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Décision n° 2009-590 DC du 22 octobre 2009 - Réplique par 60 députés

Loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet
Non conformité partielle

Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,
2 rue de Montpensier, 75001 Paris

Les observations formulées le 13 octobre 2009 par le Gouvernement en réponse à notre recours sur la loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet appellent de notre part la réplique suivante.

Outre le caractère très partiel de la réponse du Gouvernement aux griefs soulevés par la saisine, les observations du Gouvernement interprètent-de façon surprenante- la loi soumise à votre contrôle, allant jusqu'à contredire l'esprit même de la loi.

Ainsi, comment ne pas être étonné que le Gouvernement attende lesdites observations pour apporter des précisions particulièrement éclairantes sur la manière dont il compte faire appliquer la loi. Il aurait pu ainsi, pour la clarté des débats que garantit votre jurisprudence, alerter la représentation parlementaire sur les conséquences d'un certain nombre de dispositions qui ont été ainsi votées dans l'ignorance des conditions de leur mise en œuvre.

I. Des observations sélectives

Les auteurs de la saisine ne peuvent, dans un premier temps, que constater le silence du Gouvernement sur un certain nombre de points soulevés.

A- La question de la force probante du relevé d'adresse IP non abordée

Ainsi, en ce qui concerne « les faits susceptibles de constituer des infractions », le Gouvernement ne répond en rien à l'un de nos griefs visant tout simplement à rappeler (ce qui avait fait l'objet d'un long développement dans notre recours sur la loi du 12 juin 2009 « favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet ») que ces faits sont uniquement basés sur les simples relevés d'adresses IP qui sont des éléments de preuve éminemment discutables et qui, de fait, se doivent d'être contestés dans le cadre d'une procédure contradictoire.

B- Le silence sur l'atteinte portée à la liberté d'expression et de communication

De la même manière, il y a plus que jamais lieu de s'interroger sur la disproportion de la nouvelle peine créée par l'article 8 de la loi sous forme de peine complémentaire aux contraventions de cinquième classe mentionnées par le code de la propriété intellectuelle, prévoyant une durée de suspension de l'accès à internet d'une durée maximale d'un mois en cas de négligence caractérisée. L'argument visant à s'attacher uniquement à la question du délai de suspension, délai que le Gouvernement semble juger anodin en précisant qu'il « n'est en effet que d'un mois[1] », n'enlève rien au fait que cette sanction constitue une atteinte portée à la liberté d'expression et, ainsi, ne répond en rien aux griefs soulevés. De la même façon ne saurait être retenu l'argument selon lequel cet article précise « que la durée de la peine prononcée doit concilier la protection des droits de la propriété intellectuelle et le respect du droit de s'exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile ». En effet, cette disposition amène, in fine, le juge à devoir concilier deux droits que la loi n'a pas été en mesure d'arbitrer.

II. Des observations inadéquates et insatisfaisantes

A- Une réponse confortant l'absence de critère objectif de choix entre les deux procédures

En ce qui concerne l'atteinte aux principes de sécurité juridique et d'égalité résultant de l'introuvable critère permettant au ministère public de choisir entre les deux procédures instituées par la présente loi :
Les auteurs de la saisine ont considéré que le législateur introduisait par la loi déférée une réelle confusion entre le délit de contrefaçon d'une part et la négligence caractérisée d'autre part, au point que rien ne les distinguera en dehors de la procédure engagée. Il appartient au législateur de fixer le ou les critères permettant aux justiciables de savoir précisément laquelle des procédures s'appliquera dans tel ou tel cas. Jusqu'ici les écrits du rapporteur indiquaient que cette décision dépendrait du degré de certitude de la commission d'une infraction[2]. Or, dans ses observations, le Gouvernement introduit des critères totalement différents « en vertu desquels les poursuites seront orientées sur le fondement de l'une ou l'autre des infractions pénales prévues par la loi[3] », à savoir : « le casier judiciaire de l'intéressé, l'importance ou le nombre des téléchargements détectés, l'intervalle entre ces derniers... ». Par conséquent, deux critères de choix opposés sont désormais énoncés, dans les deux cas, en dehors de la loi.

