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Décision n° 2010-602 DC du 18 février 2010 - Saisine par 60 députés

Loi ratifiant l'ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés
Conformité

Nous avons l'honneur de soumettre à votre examen, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi ratifiant l'ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés, telle qu'elle a été définitivement adoptée le décembre 2009.

Il va de soi qu'une loi ne saurait, dans le respect de la Constitution, ratifier une ordonnance qui elle-même lui serait contraire[1]. C'est donc, ici, sur l'ordonnance que portent les griefs d'inconstitutionnalité, dont la loi n'est affectée que par voie de conséquence.

Ces griefs portent, premièrement, sur les vices de procédure qui ont entaché l'adoption de l'ordonnance, deuxièmement, sur l'ensemble du découpage, troisièmement, sur l'attribution d'un siège de député aux collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, quatrièmement, sur le découpage d'un certain nombre de départements.

I - Sur la procédure

Le Parlement va mal, plus mal qu'il n'a jamais été. Où l'intention du constituant, en 2008, avait été de le renforcer, les pratiques détestables du gouvernement et de la majorité à l'Assemblée nationale aboutissent au résultat exactement inverse.

Premièrement, l'usage de la procédure accélérée est devenu quasiment systématique, alors même que rien ne le justifie réellement. D'une part, cela nuit gravement à la qualité des textes adoptés, ce dont les censures que vous êtes amenés à prononcer ne donnent qu'une image partielle. D'autre part, se trouve réduite à néant la volonté constitutionnelle, inscrite au troisième alinéa de l'article 43, de lutter contre la précipitation.

Deuxièmement, l'utilisation abusive qui est faite de l'article 95, alinéas 4 et 5, du Règlement de l'Assemblée nationale permet au gouvernement d'interdire les votes, notamment lors des séances dont l'ordre du jour a pu être choisi par l'opposition. De ce fait, les députés de la majorité cessent d'y participer de sorte que ces séances, pourtant formellement voulues elles aussi par le constituant, aboutissent à ce que la minorité ne puisse plus débattre qu'avec elle-même et sans que ceci puisse déboucher sur la moindre décision, fût-elle le rejet de ses initiatives.

Si l'on ajoute à cela les très nombreux autres dérèglements dont le Parlement est aujourd'hui le sinistre théâtre, le débat démocratique a largement cessé de s'y dérouler et les moyens d'enrayer cette dégradation impressionnante dépendent presque tous de la seule volonté du gouvernement et de la majorité, lesquels semblent peu disposés à jouer le jeu des règles qu'ils ont pourtant eux-mêmes définies.

Dans la majeure partie des cas, le Conseil constitutionnel lui-même n'y peut pas grand-chose hélas. Mais il est un aspect sur lequel votre intervention est à la fois possible et nécessaire.

En effet, l'utilisation maligne - au sens où peut l'être une tumeur - de la réserve de discussion ou de vote, ne résulte nullement de la Constitution, au contraire, mais seulement d'une facilité offerte au gouvernement par le Règlement de l'Assemblée nationale lequel, comme on sait, n'a pas valeur constitutionnelle.

Or, cette utilisation a pour conséquence de vider de toute réalité une notion qui, elle, a bien un caractère constitutionnel, celle de séance. Elle apparaît dans huit articles de la Constitution[2]. Or, comme le rappellent deux auteurs éminents, « c'est par la délibération en séance, c'est-à-dire en réunion publique et plénière de chaque assemblée, que le Parlement exerce ses compétences »[3].

Dès lors qu'une faculté ouverte à d'autres fins par le seul Règlement permet de saper la notion même de séance, elle peut être considérée comme d'autant plus contraire à la Constitution que c'est l'essence même du Parlement qui s'effondre. La séance ne délibère plus, cesse d'être une réunion plénière pour ne devenir qu'une réunion de groupe élargie, et elle ne permet plus l'exercice des compétences des assemblées.

A cela, il est essentiel de réagir et de le faire au plus vite. Au-delà des vains efforts des parlementaires, vous seuls le pouvez. Il faut, à cette fin, que vous saisissiez l'occasion qui vous est offerte par la présente saisine en rappelant que, sauf à méconnaître la Constitution, et en particulier ceux de ses articles qui reposent sur une conduite normale de la séance, à commencer par l'article 42, l'utilisation de la réserve permise par de simples dispositions réglementaires, d'une part, doit se limiter à ce pour quoi elle peut être légitime - attendre l'examen d'une disposition ultérieure qui la conditionne, avant de statuer sur la disposition en discussion - et, d'autre part, ne pas avoir pour objet ou pour effet de dénaturer la délibération parlementaire telle que la Constitution elle-même a prévu qu'elle doit se dérouler, c'est-à-dire avec un objet et un enjeu autour desquels les élus de la Nation délibèrent et votent. Faute de débat, les exigences de clarté et de sincérité qui doivent le caractériser en vertu de votre jurisprudence (décision 2005-526DC) sont purement et simplement occultées.

Ne vaudrait-elle que pour l'avenir qu'une mise en garde appuyée de votre part serait à la fois pleinement justifiée et possiblement efficace.

Troisièmement, à l'issue de la seconde lecture de ce projet à l'Assemblée nationale, le Président de séance a clairement refusé aux députés la possibilité d'exercer leur droit de prendre la parole pour une explication de vote personnel de cinq minutes, pourtant consacré par l'article 49 alinéa 13 du Règlement de l'Assemblée. La mise en oeuvre de l'article 44 alinéa 3 de la Constitution ne pouvait servir de prétexte à un tel refus mais impliquait simplement que ce droit soit exercé avant le vote sur l'ensemble du texte. Le refus ainsi opposé à l'exercice de ce droit d'expression individuelle des deputés porte manifestement atteinte à l'article 3 de la Constitution ainsi qu'aux exigences de clarté et de sincérité des débats parlementaires.

Si par une jurisprudence constante, vous estimez que le Règlement de l'Assemblée nationale « n'a pas, en lui-même, valeur constitutionnelle » (décision 78-97 DC), il n'en demeure pas moins que le respect de certaines dispositions règlementaires conditionne la constitutionnalité de la procédure législative. Cela est inévitable dès lors que certaines dispositions des règlements des assemblées sont le soutien nécessaire de règles et principes ayant valeur constitutionnelle.

Tel est le cas du « droit d'expression et d'amendement des membres du Parlement » au regard duquel vous avez apprécié la constitutionnalité de la procédure impartissant des délais (décision 2009-579 DC, cons. 41 et 42). Or, la possibilité pour chaque député de « prendre la parole pour une explication de vote personnelle à l'issue du vote du dernier article » apparaît comme une composante du droit d'expression individuelle des députés, nécessairement indépendante des droits d'expression accordés aux groupes politiques dans le cadre de la procédure impartissant des délais. Telle était au demeurant l'intention du législateur organique lorsqu'il a créé ce droit ainsi qu'en témoignent les débats lors de la troisième séance du mardi 20 janvier 2009[4].

Ainsi, le non-respect de ce droit constitue bien, indirectement mais certainement, une atteinte au droit d'expression des représentants de la Nation et porte ce faisant atteinte tout à la fois à l'article 3 de la Constitution et aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.

C'est pourquoi, dans l'immédiat et avant même d'examiner au fond les autres griefs, nous vous demandons de censurer le texte déféré pour avoir été adopté au terme d'une procédure, à plusieurs titres, irrégulière, notamment à raison de l'utilisation inconstitutionnelle de la réserve qui a été faite lors de la séance du 14 janvier à l'Assemblée nationale et des atteintes caractérisées aux exigences de clarté et de sincérité des débats parlementaires.

1. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a modifié l'article 25 pour prévoir l'intervention de la commission indépendante que l'on sait (ci-après, la Commission). Cette dernière a donc tenu de multiples réunions qui l'ont conduite à rendre les avis prévus, sur le projet initial d'abord, sur les modifications dont il a fait l'objet, ensuite.

Toutefois, l'on découvre dans le rapport de l'Assemblée nationale sur la loi qui vous est déférée[5] que, d'une part, trois départements (Loir-et-Cher, Paris, Val d'Oise) ont vu leur découpage modifié à nouveau sans que la Commission ait eu à en connaître, d'autre part, que, à la suite de l'avis du Conseil d'Etat, neuf autres départements ont vu leur découpage évoluer sans que la Commission n'ait eu non plus à en connaître.

