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Décision n° 2009-578 DC du 18 mars 2009 - Saisine par 60 députés

Loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion
Non conformité partielle

Monsieur le président du conseil constitutionnel, mesdames et messieurs les membres du conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre les exclusions et particulièrement ses articles 2, 20, 20bis, 20bis A, 21 et 45[1].

I. L'article 2 de la loi crée un article additionnel dans le code de la construction et de l'habitation et institue « À compter du 1er janvier 2010 » un prélèvement sur les ressources des organismes de construction de logements sociaux ".

Pour mesurer l'étendue de l'inconstitutionnalité de cet article 2, il y a lieu de préciser d'abord que ce prélèvement doit être regardé comme une pénalité d'ordre fiscal :

- une pénalité : le prélèvement ne concerne que les organismes les moins dynamiques en matière d'investissements. L'exposé des motifs du projet de loi indique qu'il s'agit d'un « prélèvement sur les moyens financiers devenus surabondants dégagés par les bailleurs sociaux ayant une activité d'investissement réduite, pour renforcer la mutualisation des moyens entre organismes. » Le discours prononcé par Christine BOUTIN le 20 septembre 2007 à Lyon lors de la clôture du Congrès de l'Union sociale pour l'Habitait annonçait effectivement la mise en place imminente d'une telle sanction : « Nous avons le devoir de soutenir vos organismes de logements sociaux, opérant dans des zones de forte demande. Ils ont des contraintes lourdes en perspective, j'en suis bien consciente. [...] Inversement, pour les bailleurs qui refuseraient de s'engager suffisamment en faveur de la construction sociale, de la réhabilitation, de l'amélioration du service rendu aux locataires et de la vente aux occupants en place, alors même qu'ils en auraient les moyens techniques et financiers, je n'hésite pas à dire que nous devons envisager ensemble les moyens d'affecter leurs ressources inutilisées aux bailleurs qui, eux, font les efforts nécessaires, de sanctionner une pratique de gestion préjudiciable à la construction de logements sociaux[2]. »

- d'ordre fiscal : l'alinéa 2 du texte proposé pour l'article L. 423-14 du code de la construction et de l'habitation précise : « le prélèvement est calculé, selon un taux progressif, sur le potentiel financier annuel moyen des deux derniers exercices [...] ». Les débats parlementaires confirmeront s'il en était besoin que cette interprétation est partagée par le gouvernement et les parlementaires qui n'ont pas hésité à parler d'une « taxe ».

I.1 Il s'ensuit, à titre principal, que le mécanisme ayant le caractère de sanction viole, d'une part, le principe de non-rétroactivité des lois répressives posé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et d'autre part l'article 34 de la Constitution en vertu duquel il revient à la loi de prévoir « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ».

A/ Le conseil constitutionnel a eu l'occasion d'affirmer, notamment dans sa décision n° 88-250 DC du 29 décembre 1988, le principe de la non rétroactivité des peines et de la loi fiscale. Le considérant n° 5 précise en effet que « conformément au principe de non-rétroactivité des lois répressives posé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, elle [la loi fiscale] ne saurait permettre d'infliger des sanctions à des contribuables à raison d'agissements antérieurs à la publication des nouvelles dispositions qui ne tombaient pas également sous le coup de la loi ancienne ».

Or le mécanisme institué par l'article 2 ici contesté présente, d'une part, un caractère de sanction, et d'autre part est évidemment rétroactif.

En premier lieu et cela devrait suffire pour fonder l'invalidation de la mesure critiquée, le caractère rétroactif de l'article 2 a été explicitement reconnu par le gouvernement lors de la discussion du texte en première lecture au Sénat. En effet, la rétroactivité de la mesure est à l'origine de l'adoption d'un amendement n° 622 rectifié bis, déposé par le gouvernement, dont l'objet précise qu'il vise notamment à « atténuer le caractère rétroactif de la mesure ». Il s'en infère, si les mots ont encore un sens, que la mesure conserve une portée rétroactive. La notion d'atténuation est ici inopérante : une disposition est rétroactive, ou ne l'est pas.

