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Décision n° 2009-591 DC du 22 octobre 2009 - Observations du gouvernement

Loi tendant à garantir la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat d'association lorsqu'elles accueillent des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, d'un recours dirigé contre la loi tendant à garantir la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat d'association lorsqu'elles accueillent des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence.

Le recours tend à la censure de la loi dans son ensemble, en faisant valoir que celle-ci méconnaît le principe de laïcité, le principe de libre administration des collectivités territoriales en ne prévoyant pas de transfert de ressources correspondant à la charge imposée aux communes et le principe d'égalité devant la loi.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

Avant d'exposer les réponses qui lui semblent devoir être apportées aux griefs formulés par les auteurs de la saisine, le Gouvernement estime utile, pour éclairer le contexte dans lequel vient s'insérer la loi déférée, de rappeler les différentes étapes qui ont marqué le régime de financement des écoles élémentaires privées par les communes.

1/ Jusqu'à l'intervention de la loi n°59-1557 du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l'Etat et les établissements d'enseignement, aucun financement des écoles élémentaires privées n'était prévu. Pour ces écoles, le principe, découlant de la loi dite Goblet du 30 octobre 1886, se résumait à la formule « à école publique, fonds publics ; à école privée, fonds privés ». La loi dite Falloux du 15 mars 1850 n'autorisait les collectivités publiques à verser des subventions qu'à des établissements d'enseignement privés du second degré.

L'article 4 de la loi du 31 décembre 1959 a introduit une novation importante en prévoyant que les dépenses de fonctionnement des classes des établissements privés du premier degré ayant passé un contrat d'association avec l'Etat seraient désormais « prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public ». Ces dispositions ont été modifiées par la loi dite Guermeur du 25 novembre 1977 avant d'être rétablies dans leur rédaction initiale par la loi n°85-97 du 25 janvier 1985 modifiant et complétant la loi du 22 juillet 1983 et portant dispositions diverses relatives aux rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales. Elles figurent désormais à l'article L. 442-5 du code de l'éducation.

2/ Aucune difficulté d'interprétation de la loi n'a jamais été observée pour ce qui concerne la prise en charge des élèves lorsque l'établissement d'enseignement privé se situe dans la commune de résidence de l'élève.

Des incertitudes sont apparues, en revanche, quant au mode de répartition des charges financières entre communes dans le cas où des enfants sont scolarisés hors de leur commune de résidence. A l'origine, les incertitudes pesaient d'ailleurs à la fois sur les conditions de prise en charge des élèves du secteur public et du secteur privé.

S'agissant de la prise en charge des frais de scolarisation en école publique d'enfants non résidents, la loi n°83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat a dissipé une grande partie des ambiguïtés.

L'article 23 de cette loi a en effet posé le principe d'un partage amiable entre commune de résidence et commune d'accueil ainsi qu'un mécanisme de fixation par le préfet des contributions respectives des deux communes en cas de désaccord. Les dispositions de cet article 23, modifiées ultérieurement par les lois du 25 janvier 1985 précitée (article 16) et n°86-29 du 9 janvier 1986 portant dispositions diverses relatives aux collectivités territoriales (article 37) ont été codifiées à l'article L. 212-8 du code de l'éducation.

S'agissant en revanche de la scolarisation dans une école privée d'enfants non résidents, la loi du 25 janvier 1985 (à son article 18 insérant un article 27-5 dans la loi du 22 juillet 1983) s'est bornée à indiquer que seul le premier alinéa de l'article 23 de la loi du 22 juillet 1983 était applicable, c'est-à-dire l'alinéa prévoyant un accord entre la commune d'accueil et la commune de résidence. Ces dispositions figurent aujourd'hui (avant d'être abrogées par la loi déférée) au premier alinéa de l'article L. 442-9 du code de l'éducation.

Cette intervention minimale du législateur a conduit à des interprétations divergentes de la portée de l'obligation pesant sur les communes de résidence.

