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Décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009 - Saisine par 60 sénateurs

Loi de finances pour 2010
Non conformité partielle

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs

Nous avons l'honneur de vous déférer conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution la loi de finances pour 2010.

C'est en effet la première fois depuis décembre 2005 que notre groupe formule un recours en inconstitutionnalité à l'encontre d'un projet de loi de finances initiale. Le recours détaillé que nous vous adressons ne correspond en rien à une démarche systématique ou mécanique de notre part. Chaque fois que nous avons considéré qu'un recours ne se justifiait pas, nous nous sommes abstenus.

Cette saisine est exclusivement liée à notre analyse du projet de loi. Nous avons relevé des manquements graves aux principes constitutionnels qui appellent, selon nous, une censure de vitre part.

I. Sur la suppression de la taxe professionnelle et l'instauration de la contribution économique territoriale (article 2, 76, 77 et 78)

1. Au point 2.1.1 de l'article 2 du projet de loi de finances pour 2010, les modalités de calcul de la cotisation à la valeur ajoutée conduisent à des ruptures d'égalités entre entreprises contribuables.

Aux termes de l'article 2, les entreprises sont théoriquement redevables d'une cotisation de valeur ajoutée des entreprises (CVAE) au taux fixe de 1,5 % quel que soit le niveau de leur chiffre d'affaires dès lors qu'il est supérieur à 152 500 euros.

Le barème de la CVAE déterminé au 3 du II de l'article 1586 ter définit l'imposition réellement acquittée par les entreprises compte tenu du mécanisme de dégrèvement mis en place lors de l'examen de l'article 2 par le Sénat ainsi que de l'abattement de 1 000 euros ouvert aux entreprises de moins de 2 millions de chiffre d'affaires et de la cotisation minimale de 250 euros due par les entreprises réalisant entre 500 000 euros et 2 millions de chiffre d'affaires.

Ainsi, le dispositif adopté introduit une progressivité de l'impôt dû par les entreprises sur la base du chiffre d'affaires, donc d'un critère qui n'entre pas dans la définition de l'assiette de l'impôt et ne reflète pas leur capacité contributive.

Ce choix introduit une rupture d'égalité entre les contribuables. C'est notamment le cas au regard de deux entreprises de même valeur ajoutée et de même chiffre d'affaires selon que leur organisation repose sur une ou plusieurs entités juridiques. En effet, compte tenu du rejet des amendements présentés en ce sens en première lecture à l'Assemblée nationale, il n'est pas procédé à une consolidation générale du chiffre d'affaires de l'ensemble des entités juridiques composant une société.

Ce choix conduit à imposer chacune des entités au regard de son niveau propre de chiffre d'affaires, donc à un taux de CVAE inférieur à celui qui résulterait de l'application à sa valeur ajoutée propre du taux résultant de la prise en compte du total du chiffre d'affaires de l'ensemble des entités composant l'entreprise.

A titre d'illustration, chacune des trois entités juridiques de 5 millions de chiffre d'affaires composant une entreprise de 15 millions de chiffre d'affaires paiera une CVAE de 0,76 % de sa valeur ajoutée. A l'inverse, une entreprise de 15 millions de chiffre d'affaires organisée en une seule entité juridique verrait sa valeur ajoutée identique imposée au taux de 1,4 %.

Le législateur n'a tiré qu'une partie des conséquences de l'existence de cette rupture d'égalité lorsqu'il a introduit au III de l'article 1586 ter A un dispositif dit « anti-abus » qui prévoit notamment et sous certaines conditions restrictives qu'en cas de scission d'entreprises entre plusieurs entités juridiques réalisé à compter de la présentation de la réforme, le chiffre d'affaires à retenir pour le calcul de la cotisation de CVAE est égal à la somme des chiffres d'affaires des entités détenues à plus de 50 %.

Le fait de réserver ce dispositif, dont l'application est d'ailleurs limitée dans le temps, aux seules scissions d'entreprises à venir ne permet pas de remédier à l'existence d'une rupture d'égalité entre les entreprises existantes au regard de leur organisation juridique actuelle.

Cette différence de traitement qui n'est motivée par aucun objectif d'intérêt général avait pourtant été notée par le rapporteur général de l'Assemblée nationale qui indiquait (Rapport général, Tome 1 volume 2, page 56) que :

« Les mesures existantes d'allégement de l'imposition en faveur des petites entreprises sont (...) réservées aux petites entreprises indépendantes, le cas échéant organisées en groupe. Il n'est pas proposé de disposition similaire s'agissant du barème de la cotisation complémentaire. Il en résulte qu'un groupe comptant quatre sociétés réalisant chacune un chiffre d'affaires de 3 millions d'euros sera taxé au taux de 0,5 % et qu'une société réalisant un chiffre d'affaires identique à celui de ce groupe, soit 12 millions d'euros, sera taxée au taux de 1,41 % soit près de trois fois plus ».

Il faut d'ailleurs noter que le rapporteur général posait plus largement la question du choix d'une taxation progressive en fonction du chiffre d'affaires des entreprises :

" Enfin, on notera qu'une autre originalité du dispositif est de proposer un barème de taxation qui n'est pas défini par référence à l'assiette taxable (barème assis sur le chiffre d'affaires et taxant la valeur ajoutée). Cette solution ne répond pas au souci de retenir un critère de barémisation mieux établi et plus immédiatement disponible que la valeur ajoutée, le chiffre d'affaires utilisé étant, de toute façon, un chiffre d'affaires ad hoc corrigé par rapport au chiffre d'affaires comptable.

Le Gouvernement justifie cette solution par le fait que la valeur ajoutée est définie sur la base d'une production qui n'est pas nécessairement commercialisée (typiquement, la variation positive des stocks) et qui n'est donc, a fortiori, pas encaissée. Cette justification est toutefois contradictoire avec la prise en compte dans le chiffre d'affaires ad hoc d'éléments qui ne sont pas encaissés (typiquement, certaines plus-values latentes des entreprises financières) et explique mal pourquoi la part des produits non encaissés taxables dans la production de l'exercice doit faire varier le taux de taxation, dans des proportions au demeurant variables selon le niveau de chiffre d'affaires (compte tenu de l'irrégularité de la progression du barème), cette proportion étant, par exemple, nulle au-delà de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires ".

Il appartiendra donc à tout le moins au Conseil constitutionnel de censurer la rupture d'égalité constituée par la définition du barème de la CVAE fondé sur des modalités de prise en compte du chiffre d'affaires qui ne reflètent pas les capacités contributives réelles de certaines entreprises.

Par ailleurs, si elle permet utilement de limiter le cout de la réforme pour les finances publiques, la mise en œuvre de l'imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER) avec comme objet explicite de reprendre une partie des gains liés à la réforme de la taxe professionnelle pour certains secteurs économiques, elle conduit à une rupture d'égalité entre les entreprises de ces secteurs et l'ensemble des autres entreprises.

2. les deux derniers alinéas du 1 du II de l'article 1586 ter sont susceptibles de constituer un cas d'incompétence négative du législateur

Le 3 ° du point 6.1.1 de l'article 2 dispose que « les personnes et sociétés mentionnées au I ne sont pas soumises à la cotisation foncière des entreprises à raison de leurs activités qui ne sont assujetties ni à l'impôt sur les sociétés ni à l'impôt sur le revenu en raison des règles de territorialités propres à ces impôts ».

Eu égard à ces dispositions, les deux derniers alinéas du 1) du II de l'article 1586 ter qui disposent que « Pour les entreprises de navigation maritime ou aérienne qui exercent des activités conjointement en France et à l'étranger, il n'est pas tenu compte de la valeur ajoutée provenant des opérations directement liées à l'exploitation de navires ou d'aéronefs ne correspondant pas à l'activité exercée en France. Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application de l'alinéa précédent » semblent une simple application du principe de territorialité réaffirmé plus bas.

La référence à un décret ouvrant la possibilité d'une modification par voie réglementaire de l'assiette de la CVAE allant au-delà du seul respect du principe de territorialité pourrait constituer un cas d'incompétence négative du législateur financier.

3. Au point 2.1.1 de l'article 2 du projet de loi de finances pour 2010, l'extension à l'ensemble des entreprises d'un mécanisme de plafonnement de la valeur ajoutée servant d'assiette à la CVAE conduit à des inégalités marquées de traitement entre entreprises contribuables.

La rédaction retenue pour le 7 du I de l'article 1586 quinquies diffère de celle établie par la CMP, du fait de l'adoption d'un amendement gouvernemental déposé lors de l'examen définitif de la loi de finances.

Contrairement au souhait exprimé initialement par l'Assemblée nationale, la valeur ajoutée prise en compte pour l'imposition au titre de la CVAE fait l'objet d'un plafonnement fonction du chiffre d'affaires des entreprises.

Pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 7,6 millions d'euros, la valeur ajoutée serait retenue pour 80 % au maximum du chiffre d'affaires. Pour les entreprises de plus de 7,6 millions d'euros de CA, ce plafond serait fixé à 85 %.

Alors que la légitimité d'un plafonnement de la valeur ajoutée prise en compte pour le calcul de la CVAE pourrait exister s'agissant de petites ou moyennes entreprises compte tenu de la structure particulière de leur bilan et afin d'assurer que la réforme de la TP ne conduit pas une augmentation trop importante de leur part relative dans l'imposition, l'extension de ce plafonnement à l'ensemble des entreprises conduit à des ruptures d'égalité entre contribuables non justifiées par un motif d'intérêt général en rapport avec l'objet de la disposition en cause.

En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt les règles d'appréciation des facultés contributives, une telle appréciation ne devant pas entraîner de rupture caractérisée du principe d'égalité devant les charges publiques.

Conformément à la jurisprudence constante du Conseil, le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte des mesures d'incitation par l'octroi d'avantages fiscaux pour des motifs d'intérêt général. Ces avantages doivent avoir pour objet d'inciter les contribuables à adopter des comportements conformes à des objectifs d'intérêt général, à condition que les règles fixées soient justifiées au regard des objectifs en question.

Le dispositif proposé ici ne respecte pas le principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques car il traite de façon différenciée des contribuables se trouvant dans des situations objectivement identiques, sans lien avec un motif d'intérêt général ou l'objet de la loi.

A valeur ajoutée équivalente, et nonobstant un dégrèvement défini de façon générale au bénéfice de l'ensemble des entreprises pour calculer leur taux effectif d'imposition à la CVAE en fonction de leur niveau de chiffre d'affaires, deux entreprises redevables théoriquement d'une cotisation à la valeur ajoutée d'un montant identique pourraient en réalité acquitter des cotisations sans commune mesure dès lors que pour l'une d'entre elles, la valeur ajoutée représenterait une part plus importante de leur chiffre d'affaires que pour l'autre.

Cette différence de traitement ne se justifie en rien au regard des objectifs affichés pour la réforme de la taxe professionnelle, dès lors que le seul traitement particulier explicitement prévu pour une catégorie d'entreprise est celui réservé aux entreprises industrielles soumises à la concurrence internationale. Ce secteur particulier bénéficie à cet égard d'un abattement particulier de 30 % de l'assiette foncière retenue pour le calcul de la cotisation foncière des entreprises (CFE).