En second lieu, force est de constater que cette dimension rétroactive repose dans les modalités de détermination de l'assiette du prélèvement. Au terme du second alinéa du texte proposé pour l'article L. 423-14, l'assiette doit en effet prendre en considération les « deux derniers » exercices comptables des organismes. La mesure aura pour conséquence de considérer, pour le calcul du prélèvement applicable en 2010, les activités d'investissement des organismes en 2008 et 2009, années au cours desquelles leur gestion patrimoniale n'était soumise à aucune obligation d'investissement ni aucun objectif. Ainsi, certains organismes ont pu privilégier sur ces années la constitution de trésorerie à fins d'anticipation d'investissements futurs. Ce ne serait pas là systématiquement preuve de désinvolture puisque 3 ans peuvent en effet s'écouler entre la date de programmation et la date de mise en chantier d'un programme. D'autres organismes ont pu être contraints par la rareté du foncier ou pour d'autres raisons n'étant pas de leur fait : notamment recours sur permis de construire, lenteur liée au montage d'opérations nécessitant des financements multiples...

Certes, le IV de cet article offre la faculté pour 2010 de ne calculer le prélèvement que sur le potentiel financier du seul exercice 2009. Mais cette précaution législative n'a pas pour effet de supprimer le caractère rétroactif de la mesure puisqu'il s'agit d'une simple possibilité, et non une obligation[3].

B/ Il convient aussi et surtout de rappeler qu'au terme de l'article 34 de la Constitution, il revient à la loi de prévoir « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ». En renvoyant à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les conditions d'application de l'article et notamment « le mode de calcul du potentiel financier annuel moyen » qui constitue l'assiette du prélèvement, le gouvernement délègue au pouvoir règlementaire le pouvoir de déterminer cette assiette. S'agissant du taux, le texte de loi se contente d'en préciser une des caractéristiques - la progressivité - sans en fixer le montant.

Pour faire un parallèle, lorsque le législateur a souhaité mettre en place un prélèvement sanctionnant les communes qui ne satisferaient pas à l'obligation de compter un minimum de 20 % de logement sociaux - articles L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation et suivants - l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation a explicitement fixé l'assiette et le taux applicable[4], respectant ainsi l'article 34 de la Constitution.

I.2. A titre infiniment subsidiaire et en tout état de cause, pour l'hypothèse où vous ne reconnaitriez pas le caractère de sanction à cette mesure, il reste que le principe de sécurité juridique et le principe d'égalité devant les charges publiques sont violés.

A/ En effet, vous avez jugé que « le principe de non-rétroactivité des lois n'a valeur constitutionnelle, en vertu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qu'en matière répressive ; que, néanmoins, si le législateur a la faculté d'adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu'en considération d'un motif d'intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ». Dans votre décision du 18 décembre 1998, vous aviez ainsi censuré une contribution s'appliquant rétroactivement en considérant que l'intérêt général ne pouvait justifier une telle disposition fiscale (DC 98-404 du 18 décembre 1998).

Cette décision constituait une avancée jurisprudentielle conduisant à ce que désormais vous vous livriez à un contrôle de proportionnalité des dispositions fiscales rétroactives en ne se contentant pas de l'existence d'un motif d'intérêt général, mais en exigeant en outre que celui-ci soit « suffisant », au regard de l'atteinte portée à la situation des contribuables, pour justifier la rétroactivité.

Au cas présent, la mesure critiquée est manifestement disproportionnée pour les raisons mêmes déjà évoquées. En effet, comme amplement démontrées, il s'avère que des organismes n'ayant pas pu investir pour des raisons étrangères à leur liberté de choix, telle l'absence de réserve foncière suffisante pour leur intervention ou pour des raisons liées à des problématiques de contentieux relatifs aux permis de construire ou de toute autre raison ne relevant pas de la volonté propre des acteurs concernés.

B/ En tout état de cause, il est flagrant que ce prélèvement va être appliqué sur le fondement de critères ni objectifs ni rationnels et donc aboutira à violer le principe d'égalité.

Ainsi, dans cette même décision du 18 décembre 1998, vous aviez censuré une contribution pesant sur les médecins au motif que ce prélèvement devait pour respecter le principe d'égalité, fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objectif de modération des dépenses médicales que le législateur s'était assigné.

Vous aviez alors considéré « qu'en mettant à la charge de tous les médecins conventionnés, généralistes et spécialistes, une contribution assise sur leurs revenus professionnels, et ce, quel qu'ait été leur comportement individuel en matière d'honoraires et de prescription pendant l'année au cours de laquelle le dépassement a été constaté, le législateur n'a pas fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi ».

