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Décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010 - Observations complémentaires du gouvernement

Loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne
Conformité

Dans leurs observations complémentaires datées du 27 avril 2010, les députés auteurs de la saisine invitent le Conseil constitutionnel, pour le cas où il contrôlerait la conformité des lois aux engagements internationaux de la France, en particulier au droit communautaire, à s'assurer que la loi déférée n'est pas inconventionnelle.

  1. Le Gouvernement tient à souligner que cette invitation se heurte à la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel.

Depuis la décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, le Conseil constitutionnel juge de manière constante qu'il ne lui « appartient pas [...], lorsqu'il est saisi en application de l'article 61 de la Constitution, d'examiner la conformité d'une loi aux stipulations d'un traité ou d'un accord international ». Il a notamment été fait application de cette jurisprudence dans les décisions n° 77-83 DC du 20 juillet 1977 (considérant 6), n° 77-92 du 18 janvier 1978 (considérant 3), n° 89-268 DC du 29 décembre 1989 (considérant 79), n° 98-399 DC du 5 mai 1998 (considérant 12), n° 98-405 DC du 31 décembre 1998 (considérant 15) ou encore n° 2006-535 du 30 mars 2006 (considérant 27).

  1. Dans cette dernière décision, il a été jugé que l'article 88-1 de la Constitution créait à l'égard des autorités de l'Etat, y compris du législateur, une obligation constitutionnelle d'assurer la transposition des directives communautaires. Au titre de cette obligation constitutionnelle, le Conseil constitutionnel contrôle que les lois ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire ne méconnaissent pas de manière manifeste les objectifs de la directive en cause.

Cette jurisprudence a été confirmée et précisée dans les décisions des 27 juillet 2006 (n° 2006-540 DC, loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information), 30 novembre 2006 (n° 2006-543 DC, loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie) et 19 juin 2008 (n° 2008-564 DC, loi n° 2008-595 du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés).

  1. L'état du droit qui résulte de ces différentes décisions est clair et constant : si vous avez tiré de l'article 88-1 de la Constitution une obligation de transposition du droit communautaire, le respect de cette obligation constitutionnelle ne saurait être confondu avec un contrôle du respect des directives communautaires par la loi. Cette jurisprudence ne concerne en effet que les lois ayant pour objet de transposer des directives (voir a contrario la décision n° 2010-601 DC du 4 février 2010 - loi n° 2010-123 du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales) et se limite à un contrôle des incompatibilités manifestes avec les objectifs de la directive en cause.

Ce n'est pas l'incompatibilité avec la directive qui est sanctionnée mais la méconnaissance de l'obligation constitutionnelle de transposer les directives lorsque cette méconnaissance est révélée par une incompatibilité manifeste de la loi de transposition avec les objectifs de la directive. Les décisions précitées précisent d'ailleurs expressément que le contrôle de la compatibilité de la loi avec le droit communautaire relève des juridictions ordinaires qui pourront, le cas échéant, saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel.

Cette jurisprudence n'a donc ni pour objet ni pour effet de remettre en cause la règle dégagée par la décision du 15 janvier 1975 en vertu de laquelle il n'appartient pas au Conseil constitutionnel saisi sur le fondement de l'article 61 de la Constitution d'examiner la conformité d'une loi aux stipulations d'un traité ou d'un accord international.

  1. Le Gouvernement estime qu'aucune raison ne justifie que cette jurisprudence soit aujourd'hui remise en cause.

Il serait en effet paradoxal qu'au lendemain d'une révision constitutionnelle ayant profondément réformé le contrôle de constitutionnalité des lois avec l'introduction de la question prioritaire de constitutionnalité un revirement de jurisprudence vienne apporter à la mission du Conseil constitutionnel une modification que le Constituant n'a lui-même pas retenue.

En outre, dans le cas particulier du droit communautaire, les délais très brefs dans lesquels le Conseil constitutionnel doit statuer - qu'il soit saisi au titre de l'article 61 ou en application de l'article 61-1 - ne sont pas compatibles avec une procédure de renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l'Union européenne. Or, le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, comme le traité instituant la Communauté européenne avant lui, impose que toute juridiction compétente pour se prononcer sur l'application du droit communautaire puisse saisir la Cour de justice d'une question préjudicielle en interprétation ou en appréciation de validité afin d'assurer l'unité d'interprétation du droit de l'Union.

  1. Le Gouvernement estime en outre que les choix faits pour l'organisation d'un contrôle de constitutionnalité par la voie de l'exception manifestent la volonté du Constituant de maintenir la distinction établie par la jurisprudence entre le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de conventionnalité.

Il ressort en effet clairement des travaux préparatoires de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, comme de la loi organique du 10 décembre 2009, que le Constituant n'a pas entendu élargir à cette occasion le champ des normes de référence au regard desquelles le Conseil constitutionnel exerce son contrôle.

Au contraire, en n'ouvrant la possibilité de contester des lois promulguées qu'au regard des « droits et libertés garantis par la Constitution », le Constituant a clairement marqué que les normes de référence invocables dans le cadre de l'article 61-1 constituaient un sous-ensemble du bloc de constitutionnalité.

Le Gouvernement estime à cet égard que l'obligation constitutionnelle, que la jurisprudence a tirée de l'article 88-1 de la Constitution, d'assurer une correcte transposition des directives communautaires ne se rattache pas à la catégorie des « droits et libertés garantis par la Constitution » et que la méconnaissance éventuelle de cette obligation ne peut donc pas faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité.