Il en résulte un constat implacable dans sa simplicité : douze départements feraient aujourd'hui l'objet d'un découpage sur lequel la Commission n'a pas été appelée à émettre un avis.

2. Certes, sur cet aspect, on lit dans le Rapport précité :

" Ces modifications correspondaient en effet soit à des propositions ou suggestions formulées par la commission elle-même, soit à des propositions du Conseil d'État.

« Votre rapporteur considère que, la question ayant déjà été évoquée, il n'était pas nécessaire de consulter à nouveau la commission de l'article 25 de la Constitution. Une telle consultation n'aurait été nécessaire que dans l'hypothèse où le Gouvernement aurait souhaité introduire dans l'ordonnance des modifications qui n'auraient été évoquées ni au stade de l'avis de la commission ni à celui de l'avis du Conseil d'État. »[6]

Mais ces propos ne sauraient convaincre.

3. Premièrement, s'agissant du Loir-et-Cher, de Paris et du Val d'Oise, le fait que les modifications introduites seraient allées dans le sens des préconisations de la Commission ne saurait faire perdre à cette dernière le droit de se prononcer à nouveau. Il n'en irait différemment que si ladite Commission avait énoncé des recommandations précises qui eussent ensuite été scrupuleusement suivies. Tel ne semblant pas avoir été le cas, l'on ne pouvait se satisfaire d'intentions prétendument partagées sans procéder à la vérification nécessaire qui devait prendre la forme d'un nouvel avis public.

Deuxièmement, si, alors que les articles 38 et 39 prévoyaient déjà un avis du Conseil d'Etat, le constituant a estimé nécessaire de créer la commission prévue à l'article 25, c'est bien parce qu'il entendait assigner à celle-ci un rôle différent de celui dévolu à celui là. Dès lors, le fait que des modifications lui eussent été imposées par le Conseil d'Etat ne dispensait nullement le gouvernement d'en soumettre de nouveau les conséquences à la Commission, sauf à ce que soit opéré, sur les départements concernés, un découpage sur lequel cette dernière n'a pas rendu son avis public, en contradiction avec les termes explicites de l'article 25.

4. A cela, on ne manquera pas d'objecter qu'il devrait s'ensuivre une sorte de navette malcommode entre les deux organes consultatifs prévus par la Constitution. Mais cette légère incommodité n'est évidemment pas un obstacle sérieux à l'application de dispositions constitutionnelles claires et précises.

Au demeurant, le nombre limité de départements aurait rendu ce nouvel avis aisé, surtout si, comme l'affirme le gouvernement, les intentions de la Commission ont été fidèlement prises en compte. Mais il reste que si le constituant a institué cette Commission, c'est justement parce qu'il n'entendait pas se satisfaire de la pureté des intentions qu'affiche tout gouvernement.

Les règles constitutionnelles sont claires : d'un côté, l'avis de la Commission est requis sur tout projet « délimitant les circonscriptions pour l'élection des députés », d'un autre côté, l'avis du Conseil d'Etat est requis sur tout projet de loi ou d'ordonnance. En conséquence, ce n'est que lorsque ces deux institutions ont été l'une et l'autre effectivement consultées sur l'intégralité de ce qui figurera dans le texte en cause que les exigences constitutionnelles sont satisfaites. Si, donc, des navettes sont indispensables à cette fin[7], il suffit de rappeler que c'est la Constitution elle-même qui les impose.

5. Il n'est pas indifférent d'insister ici sur une circonstance particulière. Ce découpage est le premier à intervenir depuis la révision de 2008. Si, donc, à l'occasion de cette première application du dernier alinéa de l'article 25, et parce que le manquement serait en l'occurrence jugé véniel, vous acceptiez une interprétation insuffisamment rigoureuse de ce nouveau mécanisme institutionnel, d'une part, cela porterait atteinte à celui-ci, déjà sensiblement plus faible que ce que l'on avait pu espérer, d'autre part, un précédent serait créé qui contraindrait tôt ou tard soit à un revirement de jurisprudence, soit à accepter une application laxiste d'une procédure que le constituant a voulu protectrice et qui pourrait cesser de l'être.

On ne saurait se satisfaire d'une telle alternative demain, pas plus qu'on ne saurait accepter aujourd'hui un manquement grave aux exigences explicites du dernier alinéa de l'article 25 de la Constitution.

En conséquence, et pour avoir résulté d'une procédure irrégulière, la loi devra être censurée en ce qu'elle ratifie le découpage du Loir-et-Cher, de Paris et du Val d'Oise, d'une part, des Hautes-Alpes, de l'Aube, du Calvados, de l'Indre-et-Loire, des Landes, de la Mayenne, du Morbihan, de l'Essonne et des Hauts-de-Seine, d'autre part.

II - Sur l'ensemble du découpage

6. Il n'est pas fortuit que nous évoquions ici le découpage, et non le redécoupage dont il est couramment question.

Il ne s'agit pas en effet de redécouper les circonscriptions existantes, mais bien de procéder à un découpage intégralement nouveau.

Vous-mêmes aviez, à plusieurs reprises, insisté sur la nécessité de ce nouveau découpage, que vous aviez même jugé « impératif » dans vos observations du 29 mai 2008 sur les élections législatives de 2007[8]. Encore ne le faisiez vous alors que pour les motifs démographiques dont vous aviez souligné l'importance.

Mais, depuis, sont intervenus, en plus, ces autres changements aux conséquences substantielles qu'ont été la création de sièges de députés représentant les Français de l'étranger (article 24, dernier alinéa), l'institution de la commission (article 25, dernier alinéa), ainsi que, par l'heureux effet de votre décision du 8 janvier 2009[9], la suppression de l'habitude ancienne selon laquelle tout département devait élire au moins deux députés.

7. Pour toutes ces raisons, il ne pouvait être question de procéder au simple ravaudage du découpage existant et l'obligation pesait sur le gouvernement d'en tirer les conséquences en adoptant une ordonnance procédant à un découpage intégral, tirant toutes les conséquences de la situation démographique et constitutionnelle nouvelle.

Il le devait d'autant plus que, à l'occasion de la décision précitée, vous aviez vous-mêmes haussé à juste titre le niveau d'exigence en déduisant des articles 1er, 3 et 24 de la Constitution que cette dernière imposait que l'Assemblée nationale fût non seulement « élue sur des bases essentiellement démographiques selon une répartition des sièges de députés et une délimitation des circonscriptions législatives respectant (...) l'égalité devant le suffrage », mais encore, et ceci traduisait un changement par rapport à vos décisions précédentes, que l'égalité devant le suffrage fût respectée « au mieux »[10].

Nul ne songerait à vous faire l'injure de penser que ces deux mots, « au mieux », ont été ajoutés fortuitement ou gratuitement. Que cet ajout, qui n'est certes pas passé inaperçu, ne soit pas fortuit, résulte assez des remarques dont il a fait l'objet dans le commentaire publié par vos Cahiers[11]. Que cet ajout ne soit pas gratuit, car on ne pourrait concevoir qu'il le soit, est justement ce que la loi qui vous est déférée vous donnera l'occasion de démontrer.

8. S'agissant en effet des règles d'attribution du nombre de députés à chaque département ou territoire, le gouvernement a choisi de recourir de nouveau à la méthode dite des tranches. Or, bientôt un siècle après la publication de l'ouvrage majeur du mathématicien français Sainte-Laguë, l'unanimité de ses collègues et successeurs s'est faite sur le constat de ce que sa méthode, bien connue et couramment pratiquée, est la plus juste, la seule qui n'introduise aucun biais systématique[12].

Ainsi, en demeurer à la méthode des tranches ramènerait les sciences juridiques et politiques au niveau où étaient les sciences exactes à la fin du XIX° siècle ! On frémit à l'idée d'un tel obscurantisme dont le champ démocratique se ferait l'apanage.

Nous n'ignorons pas que, dans le commentaire précité aux Cahiers, il était écrit que :

« le Conseil n'a entendu écarter par principe aucune méthode de répartition, notamment la méthode de répartition par tranches évoquée au cours des débats parlementaires. »

Mais, dans le même temps et au même endroit, il est aussi précisé que :

« Il a entendu cependant signifier que l'égalité devant le suffrage constitue une exigence qui doit être respectée à tous les stades des opérations d'adaptation de la carte électorale ».