B- Une argumentation vide de sens

Sur la possibilité réservée aux victimes de demander au juge de statuer, par la même ordonnance, sur la demande de dommages et intérêts de la partie civile, le Gouvernement ne répond pas au grief soulevé. Cette disposition permettra en effet aux seules parties civiles d'accéder au juge afin de présenter leurs demandes, sans que celles-ci puissent à ce stade être contestées et discutées par les abonnés mis en cause. Cette possibilité crée ainsi un déséquilibre entre les droits de la défense et les droits de la partie civile, ce qui constituera une inégalité de situation qui altérera l'équité du procès. La comparaison étonnamment établie[4], par le Gouvernement, avec la procédure d'injonction de payer applicable à la suite d'une procédure de médiation pénale prévue par l'article 41-1 du Code de procédure pénale est totalement inopérante, celle ci étant basée non seulement sur une stricte égalité entre les parties mais, au-delà, étant conditionnée à l'accord de chacune d'elle sur la solution trouvée. En effet, dans ce cas, le recouvrement de dommages et intérêts suivant la procédure d'injonction de payer est possible uniquement en cas de réussite de la médiation entre les parties, qui doivent alors (conjointement avec le procureur de la République ou le médiateur du procureur de la République) signer un procès verbal et, de surcroit, seulement si l'auteur des faits s'est engagé à verser des dommages et intérêts à la victime. Cette procédure n'a, de fait, aucun rapport avec les dispositions sur lesquelles a été formé le recours.

C- Une observation sous forme d'aveu concernant l'atteinte au principe d'égalité

Enfin, en ce qui concerne l'atteinte au principe d'égalité devant la loi pénale : est-il utile, dans cette réplique de s'attarder plus avant sur le sujet, tant les observations du Gouvernement sont révélatrices de la solidité des arguments avancés dans la saisine ? Le Gouvernement émet lui-même l'hypothèse d'une atteinte au principe d'égalité. De la même manière, en essayant de justifier par des arguments peu convaincants que la portée du grief pourrait être « fortement amoindrie [5 », il la reconnaît implicitement. Si, par extraordinaire, vous validiez les dispositifs procéduraux soumis à votre appréciation, il n'en serait pas moins acquis que la présente loi ne pourrait entrer en vigueur qu'au jour où la sanction prévue pourra être appliquée uniformément sur l'ensemble du territoire.

III. Des observations faisant référence à des dispositions inexistantes dans la loi ou contraire à son esprit

Le Gouvernement, dans ses observations, apporte des éléments qui, soit n'ont jamais été avancés lors des débats parlementaires, soit sont contraires à la loi telle qu'adoptée. Par conséquent, de tels arguments ne sauraient être retenus.

A- La mise en demeure de sécurisation de sa ligne internet : une disposition inexistante dans la loi soumise à votre contrôle

Le Gouvernement, dans ses observations, évoque, à plusieurs reprises, la « mise en demeure » de sécurisation de sa ligne par l'abonné. Peut être retenue ici la définition suivante : « mettre en demeure : sommer quelqu'un d'avoir à remplir une obligation »[6] ou encore « enjoindre, exiger, ordonner »[7].

Outre le fait que ce terme n'est jamais apparu dans les débats parlementaires, cette affirmation est contraire à la loi adoptée par le Parlement.

En effet, concernant le contenu des recommandations, le nouvel article L335-7-1 du code de la propriété intellectuelle créé par la loi soumise à votre contrôle, évoque une simple invitation à mettre en œuvre un moyen de sécurisation : « Pour les contraventions de la cinquième classe prévues par le présent code, lorsque le règlement le prévoit, la peine complémentaire définie à l'article L. 335-7 peut être prononcée selon les mêmes modalités, en cas de négligence caractérisée, à l'encontre du titulaire de l'accès à un service de communication au public en ligne auquel la commission de protection des droits, en application de l'article L. 331-25, a préalablement adressé, par voie d'une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date de présentation, une recommandation l'invitant à mettre en œuvre un moyen de sécurisation de son accès à internet. »

De même, cette mise en demeure n'apparaît pas dans la loi du 12 juin 2009 « favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet ». Son article L. 331-26 se contente de préciser que « cette recommandation contient également une information de l'abonné sur l'offre légale de contenus culturels en ligne, sur l'existence de moyens de sécurisation permettant de prévenir les manquements à l'obligation définie à l'article L. 336-3 ainsi que sur les dangers pour le renouvellement de la création artistique et pour l'économie du secteur culturel des pratiques ne respectant pas le droit d'auteur et les droits voisins. »

En aucun cas le législateur n'a imposé une obligation de sécurisation de sa ligne internet et a, de surcroît, expressément exclu cette possibilité. Les observations du Gouvernement sont, par conséquent, contraires aux dispositions de la loi soumise à votre contrôle.

