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Décision n° 2009-589 DC du 14 octobre 2009 - Observations du gouvernement

Loi tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises et à améliorer le fonctionnement des marchés financiers
Non conformité partielle

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, d'un recours dirigé contre la loi tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises et à améliorer le fonctionnement des marchés financiers.

Le recours tend à la censure des articles 14 et 16 de la loi, issus d'amendements parlementaires, motif pris de ce que ces articles seraient dépourvus de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

I/ SUR L'ARTICLE 14

L'article 14 de la loi déférée exonère les experts-comptables, lorsque ces derniers se livrent à des consultations juridiques, de la déclaration de soupçon d'éventuelles constatations d'opérations de blanchiment d'argent telle qu'elle résulte, au code monétaire et financier, des dispositions qui y ont été introduites par l'ordonnance n°2009-104 du 30 janvier 2009 transposant les objectifs de la directive 2005/60/CE, dite « 3ème directive anti-blanchiment ».

Cet article a été ajouté au texte initial par l'effet d'un amendement parlementaire adopté, avec l'avis favorable du Gouvernement, lors de l'examen en séance publique au Sénat en première lecture.

Le Gouvernement estime que, contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, cet article présente un lien, au moins indirect, avec le texte dont le Sénat était saisi, dans la mesure où, ainsi qu'il a été exposé au cours des travaux parlementaires, les plus importants des cabinets d'experts-comptables peuvent être assimilés, par la taille de leurs effectifs et leur chiffre d'affaires, à la catégorie des petites et moyennes entreprises. Eu égard à son objet, la mesure n'est en outre pas sans lien avec le financement de ces cabinets.

Le Gouvernement relève, au surplus, que la jurisprudence du Conseil constitutionnel admet, s'agissant même des lectures ultérieures au cours desquelles le droit d'amendement est plus sévèrement encadré, la validité d'amendements dictés par la nécessité de respecter la Constitution (V. notamment la décision 2000-430 DC du 29 juin 2000). Au cas présent, on peut indiquer que l'article critiqué peut se recommander des exigences résultant de l'article 88-1 de la Constitution, dans la mesure où l'exception aménagée par l'article au profit des experts-comptables permet de rendre le droit interne plus conforme aux objectifs de la 3ème directive anti-blanchiment dont l'article 23, interprété à la lumière de son 20ème considérant, conduit à exclure tous les membres de professions fournissant des conseils juridiques de l'obligation de déclaration de soupçon.

Le Gouvernement estime ainsi que le grief soulevé par les auteurs de la saisine pourra être écarté.

II/ SUR L'ARTICLE 16

L'article 16, issu d'un amendement adopté à l'initiative du rapporteur général de la commission des finances du Sénat, complète l'article 2011 du code civil relatif au régime de la fiducie.

Aux termes du premier alinéa de l'article 2011, dont la rédaction n'est pas modifiée, la fiducie est « l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires ».

L'introduction de ce contrat spécial dans le code civil a constitué une novation importante, résultant de la loi n°2007-211 du 19 février 2007, permettant d'introduire dans notre droit un outil se présentant comme un concurrent solide du trust de droit anglais, tout en assurant un strict contrôle de son fonctionnement. Toutefois, la fiducie demeure à ce jour peu utilisée en France, en dépit de certains ajustements récents résultant notamment de la loi n°2008-776 du 4 août 2008 dite de modernisation de l'économie.

Il est apparu que l'un des motifs de ce manque d'attractivité résultait de l'absence de précision expresse, dans la loi, de la nature de la propriété résultant d'un contrat de fiducie. Celle-ci ne revêt pas, en effet, dans ce cadre, les caractéristiques classiques de la propriété au sens de l'article 544 du code civil. La particularité de la fiducie est d'engendrer un dédoublement de la propriété entre, d'une part, un propriétaire en titre (ou propriétaire légal), le fiduciaire, qui a pour mission de gérer des biens sans en détenir la richesse et, d'autre part, un propriétaire économique, le bénéficiaire, qui est celui qui conserve la richesse.

Afin de mieux faire apparaître cette spécificité, il a semblé utile de compléter l'article 2011 du code civil par un alinéa permettant de donner une consistance concrète à ce dédoublement, en prévoyant que le fiduciaire exerce la propriété fiduciaire des actifs figurant dans le patrimoine fiduciaire, au profit du bénéficiaire, selon les stipulations du contrat de fiducie.

La clarification ainsi opérée permettra de créer un cadre de plus grande confiance pour les investisseurs.

L'article 16 de la loi déférée offrira ainsi la possibilité, pour les entreprises, de constituer des « fiducies sûretés » permettant d'attacher une fraction du droit de propriété à des actifs corporels précisément identifiés. Pour les PME, elle permettra, par exemple, de proposer en sûreté une machine-outil ou le bien immobilier abritant l'activité de l'entreprise, ce qui constituera une modalité supplémentaire, et très efficace, de financement de leur activité.

Dans ces conditions, l'article 16 peut être regardé comme présentant un lien avec l'objet du texte dont le Sénat était saisi, satisfaisant aux exigences de l'article 45 de la Constitution.

Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis que le grief articulé par les parlementaires requérants n'est pas de nature à conduire à la censure des deux articles critiqués par le recours.

Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.