De cela, il résulte que si vous n'aviez nulle raison d'écarter la méthode des tranches « par principe », dès lors qu'elle pouvait aboutir à des résultats très proches de ceux qu'eût donnés l'utilisation d'une méthode plus sûre, vous ne l'aviez pas pour autant validée par avance, attendant légitimement de savoir, au vu de la répartition proposée, si celle-ci respectait effectivement l'exigence de l'égalité de suffrage.

Tel n'est manifestement pas le cas et il existe des écarts significatifs entre ce qu'est le découpage ratifié et ce qu'il aurait dû être.

9. Le premier document que vous voudrez bien trouver en annexe, qui compare la méthode Sainte-Laguë aux choix opérés par l'ordonnance, fait ressortir que :

- 12 départements et une collectivité d'outre-mer auraient un siège de plus que ce que la méthode de Sainte-Laguë leur attribuerait (Alpes de haute Provence, Hautes-Alpes, Ariège, Aveyron, Cantal, Corse du Sud, Haute-Corse, Jura, Lot, Vosges, Territoire de Belfort, Martinique, Polynésie française) ;
- 11 départements auraient un siège de moins que ce que la méthode de Sainte-Laguë leur attribuerait (Bouches-du-Rhône, Loire, Loire Atlantique, Pas-de-Calais, Rhône, Paris, Seine Maritime, Var, Essonne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis) ;
- 1 département aurait deux sièges de moins que ce que la méthode de Sainte-Laguë lui attribuerait (Nord).

Peut-être n'est il pas fortuit de constater, en outre, que sur les 13 départements et territoire qui seraient ainsi sur-représentés par rapport à ce qu'imposerait la rigueur mathématique, cinq sont favorables à la majorité actuelle, trois seulement à l'opposition, les quatre derniers (Alpes de Haute Provence, Hautes-Alpes, Corse du Sud, Haute-Corse) étant actuellement partagés entre l'une et l'autre, mais de manière telle que l'opposition conserverait sans doute son siège s'il n'y en avait plus qu'un seul, tandis que la majorité y perdrait le sien[13].

Quoi qu'il en soit de ces dernières observations, elles ne présentent au plus que des vertus explicatives mais ne sont nullement essentielles au regard de la démonstration juridique qui seule importe : en recourant à la méthode des tranches au lieu de la méthode de Sainte-Laguë, l'ordonnance, d'une part, a substantiellement faussé l'équité de la représentation de vingt-quatre départements, d'autre part, du même coup, a artificiellement creusé les écarts de représentativité d'un département à l'autre, donc abusivement creusé les écarts d'influence d'un électeur à l'autre, en contradiction formelle avec les principes dont vous avez rappelé le caractère fondamental.

  1. L'on ne manquera pas d'objecter qu'il s'agit là d'un choix que le Parlement a dû faire, entre plusieurs méthodes concurrentes et que, selon votre considérant récurrent, après retouches, le Conseil constitutionnel « ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement »[14].

Mais justement, et l'on aura l'occasion d'y revenir (infra, IV), il n'est plus guère question d'appréciation depuis que vous avez considéré, cette année même, que le découpage devait respecter « au mieux » l'égalité de suffrage : le fait qu'un découpage, toutes choses égales par ailleurs[15], respecte cette exigence mieux qu'un autre relève d'un simple constat, lequel conduit alors à préférer le premier tandis que le second devient, de ce seul fait, contraire à la Constitution.

Ce ne serait donc nullement substituer votre appréciation à celle du Parlement que d'opérer un tel constat, purement objectif et, à ce titre, exempt de toute trace d'appréciation.

11. Or, il nous faut insister derechef (supra, 5) sur « l'effet de commencement » bien connu des spécialistes du droit constitutionnel : l'application initiale de règles nouvelles produit des effets que les difficultés ultérieures d'une remise en cause rendent durables.

S'agissant de l'allocation de sièges aux départements, un mauvais pli pris à l'occasion du découpage initial, outre qu'il est intrinsèquement injustifiable, rendrait certaines les dérives futures, en même temps qu'il y rendrait les corrections ou remèdes plus difficiles.

Seule, donc, votre fermeté sur des évidences mathématiques qui sont ici des évidences démocratiques aussi, peut imposer qu'il n'en aille pas ainsi.

Fût-ce avec cent ans de retard, l'occasion se présente enfin d'adopter la méthode dont on sait qu'elle est la plus juste, la plus objective et la plus impartiale. La Constitution, telle que vous l'avez interprétée, impose que cette occasion soit saisie.

Elle impose du même coup que soit intégralement censuré le découpage qui n'a pas assuré au mieux l'égalité devant le suffrage dans la répartition des sièges entre les départements.

A défaut, après avoir rappelé la nécessité simple et ferme de recourir à la méthode mathématiquement la plus juste, ce qui aurait l'avantage de guider clairement les découpages futurs, vous pourriez choisir de ne censurer le découpage que de ceux des départements et territoire où elle donne des résultats différents de la méthode biaisée retenue par l'ordonnance, et l'on sait qu'ils sont au nombre de vingt-cinq (supra, 9).

III - Sur les collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin

12. Il résulte de l'ordonnance ratifiée par la loi déférée que la Guadeloupe conserverait quatre députés auxquels s'ajouterait un siège pourvu par les électeurs de Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

En 2007, vous aviez sagement indiqué que la création de sièges pour les deux îles dont le statut changeait ne serait conforme à la Constitution qu'autant qu'elle tendrait à ce « que soient corrigées les disparités démographiques affectant actuellement l'ensemble des circonscriptions législatives au plan national, y compris celles de Guadeloupe »[16] et aviez énoncé une réserve formelle à ce sujet.

Loin, donc, d'avoir souscrit par avance à la création d'un, voire deux sièges au profit de ces communautés, vous aviez fixé à l'autorité compétente un rendez-vous dont l'heure est aujourd'hui arrivée.

13. Saint-Barthélemy compte 8 398 habitants et Saint-Martin 35 692, soit un total de 44 090 habitants. Alors qu'elles sont, au regard de la géographie antillaise, très proches de la Guadeloupe, avec laquelle elles entretiennent des relations nombreuses et quotidiennes, en l'absence donc d'un « particulier éloignement d'un département ou d'une collectivité d'outre-mer » auquel fait allusion votre décision de 2009[17], la circonscription ainsi créée ne réunirait que 35 % de la population que l'on trouve dans la moyenne nationale des circonscriptions et environ 40 % de celles de la Guadeloupe voisine.

Au contraire, l'addition des populations de la Guadeloupe (407 719), de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin[18] s'élève à 451 809 habitants, soit une somme inférieure à celle qui devrait donner automatiquement droit à quatre députés et qui, partant, interdit qu'il puisse y en avoir cinq.

14. L'on ne s'arrêtera qu'un instant à l'objection selon laquelle la Guadeloupe est un département relevant de l'article 73 de la Constitution tandis que ses deux îles voisines relèvent de son article 74.

Premièrement, cette différence, qui existe depuis 2003, n'a eu aucune conséquence depuis, alors pourtant que se sont déroulées des élections générales en 2007.

Deuxièmement, cette différence peut n'être que passagère puisque l'on sait que la Guadeloupe pourrait être prochainement consultée sur l'éventualité d'un passage à l'article 74, comme la Martinique et la Guyane l'ont été le 10 janvier dernier.

Troisièmement surtout, vous n'avez pas manqué de rappeler que tous les députés, sans exception, « représenteront au Parlement la Nation tout entière et non la population de leur circonscription d'élection »[19]. En conséquence, les situations locales sont ici sans pertinence au regard de l'attribution des sièges. Quant à l'argument de texte que l'on prétendrait tirer de code électoral en faisant observer que son article L 125, distingue bien les sièges qui sont attribués dans les départements, d'une part, et ceux qui le sont dans « les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution » d'autre part, il serait inconsistant : cette distinction, qui résulte d'une loi ordinaire, ne saurait faire obstacle à l'application du principe constitutionnel d'égalité devant le suffrage.

15. Pour toutes ces raisons, vous serez inévitablement conduits, d'une part, à censurer l'ordonnance en ce qu'elle a prévu l'attribution d'un siège à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, d'autre part, censurer par voie de conséquence le découpage de la Guadeloupe[20] qui devra être refait pour y intégrer les deux îles voisines.