A cet égard, vous avez rappelé, que « le principe de clarté de la loi, qui découle de l'article 34 de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, imposent [au législateur ]d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. » (2005-514 DC, 28 avril 2005). Au regard de l'interprétation du Gouvernement du terme « invitant » retenu par le législateur, le caractère non équivoque de la formule n'est pas assuré.

Par conséquent, soit les observations du Gouvernement doivent être considérées comme non sincères, soit les dispositions législatives prévues en la matière (article 8 de la loi soumise à votre contrôle) doivent être censurées en vertu du respect du principe de clarté de la loi.

B- Des clauses d'exonération expressément exclues par la loi mais évoquées dans les observations du Gouvernement.

Les observations du Gouvernement vont beaucoup plus loin que la volonté du législateur. Alors que ce dernier, avec l'appui du Gouvernement[8], a refusé toute clause exonératoire proposée par voie d'amendement, le Gouvernement annonce de telles clauses dans un futur décret. Ainsi, l'abonné n'ayant pas sécurisé sa ligne internet pour des « motifs légitimes (notamment financiers et techniques » malgré l'envoi de recommandations par la Hadopi, ne serait pas poursuivi pour négligence caractérisée. Il est étonnant de découvrir, à la lecture des observations du Gouvernement, de telles dispositions rejetées lors du débat parlementaire.

C- La possibilité de convocation « systématique » des abonnés : un dispositif non prévu par la loi

Les observations du Gouvernement font état d'une « convocation systématique dans les cas les plus épineux » par la Hadopi. Néanmoins, cette disposition ne figure pas dans la loi soumise à votre contrôle. Celle-ci dispose, dans son article 1er, que « les membres de la commission de protection des droits, ainsi que ses agents habilités et assermentés devant l'autorité judiciaire mentionnés à l'article L. 331-21 peuvent [...] recueillir les observations des personnes concernées. Il est fait mention de ce droit dans la lettre de convocation. Lorsque les personnes concernées demandent à être entendues, ils les convoquent et les entendent. Toute personne entendue a le droit de se faire assister d'un conseil de son choix. »
A aucun moment n'est évoquée la question d'une « convocation systématique », les convocations se faisant à la demande des personnes concernées. Par ailleurs, le périmètre des « cas épineux » reste particulièrement flou. Encore une fois, le Gouvernement va plus loin que les dispositions de la loi et cela afin de renforcer son argumentation. De telles affirmations n'ont aucune portée juridique et ne sauraient par conséquent être retenues.

D- La téléphonie 3e génération : un élargissement enfin affirmé du périmètre de la loi

Bien que la loi couvre les services de communication au public en ligne, il n'a été question, à aucun moment dans les débats parlementaires, de poursuites pour utilisation d'internet non conforme au droit d'auteur via les téléphones de 3e génération. Cet élément aurait permis d'éclairer les débats. Les observations du Gouvernement n'ont pas pour objet de compléter la loi ni d'en élargir le périmètre ou de révéler des données volontairement cachées au législateur lors des débats parlementaires.

Pour l'ensemble de ces raisons, les griefs soulevés lors de la saisine sont maintenus par leurs auteurs.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.

---------------------------- [1] Observations du Gouvernement page 15

[2] Dans le rapport n°1841, M. Riester distingue les deux cas de figure : " - il est établi que l'abonné a lui-même téléchargé, soit qu'il a reconnu, soit que des fichiers ont été découverts sur son ordinateur au cours de l'enquête. Dans ce cas, le délit de contrefaçon est constitué et la peine encourue est notamment une peine complémentaire de suspension d'une durée d'un an ; - il n'est pas établi que l'abonné a lui-même procédé au téléchargement constaté sur sa ligne, mais il a commis une « négligence caractérisée » après avoir été averti. Dans ce cas, la contravention (de cinquième classe), dont le régime sera précisé par décret, est constituée et la peine encourue est notamment une peine complémentaire de suspension d'une durée d'un mois. "

[3] Observations du Gouvernement p.6

[4] Observations du Gouvernement p.11

[5] Observations du Gouvernement p.12

[6] Dictionnaire Flammarion de la langue française, 1999.

[7] Nouveau Petit Robert de la langue française, 2007. L'ouvrage de Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, avril 2007, retient, quant à lui, la définition suivante : « mise en demeure : interpellation en forme de sommation ».

[8] Voir notamment le compte-rendu intégral, 1ère séance, 24 juillet 2009, Assemblée Nationale.