En l'espèce, le même raisonnement s'appliquera parfaitement. En effet, le prélèvement dont s'agit a vocation à peser sur les opérateurs quel qu'ait été leur comportement passé - c'est-à-dire pendant la période concernée par la rétroactivité - au regard de l'objectif d'intérêt général que constitue la politique de logement social. Comme il a été dit, certains opérateurs de logement social auront pu moins investir pendant la période pertinente pour des raisons parfaitement légitimes et sans rapport avec l'objectif de la loi. En appliquant indistinctement ce prélèvement à toute une catégorie d'opérateurs de façon rétroactive et sans préciser les critères objectifs et rationnels qui s'imposent dans de telles circonstances, le législateur a violé le principe d'égalité et le principe de sécurité juridique.

En conséquence, pour ces deux motifs, nous vous demandons de déclarer cette disposition non-conforme à la Constitution.

II. Les articles 20 et 20 bis, qui modifient des dispositions applicables respectivement aux organismes Hlm et aux Sem, prévoient la rupture de bail pour les ménages qui ne répondraient plus aux conditions « sociales » nécessaires à l'entrée dans leur logement. Du point de vue du locataire, qui bénéficie jusqu'à présent du droit au maintien dans les lieux, il s'agit d'une modification substantielle de son contrat d'habitation qui méconnait les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 garantissant la liberté contractuelle et la sécurité juridique.

En outre, ces deux articles contiennent des dispositions qui constituent une rupture d'égalité sans rapport avec les motifs d'intérêt général poursuivis par la loi.

1/ Rappelons d'abord que les locataires du parc HLM bénéficient du droit au maintien dans les lieux au sens et dans les conditions de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948. Au terme du I. de l'article L. 442-6 du code de la construction et de l'habitation en effet « les dispositions des chapitres Ier, à l'exclusion de l'article 11, II, IV, V, VI et VIII du titre Ier, des alinéas 1,2,3,4, et 8 de l'article 70, de l'article 74, des alinéas 1, 2 et 3 de l'article 75 et de l'alinéa 1er de l'article 78 de la loi n. 48-1360 du 1er septembre 1948 précitée sont applicables aux habitations à loyer modéré sous réserve des dispositions du présent livre, notamment des articles L. 411-1, alinéa 1er, et L. 442-8. » L'article 4 de cette loi est donc applicable aux locataires d'un logement HLM sous réserve que les conditions d'occupation du bien soient remplies : le paiement du loyer et la jouissance paisible du logement, matérialisée le cas échéant par le respect d'un règlement intérieur.

Le premier alinéa de cet article 4 précise bien que « les occupants de bonne foi des locaux définis à l'article 1er bénéficient de plein droit et sans l'accomplissement d'aucune formalité, du maintien dans les lieux loués, aux clauses et conditions du contrat primitif non contraires aux dispositions de la présente loi, quelle que soit la date de leur entrée dans les lieux. » L'article 10 de la même loi prévoit des exceptions au droit au maintien dans les lieux dans lesquelles ne figure pas le changement de conditions de vie. Au sens de cette loi, le dépassement des plafonds de ressources nécessaires pour l'entrée dans les lieux n'est pas un motif de rupture du bail.

Rappelons aussi que les baux HLM ne sont pas régis par la loi de 1989 et les durées de bail ; une fois conclus, ils s'appliquent ensuite jusqu'au départ du locataire ou, le cas échéant, en conséquence d'une rupture prononcée par le juge.

Quant aux SEM et s'agissant de leurs logements conventionnés, conformément à l'article L351-2 du code de la construction et de l'habitation, leurs baux sont résiliés ou reconduits à la volonté du locataire pendant la durée de la convention. De ce fait les locataires bénéficient d'un droit au maintien dans les lieux pendant la durée des conventions conclues avec l'Etat.

Les nouveaux articles L. 442-3-1, L. 442-3-2 et L. 442-3-3 ainsi que les articles L. 482-1, L. 482-2 et L. 482-3 du code de la construction et de l'habitation marquent donc une évolution importante du droit du logement social, et leur application de plein droit aux contrats en cours - prévue par le IV de l'article 20 et le II de l'article 20bis - est clairement contraire à la jurisprudence constitutionnelle en matière de liberté contractuelle.