Le Conseil constitutionnel ne pourra donc qu'annuler pour non respect du principe d'égalité l'extension du mécanisme de plafonnement de la valeur ajoutée en fonction du chiffre d'affaires aux bénéfices de l'ensemble des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 7,6 millions d'euros.

4. Le mode de calcul de la « compensation relais » dont le produit viendra remplacer pour l'année 2010 celui attendu au titre des nouvelles impositions se substituant à la taxe professionnelle remet en cause la libre administration des collectivités locales.

Le point 4 de l'article 2 du projet de loi de finances pour 2010 définit notamment les modalités de calcul de la compensation relais 2010. Aux termes du 1.a. Du II de l'article 1640 B, le montant de la compensation relais serait égal au plus élevé des montants résultant : soit du produit théorique des bases de taxe professionnelle en 2010 calculées conformément aux dispositions en vigueur au 31 décembre 2009 (soit les bases théoriques 2010) par les taux de taxe professionnelle votés en 2009 retenus dans la limite des taux votés en 2008 majorés de 1 % ; soit du produit constaté en 2009 (taux 2009 et bases 2009).

Contrairement au souhait exprimé par le rapporteur général de l'Assemblée nationale, le gouvernement a, à l'Assemblée nationale d'abord, et par un amendement revenant une nouvelle fois sur le texte adopté à l'issu de la réunion de la commission mixte paritaire, imposé un calcul de la compensation versée par l'Etat aux collectivités territoriales qui ne tient pas compte de la réalité des décisions de taux prises par les collectivités locales conformément au principe de libre-administration.

Cette motivation a été explicitement rappelée lors des débats parlementaires, sous la mention d'une volonté de « responsabilisation » des collectivités territoriales.

Cette stigmatisation des choix faits en 2009 par des assemblées élues porte directement atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Le manque à gagner pour les collectivités locales, qui remet en cause l'affirmation du gouvernement selon laquelle la suppression de la taxe professionnelle s'accompagnerait d'une compensation « à l'euro près » des pertes subies par celles-ci, a été estimé sur la base du texte initial à 800 millions d'euros par le rapporteur général de l'Assemblée nationale.

Ce mécanisme, qui est fondé sur le choix arbitraire d'un niveau de majoration de 1 % par le gouvernement, niveau inférieur à celui arbitré par la Commission mixte paritaire (1,2 %), institue enfin des inégalités entre les collectivités selon qu'elles ont augmenté ou non leur taux de taxe professionnelle dans des proportions plus importantes en 2009.

Cette méthode et ce choix, qualifiés de « mauvaise manière faite au Parlement » et de « gagne-petit et dommage » par le rapporteur général du Sénat, ou de « mesquin » lors des débats à l'Assemblée nationale, conduisent à ne pas tenir compte des votes des taux de taxe professionnelle que les collectivités ont effectués en 2009. Au contraire, le gouvernement a explicitement fait le choix d'une référence fondée sur les taux votés en 2008 majorés forfaitairement de 1 % pour pénaliser les collectivités qui ont augmenté leur taux de taxe professionnelle en 2009.

Surtout, ces dispositions remettent directement en cause la libre disposition de leurs ressources propres par les collectivités locales. La compensation relais ainsi calculée doit en effet servir de base au calcul des garanties individuelles de ressources offertes aux collectivités locales pour l'avenir. Cette compensation et cette garantie ont bien vocation à se substituer à des ressources fiscales de taxe professionnelle. Or il apparaît que, compte tenu de l'option entre deux modes de calculs (bases 2009 x taux 2009 ou bases 2010 x taux 2008 + 1 %), certaines bases fiscales nouvelles relatives à l'année 2010 pourraient ne jamais être prises en compte dans l'assiette des impositions de certaines collectivités.

En effet, dès lors que le produit des bases 2010 incluant donc des extensions d'activités ou de nouvelles implantations d'entreprises qui devraient être prises en compte à compter de 2010 par les taux 2008 majorés de 1 % serait inférieur au produit de chacun de ces éléments constatés en 2009, c'est cette seconde base qui serait prises en compte. Ainsi, compte tenu d'un choix relatif au taux de référence, des bases 2010 d'imposition pourraient ne pas être prises en compte non seulement en 2010, mais pour le calcul d'une garantie de ressources qui a vocation à se maintenir.

Qui plus est, ce choix empêche pour les collectivités en cause toute prévisibilité de leurs ressources pour l'année 2010. En effet, celles-ci ne seront pas en mesure a priori de savoir si les bases nouvelles qu'elles auraient dû comptabiliser sur leur territoire pourront effectivement conduire à une variation de leur produit, dès lors que ceci dépend de leurs décisions de taux pour l'année 2009.

Une collectivité qui aurait décidé, après plusieurs années de stabilité de son taux d'imposition, de le majorer au-delà de 1 % en 2009 pourrait perdre la totalité du bénéfice des installations nouvelles ou extensions d'entreprises qui auraient dû, hors réforme de la TP, être prises en compte pour 2010 et ultérieurement.

Il appartiendra donc au Conseil constitutionnel d'annuler la restriction portant sur la prise en compte des taux votés en 2009 dans la limite des taux de 2008 majorés de 1 %.

5. Au point 3 de l'article 77 du projet de loi de finances pour 2010, le rétablissement du ticket modérateur est contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales et sa complexité nuit à l'intelligibilité du droit

Le gouvernement a introduit au 3 bis, par amendement déposé après la CMP, un article 1647 -0-B septies qui définit les modalités de mise en œuvre d'un nouveau ticket modérateur, mécanisme faisant financer par les communes et établissements publics de coopération intercommunale une part du coût du dégrèvement accordé aux entreprises dont la cotisation totale au titre de la CET représente plus de 3 % de la valeur ajoutée.

Cette fraction serait mise à la charge des collectivités à compter de 2013 si le dégrèvement est accordé pendant plus d'une année.

Le dispositif, d'une complexité marquée, ne permet pas d'atteindre le but qui lui est prétendument fixé, dès lors qu'il n'est pas exclu qu'une part du dégrèvement pourra être supportée par les collectivités locales alors même que la hausse du taux de la CFE qui leur serait imputable ne serait pas la cause première ni principale de dépassement du plafond.

Dès lors, des communes ou intercommunalités pourraient se trouver, dans le cadre de ce dispositif, privées d'une part de leurs ressources propres, alors même que le fait qu'une entreprise verrait sa CET dépasser le plafond de 3 % ne serait pas dû directement et exclusivement aux évolutions propres de la CFE plus qu'à celles de la CVAE à travers un barème qui croît avec le chiffre d'affaires, perçue par d'autres niveaux de collectivités.

A titre d'exemple, deux communes appliquant les mêmes taux de CFE pourront être très inégalement touchées par ce dispositif. Tel sera notamment le cas si toutes choses égales par ailleurs, l'une des deux communes ne compte aucune entreprise soumise au plafonnement sur son territoire tandis que l'autre en comprend.
En effet, aux termes du III de l'article 1647-0 B septies, " La participation globale des communes et établissements publics de coopération intercommunale est répartie entre les établissements publics de coopération intercommunale soumis à l'article 1609 nonies C et les communes qui ne sont pas membres d'un tel établissement au prorata du produit :

" a) Des bases de cotisation foncière des entreprises bénéficiaires du dégrèvement pour la deuxième année consécutive ;

« b) Par l'écart de taux de cotisation foncière des entreprises défini au IV. »

Deux communes appliquant la même politique fiscale pourront donc contribuer au financement de ce dégrèvement dans des proportions très différentes, proportions qui dépendront uniquement du rapport entre les bases de cotisation foncière des entreprises plafonnées de chacune des deux communes.

Or, à taux de CFE égal, les bases de cotisation foncière des entreprises plafonnées dépendent exclusivement de facteurs liés à la nature des entreprises présentes sur le territoire des communes (leur chiffre d'affaires, qui détermine le taux de CVAE qui leur est applicable, et l'importance de leurs immobilisations foncières), et non de facteurs que les communes elles-mêmes pourraient influencer.

Dès lors qu'elles comptent sur leur territoire une part différente d'entreprises bénéficiant du plafonnement, deux communes ou intercommunalités pourront donc voir le coût du ticket modérateur qui leur est imposé varier très fortement, sans lien direct avec leurs décisions de taux respectives.

Ce dispositif est donc susceptible d'entraîner une rupture d'égalité entre communes et entre leurs habitants, rupture qu'aucun motif d'intérêt général ne vient motiver.

C'est indirectement une forme de tutelle des collectivités locales les unes sur les autres qui est introduite. Ainsi, les effets du plafonnement ne porteraient que sur les seules communes et intercommunalités, parfois indépendamment de leurs propres choix fiscaux, alors que c'est au titre d'une imposition perçue par l'ensemble des collectivités que les entreprise bénéficient d'un plafonnement.

Cette mesure est donc également contraire aux dispositions du pénultième alinéa de l'article 72 de la Constitution qui dispose qu'« aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre ».

Le dispositif voté est également et directement contraire au principe de libre disposition des ressources posé au premier alinéa de l'article 72-2, alinéa 1er de la Constitution. Cet article dispose en effet que les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi.

L'objectif de « responsabilisation » des décisions des collectivités locales est d'autant moins recevable que, au sein de la CET, la CVAE est perçue à un taux fixé nationalement et que les taux de la CFE font l'objet d'un encadrement strict qui lie leur évolution à celle des impositions portant sur les ménages.

Au total, eu égard à l'enjeu financier lié à la prise en charge par le bloc communal d'une part du coût du dégrèvement, qui se limiterait, pour l'Etat, à un montant estimé par les rapporteurs généraux du budget à l'Assemblée nationale et au Sénat à 70 millions d'euros, le dispositif apparaît d'une complexité qui remet en cause la nécessaire intelligibilité du droit pour les responsables des collectivités locales et les contribuables.

6. Au point 4.2. de l'article 77, le dispositif de redistribution d'une part du dynamisme du produit de la CVAE introduit pour les départements et régions est contraire au principe de péréquation et à la libre administration des collectivités locales

Le gouvernement a également réintroduit à l'article 77 un dispositif de péréquation proche de celui retenu lors de la première lecture par l'Assemblée nationale.

Mais les conditions formelles d'examen de cette disposition, comme de l'ensemble des amendements substantiels introduits par le gouvernement après la commission mixte paritaire aux articles 2 et 43 (76 à 79) de la loi de finances, ont conduit à l'adoption d'un dispositif dont l'absurdité la rend directement contraire à l'exigence constitutionnelle de péréquation et au respect du principe de libre administration des collectivités locales.

Ces amendements introduisent un article 1648 AA instituant respectivement un fonds régional de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et un fonds départemental de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée.

Pour les régions et les départements, le fonds bénéficie d'un prélèvement calculé comme la moitié de la différence, si elle est positive, entre le montant de CVAE perçu effectivement par la collectivité et le montant perçu en 2011 augmenté d'une croissance correspondant à celle de la CVAE constatée jusque-là pour l'ensemble des collectivités depuis la mise en place de la réforme.

