sa protection, après vérification que toutes les garanties sont réunies et que l'intérêt supérieur de l'enfant ne s'oppose pas à ce retour. Cette décision n'est en tout état de cause pas mise en œuvre si le mineur concerné s'y oppose.
I. - L'accord, et en particulier son article 4, s'inscrit dans le cadre du droit commun de la protection de l'enfance.
L'accord signé le 1er février 2007 s'inscrit dans le prolongement de l'accord du 4 octobre 2002 relatif à la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire de la République française et à leur retour dans leur pays d'origine ainsi qu'à la lutte contre les réseaux d'exploitation visant les mineurs.
Le nouvel accord tient compte des enseignements pratiques tirés de la mise en œuvre de l'accord de 2002. Son article 4, qui fait l'objet des critiques des auteurs de la saisine, précise le rôle respectif du parquet et du juge des enfants alors que l'accord de 2002 faisait seulement référence à l'intervention du juge des enfants pour « ordonner la mainlevée du placement judiciaire du mineur concerné afin de permettre son retour ».
A. - L'article 4 de l'accord du 1er février 2007 tire en premier lieu les conséquences du rôle du procureur de la République dans le dispositif de protection de l'enfance. Interlocuteur institutionnel privilégié du président du conseil général qui lui adresse les signalements d'enfants en danger, le procureur dispose d'un pouvoir d'appréciation dans la saisine du juge des enfants pour solliciter la mise en œuvre de mesures d'assistance éducative.
Dans la plupart des cas, les mineurs isolés pour lesquels est envisagée une mesure de raccompagnement dans leur pays d'origine ont fait l'objet d'une mesure de placement qui doit être levée par le juge préalablement à la mise en œuvre de leur rapatriement. Dans ce cas, le nouvel accord sera appliqué dans les mêmes conditions que l'accord de 2002 : une décision du juge des enfants sera nécessaire pour « ordonner la mainlevée du placement judiciaire du mineur concerné et permettre son retour ».
Il peut néanmoins arriver, compte tenu de la diversité des situations de fait et de la marge d'appréciation laissée tant au parquet qu'au juge des enfants, que le mineur ne fasse pas l'objet d'une décision de placement judiciaire qu'il serait nécessaire de lever pour permettre son retour dans son pays. Dans un tel cas de figure, l'accord du 1er février 2007 prévoit que le parquet peut mettre à exécution la demande de raccompagnement formée par les autorités roumaines. Cette décision ne constituant pas par elle-même une mesure d'assistance éducative que le code civil réserve au juge des enfants, la compétence ainsi reconnue au parquet ne déroge pas aux dispositions du code civil relatives aux attributions du juge des enfants.
L'article 4 prévoit ainsi que le parquet peut mettre à exécution la demande de raccompagnement s'il ne saisit pas le juge des enfants. Cette stipulation, qui souligne le choix laissé au procureur de répondre favorablement à la demande roumaine ou de saisir le juge des enfants, ne saurait être lue comme autorisant le parquet à mettre la demande à exécution lorsque le juge des enfants est saisi, dans le même temps, par l'une des personnes habilitées à le saisir en application de l'article 375 du code civil (c'est-à-dire, outre le ministère public, le mineur lui-même, ses parents, la personne ou le service à qui l'enfant a été confié ou le tuteur).
Dès lors que le juge des enfants est saisi (que le parquet ait été lui-même à l'origine de cette saisine ou que celle-ci soit le fait d'une autre personne mentionnée à l'article 375), le parquet doit attendre la décision du juge et ne peut mettre à exécution une mesure qui porterait atteinte au bon déroulement de l'instance ouverte devant le juge des enfants. Si le juge décide le placement du mineur, le retour de celui-ci dans son pays ne sera possible, comme le précise expressément le quatrième alinéa de l'article 4, que si le juge prononce la mainlevée du placement judiciaire afin de permettre ce retour.
Le rôle confié au parquet par l'article 4 de l'accord ne déroge donc pas aux dispositions du code civil relatives aux attributions du juge des enfants. Cette lecture de l'accord est conforme à la volonté exprimée par les parties de respecter leurs législations nationales.
B. - L'article 4 tire également les conséquences de ce que les mineurs isolés étrangers, qu'ils fassent ou non l'objet d'une mesure de placement pendant l'instruction de leur dossier, échappent fréquemment au contrôle de la personne ou de l'institution les ayant pris en charge.