En effet, à l'aune du principe posé à l'article 4 de la loi du 31 décembre 1959 codifié à l'article L. 442-5 du code de l'éducation, il était possible d'estimer que les frais de scolarisation dans une école privée d'enfants non résidents devaient être pris en charge par la commune de résidence à défaut d'accord entre cette commune et la commune d'accueil.

Mais il était aussi possible de déduire de l'article L. 442-9 la conséquence qu'en l'absence d'accord entre la commune de résidence et la commune d'accueil, aucune des deux n'était tenue de prendre en charge les dépenses de fonctionnement d'une école privée afférentes aux élèves ne résidant pas dans la commune de l'établissement. C'est en tout cas l'interprétation qui a été retenue par le juge administratif (CE 19 avril 1991, Syndicat national de l'enseignement chrétien CFTC et autres, Lebon T. p. 653).

Dans les faits, l'absence de dispositif d'arbitrage en cas de défaut d'accord amiable a souvent conduit à ce que les dépenses liées aux élèves de l'enseignement élémentaire privé scolarisés hors de leur commune ne soient prises en charge ni par les communes de résidence ni par les communes d'accueil. La contribution n'étant due que lorsque l'école en cause était une école publique, l'absence de symétrie du régime de financement risquait d'engendrer un effet pervers conduisant les communes dépourvues d'école à conseiller aux parents d'élèves d'inscrire leurs enfants dans l'enseignement privé hors de la commune pour s'exonérer de toute charge financière.

L'article 89 de la loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a fermé la voie à cet effet indésirable du régime de financement, en rendant applicable les trois premiers alinéas de l'article L. 212-8 du code de l'éducation au calcul des contributions des communes aux dépenses obligatoires concernant les classes des écoles privées sous contrat d'association.

Mais la reprise seulement partielle du contenu de l'article L. 212-8 a donné prise, à son tour, à deux interprétations divergentes.

Il était, en effet, possible d'estimer que l'absence de référence expresse aux deux grandes catégories, limitatives, rendant obligatoire le financement dans le cas de l'école publique (l'absence de capacité d'accueil dans une école publique, d'une part, les trois motifs tenant aux contraintes professionnelles des parents, à la scolarisation dans la même commune de frères ou de sœurs ou à des raisons médicales, d'autre part) imposait une obligation inconditionnelle de financement en école privée des enfants résidents.

Mais une autre interprétation, plus respectueuse de l'économie générale de la loi du 31 décembre 1959, revenait pour sa part, en combinant l'article 89 de la loi du 13 août 2004 avec les dispositions de l'article L. 442-5 du code de l'éducation, à poser pour principe que la commune de résidence n'était tenue de prendre en charge les dépenses de fonctionnement afférentes à un élève scolarisé dans l'école privée d'une commune voisine que dans le cas où elle aurait été tenue de contribuer à ces dépenses si l'enfant avait été scolarisé dans une école publique. C'est l'interprétation qui a été retenue par le Gouvernement dans deux circulaires des 2 décembre 2005 et 27 août 2007.

La loi déférée reprend à son compte cette dernière interprétation, et l'explicite en insérant dans le code de l'éducation un article L. 442-5-1 disposant que la contribution de la commune de résidence pour un élève scolarisé dans une autre commune dans une classe élémentaire d'un établissement privé du premier degré sous contrat d'association constitue une dépense obligatoire lorsque cette contribution aurait également été due si cet élève avait été scolarisé dans une des écoles publiques de la commune d'accueil.

L'article précise en outre les conséquences à tirer de ce principe : il y est indiqué que la contribution n'est obligatoire que lorsque la commune de résidence ne dispose pas de capacités d'accueil dans ses écoles publiques ou lorsque la scolarisation dans la commune d'accueil se justifie par des contraintes liées aux obligations professionnelles des parents, à la scolarisation dans la même commune de frères et sœurs ou à des raisons médicales, ce qui constitue la reprise exacte des conditions posées à l'article L. 212-8.

I/ SUR LE GRIEF TIRE DE LA MECONNAISSANCE DU PRINCIPE DE LAICITE

A/ Les auteurs de la saisine estiment qu'en renforçant les transferts financiers de fonds publics vers des organismes rattachés à des associations cultuelles ou confessionnelles, la loi déférée contreviendrait au principe de laïcité.