Proche dans leur principe des dispositions introduites par l'Assemblée nationale, supprimées par le Sénat, et que la CMP n'avait pas rétablies, ces dispositions visent à introduire une forme de péréquation « dynamique » reposant sur la croissance des recettes fiscales de CVAE perçues par les collectivités.

L'article 1648 AA tel que rédigé à l'initiative du gouvernement conduit, pour ce qui concerne les régions, à prélever le montant ainsi défini sur les régions qui peuvent être considérées comme « riches » en matière fiscale, puisque sont visées celles dont le potentiel financier est supérieur à la moyenne, et à reverser le montant ainsi collecté au bénéfice des régions « pauvres » dont le potentiel fiscal par habitant est inférieur à la moyenne, au prorata du produit de l'écart à cette moyenne par la population de la région.

Curieusement, c'est un choix en partie inverse qui est fait en ce qui concerne les départements. Ce sont en effet les départements « pauvres », dont le potentiel financier par habitant est inférieur à la moyenne, qui se verraient soumis au prélèvement au bénéfice d'un fonds de péréquation, ce qui pourrait rendre difficilement applicable cet article.
La redistribution se ferait en direction des mêmes départements dont le potentiel financier par habitant est inférieur à la moyenne, au prorata du produit de l'écart à cette moyenne par la population du département.

Plus curieusement encore, le fonds départemental de péréquation de la valeur ajoutée n'est en réalité pas le bénéficiaire des ressources ainsi collectées.

Il résulte en effet des dispositions du dernier alinéa du 3 du A et du premier alinéa du B que c'est le fonds régional de péréquation de la CVAE qui collecterait le prélèvement sur les départements « pauvres », et qui organiserait la redistribution de l'ensemble de ces ressources entre les départements également « pauvres ».

Le gouvernement n'a apporté lors de l'examen à l'Assemblée nationale non plus qu'au Sénat aucune explication à ces choix surprenants, qui entrent en contradiction directe avec le principe constitutionnel de péréquation et conduisent à prélever sur une catégorie de collectivités locales (les départements) une part péréquatrice dont il n'est pas possible de déterminer si son produit sera redistribué entre les régions comme semble le prévoir le B du I de cet article 1648 AA, ou également au profit des départements comme le dispose le B du II.

On peut supposer qu'il pourrait s'agir ici de certaines des erreurs rédactionnelles évoquées par le rapporteur général du Sénat, mais le gouvernement ne l'ayant pas confirmé et n'ayant pas souhaité modifier la rédaction de son amendement lors de l'examen de la loi de finances initiale, il appartient évidemment au Conseil constitutionnel d'en affirmer l'inconstitutionnalité.

A tout le moins, si une erreur devait être mise en avant par le gouvernement, elle illustrerait les très mauvaises conditions d'examen de l'ensemble des amendements relatifs aux articles 2, 77 et suivants réformant la taxe professionnelle déposés par le gouvernement après la réunion de la commission mixte paritaire et revenant sur de nombreux points substantiels sur les dispositions adoptées par celle-ci.

L'application des dispositions relatives à la péréquation étant renvoyée au plus tôt à l'année 2011, cette annulation ouvrira la possibilité de revenir dans la plus prochaine loi de finances à une rédaction respectueuse des exigences constitutionnelles ainsi que de la plus élémentaire logique.

Il semble d'ailleurs, sans qu'il soit évidemment possible de s'en prévaloir pour éviter l'annulation de la disposition ici soumise au Conseil constitutionnel, qu'une correction de ce type soit envisagée dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2009 qui n'a pas été définitivement adoptée à l'heure de la présente saisine.

7. Au point 4.2. bis de l'article 77, le dispositif de « renationalisation » de 25 % de la CVAE perçue par les départements et les régions est contraire au principe d'autonomie financière des collectivités locales

L'amendement à l'article 78 introduit à l'initiative du gouvernement après réunion de la Commission mixte paritaire a ajouté un 4.2 bis relatif à la péréquation de la CVAE et insérant un article 1648 AB dans le code général des impôts.

Cet article vise à l'institution de deux fonds de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée, l'un entre les départements, l'autre entre les régions, distincts des fonds portant pourtant le même nom, prévus par l'article 1648 AA.

A.- En tout premier lieu, le Conseil devra constater que ce choix de dénomination et les modalités de fonctionnement de ces fonds nuisent directement à l'intelligibilité de la loi.

A.1- La loi ne dit pas ce qu'elle fait

Ce point a été souligné par la Sénatrice Nicole Bricq durant l'examen de ces amendements au Sénat. En effet, contrairement à ce que semble prévoir explicitement l'article, ces fonds ne peuvent être alimentés qu'antérieurement à la perception de l'impôt par les collectivités territoriales puisque les gains ou les pertes résultant de leur intervention seront compensés dans le cadre de la garantie individuelle de ressources.

Aucun « prélèvement sur recettes » ne sera donc opéré sur les budgets desdites collectivités locales et le bilan de l'intervention des fonds instaurés par l'article 1648 AB sera nul en volume : chaque département et chaque région se voyant replacé à son niveau de recette de référence.

Cette neutralisation de l'intervention des fonds découle directement des modifications apportées par l'amendement du Gouvernement aux points 1.2 et 1.3 du même article, concernant la compensation de la réforme de la taxe professionnelle pour les départements et les régions.

Cette modification visait à prévoir que la recette fiscale de chaque collectivité serait appréciée nette des prélèvements et des reversements au profit ou en provenance dudit fonds.
Par conséquent :

- si le fonds majore la part théorique de CVAE, ce surcroît viendra minorer la dotation de compensation voire même augmenter l'écrêtement de la collectivité ;

- si au contraire le fonds minore la part théorique de CVAE, ce déficit sera compensé par un surcroît de dotation ou par une baisse de l'écrêtement.

Il s'agit donc bel et bien d'une modalité de distribution d'une fraction de la recette, et non pas d'une quelconque péréquation visant à faire contribuer telles collectivités locales au financement de telles autres.

Tout au plus, l'intervention des fonds créés par l'article 1648 AB aura pour effet de modifier insensiblement la composition du panier de recettes de chaque département et de chaque régions, pour y atténuer ou y majorer la part venant de la CVAE.

Contrairement à ce qui a été avancé lors des débats au Sénat comme à l'Assemblée nationale, le Conseil devra donc reconnaître que ces fonds n'opèrent aucune péréquation de nature à corriger des inégalités de ressources et de charges.

Plus encore, dès lors que le produit de CVAE qui sera notifié aux collectivités au titre de 2011 inclura nécessairement la redistribution prévue à l'article 1648 AB, le Conseil devra constater que la rédaction adoptée par le Parlement est dépourvue de lien avec les effets qu'elle serait susceptible de produire, et que par conséquent la loi est inintelligible.

A.2- La loi crée des dispositifs concurrents et redondants qui ne permettent pas d'en apprécier la portée

Les articles 1648 AA et 1648 AB proposés prétendent créer, chacun, deux fonds de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, l'un entre départements et l'autre entre régions.

L'existence, pour chacun de ces échelons de collectivités, de fonds ayant le même objet et dont le caractère concurrent est démontré par le fait qu'ils ont la même dénomination porte atteinte à l'intelligibilité de la loi.

Cette situation est aggravée par l'absence de lien entre les fonds : une région ou un département pourra subir un prélèvement au bénéfice du fonds prévu par l'article 1648 AA à raison de la dynamique de son produit de CVAE alors même que cette dynamique aura, en tout ou partie, été remise en cause par le prélèvement au bénéfice du fonds prévu par l'article 1648 AB.

Ainsi, un département dont le produit de CVAE aura crû plus vite que la moyenne nationale, par exemple avec une croissance cumulée de 10 % sur trois ans alors que le produit national total n'aura crû que de 4 % au cours de la même période, subira, en application de l'article 1648 AA, un prélèvement égal à 3 % de son produit de CVAE.

Il est tout à fait possible qu'au cours de la même période, ce département constate une diminution de sa quote-part dans le reversement du fonds prévu par l'article 1648 AB puisque cette quote-part est déterminée par des critères étrangers à l'impôt et par le poids relatif au regard de ces critères de chaque département par rapport à l'ensemble des départements.

Cette diminution de quote-part peut entraîner une baisse du reversement au titre du fonds de l'article 1648 AB dont il n'est pas tenu compte pour le calcul de la dynamique servant d'assiette au prélèvement au profit du fonds de l'article 1648 AA. Le fonds de l'article 1648 AA opère donc un prélèvement sur un produit de CVAE qui n'est que virtuel compte tenu de l'intervention simultanée et indépendante du fonds homonyme prévu par l'article 1648 AB.

B.- En second lieu, et surtout, le Conseil devra annuler le dispositif inséré à l'article 1648 AB du code général des impôts en tant qu'il remet manifestement en cause l'autonomie financière des départements et des régions, garantie par la Constitution et la loi organique.

L'article 1648 AB prévoit de distribuer 25 % de la CVAE perçue par les départements et par les régions selon des critères sans lien avec l'impôt :

- pour les régions à raison d'un tiers au prorata de leur population relative, d'un second tiers au prorata de leur effectif relatif des élèves scolarisés en lycées et des stagiaires de la formation professionnelle, et d'un troisième tiers au prorata de leur superficie relative (retenue dans la limite du double de la densité moyenne de population) ;

- pour les départements, à raison d'un tiers à chaque fois au prorata de leur population relative, du nombre relatif des bénéficiaires des minima sociaux et de l'allocation personnalisée d'autonomie, et de la longueur relative de voirie départementale.

Au total, cet article prévoit de distribuer 1 853 millions d'euros au profit des départements et 954 millions d'euros au profit des régions, c'est-à-dire le quart de leurs ressources fiscales économiques. Ainsi qu'il va être exposé, le Conseil devra considérer que ces montants ne sauraient être regardés comme constituant une ressource propre des collectivités locales, et remettent en cause l'ensemble de la CVAE comme une ressource propre des départements et des régions.

B.1- Le principe d'autonomie financière est garanti par la Constitution, défini par la loi organique et a été précisé par la jurisprudence du Conseil.

Le principe d'autonomie financière des collectivités locales est fixé par le troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, qui dispose que « Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en oeuvre ».

La loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 a inséré dans le code général des collectivités territoriales les articles L.O. 1114-1 à L.O. 1114-4 pour assurer la mise en oeuvre de ces dispositions. Aux termes du troisième alinéa de l'article L.O. 1114-3 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction résultant de la censure partielle prononcée par le Conseil constitutionnel le 29 juillet 2004, « la part des ressources propres ne peut être inférieure au niveau constaté au titre de l'année 2003 ». Ce « plancher » doit être respecté pour chacune des catégories de collectivités territoriales définies à l'article L.O. 1114-1 du même code.

