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Décision n° 2010-601 DC du 4 février 2010 - Observations du gouvernement

Loi relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et de plus de soixante sénateurs, d'un même recours contre la loi relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I/ SUR LE REGIME DE TRANSFORMATION DE LA POSTE EN SOCIETE ANONYME.

A/ Le grief central formulé dans les saisines fait reproche à l'article 1er de la loi déférée d'ouvrir la voie à une privatisation future en transformant La Poste en société anonyme dont le capital pourrait être cédé en tout ou partie au secteur privé par le biais d'une loi ultérieure.

B/ Le Conseil constitutionnel ne saurait faire sienne cette analyse.

En toute rigueur, l'argumentation des auteurs des saisines manque en fait. Elle se borne en effet à prêter au législateur des intentions futures quant à d'éventuelles modifications qui seraient apportées au régime de détention du capital de la société anonyme La Poste, alors que le seul objet de la loi est de trouver une formule juridique permettant d'augmenter les fonds propres de La Poste pour faciliter le financement de son développement, dans un contexte de tension sur les finances publiques qui rend impraticable le seul recours à une dotation budgétaire classique.

Contrairement à ce qui est soutenu, la loi conforte le caractère de service public national des missions confiées à La Poste et les arguments tirés de la nature constitutionnelle de ce service public sont doublement inopérants. Ils le sont en premier lieu parce que les missions en cause ne se rattachent pas à la catégorie constitutionnelle invoquée et en second lieu parce que cette argumentation est en tout état de cause sans incidence sur la loi déférée.

1/ Il ne fait aucun doute que la société La Poste exercera une activité qui s'analyse comme un « service public national » par détermination de la loi, selon la distinction retenue par le Conseil constitutionnel (voir en ce sens, dernièrement, la décision n°2006-543 DC et spécialement son considérant n°14).

La loi déférée fixe en effet l'organisation de quatre activités au niveau national et les confie à titre exclusif à La Poste : il s'agit, ainsi qu'en dispose l'article 2, du service universel postal, de la contribution à l'aménagement du territoire par le réseau de points de contact de l'entreprise, du transport et de la distribution de la presse à un tarif préférentiel et du régime dit de « l'accessibilité bancaire » mentionné au code monétaire et financier.

Ces quatre activités constituent autant de services publics nationaux impliquant la propriété publique de l'entreprise qui les exerce seule en application du neuvième alinéa du préambule de 1946.

Tirant les conséquences de cette qualification, la loi multiplie les garanties qui vont, au demeurant, bien au-delà des exigences fixées en la matière par le Conseil constitutionnel.

Au sens du neuvième alinéa du Préambule de 1946, la propriété publique est acquise dès lors que la puissance publique est simplement majoritaire dans le capital de l'entreprise (voir en ce sens la décision n°96-380 DC du 23 juillet 1996, considérant n°4). Et il a été jugé qu'une participation directe de l'Etat n'était pas requise en toute hypothèse, dès lors que la participation majoritaire était assurée par des entreprises ou des organismes appartenant au secteur public (voir en ce sens la décision n°2004-501 DC du 5 août 2004, considérant n°14).

Or l'article 1er de la loi déférée prévoit que l'Etat lui-même demeurera majoritaire dans le capital de La Poste en limitant par ailleurs aux seules personnes morales de droit public le droit de participer au capital. La loi précise en outre qu'à la date de publication de ses statuts initiaux le capital sera détenu en totalité par l'Etat et que la participation des salariés ne pourra, en tout état de cause, être que minoritaire, ce qui assure en toutes circonstances que l'entreprise demeurera la propriété de la collectivité.

2/ Il paraît en revanche hasardeux d'affirmer que les missions de La Poste confèreraient à ce service public national le caractère d'un service public de nature constitutionnelle.

Les auteurs de la saisine proposent deux indices d'identification possibles de ce type de service public bénéficiant d'une protection constitutionnelle renforcée, en faisant valoir que l'exercice des missions essentielles de La Poste par une personne morale de droit public relève de la catégorie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et que La Poste participe à l'exercice de la liberté de s'exprimer et de communiquer.

Mais l'ancienneté d'un mode d'organisation est inopérante pour qualifier l'existence d'un service public exigé par la Constitution. S'il est exact, par ailleurs, que La Poste participe à la liberté de communication et d'expression, cela demeure sans incidence sur le statut juridique qui doit être le sien.

Il convient de signaler qu'à ce jour aucun exemple de « service public constitutionnel » n'a été donné en jurisprudence.

