Contenu associé

Décision n° 2010-603 DC du 11 février 2010 - Observations du gouvernement

Loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux.

Ces recours appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I/ SUR LA PROCEDURE D'ADOPTION DE LA LOI.

A/ Les auteurs des saisines font grief à la loi, votée plus précocement que les autres textes relatifs à la réforme en cours des collectivités territoriales, d'avoir privé le Parlement de la plénitude de la compétence qu'il tient des articles 34 et 72 de la Constitution et d'avoir été adoptée en ayant recours à un usage irrégulier de la réserve de vote et du vote bloqué.

B/ Le Conseil constitutionnel ne saurait faire droit à ces critiques.

1/ En elle-même, la loi, qui se borne à modifier le calendrier électoral à venir pour prévoir la concomitance de l'élection des conseillers régionaux et de tous les conseillers généraux en 2014, n'a ni pour objet ni pour effet d'entraver l'exercice futur de ses attributions par le Parlement.

Indépendamment de l'adoption de cette loi, les parlementaires demeurent parfaitement libres de rejeter, d'amender ou d'adopter en l'état les autres projets de loi relatifs à la réforme des collectivités territoriales et d'en tirer les conséquences sur la durée des mandats en cours ou à venir, y compris, le cas échéant, en modifiant le calendrier prévu par la loi déférée.

2/ Le grief tiré de ce que l'adoption de la loi aurait été marquée par un usage irrégulier de la réserve de vote et du vote bloqué manque par ailleurs en fait.

La réserve de vote avait certes un temps été demandée par le Gouvernement sur l'adoption du texte, comme cela est de droit en vertu du règlement de l'Assemblée nationale. Mais, en tout état de cause, cette réserve a été levée en séance les 22 et 23 janvier 2010 au fur et à mesure de l'examen des amendements déposés - lesquels ont ainsi non seulement fait l'objet d'un débat lorsqu'ils ont été soutenus, mais aussi d'un vote par les députés -, ce qui a finalement conduit à ne pas appliquer non plus la procédure de vote bloqué dès lors que les amendements avaient tous été rejetés préalablement au vote solennel sur l'ensemble de la loi.

3/ Il est enfin soutenu, dans la saisine émanant de plus de soixante députés, que le recours à une étude d'impact commune à trois des projets déposés simultanément par le Gouvernement sur le bureau du Sénat aurait méconnu les dispositions relatives au dépôt et au contenu des études d'impact prévues à l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009.

Le Gouvernement est toutefois d'avis qu'un tel grief est inopérant dans le cadre d'un recours fondé sur l'article 61 de la Constitution, dès lors qu'une voie de contestation spéciale, exclusive de toute autre, est organisée par l'avant-dernier alinéa de l'article 39 de la Constitution.

En tout état de cause, la lecture formaliste de l'article 8 que préconisent les auteurs de la saisine ne saurait être retenue. En règle générale, chaque projet de loi fait bien l'objet d'une étude d'impact autonome. Mais rien ne fait obstacle à ce que plusieurs projets, que le Gouvernement regarde comme formant un tout, fassent l'objet d'une étude d'impact commune. En l'espèce, l'étude d'impact commune aux trois projets déposés simultanément au Sénat (projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, projet de loi organique relatif à l'élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale) comportait l'ensemble des prescriptions requises par la loi organique pour chacun des projets pris individuellement.

Les griefs de procédure pourront être écartés sans difficultés. Il en sera de même des critiques de fond dirigées contre la loi déférée.

II/ SUR L'OBJECTIF POURSUIVI PAR LE LÉGISLATEUR.

A/ Il est fait grief à la loi déférée de ne pas pouvoir être regardée comme guidée par un objectif d'intérêt général, dès lors qu'à la date de son adoption, la création du conseiller territorial, qui la justifierait à titre exclusif, serait purement hypothétique.

B/ Le Gouvernement ne partage pas cette analyse.

Il faut signaler en premier lieu que, loin d'être hypothétique, la création du conseiller territorial se trouve pleinement engagée, dès lors que le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, en cours de débat au moment de l'adoption de la loi déférée, avait été adopté par la commission des lois le 16 décembre 2009 avant d'être adopté en première lecture par le Sénat le 4 février 2010. L'objectif demeure une adoption, au moins en première lecture, de l'ensemble des textes relatifs à la réforme territoriale avant l'été 2010 et une adoption définitive dans l'année qui vient.