Il appartient donc au Conseil constitutionnel de censurer des actes législatifs ayant pour conséquence de faire passer la part des ressources propres d'une catégorie de collectivités territoriales en-dessous de ce plancher.

Comme il l'a lui même rappelé dans son 21ème considérant de la décision n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004, nonobstant l'obligation pour le gouvernement de présenter un rapport sur l'évolution du ratio des ressources propres dans l'ensemble des ressources des collectivités et de corriger au plus vite une diminution de ce ratio en-deçà du niveau de 2003, le Conseil constitutionnel se réserve la possibilité « de censurer, le cas échéant, des actes législatifs ayant pour effet de porter atteinte au caractère déterminant de la part des ressources propres d'une catégorie de collectivités territoriales ».

Le Conseil a également jugé qu'il résulte de la combinaison des trois premiers alinéas de l'article 72-2 de la Constitution que les produits d'impositions de toutes natures ne constituent des ressources propres des collectivités locales que si la loi les autorise à en fixer l'assiette, le taux ou le tarif, ou si elle en détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette.

B.2- Pour les départements et les régions, la CVAE ne souscrit pas à la définition de la ressource propre

A l'évidence, la CVAE ne constitue pas une imposition dont les départements et les régions peuvent modifier l'assiette ou le taux. Elle ne peut être considérée comme une ressource propre qu'à la condition que le législateur a prévu d'en fixer, par département et par région, une fraction de taux ou une fraction d'assiette.

Or, la CVAE des départements et des régions est une imposition mixte, dont 75 % sont perçus par la collectivité en fonction de l'assiette située sur son territoire et 25 % sont répartis par l'Etat en fonction de critères totalement extérieurs à l'impôt.

Du point de vue des sommes mises en répartition, cette quote-part de 25 % ne peut être répartie qu'après prise en considération du produit total de la CVAE encaissé par l'Etat au titre d'un exercice. Il ne s'agit donc nullement d'une fraction locale de taux ou de tarif, non plus qu'une fraction locale d'assiette. Les collectivités locales bénéficieront d'une quote-part d'un produit total collecté, dont le montant n'a rien de local.

Plus encore, du point de vue de la répartition elle-même, il convient d'observer que le produit de CVAE qui sera perçu par chaque département ou chaque région, à compter de 2011 sera variable chaque année, non seulement en fonction de l'assiette locale taxable pour 75 % du total, mais aussi et surtout en fonction de la position relative de la collectivité dans l'échelle des critères définis par l'article 1648 AB.

Chaque année, cette quote-part a donc vocation à évoluer localement de façon totalement distincte de la ressource encaissée nationalement par l'Etat et en raison de facteurs qui ne relèvent ni de l'Etat, ni de la collectivité bénéficiaire.

La CVAE n'est donc nullement une imposition dont le législateur détermine par collectivité une fraction de taux ou d'assiette.

B.3- En cela, la CVAE diffère notablement de la TIPP et de la TSCA transférées auxquelles le Conseil a reconnu le caractère de ressources propres

Lorsque le législateur financier a entendu transférer aux régions et aux départements des fractions de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance ou de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, il a prévu d'en affecter collectivité par collectivité une fraction figée de tarif ou de taux.

Cette méthode, conforme aux décisions du Conseil, a entraîné la qualification de la TIPP et de la TSCA comme ressources propres des départements et des régions.

En effet, lorsque la loi transfère par exemple au département du Tarn une fraction égale à 0,85 % du taux de la TSCA sur les contrats de véhicules à moteurs taxés à 18 %, elle garantit à ce département que chaque contrat conclu sur le territoire national entraînera la perception d'une recette de 0,85 % x 18 % = 0,153 % du montant du contrat. Il n'y a donc aucun écran entre le contribuable (ou l'assiette de l'impôt) et la recette perçue par la collectivité.

De même, lorsque le législateur financier a transféré, par exemple, au département du Cher, une fraction égale à 0,023 euros par hectolitre du tarif national de TIPP, il a garanti à cette collectivité qu'elle percevrait cette somme pour chaque hectolitre acquis sur le territoire national. Là encore, la ressource est une ressource propre, parce que nulle collectivité publique ne peut s'interposer entre l'assiette de l'impôt et la disposition du produit par la collectivité bénéficiaire.

Le Conseil ne pourra manquer d'observer que ce ne sera pas le cas de la CVAE, compte tenu des dispositions de l'article 1648 AB.

En effet, entre l'assiette de la CVAE (qu'elle soit considérée nationalement ou localement par le mécanisme de localisation prévu à l'article 1586 septies créé par l'article 2 de la loi de finances) et le produit perçu par un département ou par une région s'interposera un écran de redistribution en fonction de critères relatifs.

La collectivité ne percevra une ressource découlant de l'imposition d'une assiette, mais une ressource découlant de la dynamique relative de sa population, de sa longueur relative de voirie, ou encore de sa superficie relative, etc.

Le Conseil relèvera d'ailleurs que parmi les critères choisis à l'article 1648 AB, certains sont figés ou presque. Il en est ainsi de la superficie de chaque collectivité et du territoire nationale, qui n'évolueront plus.

Il en est également ainsi, peu ou prou, de la longueur des voiries départementales, qui résulteront à l'avenir davantage du poids de l'histoire que de choix locaux.

Le Conseil devra dès lors considérer que ne peut être une ressource propre la ressource dont le montant perçu par la collectivité est proportionné à la surface d'une région voisine, ou encore aux kilomètres de routes d'un autre département.

B.4- Le CVAE est également une ressource d'un genre inédit puisque son produit perçu par une collectivité est dépendant du comportement d'une autre collectivité

Enfin, le Conseil sera confronté à la définition d'une ressource - la CVAE - dont la nature fiscale pour les contribuables est démentie par son mode de répartition entre les collectivités locales bénéficiaires.

La jurisprudence du Conseil a jusqu'ici conduit à délimiter le poids des interventions relatives de l'Etat et des collectivités locales dans la définition des ressources propres. C'est en ce sens que le Conseil a été conduit à considérer que toute ressource dont le produit perçu dépend exclusivement du produit acquitté est une ressource propre, sans préjudice de la capacité pour chaque collectivité d'en définir l'assiette ou le taux.

Or, le CVAE prévue par le projet de loi de finances pour 2010 est une imposition dont la perception par une région ou un département sera conditionnée, non pas par l'intervention de l'Etat, non pas exclusivement par l'évolution du produit acquitté localement ou nationalement, mais aussi par l'évolution de la position relative de la région ou du département dans l'échelle des critères fixés à l'article 1648 AB.

C'est ainsi que le produit de CVAE encaissé par l'Etat au titre d'une année pourrait par exemple progresser par rapport à l'année antérieure, et - à l'inverse - le produit reversé l'année suivante à un département ou à une région régresser.

Ce sera notamment le cas si - pour un département - sa population évolue moins vite que la population nationale, si sa voirie est constante ou progresse moins vite ou recule davantage que la somme des voiries départementales, et si le nombre de bénéficiaires des minima sociaux augmente moins vite ou régresse plus vite que dans la totalité des départements.

Ce phénomène sera encore accentué si le surcroît de produit acquitté ne résulte pas d'une assiette localisée dans ce département. Dans ce cas, en effet, l'assiette locale de l'impôt - qui conditionne 75 % de la ressource - sera constante, tandis que la quote-part du département dans les 25 % croissants du produit total de CVAE recule.

L'impôt perçu diminuerait alors, à l'inverse de l'assiette nationale et du produit acquitté nationalement, et alors que le produit acquitté dans ce département n'a pas varié !

Ce paradoxe apparaît dans des conditions strictement identiques concernant le dispositif prévu concernant les régions.

Dès lors, le Conseil ne pourra que relever que la CVAE ne saurait être regardée comme une ressource propre : le lien entre le produit qui en sera perçu par un département ou une région et le produit acquitté par les entreprises sera faussé par une règle de redistribution sans relation avec l'impôt.

B.5- Le Conseil devra donc censurer la disposition qui fausse ce lien, et remet manifestement en cause l'autonomie financière des collectivités locales

La CVAE représentera 11,5 % des ressources totales des départements et 15,7 % de celles des régions. La qualification de la CVAE comme n'étant pas une ressource propre conduirait manifestement à ce que le législateur ait remis en cause l'autonomie des régions et des départements.

En effet, les ratios constatés en 2003, respectivement de 58,6 % et 41,7 %, passeraient à 53,1 % et 31,4 %.

Par conséquent, le Conseil devra soit annuler l'ensemble de l'architecture fiscale de la réforme proposée par le projet de loi de finances, soit censurer l'article 1648 AB du code général des impôts, introduit après la CMP, en tant que lui seul nuit à la qualification de la CVAE comme une ressource propre. Cette seconde option permettrait également, dès lors qu'une clause dite « de rendez-vous » a été prévue à l'article 76, de définir au cours de l'année 2010 des mécanismes satisfaisants de péréquation qui devront respecter à la fois l'exigence constitutionnelle de péréquation et le principe constitutionnel d'autonomie financière des collectivités locales.

8. Les modalités de compensation de la réforme de la taxe professionnelle prévues à l'article 77 pour les régions conduisent à remettre en cause leur autonomie financière.

Compte tenu des modalités de calcul de la CVAE et notamment la répartition « macroéconomique » retenue pour 25 % de son produit, de la compensation du manque à gagner lié à la réforme par des dotations budgétaires pour un montant non négligeable au regard du total des ressources assurant le financement des régions, et de la remise en cause du caractère « mixte » de leur fiscalité qui ne reposera plus de façon équilibrée sur les ménages et les entreprises, les régions voient leur autonomie financière gravement remise en cause.

A l'exclusion de la TIPP dont les redevables sont à la fois les ménages et les entreprises et pour laquelle les régions disposent d'une capacité marginale de variation des taux applicables sur leur territoire, les régions se voient en effet privées de toute fiscalité sur lesquelles elles disposent d'une capacité de vote des taux, et de toute fiscalité pesant sur les ménages.

La part des dotations dans leurs recettes augmente encore de 200 millions d'euros, montant non négligeable compte tenu du total de leurs recettes proche de 11 milliards d'euros.

Cette situation est notamment liée au choix de transférer la part actuellement perçue par les régions de taxe foncière sur les propriétés bâties, pour un montant de 1,9 milliards d'euros, vers les départements.

Il appartiendra donc au Conseil Constitutionnel d'annuler sur ce point les modalités de répartition des impositions entre les différents niveaux de collectivités locales en maintenant aux régions la part actuelle de taxe foncière sur les propriétés bâties qu'elles prélèvent.

II. Sur la redistribution de la contribution carbone (article 9)

1/ Le dispositif

Le projet de loi de finances pour 2010 crée un crédit d'impôt sur le revenu forfaitaire afin, selon l'exposé des motifs de l'article concerné, " de redistribuer, à l'ensemble des ménages, la taxe carbone et la taxe sur la valeur ajoutée induite qu'ils vont supporter.

Le crédit d'impôt, forfaitairement fixé à 46 € pour un contribuable célibataire ou assimilé, et à 92 € pour un couple soumis à imposition commune, est porté respectivement à 61 € et 122 € pour les contribuables qui sont domiciliés dans une commune qui n'est pas intégrée à un périmètre de transports urbains.