Concrètement, la loi procède à la requalification des contrats de tous les locataires actuels (plus de 4 millions de ménages) et prévoit les conditions de la déchéance des droits d'occupation du logement (après plusieurs offres de relogement et/ou un délai de préavis) sans que cette modification substantielle des contrats ne soit compensée par les garanties apportées aux locataires par la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.

S'il n'est pas interdit au législateur d'appliquer des dispositions nouvelles à des contrats en cours, vous avez jugé cependant dans votre décision n° 2002-465 DC du 13 janvier 2003 sur la loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi, qui assouplissait le régime des 35 heures, « que le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ». La référence non plus seulement à l'article 4, qui est le fondement de la liberté contractuelle, ainsi que vous le faisiez dans vos premières décisions sur les garanties constitutionnelles dues aux contrats en cours, mais aussi à l'article 16, montre bien que cette jurisprudence s'inscrit dans le cadre du courant inspiré par le principe de sécurité juridique. Ainsi, la valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle découle directement de la liberté d'entreprendre garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et de l'article 16 du même texte fondant la sécurité juridique.

Or on ne peut envisager plus forte atteinte à l'économie générale du contrat et à l'idée même de la sécurité juridique que sa rupture pure et simple pour une ou plusieurs causes étrangères à la volonté des parties au moment de la conclusion dudit contrat.

En l'occurrence, il ne saurait être prétendu sérieusement que l'objectif à valeur constitutionnelle du droit au logement peut être considéré comme justifiant une telle atteinte à l'économie générale de ces contrats et au principe de sécurité juridique. Et de ce point de vue, la décision DC n°2000-436 du 7 décembre 2000 rendue sur la loi SRU est particulièrement éclairante. En effet, vous aviez alors considéré qu'une disposition prévoyant qu'à l'expiration des conventions les liant à l'Etat, le statut de logement social des logements construits par la CDC serait pérennisé, constituait une atteinte trop grave à la liberté d'entreprendre au regard de sa contribution à la réalisation de l'objectif du droit au logement[5]. Encore cette décision a-t-elle été prise alors même que vous n'aviez pas encore fait évoluer votre jurisprudence en matière de garanties constitutionnelles entourant les contrats en cours puisque c'est en 2003 que vous avez ajouté comme fondement de celle-ci l'article 16 de la Déclaration de 1789.

S'il ne fait guère de doute que la satisfaction du droit au logement constitue un motif d'intérêt général, il faut donc remettre en perspective les effets réels de la mesure avec les enjeux de la crise du logement pour apprécier si en l'espèce, la mesure justifie une telle atteinte à l'économie des contrats en cours.

Or, la contribution de la mesure à la réalisation de l'objectif d'intérêt général poursuivi a toutes les chances d'être marginale, alors que l'inconstitutionnalité qui en découle est majeure. L'évaluation ex-ante ne laisse guère de doute puisque le nombre de ménages susceptible de libérer un logement du fait du dépassement de plus de 100 % des plafonds de ressources est inférieur à 1 % de l'ensemble du parc de logements sociaux (dans l'hypothèse de l'abaissement des plafonds de ressources de 10,3 % prévu à l'article 21)[6]. A titre de comparaison, la fondation Abbé Pierre évalue en 2009 à 3 500 000 le nombre de « personnes connaissant une problématique forte de mal logement »[7]. Ainsi en Ile-de-France, 6000 logements seraient « libérables » alors que les demandeurs de logements sociaux, rien qu'à Paris intra-muros, étaient 112 935 en 2007.

Il y a bien lieu de considérer que la mesure ne justifie pas une telle atteinte à la liberté contractuelle. D'autant plus que le mécanisme mis en place fera peser une incertitude juridique constante sur la durée du contrat lui-même.

Car, enfin, ces deux articles ne prévoient pas de garanties équivalentes à celles qui sont prévues par la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs qui prévoit notamment les conditions de durée, de reconduction et de résiliation du bail. Indirectement, le législateur crée donc un statut hybride pour ces locataires dont le seul tort est de changer de conditions de vie : ni tout à fait locataires du parc social, ni tout à fait locataires de droit commun.