IV - Sur le découpage d'un certain nombre de départements

16. Ce n'est certes pas à vous qu'il convient de rappeler les règles qui s'imposent, puisque vous-mêmes les avez énoncées. Il ne s'agit donc, désormais, que de constater leur violation dans vingt-huit départements et plusieurs des onze circonscriptions dans lesquelles seront élus les députés représentant les Français de l'étranger.

Avant d'étudier tour à tour chacun de ces cas, rappelons, d'une part, qu'ils ne devront pas être examinés seulement en eux-mêmes mais aussi par référence à d'autres découpages possibles qui respecteraient « mieux » l'égalité devant le suffrage (supra, 7), d'autre part, que l'on ne saurait invoquer ici nulle appréciation qui relèverait du seul pouvoir du Parlement puisqu'il s'agira de constats purement objectifs (supra, 10).

17. De plus, l'on sait que vous avez, dès 1986, énoncé la règle absolue selon laquelle l'écart maximum de population des circonscriptions par rapport à la moyenne départementale ne saurait excéder 20 %. C'est déjà beaucoup dans la mesure où cela peut aboutir, arithmétiquement et sur une moyenne de 100, à accepter qu'une circonscription (120) compte 50 % d'habitants de plus qu'une autre (80).

Sans doute cela peut-il parfois se révéler inévitable, et c'est la raison pour laquelle vous avez déterminé cette fourchette.

Mais le gouvernement, lui, l'interprète comme une latitude qui lui serait consentie pour en faire l'usage de son choix : dès lors qu'il demeure dans ces limites démographiques, il pourrait concevoir son puzzle à sa convenance.

Tel n'est absolument pas, ou absolument plus le cas : c'est « au mieux » qu'il doit respecter l'équilibre démographique, ce qui signifie que l'on ne saurait se satisfaire de ce qu'il n'ait pas, ce qui est bien le minimum, franchi les écarts extrêmes de +/- 20 %. La Constitution exige plus. Vous aussi donc.

18. De la même manière, enfin, les autres règles dont vous avez rappelé la présence dans la loi d'habilitation, s'agissant notamment de la préservation de l'intégrité de « toute commune dont la population est inférieure à 5 000 habitants ainsi que tout canton constitué par un territoire continu dont la population est inférieure à 40 000 habitants »[21], ne valent pas licence de diviser arbitrairement les communes de plus de 5000 habitants non plus que les cantons de plus de 40 000.

Si de telles divisions sont parfois nécessaires, elles ne sont admissibles qu'à la mesure de cette nécessité.

C'est d'ailleurs ce sur quoi vous aviez tenu à insister par avance, dans le considérant n° 26 de votre décision de janvier 2009 précitée en précisant que :

« en conséquence, la faculté de ne pas constituer une circonscription en un territoire continu, celle de ne pas respecter certaines limites communales ou cantonales lorsque les conditions précitées le permettent, ainsi que la mise en œuvre de l'écart maximum mentionné au quatrième alinéa du 1 ° du II de l'article 2 doivent être réservées à des cas exceptionnels et dûment justifiés ».

C'est donc à cette lumière que doivent être examinés les cas suivants.

a) Ain

  1. L'évolution démographique ayant conduit à créer un siège dans ce département, le gouvernement a choisi de diviser artificiellement la ville et l'agglomération de Bourg-en-Bresse sans, pour autant, parvenir à l'équilibre démographique le plus satisfaisant.

En effet, alors que le canton de Peronnas, qui appartient à la communauté d'agglomération de Bourg-en-Bresse et entretient avec cette dernière des liens étroits en a cependant été dissocié, des communes étrangères à cette communauté d'agglomération ont été rattachées, pour des motifs exclusivement politiques, à la 1ère circonscription.

Ceci ne serait que choquant à équilibre démographique identique, mais devient inconstitutionnel lorsque l'on constate que le résultat de cette anomalie est de produire des écarts de population de + 6,72 % et - 6,42 % entre les circonscriptions les plus et moins peuplées, alors que ces mêmes écarts, corrigés de la même anomalie, n'eussent été que de + 5,70 % et - 5,16 %.

Il y a donc lieu à censurer le découpage de ce département.

b) Aude

  1. Ce département compte trois circonscriptions entre lesquelles le découpage actuel fait apparaître des déséquilibres importants qu'il convient de supprimer.

Ce n'est pourtant pas ce à quoi aboutit le découpage gouvernemental qui, alors que la Commission avait proposé le transfert du canton de Ginestas (14 761 habitants) de la 1ère et à la 2ème circonscription, s'est refusé à le faire, lors même que ce transfert eût maintenu ce canton dans l'arrondissement qui est le sien, celui de Narbonne-ville.

Non seulement, donc, ce découpage artificiel laisse encore subsister des écarts par rapport à la moyenne départementale (+ 8,68 % pour la 1ère, - 8,98 % pour la seconde) qui sont très proches de ce qu'eussent été les écarts résultant d'un découpage naturel (+ 9,03 % et - 9,33 %).

c) Calvados

  1. Dans ce département où les évolutions démographiques rendaient indispensables des réajustements, le gouvernement, comme souvent, en a choisis d'artificiels sans que cela se traduise par des résultats optimaux en matière d'équilibre démographique.

C'est ainsi que les communes de Lisieux et de Caen sont réparties entre plusieurs circonscriptions. De même, c'est sans la moindre utilité réelle que le canton de Lisieux I a été scindé entre les 3ème et 4ème circonscriptions.

Pourtant, alors que le découpage alternatif qui est présenté en annexe aboutissait à six circonscriptions très équilibrées, les écarts maxima de population s'élevant à + 3,40 % et - 3,98 %, le choix du gouvernement les situe à + 7,87 % et - 4,21 %, ce qui est sensiblement moins satisfaisant et inconstitutionnel à ce titre.

d) Gard

  1. Une nouvelle circonscription a été créée dans ce département qui passe donc de cinq à six députés. La chose promettait d'être d'autant plus aisée à réaliser qu'aucun canton n'atteint 40 000 habitants, ce qui facilite grandement le travail de découpage équilibré.

Pourtant, le résultat se caractérise par un écart de plus de 28 000 habitants entre les deux circonscriptions les plus et les moins peuplées, la seconde étant ainsi surreprésentée par rapport à la première de 28 %.

Bien sûr, cet écart demeure dans la fourchette que vous avez définie, de +/- 20 % par rapport à la moyenne départementale. Mais cet écart n'est qu'un maximum toléré, dans les cas où des spécificités locales ne permettent pas de faire mieux. En revanche, et en l'absence, comme ici, de telles particularités, la règle s'applique, que vous avez également définie, selon laquelle l'équilibre doit être respecté « au mieux ».

Or, la contreproposition que vous trouverez en annexe fait apparaître, toutes choses égales par ailleurs, un écart de seulement 20 000 habitants entre la 1ère et le 2ème circonscription, ramenant à seulement 19,56 % la surreprésentation de la première.

Nulle appréciation ici et simplement un constat : celui qui vous conduira à censurer à ce titre le découpage de ce département.

  1. De plus, comme si cela ne suffisait pas, sept cantons sont déplacés entre les circonscriptions qui existaient au préalable, sans qu'aucune justification démographique le rendît nécessaire. C'est ainsi, par exemple, que la 4ème circonscription, qui se trouvait presque exactement à la moyenne départementale, intégrerait un canton supplémentaire (18 465 habitants) et en perdraient trois (totalisant 20 412 habitants), sans autre motivation que les résultats politiques contrastés que produisent habituellement les quatre cantons concernés.

Enfin, la ville de Nîmes elle-même est répartie entre deux circonscriptions découpées de manière géographiquement, historiquement et sociologiquement absurde, et qui ne trouve de cohérence que dans la volonté de favoriser un camp politique : en effet, alors que les cantons de Nîmes I et Nîmes VI sont en continuité géographique, celui de Nîmes III, situé à l'est de la ville, en est séparé. Ils forment pourtant ensemble la 1ère circonscription, tandis que la 2ème, étalée du nord au sud de la ville, hérite d'un tracé tout aussi discutable.

La Commission s'était d'ailleurs émue de tout cela dans son premier avis mais, étonnement, n'a pas cru devoir le refaire ensuite, alors que rien pourtant n'avait changé.