Ces montants sont majorés de 10 € par personne à charge. "

2/ Le grief : la rupture caractérisée du principe d'égalité

Nous demandons à votre Conseil de considérer ce dispositif de compensation de la taxe carbone comme constituant une rupture caractérisée du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques.

Le montant est forfaitaire avec une double distinction (célibataire/couple marié + personnes à charges et zone d'habitation) sans considération de la capacité contributrice ni de la consommation d'énergie en fonction du revenu des ménages.

Comme le montrent les analyses de l'INSEE, la part des dépenses liée au logement, eau, gaz, électricité et autres combustibles est plus forte pour les ménages placés dans les quartiles de revenus les plus bas (en 2006 : 16,2 % en moyenne contre 24,8 % pour le quartile inférieur et 11,9 % pour le quartile supérieur). Les ménages les plus en difficulté sont ceux qui proportionnellement à leurs revenus dépensent le plus pour l'énergie.

Ce faisant, il instaure une rupture d'égalité devant les charges publiques. Car, comme l'indique la table synthétique des décisions qui figure sur le site Internet de votre Conseil à propos de la « ristourne » de CSG initialement prévue par la loi de finances pour 2000 :

« La disposition contestée ne tient compte ni des revenus du contribuable autres que ceux tirés d'une activité, ni des revenus des autres membres du foyer, ni des personnes à charge au sein de celui-ci. Le choix ainsi effectué par le législateur de ne pas prendre en considération l'ensemble des facultés contributives créées, entre les contribuables concernés, une disparité manifeste contraire à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. (2000-437 DC, 19 décembre 2000, Journal officiel du 24 décembre 2000, p. 20576, cons. 7 et 9, Rec. p. 190). »

Or la ristourne de CSG prévue à l'époque était également un crédit d'impôt, finalement remplacé par la prime pour l'emploi (loi du 30 mai 2001), qui prend également la forme d'un crédit d'impôt tenant compte de l'ensemble des revenus et de la composition du foyer fiscal afin de respecter la jurisprudence de votre Conseil.

Le crédit d'impôt proposé pour compenser la taxe carbone ne respecte pas les conditions : les personnes à charge sont certes prises en compte mais de façon forfaitaire et surtout les revenus du foyer ne sont pas pris en considération.

Dans le cas du remboursement de la taxe carbone cela est d'autant plus choquant que les ménages qui consacrent la part de leur budget à l'énergie la plus importante sont ceux qui ont la capacité contributrice la plus faible.

3/ Le principe d'égalité selon la jurisprudence de votre Conseil

Votre Conseil a en effet établi que les exceptions au principe d'égalité ne pouvaient se justifier que si deux conditions cumulatives sont réunies :

- d'une part soit un motif d'intérêt général ou un traitement différent de catégories de contribuables placés dans des situations différentes (ce qui n'est pas le cas ici, puisqu'au contraire la ristourne est forfaitaire quels que soient les revenus).

- et d'autre part une dérogation qui soit proportionnelle à l'objectif de la loi qui l'institue (l'exposé des motifs invoquant un objectif de redistribution). Or, la modalité de remboursement retenue ne tient pas compte de la capacité contributrice des ménages. Elle est donc contraire au principe posé à l'article 13 de la DDHC du 26 août 1789. L'objectif de la taxe carbone étant de réduire la consommation d'énergie produisant de CO2, le remboursement aurait au contraire dû être plus fort pour les ménages les moins aisés qui en consomment proportionnellement plus, pour être en conformité avec son objectif.

Le Gouvernement aurait pu, pour redistribuer le produit de la taxe carbone, mettre en place un crédit d'impôt tenant compte de la tranche d'impôt sur le revenu dans laquelle se situent les ménages après application du quotient familial, ce qui aurait permis de tenir compte de la capacité contributive du foyer et de sa taille, ou un crédit d'impôt sous condition de ressources (type Prime pour l'emploi).

III. Sur La fiscalisation partielle des indemnités journalières d'accident du travail (article 85)

L'article précité porte aux situations légalement acquises une atteinte qui n'est pas justifiée par un motif d'intérêt général suffisant.
Même limité à une assiette de 50 %, l'assujettissement des indemnités journalières perçues au titre des accidents du travail reste contraire au principe d'égalité tel que défini par la jurisprudence de votre Conseil.

1/ L'absence de motif d'intérêt général que serait la recherche de l'équité

Aucun motif d'intérêt général ne pourrait être qualifié de « suffisant » en l'espèce puisqu'il ressort très nettement des travaux parlementaires que cette mesure a été justifiée par la recherche d'une « équité » dans l'attribution des « revenus de remplacement ». Or, cette justification repose sur une erreur de droit manifeste.

De fait et de droit, les indemnités journalières « maladie » et « maternité » relèvent d'un régime légal de prévoyance sociale obligatoire, ce qui explique, du reste, que les salariés comme les employeurs cotisent chacun, pour leurs parts, pour se prémunir de la survenance d'un risque.

Les indemnités journalières versées en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle relèvent d'un régime légal de réparation du dommage corporel institué par la loi de 1898 - et fondée sur la théorie du risque-, ce qui explique que seuls les employeurs cotisent non pour se prémunir d'un risque mais pour réparer les conséquences des accidents du travail et des maladies professionnelles dont ils sont tenus pour responsables.

Il suffit pour confirmer ce constat de prendre connaissance des règles légales et réglementaires de la tarification des ATMP. La circonstance que la gestion des accidents du travail et des maladies professionnelles ait été confiée à la sécurité sociale ne modifie en rien la nature juridique précitée.

La nature juridique des réparations allouées aux accidentés du travail, en nature (frais médicaux) ou en espèces à titre temporaire (indemnités journalières temporaires) ou à titre définitif (capital ou rente) a été reconnu par le Conseil constitutionnel notamment dans sa décision n°2007-558 DC du 13 décembre 2007 dans son considérant 7 (« que, dans ces conditions, le législateur n'a pas porté atteinte au droit à réparation des personnes victimes d'accidents du travail ou atteintes de maladies professionnelles »).

Il est donc inexact de justifier cette mesure par la recherche d'une équité alors que ces populations relèvent de régimes juridiques radicalement différents. Il ne s'agit donc pas, en droit, d'aligner la situation de contribuables relevant d'un même régime juridique et donc de revenir sur un avantage indu.

Du reste, le législateur ne saurait soutenir que la justification de cet avantage fiscal lors de sa création en 1927 (c'est-à-dire la nécessité pour la solidarité nationale de compléter par une dépense fiscale l'indemnisation trop modeste des victimes du travail) a aujourd'hui disparu puisque la réparation accordée aux accidentés du travail n'a pas été améliorée de façon substantielle depuis cette date.

Du reste, tel était aussi le constat du Gouvernement, il y a quelques mois puisque l'annexe 1 de l'annexe budgétaire à la loi de finances pour 2008 « cette mesure a pour objet de préserver les ressources des personnes victimes d'ATMP. La dépense fiscale consiste à exonérer d'impôt sur le revenu les indemnités journalières de l'assurance ATMP ».

2/ La rupture manifestement caractérisée d'égalité.

L'imposition d'indemnités est possible, à la condition que, ce faisant, il ne crée pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, c'est-à-dire prenne en compte les capacités contributives des intéressés et se fonde sur des critères objectifs et rationnels.
Or, il est constant que ces conditions n'ont pas été observées à l'endroit de certaines catégories de victimes, et dans des proportions qui ne sont pas négligeables, qui ne perçoivent pas l'intégralité de leurs revenus pendant leur arrêt de travail.

Il s'agit, en effet, des travailleurs à domicile, des travailleurs temporaires, des salariés qui n'ont pas un an d'ancienneté dans l'entreprise, et dont les capacités contributives sont bien inférieures aux autres salariés qui perçoivent l'intégralité de leur salaire soit par l'effet de la loi de mensualisation et d'assurances complémentaires, soir par l'effet de leur statut (fonction publique).

Le même constat peut être présenté pour les salariés dont la durée d'activité antérieure ne donne pas accès aux indemnités journalières dans le régime général, alors même que, pour bénéficier de la loi de mensualisation, les salariés doivent être pris en charge par la sécurité sociale.

Cette disposition porte, en elle-même, la création d'une inégalité de traitement supplémentaire à l'endroit des victimes du travail. En effet, cette mesure ne s'appliquera pas seulement aux arrêts de travail de courte durée mais à toutes les indemnités journalières que la victime du travail perçoit jusqu'à sa consolidation qui va fixer les préjudices définitifs (d'où l'expression légale de l'article actuel 81-8 du CGI qui ne visait les « indemnités temporaires » en référence au préjudice économique avant consolidation).

En effet, le qualificatif « temporaire » ne signifie pas « courte durée » mais absence de consolidation au sens médicolégal en droit de la réparation. La fiscalisation va aussi concerner des arrêts de travail pour des cas graves dont la consolidation ne peut intervenir qu'après plusieurs mois, et parfois plusieurs années.

Pendant cette période, la victime ne touche aucune autre indemnisation. Or, désormais, il existera une inégalité manifeste avec les indemnités journalières des personnes en Affection de Longue Durée (ALD) qui ne sont pas fiscalisées. La victime d'un cancer professionnel, dans l'attente de sa consolidation, devra donc payer l'impôt alors que l'assuré victime d'un cancer environnemental, dans l'attente de son invalidité, n'y sera pas soumis.

Enfin, cette mesure vient encore accroître l'inégalité de traitement que supporte les victimes du travail lorsque l'on compare leurs situations, et l'étendue de leur droit à réparation, avec d'autres victimes d'un dommage corporel qui bénéficient d'une réparation intégrale de leurs préjudices dans le cadre d'un système de responsabilité sans faute ou sans lien de causalité (accidents de la circulation, victimes de l'amiante, infections nosocomiales).

3/ Une catégorie de contribuables est lésée

Votre Conseil ne reconnaît pas de droit au maintien des avantages acquis. Cependant, si la suppression d'une exonération fiscale a pour conséquence d'entraîner pour certaines catégories de contribuables une majoration d'imposition, il ne doit pas en résulter une atteinte au droit de propriété qui serait contraire à la Constitution.

Or, la fin de cette exonération vient encore réduire l'assiette de la réparation dont bénéficent les victimes du travail pour la réparation de leur préjudice économique temporaire alors, d'une part, qu'elles restent les seules victimes d'un dommage corporel, en France, à ne pas bénéficier du principe de la réparation intégrale des préjudices, et que, d'autre part, la suppression de cette dépense fiscale n'a pas été compensée par une augmentation des dépenses de la branche ATMP.

Il faut rappeler que le Gouvernement, il y a quelques mois, observait au sein de l'annexe 1 de l'annexe budgétaire à la loi de finances pour 2008 « A objectif inchangé de préservation des ressources des victimes d'ATMP, la suppression de cette dépense fiscale devrait être compensée par une augmentation des dépenses de la branche ATMP de plus de 6 % ».