B/ Le Conseil constitutionnel ne pourra suivre cette analyse.

La loi déférée respecte en effet les principes dégagés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et notamment par ses trois décisions n°77-87 DC du 23 novembre 1977, n°84-185 DC du 18 janvier 1985 et n°93-329 DC du 13 janvier 1994.

Il ressort en effet de ces trois décisions que si la liberté de l'enseignement, qui a rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République, n'a pas nécessairement pour corollaire une stricte parité de financement entre établissements publics et établissements privés même sous contrat d'association, aucun principe constitutionnel ne fait obstacle à ce que des modalités particulières de financement de ces derniers établissements soient prévues dans leur principe ni à ce qu'elles soient proches ou égales dans leur montant de celles attribuées aux établissements de l'enseignement public.

Sans doute est-il interdit au législateur de réserver un traitement plus favorable aux établissements de l'enseignement privé (décision n°93-329 du 13 janvier 1994). Sans doute, à l'inverse, peut-on soutenir que la liberté de l'enseignement serait privée de garantie légale si le législateur s'abstenait de toute initiative de financement public. Mais, entre ces extrêmes, le législateur dispose d'une marge d'appréciation, dans le respect du principe d'égalité, au regard des missions et des charges qui pèsent sur les établissements d'enseignement privés sous contrat d'association et les établissements publics.

En l'espèce, la loi déférée ne fait, tout au plus, qu'aligner le régime de financement des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence dans l'enseignement élémentaire privé (sous contrat d'association) sur le régime applicable à l'école publique. Elle respecte le cadre tracé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Il convient de souligner, au surplus, qu'en clarifiant en ce sens l'état du droit, la loi déférée fait obstacle à l'autre interprétation, inconditionnelle, qui avait pu être donnée de l'article 89 de la loi du 13 août 2004. Dans cette mesure, la loi déférée peut être regardée comme opérant une conciliation entre la liberté de l'enseignement et le principe de laïcité plus favorable à ce dernier principe que l'état du droit antérieur.

Ce premier grief sera donc écarté.

II/ SUR LE GRIEF TIRE DE LA MECONNAISSANCE DU PRINCIPE DE LIBRE ADMINISTRATION DES COLLECTIVITES TERRITORIALES

A/ Les auteurs de la saisine font valoir qu'en imposant aux communes de résidence le financement d'écoles privées situées dans des communes voisines, sans prévoir de transfert de ressources en contrepartie, la loi méconnaîtrait le principe de libre administration des collectivités territoriales.

B/ Un tel grief manque en fait.

Il sera relevé, tout d'abord, qu'un transfert de ressources n'est exigé par l'article 72-2 de la Constitution qu'en cas de transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales. Or, la loi déférée ne procède à aucun transfert de compétences.

Il est vrai que l'article 72-2 prévoit aussi que la création ou l'extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales doit être accompagnée de ressources déterminées par la loi. Mais la loi déférée se borne, ainsi qu'il vient d'être dit, à expliciter l'état du droit existant : elle n'a ni pour objet ni pour effet de créer de charge supplémentaire pour les communes. Elle n'avait donc pas à prévoir quelque financement que ce soit en application de l'article 72-2 de la Constitution.

III/ SUR LE GRIEF TIRE DE LA MECONNAISSANCE DU PRINCIPE D'EGALITE.

A/ Les auteurs de la saisine font enfin valoir que la loi déférée méconnaîtrait le principe d'égalité devant les charges publiques.

B/ Le Gouvernement ne partage pas ce point de vue.

1/ On observera, tout d'abord, qu'en vertu d'une jurisprudence constante, le principe constitutionnel d'égalité ne fait pas obstacle à ce que des situations différentes soient traitées de la même façon par le législateur. Par suite, il ne peut être utilement soutenu qu'il serait contraire au principe d'égalité de traiter de façon comparable l'enseignement public et l'enseignement privé. La loi déférée se bornant à placer dans une situation équivalente établissements privés sous contrat et établissements publics, sans traiter de manière plus favorable les premiers, elle n'est pas contraire au principe d'égalité et respecte la limite posée par la jurisprudence constitutionnelle sur la liberté de l'enseignement.