A tous ces titres, le découpage de ce département, qui est loin de servir au mieux l'équilibre démographique, qui déplace des cantons dans un but exclusivement politique et qui ne respecte pas la continuité territoriale sera censuré.

e) Haute-Garonne

  1. Les dix circonscriptions de ce département présentent des déséquilibres dont la Commission n'a pas manqué de s'émouvoir, contrairement au gouvernement qui les a pourtant maintenus.

C'est ainsi que sept cantons ont été scindés (Toulouse VIII, Toulouse IX, Toulouse XI, Toulouse XII, Toulouse XIII, Toulouse XIV et Muret), sans que ceci, et pour cause, soit « dûment justifié », ni même, d'ailleurs, que la moindre justification soit esquissée.

Or, cette multiplication d'artifices conduit néanmoins à ce que, par rapport à la moyenne départementale de population, trois circonscriptions aient un écart situé entre 5 et 10 % (3ème, 9ème, 10ème), la plus peuplée soit supérieure de 13,02 %, la moins peuplée inférieure de 15,25 %.

Ceci est d'autant moins acceptable que la proposition alternative annexée démontre qu'un découpage beaucoup plus équilibré, pour toutes les circonscriptions, pouvait être obtenu qui n'eût fait apparaître que des écarts maxima de + 7,85 % (8ème) et - 7,14 % (7ème).

Dans ces conditions, n'avoir pas retenu cette seconde formule qui était d'évidence est clairement contraire aux principes que vous-mêmes avez énoncés et sera censuré à ce titre.

f) Hérault

  1. Où Eldrige Gerry avait dessiné sa célèbre salamandre, Alain Marleix a préféré l'étoile de mer pour ce département littoral, à moins qu'il ne s'agisse d'une chauve-souris à queue longue.

Premièrement, l'on doit constater deux fractionnements sans autre explication que politique : le canton de Frontignan est amputé de la commune de Villeneuve-lès-Maguelone (8 541 habitants seulement), et celui de Lunel perd sept communes ne regroupant que 7 102 habitants. Malgré ces prélèvements chirurgicaux, l'égalité démographique demeure sensiblement moins satisfaisante qu'elle aurait pu être et le gouvernement a joué à une espèce de bonneteau avec 11 cantons qui mutent sans nécessité autre qu'occulte, d'une circonscription à un autre.

A la première circonscription actuelle, il est retiré deux cantons et ajouté deux autres (tous d'une population allant de 25 000 à 30 000 habitants) sans que soit enregistré aucun progrès en matière d'équilibre démographique, mais avec des dividendes escomptés en termes politiques pour la majorité actuelle.

Deuxièmement, le découpage de Montpellier serait divertissant s'il n'était à ce point choquant. Représentatif d'un non sens géographique et social, il aboutit à un tracé aberrant par sa forme, tandis que les cantons qui ne sont pas au cœur même de la ville sont soigneusement rattachés aux circonscriptions extérieures plus rurales dans lesquelles ils se fondent.

Ainsi le découpage antérieur est-il bouleversé sans autre nécessité que celle qui le texte n'exprime pas, en maintenant des écarts démographiques superflus et en fractionnant arbitrairement deux cantons, ce qui constitue autant de motifs de censure.

g) Isère

  1. L'Isère gagne une circonscription. C'est dans le nord-est du département que l'évolution démographique a conduit à la dessiner. Mais, à cette fin, le gouvernement a éclaté deux cantons, ceux de Roussillon et Vizille, ce qu'aucune exigence ni géographique ni démographique ne commandait.

En conséquence, d'une part, la 5ème circonscription s'est trouvée affectée par la césure du canton de Vizille, héritant d'une fraction de ce dernier par suite de laquelle elle aurait une population sensiblement plus élevée que la moyenne départementale dont elle était pourtant très proche. D'autre part, les 7ème et 10ème circonscriptions se voient dotées d'un tracé singulier, tout en longueur, qui les distingue de façon pour le moins suspecte de toutes leurs voisines.

Or, tout ceci est d'autant plus troublant qu'aucun gain substantiel n'est accompli, même au prix de ces acrobaties, en termes d'équilibre démographique puisque les 3ème, 5ème et 6ème circonscriptions présenteraient un écart de population de plus de 10 % en valeur absolue.

La contre-proposition annexée fait apparaître des écarts à la moyenne départementale sensiblement meilleurs (+ 7,51 % ; - 10,43 %) sans découper aucun canton.

Le découpage de ce département sera donc également censuré, notamment pour avoir scindé des cantons sans pouvoir dûment le justifier comme l'exige le considérant n° 26 de votre décision précitée (supra, 18).

h) Loiret

  1. L'existence, dans ce département, d'une 2ème circonscription hypertrophiée avait conduit la Commission à souhaiter que le canton d'Orléans-Carmes fût transféré à la 6ème, laquelle pourrait perdre celui de Lorris au profit de la 3ème.

Loin de retenir cette solution de bon sens, le gouvernement a préféré bâtir un lego incohérent. D'une part, le canton de Fleury-Les-Aubray, gare de la ville d'Orléans située dans la continuité de celle-ci, a été basculé dans la circonscription rurale où elle retrouve les cantons de la Beauce. D'autre part, l'agglomération nouvelle, qui forme le canton d'Orléans-La-Source, est dissociée du reste de la ville, versé dans la 6ème circonscription.

Comme souvent, on pourrait se borner à ne voir là que des bizarreries géographiques qui n'ont d'explications que partisanes. Mais, comme souvent aussi, cette orientation inacceptable s'aggrave encore de ce qu'elle crée des déséquilibres géographiques superflus et, partant, inconstitutionnels.

Là, en effet, où la proposition alternative qui figure en annexe réduisait à + 7,91 % et - 3,34 % les écarts maxima par rapport à la moyenne départementale, le texte adopté les porte respectivement à + 14,55 % et - 9,88 %, passant ainsi d'une amplitude de 11,24 % à une de 24,43 %, soit sensiblement plus du double. La censure est donc inévitable.

i) Mayenne

28. Comme l'avait souligné la Commission, un rééquilibrage important était nécessaire entre les 1ère et 2ème circonscriptions. Pourtant, on a commencé par apporter à la 3ème circonscription un canton (Loiron) traditionnellement orienté en faveur de la majorité actuelle, pour le substituer à un autre (Laval Nord-Est), plus réfractaire.

Surtout, l'occasion était donnée d'attribuer un siège à l'agglomération dont l'unité serait ainsi respectée et de découper deux circonscriptions plus rurales, l'une et l'autre homogènes.

A ceci, qui eût aisément abouti à un équilibre démographique satisfaisant (un écart de 3 000 habitants seulement eût existé entre les deux circonscriptions les plus et moins peuplées), on a préféré réaffecter quatre cantons sans autre logique que purement politique, donc purement condamnable.

j) Meurthe-et-Moselle

29. Comptant aujourd'hui 725 302 habitants, ce département perd un siège. On s'attendait à ce que la 3ème, très déficitaire, fût supprimée pour que ses cantons vinssent renforcer celles qui sont circonvoisines. Il n'en fut rien, pour des raisons que seule l'ingénuité peut rendre mystérieuses. C'est, au contraire la 2ème circonscription, pourtant très proche de la nouvelle moyenne départementale, que l'on a choisi de dépecer.

S'en trouve particulièrement affecté le canton de Tomblaine. Celui-ci compte douze communes qu'une logique de bassin fait tourner vers l'agglomération nancéenne. Les quatre plus importantes font partie de la Communauté urbaine du Grand Nancy. On y trouve, outre l'aéroport, le stade de football de l'équipe professionnelle de l'ASNL, une piscine du Grand Nancy et bien d'autres infrastructures.

Dès lors, faire basculer ce canton vers la 4ème circonscription, le Lunévillois, est naturellement perçu par la population comme une aberration qui n'a d'autre objet que partisan. En outre, on peut rappeler pour l'anecdote que le ministre avait pris l'engagement qu'aucun député-maire ne verrait sa commune quitter sa circonscription : c'est pourtant très exactement ce qui se produirait ici.