4/ La caractère rétroactif du dispositif

La disposition législative adoptée aboutit, sans aucune distinction, à fiscaliser des indemnités journalières qui sont nées à l'occasion d'un fait générateur situé avant l'entrée en vigueur du dispositif.

De fait et de droit, pour toutes les victimes qui auront été contraintes de cesser leur activité du fait d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle intervenu avant le 1er janvier 2010, et dont certaines peuvent être dans l'attente de leur consolidation pour de longs mois encore, seront pourtant soumises à la fiscalisation de leur indemnité journalière.

En conclusion, au regard de ces motifs, l'article 85 du projet de loi de finances pour 2010 ne respecte pas les deux conditions posées par votre Conseil dans sa jurisprudence constante :

1. Motif d'intérêt général ou traitement différent de situations objectivement différentes.

2. Et rapport direct entre l'exception au principe d'égalité avec l'objet de la loi qui l'institue (en l'occurrence, la recherche d'équité duquel nous pensons avoir démontré que l'article concerné va précisément à l'encontre).

Par ailleurs, le caractère rétroactif du dispositif ne se justifie pas non plus (absence d'intérêt général).

Enfin, le dispositif crée au sein de la catégorie des victimes d'accidents du travail des inégalités qui ne se justifient pas.

Au contraire, c'est bien la situation actuelle qui se justifie : les indemnités journalières des victimes d'accidents du travail relèvent d'une situation juridique différente des indemnités journalières « maladie » ou « maternité », justifiant un traitement différent au nom du principe d'égalité.

IV. Sur l'article permettant aux conseils régionaux et à l'assemblée de Corse de majorer le tarif de la taxe intérieure de consommation applicable aux carburants (article 94)

1/ Le dispositif

Cette mesure prévoit que les conseils régionaux et l'assemblée de Corse peuvent majorer le tarif de la taxe intérieure de consommation applicable aux carburants vendus aux consommateurs finals sur leur territoire, dans la limite de 0,73 euro par hectolitre pour les supercarburants et de 1,35 euro par hectolitre pour le gazole.

Elle prévoit également que les recettes issues de la majoration prévue au premier alinéa sont exclusivement affectées au financement d'une infrastructure de transport durable, ferroviaire ou fluvial, mentionnée aux articles 11 et 12 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'Environnement.

Elle prévoit enfin que les délibérations des conseils régionaux et de l'assemblée de Corse ne peuvent intervenir qu'une fois par an et au plus tard le 30 novembre de l'année qui précède l'entrée en vigueur du tarif modifié. Elles sont notifiées à la direction générale des douanes et des droits indirects, qui procède à la publication des tarifs de la taxe intérieure de consommation ainsi modifiés au plus tard à la fin de la première quinzaine du mois de décembre suivant. Les tarifs modifiés de la taxe intérieure de consommation entrent en vigueur le 1er janvier de l'année suivante.

La mesure proposée vise donc à permettre aux régions de dégager des financements supplémentaires exclusivement en faveur du financement des grands projets d'infrastructures de transport alternatives à la route prévus dans la loi de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'Environnement.

L'augmentation globale de la taxe intérieure de consommation qui résulterait pour le consommateur, d'une part, de la modulation existante au profit des régions et, d'autre part, du nouveau dispositif demeure plafonnée à 2,5 centimes d'euro par litre de gazole ou de supercarburant.

2/ Les deux griefs

Deux griefs de nature à souligner l'inconstitutionnalité de la mesure nous semblent devoir être retenus.

D'une part, cette mesure est contraire au principe d'autonomie fiscale des collectivités locales, expressément posé à l'article 72 alinéa 2 de la Constitution (loi de révision constitutionnelle du 28 mars 2003), et tel que dégagé par la jurisprudence de votre Conseil. D'autre part, cette mesure est contraire au principe de non-affectation des impositions de toute nature au sein des budgets locaux.

1 °) En effet, en prévoyant l'affectation précise des sommes dégagées par la majoration facultative supplémentaire de TIPP, l'article méconnaît les principes de libre administration des collectivités territoriales (article 72 de la Constitution) et d'autonomie fiscale (article 72 alinéa 2 de la constitution), d'autant que les infrastructures concernées sont définies et programmées par l'Etat en application des articles 11 et 12 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009.

Il s'agit donc d'un pouvoir fiscal factice et d'un transfert déguisé de compétences aux régions, l'Etat faisant financer sa programmation d'équipements par les régions. Les articles 11 et 12 placent en effet l'Etat en première ligne dans la définition des priorités.

En définissant de façon restrictive, limitée à l'application de deux articles de la loi du 3 août 2009, l'affectation des recettes que les assemblées délibérantes des régions peuvent décider, l'article concerné de la loi de finances remet en cause à la fois le principe formulé à l'article 72 de la Constitution :

« Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences » et le principe formulé à l'article 72 alinéa 2 : « Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi ».

De plus, à l'article 11 de la loi ° 2009-967 du 3 août 2009, les régions et les collectivités locales ne sont pas mentionnées.

L'article 12 encadre très fermement les libertés d'action des régions et fixe un programme prioritaire précis et contraint, évoquant seulement une concertation avec les collectivités locales. Les opérations retenues sont détaillées, le programme supplémentaire est déjà prévu, les calendriers sont fixés (ainsi que les conséquences des décalages possibles).

Le transport ferroviaire régional, élément structurant pour les déplacements interrégionaux, interurbains et périurbains, contribuera à diffuser l'effet de la grande vitesse au profit de l'ensemble du territoire.

Parallèlement, la qualité de la desserte des agglomérations qui resteraient à l'écart du réseau à grande vitesse sera améliorée en termes de vitesse, de fiabilité et de confort. A cette fin, pourront notamment être prévus des aménagements portant sur les infrastructures existantes, ainsi que la construction de compléments d'infrastructures nouvelles, en particulier, à la traversée des aires urbaines saturées. La desserte de la Normandie sera améliorée dans ce cadre. Le cas échéant, il pourra être recouru à des contrats de service public financés par un système de péréquation.

L'Etat contribuera, à hauteur de 16 milliards d'euros, au financement d'un programme d'investissements permettant de lancer la réalisation de 2 000 kilomètres de lignes ferroviaires nouvelles à grande vitesse d'ici à 2020.

Ce programme de lignes à grande vitesse pourra porter sur les projets suivants dans la mesure de leur état d'avancement :

- la ligne Sud-Europe-Atlantique, constituée d'un tronçon central Tours-Bordeaux et des trois branches Bordeaux-Toulouse, Bordeaux-Hendaye et Poitiers-Limoges ;
- la ligne Bretagne-Pays de la Loire ;
- l'arc méditerranéen, avec le contournement de Nîmes et de Montpellier, la ligne Montpellier-Perpignan et la ligne Provence-Alpes-Côte d'Azur ;
- la desserte de l'est de la France, avec l'achèvement de la ligne Paris-Strasbourg et des trois branches de la ligne Rhin-Rhône ;
- l'interconnexion sud des lignes à grande vitesse en Ile-de-France ;
- les accès français au tunnel international de la liaison ferroviaire Lyon-Turin, qui fait l'objet d'un traité franco-italien.

Il fera l'objet d'une concertation avec les collectivités territoriales, en particulier les régions, à engager avant fin 2009. Cette concertation portera sur les priorités, les alternatives à grande vitesse, les tracés et les clefs de financement des projets. Elle tiendra notamment compte de leurs impacts sur l'environnement, en particulier sur la biodiversité et sur les espaces agricoles et naturels, et des priorités établies au niveau européen dans le cadre des réseaux transeuropéens.

Un programme supplémentaire de 2 500 kilomètres sera en outre défini, incluant la ligne Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon, dont les études sont déjà engagées en vue d'un débat public. Dans ce cadre, seront mises à l'étude la ligne Paris-Amiens-Calais et la ligne Toulouse-Narbonne, reliant les réseaux LGV Sud-Est et Sud-Ouest, ainsi qu'un barreau Est-Ouest et un barreau améliorant la desserte du Béarn et de la Bigorre.

Si certains projets figurant dans la liste des premiers 2 000 kilomètres prennent du retard par rapport à l'échéance de 2020, et dès lors qu'un projet figurant dans la liste des 2 500 kilomètres supplémentaires est prêt, ce dernier pourra être avancé à l'horizon 2020 et les travaux correspondants engagé. "

2 °) Les recettes et en particulier les impôts doivent respecter le principe d'universalité budgétaire énoncé à l'article 6 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, et son corollaire le principe de non-affectation des recettes.

Ce principe vaut en particulier pour les impôts et impositions de toute nature, au sein du budget de l'Etat comme des collectivités locales. La question se pose de façon différente pour les dons et legs, les rémunérations de services rendus, les ventes d'actifs, mais le principe est beaucoup plus strict pour les impôts.

L'Etat ne peut transférer un impôt à un tiers qu'en vertu de la mission de service public qu'il rend et avec trois conditions de forme (disposition d'une loi de finances pour affecter un impôt existant, impôt autorisé par le Parlement, annexe détaillée indiquant les impôts affectés).

Mais, au sein du budget général de l'Etat, les impôts ne font pas l'objet d'une affectation (contrairement aux fonds de concours, rétablissements de crédits et attributions de produits). Seuls les budgets annexes et les comptes spéciaux peuvent se voir attribuer des produits divers (recettes de privatisation...) et des taxes transférées.

Il en va de même pour les collectivités locales. Les dotations et concours de l'Etat peuvent être fléchées sur des dépenses précises, mais sans faire en réalité l'objet d'une affectation réelle ligne à ligne (ainsi les régions dépensent plus que les transferts prévus au titre des lycées ou des transports ferroviaires, idem pour les départements avec le RSA ou les collèges).

De la même manière, la part de TIPP transférée jusque là aux régions servait à financer des transferts en parallèle de nouvelles compétences (pour des montants contestés), et donc abondait globalement les budgets régionaux : tout le produit nouveau lié à la TIPP a été intégré dans l'ensemble des recettes des régions servant à financer toutes les dépenses.

Certains impôts ou taxes peuvent être affectés à des sections du budget (la taxe locale d'équipement à la section d'investissement par exemple). Mais pour affecter un impôt à une catégorie précise de dépense, il aurait fallu prévoir un budget annexe (comme pour l'eau ou l'assainissement) qui peut se voir confier l'attribution de produits d'impôts, ou une autre formule équivalente.

Faute de prévoir une telle procédure, la mesure telle qu'elle est formulée (« les recettes issues de la majoration prévue au premier alinéa sont exclusivement affectées au financement d'une infrastructure de transport durable, ferroviaire ou fluvial »), est contraire au principe d'universalité des finances publiques applicable aux budgets locaux.

V. Sur l'extension sous condition du Revenu de solidarité active (RSA) aux moins de 25 ans (article 135)

Le dispositif prévu par l'article 135 du projet de loi de finances pour 2010, contraire au principe d'égalité, nous semble devoir être censuré.