L'accord prévoit ainsi leur inscription sur le système d'information Schengen qui a vocation, comme le précise le décret n° 95-577 du 6 mai 1995 relatif au système informatique national du système d'information Schengen dénommé N-SIS, à répertorier notamment les personnes qui, dans l'intérêt de leur propre protection, doivent être placées provisoirement en sécurité.
Lorsque l'enfant fait l'objet de la découverte ultérieure mentionnée au cinquième alinéa de l'article 4, le parquet ne peut mettre à exécution la demande de raccompagnement qu'après avoir vérifié que les informations obtenues sur la situation du mineur et sur les conditions de sa prise en charge en Roumanie sont suffisantes pour garantir le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant et ne datent pas de plus de douze mois.
A ce stade également, la mesure de raccompagnement ne pourra être mise à exécution que pour autant que le juge des enfants n'est pas saisi par l'une des personnes habilitées à le saisir en vertu de l'article 375 du code civil et sous réserve qu'il n'ait pas prononcé de mesure de placement qui ferait obstacle au retour de l'enfant dans son pays avant la mainlevée d'une telle mesure.
L'article 4 de l'accord, lu à la lumière de la volonté clairement exprimée par les parties contractantes de respecter leurs législations nationales, confie ainsi au parquet un rôle conforme aux missions qui lui sont attribuées par le droit commun de la protection des mineurs - en lui laissant le soin d'apprécier s'il est nécessaire de saisir le juge des enfants - et ne peut être interprété comme limitant en quoi que ce soit la compétence du juge des enfants ni la faculté qu'ont l'ensemble des personnes mentionnées à l'article 375 du code civil de saisir ce juge à tout moment.
II. - Aucun des griefs soulevés par la saisine ne sont de nature à affecter la constitutionnalité de l'accord ni, partant, celle de la loi autorisant sa ratification.
A. - Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité.
1. L'accord du ler février 2007 organise la coopération entre les autorités roumaines et les autorités françaises pour assurer au mieux la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire de la République française et en particulier pour offrir une réponse opérationnelle au besoin de protection des enfants exposés aux risques d'abus, d'exploitation ou de délinquance.
Bien qu'il soit difficile de quantifier de manière certaine l'ampleur du phénomène, les autorités françaises et roumaines se sont accordées à reconnaître l'existence d'un besoin particulier lié au nombre relativement élevé de mineurs roumains isolés qui sont entraînés illégalement - au regard de la législation roumaine relative aux conditions de circulation des mineurs - hors du territoire roumain par des réseaux criminels qui les exposent à diverses formes d'exploitation.
2. L'accord s'inscrit dans le cadre des textes internationaux qui affirment, d'une part, l'importance du maintien des relations entre l'enfant et ses parents (notamment la convention internationale des droits de l'enfant à laquelle se réfère l'accord) et qui règlent, d'autre part, les questions de partage de compétence entre l'Etat d'origine du mineur et celui sur le territoire duquel il est trouvé. La convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, qui a été signée par la France le 1er avril 2003 et par la Roumanie le 15 novembre 2006 (la ratification de cette convention a été retardée dans les deux pays, comme dans l'ensemble des pays de l'Union européenne, pour tenir compte de la compétence de l'Union européenne, au nom de laquelle les Etats membres ont été invités à ratifier cette convention), rappelle ainsi le principe de la compétence des autorités de l'Etat sur le territoire duquel l'enfant a sa résidence habituelle, le principe de la compétence des autorités de l'Etat d'origine en cas de déplacement illicite du mineur, et précise les conditions dans lesquelles les autorités des Etats concernés prennent en compte l'intérêt supérieur de l'enfant pour désigner l'autorité la mieux à même d'assurer sa protection.
L'accord du 1er février 2007 organise ainsi une coopération entre les autorités françaises et roumaines sur les conditions de prise en charge des mineurs roumains qui sont retrouvés dans des situations de danger en France sans qu'ils aient aucune attache familiale en France où bon nombre d'entre eux sont exposés à un risque d'exploitation par des réseaux criminels. L'organisation de cette coopération, dans le respect des textes internationaux relatifs au partage des compétences en matière de protection de l'enfance, vise à garantir au mieux la recherche de l'intérêt supérieur de l'enfant.
3. En tout état de cause, l'accord du 1er février 2007 ne peut en aucun cas être présenté comme un régime d'exception moins protecteur que le droit commun. Le régime prévu par l'accord ne déroge pas aux règles de droit commun quant au rôle respectif du juge des enfants et du parquet.