Mais, on l'aura compris, l'essentiel est ailleurs : il est dans le fait que, tout en maintenant des écarts de population importants entre les circonscriptions (les écarts vont de - 13,48 % à + 7,57 % dans le projet gouvernemental et sont ramenés à - 5,61 % et + 5,54 % dans la contre-proposition annexée) et, partant, sans pouvoir se prévaloir d'un progrès sur ce plan, le découpage scinderait inutilement des territoires géographiquement, sociologiquement, économiquement, historiquement homogènes, ce qui est l'une des nombreuses définitions que l'on pourrait donner du terme charcutage. La censure est donc certaine.

k) Moselle

30. Où le gouvernement a tantôt usé de la hache, tantôt du scalpel, c'est au laser qu'il opère ici sa microchirurgie singulière. Certes, il lui fallait procéder à l'ablation d'un siège, ce qui est toujours délicat.

L'on s'attendait à ce que cela se fît dans le sud et l'est du département, moins peuplés, mais le projet préféra s'attaquer au nord, à la démographie beaucoup plus dynamique et, surtout, aux sympathies majoritaires pour l'opposition affirmées.

La Commission s'en est étonnée, le Conseil d'Etat à sa suite, sans que cela fît sourciller l'autorité de découpage, tout à sa tâche et qui se borna à des engagements non suivis d'effets.

Le résultat est déroutant. Trois cantons sont scindés (Metz I, Metz III, Yutz). Ce dernier se trouve amputé de la commune de Terville dont la taille modeste (6 000 habitants) pourra fournir un appoint bienvenu dans la circonscription voisine. Une partie de Metz III volera au secours du député de la majorité élu dans la circonscription de Metz I. Plus précisément, ce découpage se résume en une permutation au profit de la première circonscription de 13 bureaux de vote les plus à gauche de la ville contre 11 bureaux de vote très à droite. Enfin, plus étrange encore et cas unique semble-t-il, ce sont des bureaux de vote et non, comme à l'accoutumée, des communes qui permutent d'une circonscription à une autre. Ces bureaux de vote ne recensant, par définition, que des électeurs, l'on ignore donc les chiffres des populations ainsi contraintes au nomadisme. Rappelons que l'aptitude à dissocier des ensembles n'est pas conçue pour la commodité de ceux qui l'exercent, mais seulement pour permettre que soient réglées des difficultés particulières qui ne pourraient l'être autrement.

Si ces tracés capricieux étaient le prix à payer pour un découpage harmonieux et démographiquement équilibré, ils ne cesseraient pas d'être troublants mais pourraient au moins se prévaloir de ces qualités. Or, bien loin de cela, la 5ème circonscription demeure inchangée alors qu'elle présente un écart de population de - 13,03 % par rapport à la moyenne départementale, et la 9ème de + 11,38 %.

La contre-proposition adoptée en commission des lois le 22 décembre dernier remédie à tous ces griefs et respecte les critères qui sont les vôtres.

Cumuler à ce point la volonté partisane et la maladresse démographique n'est certes pas respecter « au mieux l'égalité devant le suffrage ». La censure s'ensuivra.

l) Nièvre

31. Il n'est, ici, que de contempler la carte du découpage de ce département pour en saisir l'artifice. L'on y découvre en effet une circonscription que sa forme en L rend déjà suspecte. On constate ensuite qu'au choix d'une circonscription rurale et d'une autre plus urbaine, intégrant l'ensemble de l'agglomération de Nevers, on a préféré amputer cette dernière de l'un de ses cantons pour le verser dans l'autre circonscription.

Cette option est d'autant moins compréhensible, sauf politiquement, que le découpage naturel eût abouti à un équilibre géographique et démographique (respectivement 112 976 et 109 244 habitants dans la proposition alternative qui apparaît en annexe) beaucoup plus satisfaisant.

L'artifice devra donc être censuré comme n'entrant pas dans les objectifs de la Constitution.

m) Pas-de-Calais

32. Quoi qu'il ait dû s'y reprendre à plusieurs fois, le gouvernement n'a suscité qu'un avis défavorable de la Commission, qui l'explique par l'entêtement des auteurs du découpage à maintenir des choix démographiquement irrationnels.

Ainsi, premièrement, du canton de Norrent-Fontès, maintenu dans la 6ème circonscription, au lieu de prendre sa place géographiquement et socialement naturelle dans la 9ème circonscription, avec comme conséquence que cette dernière compte un écart de population, par rapport à la moyenne départementale, de 14,74 % alors qu'il n'eût été que de 1,37 % si elle avait reçu ce canton.

Deuxièmement, le tracé des 7ème à 12ème circonscriptions disloque délibérément le bassin houiller d'une manière qui le dénature complètement.

Troisièmement, et surtout, l'amplitude par rapport à la moyenne départementale va encore de + 9,53 % à - 14,74 % alors que la proposition alternative démontre qu'il était aisé non seulement de faire sensiblement mieux, mais encore de le faire dans le respect des solidarités géographiques, historiques, économiques et sociales traditionnelles.

n) Puy-de-Dôme

33. Ce département sera celui où la moyenne d'habitants par siège sera la plus élevée en France (124 693), de sorte que les 1ère et 4ème circonscriptions, les plus peuplées dans le découpage gouvernemental, se situeront respectivement très au-dessus de la moyenne nationale.

Mais surtout, alors que la 1ère circonscription présente un écart de presque 10 % supérieures à la moyenne départementale, la 2ème circonscription, elle, présente un nombre d'habitants inférieur de 12,39 % à cette même moyenne.

Pourtant, les aménagements simples et logiques que fait apparaître la proposition alternative que vous trouverez en annexe eussent permis de ramener les écarts maxima à + 6,53 % et - 11,20 %. C'est donc eux qu'il convenait d'adopter pour respecter au mieux l'équilibre démographique, et le texte qui ne l'a pas fait sera censuré en conséquence.

o) Bas-Rhin

34. De nouveau, des cantons (Strasbourg VI, Illkirch-Graffenstaden, Bischwiller) sont découpés sans autre motif que partisan, ce qui laisse néanmoins subsister des écarts allant de + 8,04 % à - 10,04 %.

Aucun intérêt général ne s'attachait donc à ces scissions dont il était aisé de faire l'économie au prix du simple transfert d'un ou deux cantons qui aurait éviter tout bouleversement suspect des circonscriptions existantes.

p) Rhône

35. L'ordonnance introduit une rupture territoriale au sein de l'actuelle 13ème circonscription. Ainsi, l'unité territoriale du canton et de la cinquième commune du département du Rhône qu'est Saint-Priest n'est pas respectée. Cette entité est scindée en deux parties administratives distinctes qu'aucune réalité sociologique, historique ou humaine ne justifie. L'ordonnance bafoue ainsi le principe énoncé par le Conseil Constitutionnel de respect de l'intégrité des cantons.

Un autre découpage des circonscriptions, au sein de ce département, permettait de respecter au mieux la continuité territoriale, sans porter atteinte à l'unité des cantons. Pour ces raisons, ce découpage sera là encore censuré.

q) Saône-et-Loire

36. Fait assez surprenant : alors que la Commission avait donné un avis favorable au découpage de ce département, le gouvernement jugea néanmoins opportun de le remettre en cause.

Le résultat est choquant en ceci que la géographie et la démographie dictaient ici un découpage naturel qui aboutissait à un équilibre presque miraculeux : trois circonscriptions de 110 000 habitants, une à 112 000 et une à 105 000, produisant des écarts maxima de + 1,54 % et - 3,86 %.

Au lieu de cela, qui est présenté en annexe, le gouvernement a choisi, sans qu'aucune considération d'intérêt général puisse le motiver, de faire des échanges arbitraires de cantons, d'en associer de disparates et tout juste contigus pour, en fin de compte, aboutir à une situation dans laquelle les écarts par rapport à la moyenne départementale se situent à + 15 % et - 10,2 %, niveaux qui sont ici aussi incompréhensibles qu'injustifiables et, partant, inconstitutionnels.

r) Seine Maritime

37. Ici, le gouvernement a exploité sans vergogne et sans nécessité les souplesses que vous n'avez tolérées qu'au profit d'exigences d'intérêt général. C'est ainsi qu'une circonscription présente un écart de population, par rapport à la moyenne départementale, de - 8,72 %, tandis qu'une autre est à + 17,40 %, la plus peuplée de notre pays !

Au passage, on note que Rouen est inutilement amputée de ses quartiers de renouvellement urbain, que le découpage du Havre est tout à fait artificiel, tandis que l'une des rares circonscriptions qui se trouvait à la nouvelle moyenne départementale fait quand même l'objet d'un échange de cantons que ne vient expliquer rien d'avouable.