Il convient d'observer surtout que la date d'adoption de la loi déférée répond à l'objectif de permettre la concomitance des élections en 2014 sans réduire la durée de mandats déjà en cours et d'assurer la meilleure information des électeurs et des candidats avant l'élection des conseillers régionaux prévue les 14 et 21 mars prochains et avant le renouvellement de la série des conseillers généraux dont le mandat doit être réduit pour assurer la concomitance de la fin des mandats concernés en 2014.

Le Gouvernement entend souligner, au surplus, qu'un motif d'intérêt général indépendant de la réforme territoriale justifie, en tout état de cause, la concomitance du renouvellement des conseils généraux et régionaux en mars 2014. Ainsi que cela a été exprimé au cours des travaux parlementaires ayant présidé à l'adoption de la loi, la fusion de deux échéances électorales au cours d'une année 2014 qui sera marquée par plusieurs autres scrutins contribuera en effet à renforcer la participation du corps électoral à cette consultation. Ce motif d'intérêt général est, en toute hypothèse, admis comme un motif légitime de modification de la durée des mandats en jurisprudence (voir en ce sens les décisions n°90-280 DC du 6 décembre 1990 et n°93-331 DC du 13 janvier 1994).

III/ SUR LE GRIEF TIRÉ DE L'AMPLEUR DE LA MODIFICATION DU CALENDRIER ÉLECTORAL.

A/ Les auteurs des saisines estiment que la réduction de deux ans du mandat des conseillers régionaux élus en 2010 et de trois ans des conseillers généraux élus en 2011 méconnaît la jurisprudence qui n'admettrait en principe que des modifications revêtant un caractère exceptionnel et limité du calendrier électoral.

B/ Le Gouvernement est d'avis que ce grief est dépourvu de substance dès lors que se trouve en cause, comme en l'espèce, la réduction de la durée d'un mandat décidée avant même le début de ce dernier.

Il ne fait guère de doute que doivent revêtir un caractère exceptionnel et limité à la fois une extension de la durée d'un mandat, qui se heurte au principe selon lequel les électeurs doivent être appelés à exercer leur droit de suffrage selon une périodicité raisonnable, et une réduction de durée trouvant à s'appliquer, à titre exceptionnel, à un mandat en cours.

Mais la jurisprudence n'enserre pas dans un cadre aussi rigoureux la réduction de la durée d'un mandat décidée avant le début de ce dernier. En témoigne ainsi de manière tout à fait topique la décision n°90-280 DC du 6 décembre 1990 qui valide une réduction de six à quatre ans de certains mandats de conseillers généraux, dans un objectif identique à celui de la loi déférée, à savoir assurer la concomitance du renouvellement des conseils régionaux et généraux.

L'ampleur, raisonnable et proportionnée au but poursuivi - consistant à assurer une concordance des élections dès 2014 -, de la modification apportée au calendrier électoral par la loi déférée obéit ainsi aux critères retenus dans ce type de configuration par le Conseil constitutionnel.

IV/ SUR LE GRIEF TIRÉ DU RISQUE DE CONFUSION ENTRE LES ÉCHÉANCES ÉLECTORALES.

A/ Les auteurs des saisines font grief à la loi déférée d'introduire une confusion dans l'esprit des électeurs en regroupant deux échéances électorales jusqu'alors distinctes.

B/ Ce grief ne saurait être accueilli.

Il est en effet jugé que si la dualité de candidatures à deux élections organisées le même jour est susceptible, en fait, d'exercer une influence sur le libre choix des électeurs concernés par chaque consultation, elle « n'est en rien contraire à la Constitution » (voir en ce sens la décision n°90-280 DC du 6 décembre 1990, et spécialement son considérant n°18).

Il convient de signaler, en tout état de cause, que le choix du législateur ne crée, ni dans son principe ni dans ses modalités d'organisation matérielle, de confusion dans l'esprit des électeurs habitués à ce que plusieurs élections soient organisées la même année ou le même jour, comme c'est le cas, à l'heure actuelle, des élections municipales et des élections cantonales.

En 2014, le calendrier électoral sera ainsi similaire à celui qui avait marqué l'année 2004, au cours de laquelle s'étaient déroulées des élections cantonales, régionales, européennes et sénatoriales. A l'époque, les conseillers régionaux et une partie des conseillers généraux avaient déjà été renouvelés le même jour sans qu'aucune de ces élections ne s'en trouve perturbée.

Il en sera de même, à plus forte raison, si ces deux élections n'en forment plus qu'une en 2014.

Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans les saisines ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.