Dans la mesure où les plafonds de ressources comme les conditions de sous-occupation d'un logement peuvent être modifiés par simple décret (arrêté du 29 juillet 1987 relatif aux plafonds de ressources des bénéficiaires de la législation sur les habitations à loyer modéré et des nouvelles aides de l'Etat en secteur locatif modifié et article R. 641-4 du code de la construction et de l'habitation) les locataires du parc social sont ainsi exposés à une forme d'insécurité juridique inédite et pesant sur eux comme un couperet qui sera actionné selon l'intervention du pouvoir réglementaire. Autrement dit, la durée même de ce type de contrat devient incertaine par détermination de la loi ou plutôt par indétermination de la loi. L'un des cocontractants se trouve alors placé dans une situation d'insécurité juridique qui, en définitive, crée un déséquilibre entre les parties au contrat. Il s'agit d'une atteinte aux principes fondateurs du droit des contrats qui supposent, à tout le moins, l'échange de consentements libres et éclairés. Or, comment considérer que l'échange de consentement est dénué de vices si l'un des éléments essentiels du contrat - sa durée - ne peut pas être connu du locataire puisqu'elle peut varier sans qu'il puisse le savoir par avance et sans qu'il puisse s'y opposer ou sans que cette modification soudaine ne soit compensée par des garanties propres à le protéger au regard du droit fondamental à disposer d'un logement décent.

2/ Les articles 20 et 20bis prévoient des exceptions dont l'application constitue des ruptures d'égalité que la seule poursuite de l'intérêt général ne suffit pas à justifier. Or la jurisprudence sur ce point est constante : le Conseil Constitutionnel considère « que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ».

En effet, le III du texte proposé pour les articles L. 442-3-3 et L. 482-3 du code de la construction et de l'habitation prévoit que les dispositions relatives à la rupture de bail pour dépassement de plus de 100 % des plafonds de ressources ne soient pas appliquées : aux personnes âgées, aux locataires handicapés, aux locataires de logements situés dans des zones urbaines sensibles et à ceux qui occupent « un logement acquis ou géré » par un organisme HLM ou une SEM « depuis moins de 10 ans au 1er janvier 2009 ou depuis cette date et qui, avant son acquisition ou sa prise en gestion, ne faisait pas l'objet d'une convention conclue en application de l'article L. 351-2 du présent code, à condition que ces locataires soient entrés dans les lieux préalablement à l'entrée en vigueur de ladite convention ».

Alors que les motifs de différences fondés sur l'âge, le handicap ou la localisation géographique du logement sont constitutifs d'une différence de situation à laquelle le législateur peut souhaiter apporter une réponse différente, le motif tiré de la double condition de la date d'entrée dans les lieux combinée à la date d'intégration du bien au parc social est plus que problématique.

Si l'objet de la loi contestée est la mobilisation pour le logement et que l'intérêt général poursuivi est la satisfaction du droit au logement, les dérogations au nouveau dispositif doivent avoir un rapport direct avec cet objectif général.

Encore une fois, c'est le cas pour les personnes âgées ou les personnes handicapées, qui pourraient avoir des problèmes sérieux pour retrouver un logement adapté à leurs besoins dans le secteur libre. C'est le cas aussi pour les locataires de logements situés dans les zones urbaines sensibles dans lesquelles les enjeux de la mixité sociale imposent que les personnes aux ressources plus élevées que la moyenne soient retenues dans leurs logements.

En revanche c'est en vain que l'on chercherait un motif d'intérêt général justifiant que des locataires soient protégés de cette procédure de rupture de bail, non pas en fonction de qualités qui leur sont propres, mais de caractéristiques spécifiques au régime juridique applicable à leur logement et choisi par leur bailleur ; à savoir, en l'espèce, la date de conventionnement HLM.

Peut-on admettre que par exemple, dans une même rue, des locataires remplissant les mêmes conditions sociales et d'âge mais habitant deux immeubles différents (bien qu'appartenant au même organisme de logement) ne soient pas soumis aux mêmes règles du fait de la date à laquelle l'immeuble aura été acquis ou pris en gestion par un organisme de logement social ? Pour faire un parallèle avec le secteur locatif libre, existe-t-il dans la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 des différences dans le régime applicable aux locataires selon la nature du propriétaire ou encore la date de la mutation du bien ?