En préalable, il appartient au Conseil constitutionnel d'apprécier s'il s'agit d'un cavalier budgétaire.
Trois arguments justifieraient la censure de ce texte :

1. Premièrement, la discrimination sur l'âge est contraire aux principes constitutionnels :

Cette mesure est contraire à l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence » (dont l'expression est reprise par la loi RSA, qui en fait un principe général du droit) garantissant le droit à la sécurité matérielle et le droit de tout être humain d'obtenir des « moyens convenables d'existence ».

Elle est également contraire à l'alinéa 10 de ce même Préambule : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».

Ainsi, selon une délibération la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE) du 20 octobre 2008, si l'exclusion des moins de 25 du RMI pouvait se justifier pour éviter une trappe à inactivité, la justification est infondée concernant le RSA chapeau :

« Au regard de ces éléments, le Collège de la haute autorité constate l'existence d'une différence de traitement fondée sur l'âge des personnes actives, seuls les salariés de plus de 25 ans pouvant bénéficier de l'accompagnement financier prévu par le nouveau dispositif. Or, une telle différence de traitement n'est licite que si elle est justifiée de façon objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle poursuit un but légitime et qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé »

Par ailleurs, et pour information de votre Conseil, le dispositif nous semble contraire aux principes posés par les traités internationaux :

- articles 13 (Droit à l'assistance sociale) et 30 (droit à la protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale) de la charte sociale révisée du Conseil de l'Europe.

- article 1er du protocole additionnel n° 1 de la CESDH : les prestations sociales, contributives ou non, constituent des droits patrimoniaux. En application de l'article 14 de la CESDH, ces prestations sociales doivent être accordées sans discrimination et sans condition de réciprocité.

Ainsi, dans la même délibération en date du 20 octobre 2008, la HALDE reprend notamment la décision du comité européen des droits sociaux qui avait déjà jugé le RMI discriminatoire au regard de la charte sociale révisée : « L'exclusion des personnes de moins de vingt-cinq ans du RMI et l'insuffisance des autres mesures d'assistance sociale prévues pour ces personnes en cas de besoin ne sont pas conformes à cette disposition de la Charte » (Conclusions XV-1 - 01/01/2000).

Comme l'écrit le Député Sirugue dans son rapport budgétaire pour avis n°1971 au projet de loi de finances pour 2010 (14 octobre 2009) :

« Cette ouverture est largement une mesure contrainte car dès lors que le RSA, comme la prime pour l'emploi, est pour partie un dispositif de complément des revenus du travail, il ne pouvait être justifié d'en écarter des travailleurs sur un critère d'âge. Le même raisonnement vaut d'ailleurs, plus généralement, pour tout dispositif social. Au demeurant, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) a établi, dans sa délibération n° 2008-228 du 20 octobre 2008, le caractère discriminatoire de l'exclusion des jeunes du RSA, qui est contraire aux engagements internationaux de la France tels que la Charte sociale européenne les a fixés. Par ailleurs, pratiquement tous nos voisins européens attribuent leurs minima sociaux dès l'âge de 18 ans, voire 16 ans parfois. »

2. Deuxièmement, il importe de noter que cet amendement qui étend sous des conditions très strictes le RSA aux moins de 25 ans est contraire à la loi sur le RSA et aux textes internationaux au motif notamment qu'elle institue une discrimination, outre l'âge, entre deux salariés du même âge.

« Art. L. 262-1 (Code de l'action sociale et des familles).-Le revenu de solidarité active a pour objet d'assurer à ses bénéficiaires des moyens convenables d'existence, d'inciter à l'exercice d'une activité professionnelle et de lutter contre la pauvreté de certains travailleurs, qu'ils soient salariés ou non salariés.
 » Il garantit à toute personne, qu'elle soit ou non en capacité de travailler, de disposer d'un revenu minimum (...) "

Par ailleurs, et pour information, l'article 32 al. 2 de Charte des Droits Fondamentaux de l'UE stipule que : « Les jeunes admis au travail doivent bénéficier de conditions de travail adaptées à leur âge et être protégés contre l'exploitation économique ou contre tout travail susceptible de nuire à leur sécurité, à leur santé, à leur développement physique, mental, moral ou social ou de compromettre leur éducation ».

Cette discrimination est bien sur sous le coup d'une disproportion entre les moyens impliqués et le but visé.

3 L'absence de visibilité sur le transfert aux départements de la charge de ce dispositif non financé, et les incertitudes qui pèsent sur le financement de sa montée en charge.

Comme le souligne le rapport du Député Sirugue précité :

« La mise en place très récente du revenu de solidarité active, généralisé le 1er juin 2009, ne permet pas à ce jour d'établir un bilan définitif de la pertinence et de la pérennité de son financement comme de son efficacité. (...) À la fin du mois de juillet 2009, seules 286 000 personnes aux revenus d'activité modestes, soit seulement 15 % des bénéficiaires potentiels, auraient touché la nouvelle prestation (RSA » chapeau "). Mais une fois réglés les problèmes d'information sur le droit au RSA et dépassées les réticences des travailleurs pauvres à user d'un dispositif relevant de l'aide sociale, il est à craindre que la complexité du montage financier et la sous-évaluation budgétaire ne permettent pas de couvrir les besoins de l'ensemble des allocataires potentiels, soit près de 2 millions de personnes.

Les crédits de la mission Solidarité, insertion, solidarité et égalité des chances comprennent le financement du RSA et auraient dû intégrer notamment l'extension sous condition du Revenu de solidarité active (RSA) aux moins de 25 ans qui travaillent, annoncée à Avignon par le Président de la République le 29 septembre 2009. Or les crédits pour financer cette mesure ne se trouvent nulle part dans la mission, comme le constate le rapport précité. N'a ainsi pas été réglée « la question du financement du RSA » jeunes " annoncé par le Président de la République le 29 septembre 2009. Son extension aux moins de 25 ans se fera à des conditions telles - avoir travaillé 3 600 heures sur les 3 années précédentes - que seuls 160 000 jeunes devraient en bénéficier. Son financement, même minime de ce fait, n'apparaît nulle part.
Il ne faudrait pas que les marges dégagées par l'insuccès temporaire du RSA « chapeau » soient affectées au financement du RSA jeune. L'effet de vase communiquant, lié à une situation conjoncturelle, pourrait conduire à « souhaiter » que tous les allocataires potentiels ne fassent pas valoir leurs droits et que la montée en charge du dispositif de départ ne s'arrête à mi-chemin ".

Le Gouvernement compte donc sur une montée en puissance inférieure à ce qui était prévu de la nouvelle disposition RSA « chapeau » mise en place au 1er juin 2009 pour dégager des marges de redéploiement au profit du RSA « jeunes ».

À la problématique d'un financement complexe, incertain et insuffisant se surajoute la question épineuse de la compensation aux départements. Le basculement du RMI sur le RSA « socle » perpétue l'écart entre les dépenses d'allocation et la compensation réelle aux départements. Le basculement de l'API sur le RSA « socle » s'accompagne de même d'une compensation partielle des dépenses d'allocation.

Enfin, les dépenses de gestion et d'accompagnement des familles monoparentales basculées sur le RSA et des bénéficiaires du RSA « chapeau » ne sont pas compensées. Outre les méfaits de transferts de compétences gestionnaires avec des prestations dont les collectivités locales ont l'attribution mais pas le contrôle, le risque d'émergence d'inégalités territoriales est réel. "

Votre Conseil devrait être amené à censurer ce dispositif pour rupture caractérisée d'égalité, au regard de trois motifs suivants :

- introduction d'une discrimination injustifiée par l'âge pour le dispositif de RSA « chapeau »,

- introduction de différences de traitement entre les jeunes de moins de 25 ans,

- inégalités territoriales et limite de l'autonomie financière des départements.

VI. Sur l'application du principe de sincérité

La loi de finances pour 2010 doit être analysée comme méconnaissant le principe constitutionnel de sincérité tel qu'il s'impose en application de l'article 32 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances et tel que la jurisprudence du Conseil constitutionnel l'a établi notamment dans la décision n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002 (considérants 3 à 8).

L'article 32 de la loi organique relative aux lois de finances dispose en effet que : « Les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler. ».

Cet article fixe les conditions dans lesquelles le principe de sincérité doit s'apprécier. Il lui donne une portée renforcée, comme en ont témoigné les travaux préparatoires à l'élaboration de la loi organique. Ainsi, il est précisé page 170 du volume I des travaux préparatoires :
« Le principe de sincérité implique que l'évaluation des charges et des ressources de l'Etat soit réalisée avec » bonne foi ", et ce, aussi correctement que possible, compte tenu des informations disponibles. "

Le Gouvernement a volontairement maintenu une sous-estimation de l'hypothèse de croissance, afin de conserver des marges de manœuvre visant en exécution à faire face à des sous-budgétisations manifestes. Il a par ailleurs sous-évalué le montant de l'autorisation d'emprunt évoquée à l'article 34 et 26 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, alors même qu'un projet de loi de finances rectificative qui va ajouter au plafond de variation de la dette une somme déjà connue, a d'ores et déjà été annoncée et est en cours de préparation.

1/ Sur la sincérité des hypothèses économiques

Il ne s'agit pas d'entrer dans l'exercice technique des prévisions économique dont chacun s'accorde à dire qu'il est soumis à de nombreuses incertitudes. En revanche, le décalage entre le calendrier des annonces et le contenu du projet de loi de finances est de nature à fausser la sincérité de ce dernier. Le principe de sincérité vise à empêcher, soit de masquer les conséquences d'une dégradation sensible de la conjoncture, soit de cacher le retournement favorable, à partir du moment où le Gouvernement dispose des éléments d'appréciation raisonnables et solides sur la réalité de la situation économique.

L'élaboration du projet de loi de finances est effectuée sur la base des informations économiques et financières disponibles, qui permettent d'établir le niveau prévisionnel des recettes fiscales et non fiscales. Le gouvernement n'est en aucune façon autorisé à retenir des hypothèses économiques qui assoupliraient les contraintes auxquelles il doit faire face notamment en matière de solde budgétaire ou qui lui permettraient de dissimuler des recettes nouvelles, en tenant compte de la marge de manœuvre que lui confère votre jurisprudence.

Si tel était le cas, vous ne pourriez que constater le manquement au principe de sincérité, dans la mesure où en agissant de la sorte le gouvernement ferait part d'une volonté manifeste de dissimulation. Certes, depuis la révision de la loi organique de 2005, l'affectation d'éventuels surplus de recettes doit être prévue dès le projet de loi de finances de l'année considérée, mais cela ne doit pas autoriser une souplesse dans de montants tels que cela reviendrait en réalité à fausser la réalité du solde budgétaire. Le législateur organique n'a pas voulu autoriser le Gouvernement à pouvoir masquer, au moment du vote de la loi des finances, des montants prévisibles, voire déjà connus, de recettes supplémentaires, lui permettant d'écarter leur affectation de la délibération parlementaire.