Or, la proposition alternative annexée montre que l'on pouvait ramener les écarts considérables constatés à des proportions nettement plus raisonnables et moins systématiques. Pour ne l'avoir pas fait, le texte sera censuré.

s) Seine-et-Marne

38. Ce département passe de neuf à onze sièges à pourvoir. Qu'un découpage largement nouveau puisse en résulter n'a donc rien de surprenant. Est surprenante, en revanche, la nécessité que les auteurs de l'ordonnance ont découverte de scinder trois cantons - Thorigny-sur-Marne, Dammartin-en-Goële, Lagny-sur-Marne - sans même parvenir pour autant à un équilibre démographique satisfaisant.

Les écarts par rapport à la moyenne se trouveraient en effet à - 16, 77 % pour la moins peuplée et + 8,77 % pour la plus peuplée. Au contraire, dans la contreproposition que vous voudrez bien trouver en annexe, ces écarts se situent à + ou - 8 % par rapport à la moyenne départementale, sans découper aucun canton, toujours toutes choses égales par ailleurs bien sûr.

« Peut mieux faire » reste une annotation classique chez les enseignants, mais c'est aussi devenu une cause suffisante de censure constitutionnelle en matière d'équilibre démographique.

t) Somme

39. Abbeville privée de sa façade maritime, les deux villes les plus importantes du département réunies dans la même circonscription lors même qu'elles sont distantes de 45 kms, des cantons très éloignés les uns des autres qui voteraient néanmoins ensemble, voilà quelques unes des étrangetés de ce découpage aux contours très tourmentés.

Elles s'expliquent bien sûr si l'on prend en considération les intérêts partisans, ceux-là même, justement, qui ne sauraient présider aux choix en la matière. C'est d'autant moins acceptable qu'une proposition alternative, incomparablement plus simple et démographiquement parfaitement équilibrée était disponible. Le texte qui ne l'a pas retenue sera censuré à ce titre.

u) Tarn

  1. Ce département perd un siège. Le nouveau découpage réalisé en conséquence fait subsister des écarts par rapport à la moyenne départementale sensiblement plus importants que nécessaire, allant de - 9,27 % à + 6,05 %.

Au contraire, la contreproposition qui figure en annexe, qui reprend celle faite par la Commission, d'une part, respecte les bassins de vie du département, autour d'Albi et Carmaux, de Castres et Mazamet (par fidélité aux mannes du Doyen Vedel qui en était natif ?), d'autre part, aboutit à un équilibre démographique pleinement satisfaisant puisque les écarts maxima par rapport à la moyenne départementale se réduisent à - 1,38 % et + 2,37 %.

Ce constat vaut condamnation de la partie pertinente de l'ordonnance.

v) Vaucluse

41.L'ordonnance entraine la division de la ville de Carpentras sur deux circonscriptions, sans justification autre qu'un rééquilibrage de population conséquent à la perte du canton de Cadenet pour la 5ème circonscription, alors que ce canton y trouverait sa place si la logique territoriale et administrative était respectée : Il n'y a aucune raison de diviser les cantons de Cadenet et de Pertuis dans deux circonscriptions distinctes, alors que les services de l'Etat comme les élus locaux travaillent au regroupement de ces communes, dans le cadre du SCOTT et dans une même structure intercommunale.

La division de Carpentras dans deux circonscriptions différentes s'ajoute à cette absurdité, que vous ne manquerez pas de censurer.

w) Seine-Saint-Denis

42. Loin de tirer les conséquences des obligations constitutionnelles, le projet du gouvernement ne respecte pas les critères que vous avez fixés pour le département de la Seine-Saint-Denis.

En l'espèce, le projet du gouvernement entend supprimer la 3ème circonscription du département (La Courneuve, Le Bourget, Aubervilliers Est et Ouest) alors que sa population correspond justement à la nouvelle norme des 125 000 habitants.

Par ailleurs, l'ordonnance laisse intacte la 8ème circonscription qui ne comprend que 107 000 habitants, soit un écart de - 13,74 % par rapport à la moyenne.

D'autres circonscriptions sont redécoupées alors qu'elles correspondent à la moyenne comprise dans l'écart de plus ou moins 7 % (les 3ème, 6ème, 9ème circonscriptions).

Enfin, le projet du gouvernement ne respecte pas les critères qu'il a lui-même annoncé comme étant la garantie du respect des obligations constitutionnelles : recomposer les circonscriptions en débutant par celles qui sont les moins peuplées, favoriser le fait que chaque ville et chaque canton fasse partie d'une même circonscription. Or, le projet du gouvernement ne se base pas sur la recomposition des circonscriptions les moins peuplées. De plus ; il laisse le canton du Bourget comme faisant partie de plusieurs circonscriptions. Enfin, il fait dépendre la ville de Bondy de deux circonscriptions, ce qui n'est pas le cas actuellement et ne l'a jamais été auparavant.

Dans son avis du 23 juin 2009, la commission article 25 a constaté que la proposition de redécoupage du gouvernement « laissait subsister un important déficit démographique (- 13,74 %) » en Seine-Saint-Denis. Suivant les recommandations du Conseil Constitutionnel, la commission a corrigé les déséquilibres démographiques en suggérant un nouveau découpage « plus satisfaisant sur le plan démographique » :

- Elle recompose 6 circonscriptions sur 13 au lieu de 8 dans le projet du gouvernement.
- Elle redécoupe les circonscriptions les moins peuplées qui ont le plus d'écart par rapport à la moyenne du département (les 4ème, 7ème, 8ème et 10ème circonscriptions).

La commission ne touche pas aux circonscriptions qui sont dans la moyenne, comprises dans l'écart de plus ou moins 7 % (1ère, 2ème, 9ème, 11ème, 12ème, 13ème). La commission mentionne particulièrement le maintien du découpage de 1986 pour la 9ème circonscription.

Ces propositions corrigent les graves disproportions démographiques que laissait subsister le gouvernement dans son projet initial.

De même, le Conseil d'Etat, reprenant les analyses de la commission, a confirmé la nécessité de modifier le projet du gouvernement pour le département de la Seine-Saint-Denis dans son avis du 24 juillet 2009.

De surcroit, au moins une autre possibilité de redécoupage des circonscriptions existe qui respecte au mieux les équilibres démographiques et les bassins de vie, qui recompose les circonscriptions en partant de celles qui sont déficitaires et qui maintient l'unité des villes et des cantons dans une même circonscription.

Partant du projet du gouvernement, ce redécoupage est obtenu en composant : la 4ème circonscription des cantons d'Aubervilliers-Est et Ouest ainsi que de celui de la Courneuve ; la 5ème des cantons du Bourget, de Drancy et de Stains ; la 6ème des cantons de Bobigny, les Lilas, Pantin-Est et Ouest ; la 8ème des cantons de Gagny, Les Pavillons-sous-Bois, Rosny-sous-Bois et Villemomble ; la 9ème des deux cantons de Bondy Nord-Ouest et Sud-Est et de ceux de Noisy-le-Sec et de Romainville (inchangée par rapport à aujourd'hui) ; la 10ème des deux cantons d'Aulnay-sous-Bois Nord et Sud et de celui du Blanc Mesnil.

Le gouvernement n'a voulu entendre ni la commission, ni le Conseil d'Etat, ni prendre en compte de contre-propositions. Il a eu tort en fait et surtout tort en droit puisque sa décision sera censurée en conséquence.

x) Guadeloupe

43. L'ordonnance laisse subsister de fortes disparités de population dans le département de la Guadeloupe puisque les 1ère et 4ème circonscriptions connaissent un écart à la moyenne départementale respectivement de +16,76 % et -14,43 %.

Qui plus est, ces déséquilibres démographiques se font au prix de regroupements tout fait discutables. Le rattachement des trois cantons de l'île de Marie Galante n'est, par la nature insulaire de ces trois cantons (Saint-Louis, Capesterre de Marie Galante et Grand Bourg), imposé par aucune logique de continuité territoriale. L'ordonnance a pourtant opté pour le rattachement de ces trois cantons à la 1ère circonscription c'est-à-dire à la plus peuplée de tout le département. En retranchant les 12 000 habitants de ces trois cantons à la 1ère circonscription et en les ajoutant soit à la 2ème soit à la 4ème on aurait atteint une logique démographique proche de la moyenne.