Enfin il est étrange qu'alors que le texte déféré a prévu de s'appliquer aux contrats en cours, une exception à ce principe concerne des locataires « entrés dans les lieux préalablement à l'entrée en vigueur de ladite convention » (III de l'article L442-3-3 et III de l'article L482-3 du CCH), c'est-à-dire des locataires qui ne bénéficiaient pas, préalablement au conventionnement de leur logement, du droit au maintien dans les lieux.

Force est d'admettre que le législateur aurait dû fonder « son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi »[8], ce qui l'aurait conduit à ne pas adopter une dérogation contradictoire avec les objectifs poursuivis par le texte et pour l'essentiel, étranger aux situations des personnes elles-mêmes.

III. L'article 20 bis A prévoit un plafonnement du montant total de la quittance d'un locataire qui, conformément à l'article L. 441-3 du code de la construction et de l'habitation, se verrait appliquer un surloyer de solidarité.

A. Cette disposition est contraire à l'objectif constitutionnel de clarté, d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi que vous avez consacré, par exemple, dans votre décision DC 2005-530[9]. En outre, du fait de l'absence de critères objectifs et rationnels fixés par la loi, il s'ensuit une rupture d'égalité devant la loi. En définitive, les griefs articulés contre cette disposition sont liés à la circonstance que le législateur n'a pas épuisé le pouvoir qu'il tient de l'article 34 de la Constitution viciant ce dispositif du vice d'incompétence négative.

En effet, en application de cet article, le surloyer - qui dépend des ressources, de la surface du logement et de la zone géographie - pourrait être déterminé de 5 manières différentes sans que la situation spécifique des locataires ne justifie toujours ces différences de traitement :

- Il existe un barème national, qui peut, au terme de l'article L. 441-8 du même code être adapté en fonction des réalités locales.

- L'article L. 441-4 du même code prévoit en outre que « ce montant est plafonné lorsque, cumulé avec le montant du loyer principal, il excède 25 % des ressources de l'ensemble des personnes vivant au foyer » et que « le programme local de l'habitat peut porter ce plafond jusqu'à 35 % des ressources de l'ensemble des personnes vivant au foyer. »

L'article 20bis A introduit un nouveau mode de plafonnement fixé par décret. S'il y a tout lieu de penser que ce plafond serait le même que ceux qui sont appliqués pour la mise en œuvre des dispositifs d'aide à l'investissement fiscal libre comme le précise l'exposé des motifs de l'amendement n° 570 déposé à l'Assemblée Nationale, il y a lieu de s'étonner du fait que le législateur ait proposé une nouvelle dérogation qui constitue, ni plus ni moins qu'une troisième voie de plafonnement ou encore un cinquième mode de calcul du montant du surloyer.

La complexité du système est certaine, et ne manquera pas, dans ses applications, de conduire à des situations paradoxales, qui vont de surcroit, à l'encontre des buts poursuivis, à savoir la mobilité dans le parc de logement.

B. Il s'en suit une violation du principe d'égalité devant la loi. En effet, la complexité découlant du mécanisme masque le véritable but de la mesure qui vise à préserver certains ménages plus que d'autres. En réalité, dans ces conditions, ce sont les ménages les plus aisés de tous qui se verraient placés dans une situation plus favorable, puisque le plafond qui leur sera applicable conduira à une quittance inférieure à 25 % de leurs revenus, plafonnement « normal » du montant loyer + surloyer.

Nous demandons au conseil constitutionnel de reconnaître que l'intérêt général poursuivi par le texte ne justifie pas une telle rupture d'égalité qui poursuit, elle, l'objectif de soustraire aux effets de la loi une petite minorité privilégiée, et ainsi satisfaire quelques intérêts particuliers.

IV. L'article 21 minore les plafonds de ressources pour l'attribution des logements locatifs sociaux de 10,3 %. La précaution prise pour que cette mesure ne prenne effet qu'« à compter du premier jour du troisième mois suivant la date de publication de la présente loi » ne doit pas masquer que son application à tous les contrats en cours constituerait au même titre que les articles 20 et 20 bis précédemment contestés, une modification substantielle du contrat des locataires actuels. En effet, le plafond de ressources est utilisé pour le calcul du supplément de loyer de solidarité prévu aux articles L441-3 et suivant du Code de la Construction et de l'Habitation d'une part et pour le calcul du taux de dépassement qui déclenche l'application des procédures de rupture de bail prévues aux articles 20 et 20bis de la présente loi qui suppriment le droit au maintien dans les lieux pour les locataires dont les ressources dépassent de plus de 100 % ces mêmes plafonds.