La loi organique du 10 décembre 2009 confirme également la volonté des auteurs de la réforme de maintenir la distinction existant entre le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de conventionnalité. Les dispositions introduites aux articles 23-2 et 23-5 de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958 distinguent ainsi expressément entre les moyens qui contestent la conformité d'une disposition législative, « d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution » et, « d'autre part, aux engagements internationaux de la France » et soumettent l'examen de ces deux catégories de moyens à des règles procédurales distinctes.

  1. Le dispositif institutionnel issu de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et de la loi organique du 10 décembre 2009 renforce ainsi la spécialisation du Conseil constitutionnel, qui est le juge exclusif de la constitutionnalité de la loi (par la voie de l'action comme par la voie de l'exception), tandis que les juridictions ordinaires conservent la plénitude de leur compétence pour se prononcer sur les atteintes éventuelles aux droits que les particuliers tirent des engagements internationaux régulièrement entrés dans l'ordre juridique interne.

Le mécanisme du filtre des questions prioritaires de constitutionnalité par les juridictions suprêmes des deux ordres, tel qu'il est institué par la loi organique du 10 décembre 2009, permet d'ailleurs de mieux asseoir cette répartition des rôles en organisant le renvoi au Conseil constitutionnel de questions précisément circonscrites au respect des règles constitutionnelles par des dispositions législatives bien identifiées.

Le Conseil constitutionnel, dont la saisine peut déboucher sur une abrogation de la loi, est ainsi chargé - comme il le fait en application de l'article 61 - d'apprécier le rapport de compatibilité entre deux normes de portée générale, tandis que le juge ordinaire reste seul compétent pour apprécier les conditions dans lesquelles les normes invoquées s'appliquent au cas d'espèce. Comme cela a pu être relevé en doctrine, le contrôle de conventionnalité conduit fréquemment à constater non pas que la loi est radicalement inapplicable mais qu'elle doit être écartée en tout ou partie dans certaines situations d'espèce. La nature même du contrôle de constitutionnalité de la loi confié au Conseil constitutionnel distingue ainsi nettement ce contrôle de celui qu'exercent les juridictions ordinaires lorsqu'elles vérifient, au cas par cas, le respect des droits tirés des normes internationales.

  1. L'intégration du droit international, et en particulier du droit de l'Union européenne aux normes de référence dont le Conseil constitutionnel contrôle le respect par le législateur, ne manquerait pas de soulever de réelles difficultés d'articulation avec le droit de l'Union, alors que la loi organique du 10 décembre 2009 a pris le soin d'organiser la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité de manière à assurer le plein respect du droit communautaire tel qu'il résulte notamment de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.

Le Gouvernement entend à cet égard relever trois types de garanties apportées par la loi organique pour éviter que la question prioritaire de constitutionnalité vienne affaiblir en quoi que ce soit les conditions dans lesquelles les justiciables peuvent faire valoir les droits qu'ils tirent du droit communautaire devant les juridictions compétentes.

En premier lieu, en interdisant aux juridictions de soulever d'office la question de constitutionnalité, la loi organique laisse aux parties qui entendent contester l'application d'une disposition législative le choix de solliciter un renvoi au Conseil constitutionnel ou de se placer sur le seul terrain du droit international ou communautaire. Il en résulte que le renvoi au Conseil constitutionnel ne peut être prononcé qu'à la demande expresse de la partie qui conteste l'application d'une disposition législative et qu'elle n'est en aucun cas imposée à celui qui entend se prévaloir à titre principal d'une violation du droit communautaire.

En deuxième lieu, la loi organique laisse aux juridictions devant lesquelles est porté le litige une entière liberté de saisir à tout moment (y compris lorsqu'elles sont déjà saisies d'une question prioritaire de constitutionnalité ou lorsqu'une telle question a été renvoyée à la juridiction suprême de l'ordre concerné ou au Conseil constitutionnel) la Cour de justice de l'Union européenne de toute question d'interprétation du droit communautaire qui leur paraît pertinente pour le jugement de l'affaire.

En troisième lieu, la loi organique prévoit expressément, dans l'article 23-3 ajouté à l'ordonnance du 7 novembre 1958, que la juridiction qui renvoie une question prioritaire de constitutionnalité n'est pas dessaisie pour autant et qu'elle « peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires ». La juridiction qui est saisie par un requérant d'une demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel peut donc prendre à tout moment toute mesure nécessaire pour prévenir immédiatement tout risque d'atteinte au droit de l'Union.

L'équilibre ainsi établi entre, d'une part, le choix du Constituant d'instituer au bénéfice des justiciables une voie de droit nouvelle pour assurer la protection des droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, la nécessaire préservation des droits que les particuliers tirent directement des traités sur l'Union européenne, pourrait être fragilisé par un revirement de jurisprudence qui remettrait en cause la distinction entre le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de conventionnalité de la loi.

  1. Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement invite le Conseil constitutionnel à confirmer qu'il ne lui appartient pas, qu'il soit saisi au titre de l'article 61 ou au titre de l'article 61-1 de la Constitution, de contrôler la conformité des lois avec les engagements internationaux régulièrement entrés dans l'ordre juridique interne.