Un autre découpage des circonscriptions, au sein de ce département, permettrait de respecter au mieux les critères, notamment celui de l'équilibre démographique entre circonscriptions, énoncés par le Conseil constitutionnel. Le simple basculement du canton de Pointe Noire de la 3ème à la 2ème circonscription, tout aussi logique sur le plan de la continuité territoriale que le choix fait par l'ordonnance, rééquilibrerait les populations de ces deux circonscriptions. Tel était d'ailleurs le sens de la proposition de la Commission de l'article 25 que le gouvernement a décidé de ne pas suivre.

y) Français établis hors de France

44. Les écarts de populations sont ici considérables puisqu'ils vont de + 38,53 % pour la Amérique du Nord à - 30,83 % pour l'Amérique du Sud, en passant par - 30,14 % pour Asie-Océanie et - 17,01 % pour Péninsule Ibérique et Monaco.

La Commission s'en est émue, d'autant plus à juste titre que les libertés déjà prises, par ailleurs, avec la continuité géographique auraient évidemment permis, moyennant un petit effort, de rééquilibrer substantiellement ces circonscriptions et de faire disparaître les écarts considérables qu'elles présentent et qui sont autant d'atteintes exorbitantes à l'égalité devant le suffrage.

La répartition que vous trouverez en annexe permet de mieux respecter l'équilibre démographique des circonscriptions, notamment entre les deux circonscriptions nord-américaines qui représenteraient respectivement 125 000 et 120 000 habitants, et la continuité territoriale avec le rattachement de Beyrouth, Abou Dhabi et Tel-Aviv à la huitième circonscription, ce qui en ferait la circonscription du Proche-Orient.

Pour ne pas avoir cherché à réduire la différence de population à des écarts raisonnables, l'ordonnance sera bien-entendu censurée.

V - Observations finales

45. Au terme de cette analyse, dont vous voudrez bien pardonner la longueur inusuelle, il ne fait aucun doute que la loi déférée sera censurée pour avoir prétendu ratifier une ordonnance manifestement contraire à la Constitution.

Vous pouvez ainsi décidez de condamner toute l'ordonnance, ce qui serait tout à fait justifié. Mais vous pouvez également préférer ne la condamner qu'en ce qu'elle a irrégulièrement découpé certaines circonscriptions. Seraient alors concernées :

- celles sur lesquelles la procédure a été irrégulière : départements du Loir-et-Cher, de Paris et du Val d'Oise, d'une part, des Hautes-Alpes, de l'Aube, du Calvados, de l'Indre-et-Loire, des Landes, de la Mayenne, du Morbihan, de l'Essonne et des Hauts-de-Seine, d'autre part (supra, 5) ;
- celles incluses dans des départements qui eussent obtenu un nombre de sièges différent si ce dernier avait été attribué selon la méthode appropriée : Alpes de haute Provence, Hautes-Alpes, Ariège, Aveyron, Bouches-du-Rhône, Cantal, Corse du Sud, Haute-Corse, Jura, Loire, Loire Atlantique, Lot, Pas-de-Calais, Rhône, Paris, Seine Maritime, Var, Vosges, Territoire de Belfort, Essonne, Hauts-de-Seine , Martinique, Polynésie française (supra, 9) ;
- celles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin et, par voie de conséquence, de la Guadeloupe (supra, 15) ;
- celles des départements dont le découpage a été irrégulier au fond, soit (après élimination des doubles occurrences) : Ain, Aude, Gard, Haute-Garonne, Hérault, Isère, Loiret, Meurthe-et-Moselle, Moselle, Nièvre, Puy-de-Dôme, Bas-Rhin, Rhône, Saône-et-Loire, Seine-et-Marne, Somme, Tarn, Vaucluse, Seine-Saint-Denis, Guadeloupe, Français établis hors de France (supra, IV).

46. En tout état de cause, à la suite de la censure que vous n'allez pas manquer de prononcer, le gouvernement, la Commission et le Parlement disposeront de tout le temps nécessaire pour projeter et adopter un découpage conforme à la Constitution pour tous les lieux où celui que ratifie la loi déférée aura été déclaré non conforme. Ainsi le pays disposera-t-il d'un nouveau découpage avant la fin de 2010.

Celui-ci sera constitutionnellement irréprochable car si le gouvernement a pu traiter assez cavalièrement les avis de la commission prévue à l'article 25, il ne pourra faire preuve de la même légèreté à l'égard de la décision que vous-mêmes aurez prise et de ses conséquences de droit.

Enfin, pour contribuer à cette issue heureuse, les saisissants déposeront, sur tous les lieux qui seront concernés par votre décision, une proposition de loi procédant à leur découpage selon les solutions alternatives qui vous ont été communiquées, proposition de loi qui sera naturellement soumise à la Commission avant d'être, en tant que de besoin, inscrite à l'ordre du jour. Une telle démarche, on l'aura compris, évitera que le gouvernement puisse tarder à seule fin de faire survivre encore une fois le découpage inconstitutionnel de 1986.

Nous vous prions, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers, d'agréer l'expression de notre haute considération.
------------------------------------------------------- [1] Décision 84-170 DC
[2] Articles 26, 28, 33, 42, 44, 47-1, 48 et 51.
[3] Pierre Avril, Jean Gicquel, Droit parlementaire, 3ème édition, n° 170, p. 122.
[4] M. Mariani : C'est bien volontiers que je viens de voter l'amendement n° 4564 car je rejoins le groupe Nouveau Centre quand il explique que les groupes minoritaires doivent avoir un droit d'expression. Mais je vais plus loin en proposant que chaque député ait ce droit. En effet, si chacun de nous est dépositaire d'une partie de la souveraineté nationale, il n'en demeure pas moins, comme le disait tout à l'heure Mme Billard, que nous sommes élus au scrutin uninominal et non à la proportionnelle. Chacun de nous peut avoir une sensibilité personnelle, une problématique particulière, une opinion divergente, par moments, de celle de son propre groupe. Garantir l'expression des groupes, c'est bien, mais je vous propose d'aller un cran au-dessus en créant une explication de vote personnelle. Il s'agit d'instaurer, en dehors du délai prévu pour la discussion, un temps de parole à titre individuel, de cinq minutes par exemple, sur chaque texte. Cette prise de parole prendrait la forme d'une explication de vote personnelle. Elle pourrait intervenir entre le vote du dernier article du texte et le vote sur l'ensemble.
[5] N° 1949 du 6 octobre 2009.
[6] P. 15.
[7] Ces mêmes navettes seraient d'ailleurs limitées : le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel (décision 2003-468 DC, considérant n° 7) estiment que l'avis du premier doit avoir évoqué tout le contenu du projet de texte, de sorte, au cas présent, que si les propositions du Conseil d'Etat avaient été portées à la connaissance de la commission et que celle-ci avait rendu un avis favorable, un nouveau passage au Conseil d'Etat n'eût été nullement nécessaire.
[8] Rec. p. 305.
[9] Décision 2008-573 DC, considérant n° 23.
[10] Considérant n° 21.
[11] N° 26, p. 104.
[12] V. Michel Balinski, « Projets électoraux : le droit rencontre les mathématiques », Dalloz, n° 3, 22 janvier 2009, p. 183.
[13] En sens inverse, sur les onze départements objectivement lésés, majorité et oppositions dominent chacune cinq d'entre eux, le dernier (Loire) étant partagé entre elles. Toutefois, le siège supplémentaire (voire les deux dans le cas du Nord) qui aurait dû être créé aurait toutes chances de revenir à l'opposition dans le plus grand nombre de cas.
[14] Décision 2009-585 DC du 6 août 2009, considérant n° 7.
[15] C'est-à-dire dans un égal respect de tous les autres éléments dont vous jugez la prise en compte indispensable.
[16] Décision 2007-547 du 15 février 2007, considérant n° 7.
[17] Décision 2009-585 DC précitée, considérant n° 24.
[18] Telles qu'elles apparaissent dans le décret n° 2008-1477 du 30 décembre 2008 authentifiant les chiffres des populations de métropole, des départements d'outre-mer, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon.
[19] Décision 2009-585 précitée, considérant n° 30.
[20] Lequel sera de toute façon censuré pour d'autres motifs qui lui sont propres (infra, ).
[21] Décision 2009-585 précitée, considérant n° 25.