En revanche, différentes activités se sont vu dénier une telle qualité, soit expressément - il en est ainsi de l'activité bancaire (décision n°86-207 DC du 26 juin 1986, considérant n°56), y compris de la distribution de prêts bonifiés (décision n°87-232 DC du 7 janvier 1988, considérant n°30), de la communication audiovisuelle par voie hertzienne (décision n°86-217 DC du 18 septembre 1986, considérant n°9), soit, au moins, de manière implicite, dès lors que le Conseil constitutionnel a choisi de placer son raisonnement sur le seul terrain, subsidiaire, du « service public national » par détermination de la loi : il en est ainsi pour les télécommunications (décision n°96-380 DC du 23 juillet 1996) ou l'électricité et le gaz (décision n°2004-501 DC du 5 août 2004).

Sans doute la catégorie de services publics découlant de principes ou de règles de valeur constitutionnelle doit-elle, dans ces conditions, être regardée comme limitée à certains services publics administratifs, voire aux services expressément mentionnés dans le bloc de constitutionnalité.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les activités exercées par La Poste ne se rattachent pas à la catégorie des services publics constitutionnels tels que les a définis la jurisprudence et souligne que ce débat est en tout état de cause sans incidence sur la constitutionnalité de la loi déférée.

II/ SUR LE RÉGIME DE DISTRIBUTION D'ACTIONS AU PERSONNEL DE LA POSTE.

A/ Les articles 12 et 13 de la loi définissent les régimes d'attribution d'actions aux personnels de La Poste. Les auteurs de la saisine font grief à ces articles, et spécialement au régime d'attribution d'actions gratuites prévu à l'article 13, d'être entachées d'incompétence négative, faute de définir avec suffisamment de précision les modalités de distribution de ces actions.

B/ Cette argumentation est dénuée de fondement.

1/ L'article 13 définit le régime d'attribution d'actions gratuites par La Poste en renvoyant à l'application des articles L. 225- 197-1 à L. 225-197-5 du Code de commerce, lesquels prévoient le régime des attributions gratuites d'actions par les sociétés anonymes notamment.

A cet égard, il convient de rappeler que, conformément au I de l'article L. 225-197-1 de ce code, l'assemblée générale extraordinaire fixe le pourcentage maximal du capital social pouvant ainsi être attribué et que le nombre total des actions attribuées gratuitement ne peut excéder 10 % du capital social à la date de la décision de leur attribution par le conseil d'administration.

Au delà de l'application de ce régime de droit commun, la loi déférée prévoit en outre, compte tenu de la situation de La Poste, des dispositions spécifiques permettant d'élargir le champ des bénéficiaires aux fonctionnaires travaillant à La Poste, d'imposer que les actions attribuées soient obligatoirement apportées à un ou plusieurs fonds communs de placement d'entreprise et, enfin, que l'évaluation de la valeur de référence de l'entreprise au moment de la distribution soit fixée, en recourant à des méthodes objectives d'évaluation couramment pratiquées, par la Commission des participations et des transferts, autorité administrative indépendante disposant en vertu de la loi du droit de s'opposer à l'opération si les conditions de celle-ci ne sont pas conformes aux intérêts patrimoniaux de l'État, en fonction de la quotité du capital pouvant être attribué gratuitement.

En renvoyant à un régime de droit commun fixant des conditions précises, tout en l'adaptant, par des critères précis, à la situation de La Poste, le législateur a exercé pleinement sa compétence.

2/ L'article 12, relatif à la seconde modalité d'actionnariat des personnels de La Poste prévue par la loi, à savoir les augmentations de capital ou cessions d'actions réservées, obéit à la même logique de renvoi au droit commun expressément adapté à la situation de La Poste. Il n'est, pour les mêmes raisons, pas davantage entaché d'incompétence négative.

3/ Si l'on devait distinguer dans les saisines un grief distinct tiré de ce que, indépendamment du régime de distribution d'actions au personnel de La Poste, la détermination de la valeur de cette entreprise dans le cadre de la cession d'actions à d'autres personnes morales de droit public que l'Etat serait, elle aussi, entachée d'incompétence négative, le Conseil constitutionnel ne pourrait qu'écarter aisément cette critique.

La loi ne prévoit en effet que des cessions entre personnes morales de droit public. Eu égard à la grande liberté reconnue par la jurisprudence dans ce cadre particulier (voir en ce sens la décision n°2009-594 DC du 3 décembre 2009, considérant n°15), le législateur pouvait donc, par son silence sur ce point, renvoyer sans incompétence négative à la libre négociation des parties.

III/ SUR LE REGIME DE REPRESENTATION DES AGENTS DE LA POSTE.

A/ Le II de l'article 11 de la loi actualise la rédaction du premier alinéa de l'article 31 de la loi n°90-568 du 2 juillet 1990 relative notamment à l'organisation du service public de la poste en prévoyant que La Poste emploie des contractuels sous le régime des conventions collectives.

Il est fait grief au législateur, en laissant inchangés les alinéas suivants de l'article 31 de la loi du 2 juillet 1990 prévoyant que les dispositions du code du travail relatives aux comités d'entreprise, aux délégués du personnel et aux délégués syndicaux ne s'appliquent pas à ces salariés, d'avoir méconnu le principe d'égalité.