Aucune disposition du droit en vigueur n'impose l'intervention d'une décision du juge des enfants pour remettre aux autorités compétentes de son pays d'origine un mineur étranger retrouvé isolé sur le territoire français. En pratique, lorsqu'un enfant étranger est retrouvé en France alors qu'il est en fugue, il arrive fréquemment qu'il soit remis, sous le contrôle du parquet, aux autorités compétentes de son Etat d'origine sans que l'intervention d'un juge des enfants soit nécessaire.
Comme il a été précisé au point I ci-dessus, l'accord n'a ni pour objet ni pour effet d'autoriser le parquet à prendre des mesures qui priveraient l'enfant d'une possible intervention du juge des enfants : la mesure de raccompagnement ne pourra être exécutée sans décision préalable du juge des enfants dans tous les cas où le mineur fait l'objet d'une mesure de placement judiciaire qui doit être levée avant tout retour dans son pays d'origine ; elle ne pourra pas être exécutée dans l'attente d'une décision du juge des enfants si celui-ci a été saisi d'une demande d'assistance éducative par l'une des personnes mentionnées à l'article 375 du code civil.
B. - Sur le grief tiré de la méconnaissance des droits de la défense.
L'article 4 de l'accord du 1er février 2007 ne peut être lu isolément des règles du code civil auxquelles, ainsi que cela ressort notamment de son préambule et des stipulations de l'article 1er, les parties n'ont pas entendu déroger.
Comme il a été indiqué ci-dessus, le troisième alinéa de l'article 4 qui stipule que « si le parquet des mineurs ne saisit pas le juge des enfants, il peut, dès réception de la demande roumaine de raccompagnement, la mettre à exécution s'il estime, eu égard notamment aux données fournies par la partie roumaine, que toutes les garanties sont réunies pour assurer la protection du mineur » ne prive pas le mineur lui-même ni les autres personnes mentionnées à l'article 375 de la faculté que leur reconnaît cet article de saisir le juge des enfants afin qu'il ordonne des mesures d'assistance éducative.
Dans le cas où le juge des enfants est ainsi saisi, la mesure de raccompagnement ne peut être exécutée aussi longtemps que le juge n'a pas pris une décision permettant le retour de l'enfant dans son pays.
Dès lors qu'il résulte clairement de l'intention des parties telle qu'elle se déduit du texte même de l'accord que celui-ci n'a pas entendu déroger aux règles de droit commun de la protection des mineurs, la circonstance qu'il n'ait pas expressément mentionné la possibilité de saisir le juge des enfants ouverte non seulement au ministère public mais aussi au mineur lui-même, à ses parents et à la personne ou au service à qui il a été confié ne saurait être regardée comme ayant pour effet de priver les intéressés de cette voie de droit qui demeure ouverte à tout moment.
L'affirmation selon laquelle l'accord porterait une atteinte manifeste aux droits de la défense repose donc sur une lecture de l'accord qui, si elle peut se prévaloir d'une lecture très littérale de certaines de ses clauses prises isolément, n'est pas conforme à son économie générale ni à la commune intention des parties qui ont clairement indiqué qu'elles n'entendaient pas déroger à leurs législations respectives.
C. - Sur le grief tiré de la méconnaissance des 10e et 11e alinéas du Préambule de 1946.
Le troisième grief soulevé par les auteurs de la saisine repose également sur l'affirmation selon laquelle l'accord aurait pour objet ou pour effet de priver les intéressés des garanties apportées par l'intervention du juge des enfants. Il suffira de rappeler que telle n'est pas la portée de l'accord pour constater le caractère infondé du grief.
La circonstance que l'accord de 2007 n'entre pas de manière aussi détaillée que celui de 2002 dans le processus de traitement des situations individuelles par la partie roumaine ne peut en aucun cas être interprétée comme marquant un quelconque recul dans le niveau des garanties attendues des autorités roumaines préalablement à l'exécution du raccompagnement. L'intensification de la coopération avec les autorités roumaines, tout comme les garanties supplémentaires apportées par les évolutions législatives qui ont accompagné l'entrée de la Roumanie dans l'Union européenne expliquent également le moindre besoin de détail sur des procédures que le nouvel accord se borne à confirmer en prenant appui sur les acquis de l'accord précédent.
Le Gouvernement ne peut que s'inscrire en faux contre l'affirmation selon laquelle les conditions de prise en charge des mineurs par la partie roumaine seraient moins efficacement garanties aujourd'hui qu'elles ne l'étaient avec l'accord de 2002. L'un des principaux enjeux de l'accord du 1er février 2007 est d'ailleurs de renforcer la coopération administrative et judiciaire entre les autorités roumaines et françaises afin de poursuivre et consolider les progrès accomplis pour la protection des mineurs.

Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans la saisine ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.
Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.