Tout d'abord, les prévisions de croissance du PIB 2010 du groupe technique de la Commission économique de la Nation, collectées, comme l'indique le tome I du rapport économique, social et financier le 7 octobre 2009, s'établissaient à 1,2 % contre 0,75 % pour le Gouvernement. Le journal des Echos le 18 septembre 2009 indiquait un consensus des économistes (17 grandes banques) autour de 1,1 % de croissance, avant le dépôt du projet de loi de finances. Cet écart important ne peut s'analyser comme une simple prudence de la part du Ministère chargé du budget, mais bien d'une volonté de conserver des marges de manœuvre en cours d'exercice. Tout au long de l'automne 2009, les experts des différents organismes ont constamment fixé des prévisions de croissance du PIB en 2010 supérieures à l'hypothèse du Gouvernement :

à titre d'exemples, 0,9 % selon le FMI (1er octobre 2009, soit avant le dépôt du projet de loi de finances pour 2010), 1 % selon la Banque de France (28 octobre 2009) ou le bulletin du groupe Société générale (octobre 2009), 1,2 % selon l'OCDE le 19 novembre 2009.

Ensuite, le Premier Ministre lui-même a annoncé « une croissance sans doute supérieure à 1 % » dès le 14 octobre 2009, soit avant l'examen en séance publique du projet de loi de finances 2010. « Les prévisions que je fais pour l'année 2010, les économistes disent qu'elles sont trop prudentes et qu'on aura sans doute plus de 1 % de croissance » a déclaré le Premier Ministre. Les prévisions du Gouvernement s'établissent entre 1 % et 1,5 % de croissance, selon des déclarations concordantes, dès le mois d'octobre 2009.

Enfin, il appartenait au Gouvernement de déposer un document révisant les hypothèses de croissance, comme cela a été fait en 2008 à la suite de la crise financière (le 17/11/2008 après le sommet du G20 à Washington) : a été annexé à la loi de finances initiale pour 2009 un document portant « mise à jour des hypothèses économiques et incidences sur les finances publiques ». Il s'agissait certes de tenir compte du contexte de crise, mais cette pratique peut également valoir en sens inverse en cas d'amélioration de la conjoncture.

L'écart entre les prévisions moyennes (1,25 %) et la prévision accompagnant la loi de finances (0,75 %) représente 0,5 % de PIB soit un surplus de recettes considérable, évalué à un minimum de 10 Mds€, dont l'affectation doit être débattue précisément par le Parlement, sauf à méconnaître ses compétences. Les informations étant disponibles, le Gouvernement aurait dû réviser les prévisions qui peuvent raisonnablement en découler.

2/ Sur la sincérité des autorisations de crédits

Le rapport de la Cour des comptes au Parlement sur les mouvements de crédits opérés par voie administrative, conjoint au projet de loi de finances rectificative, établi en application de l'article 58 alinéa 6 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, déposé conjointement au projet de loi de finances rectificative pour 2009, souligne que les dépenses inscrites sur plusieurs chapitres budgétaires font l'objet de sous-estimations manifestes qui conduiront le gouvernement à devoir abonder les chapitres en cause en cours d'exécution en 2010.

Ce rapport au Parlement de la Cour des comptes sur les décrets d'avance publiés ou en cours de publication au 27 novembre 2009 comprend ainsi en page 22 une analyse des insuffisances de crédits constatés en 2009 qui n'auraient pas été corrigés dans le projet de loi de finances pour 2010.

« Sur la base des informations communiquées à la Cour, le projet de budget pour 2010 comporterait un certain nombre de sous-évaluations de crédits au titre de dépenses de cet exercice. Pour la plupart des dotations concernées, il n'a pas été possible d'obtenir des indications chiffrées précises ou convergentes sur le montant de l'écart entre la dotation proposée dans le projet de loi de finances et le montant des besoins prévisibles », écrit la Cour.

Certes, dans la lettre qu'il a fait parvenir à la Cour sur le projet du présent rapport, le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat estime, commentant un tableau qui ne figure plus dans le rapport afin d'éviter toute ambiguïté sur ce point de méthode, que « les insuffisances constatées en fin de gestion 2009 ne peuvent être considérées d'emblée comme des insuffisances pesant sur la gestion 2010 ».

Même si la Cour partage cette appréciation, elle publie un tableau, qui n'intégrant pas les insuffisances constatées au titre des dettes de l'Etat au 31 décembre 2009, présente cependant une liste des principales dotations sur lesquelles des insuffisances de crédits sont probables, sans pouvoir, le plus souvent, être chiffrées.

Chaque fois que des éléments chiffrés sont disponibles, soit qu'ils découlent des prévisions de dépenses d'ores et déjà anticipées par les administrations consultées, soit qu'ils donnent une référence significative de l'évolution des besoins sur une dotation, la Cour les mentionne - à titre indicatif - dans les commentaires dont le tableau est assorti. Ainsi :

- Sur la mission défense (Programme préparation et emploi des forces), les sous-budgétisations atteindraient selon la Cour au moins 300 M€ pour les opérations extérieures, cette critique est récurrente dans chaque rapport sur les décrets d'avances.

- Sur la mission Travail et emploi, la situation de l'emploi et l'évolution des politiques mises en œuvre dans le cadre de cette mission ne permettent pas d'anticiper une baisse significative des dépenses. A titre de rappel, l'insuffisance à ce titre à fin 2009, qui n'est pas corrigée dans le PLF pour 2010, était de 378,2 M€.

- Sur la mission engagements financiers (programme épargne), la dépense 2010 résultant d'avances contractées en 2009 (remboursements des avances du Crédit foncier de France), étant estimée à 900,0 M€, il subsisterait une insuffisance récurrente de 400,0 M€ (à comparer, certes, aux insuffisances des exercices précédents : 495 M€ en 2006, 623 M€ en 2007 et 953 M€ en 2008).

- Sur la mission agriculture (Programme économie et développement durable), la base des insuffisances et des ouvertures en LFR au cours des quatre dernières années, et après correction à la baisse de phénomènes conjoncturels pour l'IVD, l'insuffisance serait de 1'ordre de 100 M€.

Au total, les sous-estimations chiffrées par la Cour s'élèvent à 1,143 Md € pour 2010.

Par ailleurs, la Cour des comptes constate que pour financer une partie des ouvertures de crédits mise en œuvre par voies administratives en cours de gestion, le Gouvernement a recours à des annulations sur certains chapitres budgétaires de crédits manifestement surévalués en loi de finances initiale et que de telles pratiques posent la question de la sincérité du budget soumis au vote du Parlement.

La mise en réserve opérée en début d'année (6 Mds € pour 2010) est utilisée finalement pour financer en cours de gestion les besoins de crédits manifestement sous-estimés. Depuis la révision de la loi organique du 12 juillet 2005, est prévue l'annonce, avant le vote définitif du projet de loi de finances, des mises en réserve de crédits.

Pour autant, le législateur organique n'a pas voulu donner une totale liberté d'action au Gouvernement mais simplement souhaité renforcer la transparence.
Sans vouloir remettre en cause la pratique des mises en réserve de crédits, il est cependant important de considérer qu'elle ne peut pas être utilisée comme le fait le Gouvernement qui en détourne l'esprit dans le seul but de fausser les grandes lignes de l'équilibre budgétaire.

La sincérité et la lisibilité de la loi de finances n'en sortent pas, loin s'en faut, renforcées. Le Gouvernement soumet au vote du Parlement un plafond de dépenses dont il sait déjà qu'en réalité, il sera supérieur au montant constaté au moment de l'exécution.

Respecter le principe de sincérité, c'est inscrire dans le projet initial l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent en découler.

La sincérité impose de traduire le plus objectivement possible dans le projet soumis au vote du Parlement la réalité budgétaire de l'année à venir et donc d'inscrire dans la loi la vérité pour que le Parlement soit en mesure d'exprimer un vote sincère.

Ainsi, dans votre décision n°2009-585 DC du 6 août 2009 relative à la loi de règlement pour 2008 vous indiquez : " [...] qu'il en résulte que le principe de sincérité n'a pas la même portée s'agissant des lois de règlement et des autres lois de finances ; que, dans le cas de la loi de finances de l'année, des lois de finances rectificatives et des lois particulières prises selon les procédures d'urgence prévues à l'article 45 de la loi organique, la sincérité se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre déterminé par la loi de finances ; que la sincérité de la loi de règlement s'entend en outre de l'exactitude des comptes ; "

Conformément à cette décision, il appartiendra donc au Conseil de se prononcer dans le cas de cette loi de finances initiale pour 2010 sur la mise en réserve de crédits d'une part, et sur les sous-estimations manifestes d'autre part, telle qu'elles résultent de l'analyse de la Cour des comptes.

Elles constituent la preuve d'une volonté manifeste du gouvernement de ne pas présenter des plafonds de dépenses conformes à ce que sera la réalité de l'exécution et a donc l'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre budgétaire et financier.

3/ Sur la sincérité de l'équilibre budgétaire et financier et du plafond d'emprunt :

Le Président de la République a annoncé le lancement d'un emprunt supplémentaire de 35 Mds€, dont le véhicule juridique sera un projet de loi de finances rectificative déposée en janvier 2010.

Le montant de 35 Mds€ figurait déjà dans le rapport de la « Commission sur les priorités stratégiques d'investissement et l'emprunt national », publié le 14 novembre 2009, c'est-à-dire avant le début de l'examen du projet de loi de finance par le Sénat. Il a été confirmé le 14 décembre 2009 par le Président de la République, soit avant l'examen en séance publique des conclusions de la Commission Mixte Paritaire le 18 décembre 2009, qui aurait dès lors pu intégrer cette somme à l'autorisation d'emprunt.

Il est évident que l'annonce d'une variation du plafond de l'endettement supérieur à un an avant le voté définitif de la loi de finances de l'année concernée, accompagnée de l'annonce d'un projet de loi de finances rectificatif dès janvier 2010, est de nature à fausser la sincérité de l'équilibre budgétaire de la loi de finances 2010.

Ainsi, dans votre décision n°2009-585 DC du 6 août 2009 relative à la loi de règlement pour 2008 vous précisez que : « Considérant que, conformément aux articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les ressources et les charges de l'État doivent être présentées de façon sincère ».

Pour toutes ces raisons, la loi de finances pour 2010 méconnaît le principe de sincérité dans la mesure où le Gouvernement a commis une erreur certaine, manifeste et volontaire dans la présentation et la détermination des objectifs en matière de plafonds de dépenses et de variation de la dette de l'Etat, ne permettant pas au Parlement d'exercer ses prérogatives et conduisant à fausser les grandes lignes de l'équilibre budgétaire.

Le montant s'élève à au moins 46,4 Mds€ (35 Mds€ au titre de l'emprunt supplémentaire, 10 Mds€ de sous-évaluation minimal de ressources fiscales, 1,4 Mds€ de sous-budgétisations constatées par la Cour des comptes), ce qui représente environ le tiers du déficit budgétaire prévu, soit une proportion de nature à fausser l'équilibre budgétaire et financier.

Dès lors, il appartiendrait au Conseil constitutionnel de déclarer projet de loi de finances pour 2010 contraire au principe de sincérité.