B/ Le Conseil constitutionnel écartera sans difficulté cette analyse.

A l'heure actuelle, les personnels de La Poste sont constitués à la fois de fonctionnaires et d'agents servant en vertu de contrats de travail de droit privé.

L'impératif de bonne gestion de l'entreprise impose toutefois de prévoir, comme cela était déjà le cas sous l'empire du statut d'établissement public industriel et commercial issu de la loi du 2 juillet 1990, un régime de représentation unifié de ces deux catégories de personnels.

Il revenait ainsi au législateur d'opérer un choix entre, d'une part, le régime de droit public inspiré par la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et, d'autre part, le régime issu du code du travail, dès lors que ces deux régimes obéissent aux prévisions du huitième alinéa du Préambule de 1946.

En l'occurrence, les agents de droit privé participent aux instances de concertation avec les fonctionnaires dans les comités techniques paritaires, en vertu du décret n°98-1241 du 29 décembre 1998. Les comités d'hygiène, de sécurité et de conditions de travail (CHSCT) concernent à la fois les fonctionnaires et les salariés. Les contractuels bénéficient également de commissions consultatives paritaires (CCP) pour la défense de leurs droits individuels.

A cela s'ajoutent, pour l'ensemble des personnels, des instances spécifiques de concertation créées par la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, et prévues à l'article 31-2 de la loi du 2 juillet 1990 modifiée : la commission d'échange sur la stratégie du groupe La Poste et la commission de dialogue social.

La proportion de fonctionnaires (55 %) au sein de l'entreprise demeurant supérieure à celle des agents privés (45 %), c'est sans erreur manifeste d'appréciation que le législateur a choisi d'opter, à ce stade, pour un statut de représentation unifiée issu du droit public.

Et, dès lors que tous les agents, quelle que soit leur situation statutaire, sont traités de la même façon au sein de ce régime de représentation, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité pourra être écarté sans difficulté (voir en ce sens, de manière topique, la décision n°83-167 DC du 19 janvier 1984, par laquelle il a été jugé, à propos du Conseil national du Crédit, que l'absence de représentation d'une catégorie spécifique de personnel au sein d'un établissement ne méconnaissait pas le principe d'égalité, dans la mesure où ces personnels pouvaient être représentés dans les instances communes).

IV/ SUR LA DIFFERENCE DES DATES D'ENTREE EN VIGUEUR DES TITRE IER ET II DE LA LOI.

A/ Les articles 32 et 33 de la loi déférée fixent un régime d'entrée en vigueur différencié de ses deux titres, en prévoyant une date d'entrée en vigueur le 1er mars 2010 pour la transformation du statut de La Poste et le 1er janvier 2011 pour les dispositions de transposition de la directive 2008/6/CE du 20 février 2008.

Les auteurs de la saisine estiment que l'entrée en vigueur du titre Ier est subordonnée à la transposition de la directive et que, s'inspirant du précédent tiré de la décision n°2006-543 DC du 30 novembre 2006, le Conseil constitutionnel devrait, à tout le moins, différer l'entrée en vigueur de la transformation de statut de La Poste au 1er janvier 2011.

B/ Aucun parallèle ne peut toutefois être tracé entre la situation affectant à l'époque Gaz de France et celle de La Poste en application de la loi déférée.

En 2006, le Conseil constitutionnel avait considéré qu'un lien devait être fait entre la transformation de statut de Gaz de France, qui cessait d'être propriété de la collectivité, et l'entrée en vigueur des dispositions de transposition de la directive 2003/55/CE car ce sont ces dernières qui privaient Gaz de France de sa qualité de service public national au sens du neuvième alinéa du Préambule de 1946.

Aucune disposition de la loi déférée ne procède à une modification de ce type.

De manière plus générale, il n'existe aucun lien entre les dispositions du titre Ier et celles du titre II. La date d'entrée en vigueur du titre II résulte directement de la directive du 20 février 2008, laquelle fixe au 31 décembre 2010 la date limite de sa transposition. Le changement de statut prévu par le Titre Ier revêt quant à lui le caractère d'une mesure purement nationale, étrangère à la transposition de la directive. Cette dernière, tout comme les précédentes directives relatives aux services postaux, ne traite pas en effet du statut des opérateurs postaux, conformément au principe de neutralité des règles communautaires sur le régime de propriété des Etats membres fixé par l'article 345 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ex-article 295 du TCE).

Il était donc loisible au législateur de fixer une entrée en vigueur différente des deux titres de la loi, et de bonne administration de permettre à La Poste de se préparer le plus vite possible à une concurrence internationale accrue.

Le dernier grief des auteurs de la saisine pourra donc être écarté.

Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans les saisines ne sont pas de nature à conduire à la censure de la loi déférée.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.