2/ Quant à la critique spécifique tirée de ce que le maire pourrait s'opposer au financement dans le cas d'un établissement public et pas dans celui d'un établissement privé, au détriment du principe d'égalité, elle procède d'une analyse inexacte de la loi déférée.

Il faut souligner que l'accord du maire mentionné par les auteurs de la saisine n'est exigé par l'article L. 212-8 du code de l'éducation en cas de scolarisation d'un enfant dans une école publique d'une commune d'accueil que dans la seule hypothèse où la commune de résidence dispose de capacités d'accueil dans ses écoles publiques.

En revanche, dans le cas où la commune de résidence n'a pas de capacités d'accueil, ou si l'un des trois motifs tirés de contraintes particulières (obligations professionnelles des parents, regroupement de fratrie, raisons médicales) est satisfait, le maire de la commune de résidence n'a pas à donner d'accord préalable à la scolarisation dans l'école publique d'une commune voisine.

La seule particularité qui affectera les écoles privées dans le régime prévu par la loi déférée résidera dans le fait que le maire de la commune de résidence n'a pas d'accord préalable à donner à une famille qui souhaite inscrire son enfant dans l'école privée d'une commune voisine dans le cas où demeurent des capacités d'accueil dans les écoles publiques de la commune de résidence.

Mais cette situation n'a pas de conséquence financière : si le maire de la commune de résidence qui dispose de capacités d'accueil dans ses écoles publiques ne pourra effectivement pas s'opposer à la scolarisation d'un enfant résident dans une école privée d'une commune d'accueil, il n'aura toutefois pas, dans ce cas, à prendre en charge les défenses afférentes.

Il sera observé, au demeurant, que l'exigence d'un tel accord du maire aurait rencontré un obstacle constitutionnel, le respect de la liberté d'enseignement interdisant au législateur de prévoir que les communes pourraient s'opposer au libre choix des parents.

Les auteurs de la saisine font valoir, in fine, que sous couvert d'une critique de la loi déférée, ils entendent aussi que le Conseil constitutionnel se saisisse de la constitutionnalité des articles 87 et 89 de la loi du 13 août 2004 par application de sa jurisprudence résultant de la décision n°85-187 DC du 25 janvier 1985 relative à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie, laquelle autorise que « la régularité au regard de la Constitution des termes d'une loi promulguée [soit] utilement contestée à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ».

La contestation, à la supposer opérante, n'est pas sérieuse en ce qu'elle concerne l'article 87 de la loi du 13 août 2004. Cet article s'est en effet borné à réécrire partiellement l'article L. 212-8 du code de l'éducation afin d'y prévoir le cas où les communes d'accueil ou de résidence sont membres d'un établissement public de coopération intercommunale chargé des compétences relatives au fonctionnement des écoles publiques. Or, aucun grief n'est directement articulé dans la saisine contre le mécanisme de répartition des charges entre communes de résidence et communes d'accueil.

Quant à la contestation de l'article 89 de la loi du 13 août 2004, elle ne paraît pas permise par la jurisprudence issue de la décision n°85-187 DC, qui ne se comprend que dans la mesure où elle permet au Conseil constitutionnel, saisi par voie d'action d'une disposition non encore promulguée et modifiant une disposition antérieure toujours en vigueur, d'exercer un contrôle de constitutionnalité sur la disposition consolidée. En revanche, cette jurisprudence ne saurait conduire le Conseil constitutionnel à se prononcer, à titre documentaire, sur une disposition abrogée qui ne sera plus susceptible de recevoir application. Or la loi déférée a précisément pour objet d'abroger l'article 89 de la loi du 13 août 2004.

Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis que les griefs articulés dans la saisine ne sont pas de nature à conduire ni à la censure de la loi déférée, ni à celle des articles 87 et 89 de la loi du 13 août 2004.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.