Si cette mesure devait porter sur les contrats en cours, il s'agirait là encore d'une atteinte substantielle portée à la liberté contractuelle. Certains ménages « types » pourront voir leur quittance mensuelle plus que doubler sans avoir changé de condition de vie, par simple effet mécanique de la baisse des plafonds et du calcul du supplément du surloyer de solidarité. A titre de comparaison, dans le parc privé, la loi (article 9 de la loi pour le pouvoir d'achat n° 2008-111 du 8 février 2008) a indexé l'évolution maximale des loyers sur l'évolution des prix, ce qui correspond à des hausses tolérées de moins de 3 %. Il s'agissait alors de protéger le pouvoir d'achat des locataires du parc privé.

Rappelons que le principe est qu'à défaut de mention expresse, les contrats en cours demeurent régis par la loi ancienne, la disposition ne s'appliquant qu'aux contrats conclus après la date d'entrée en vigueur de la loi.

Compte tenu de l'impact que cet article pourrait avoir sur les contrats en cours, nous demandons au conseil constitutionnel de reconnaître son caractère inconstitutionnel ou au minimum de clarifier son champ d'application dans le temps.

V. L'article 45 contient une disposition qui ne figurait pas dans le texte déposé au Sénat le 28 juillet 2008 par le gouvernement, qui n'a fait l'objet d'aucune discussion parlementaire puisque l'objet d'aucun amendement ni au Sénat ni à l'Assemblée Nationale, et qui pourtant figure dans le texte définitif adopté par les deux chambres le 19 février.

Il s'agit du 1 ° du III de l'article qui a été soumis à l'examen des parlementaires à l'occasion de la seule Commission Mixte Paritaire.

Les parlementaires contestent la légalité de la procédure et demandent que le Conseil Constitutionnel déclare ce membre d'article inconstitutionnel pour ce motif.

Pour l'ensemble de ces motifs, nous avons donc l'honneur, monsieur le président, mesdames et messieurs, de vous demander de déclarer non conformes à la Constitution les articles ici contestés.

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[1] Numérotation des articles du texte issu des délibérations de la CMP du 17 février (n°224 au Sénat, n°1476 à l'Assemblée Nationale).

[2] Christine BOUTIN, Discours de clôture du Congrès de l'Union Sociale pour l'Habitat, Lyon, 20 septembre 2007. [3] Laquelle ne suffirait pas, d'ailleurs, à supprimer tout effet rétroactif puisque quelques mois se seront écoulés entre le 1er janvier 2009 et la date du décret prévu pour l'application de l'article.

[4] Le deuxième alinéa de l'article L. 302-7 du CCH dispose précisément : « Ce prélèvement est fixé à 20 % du potentiel fiscal par habitant défini à l'article L. 2334-4 du code général des collectivités territoriales multipliés par la différence entre 20 % des résidences principales et le nombre de logements sociaux existant dans la commune l'année précédente, comme il est dit à l'article L. 302-5, sans pouvoir excéder 5 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune constatées dans le compte administratif afférent au pénultième exercice. »

[5] Décision DC n°2000-436 du 7 décembre 2000 " 50. Considérant que la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent constitue un objectif de valeur constitutionnelle ; que, toutefois, la disposition critiquée n'apporte pas, en l'espèce, à la réalisation de cet objectif une contribution justifiant que soit portée une atteinte aussi grave à l'économie de contrats légalement conclus ; que sont, en conséquence, méconnues les exigences constitutionnelles rappelées ci-dessus ;

[6] Chiffres extraits du rapport de Dominique Braye à la commission des affaires économiques du Sénat. Compte tenu des objectifs poursuivis par la réforme opérée par le décret n° 2008-825 du 21 août 2008 relatif au supplément de loyer de solidarité applicable au 1er janvier 2009, ces chiffres devraient même être revus à la baisse dans les mois à venir.

[7] Dont les personnes sans-domicile fixe, les personnes vivant dans des conditions de logement très difficiles, les personnes en situation précaires. Données du rapport annuel 2009 de la Fondation Abbé Pierre.

[8] DC 98-404 relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, le Conseil a en effet estimé qu'« en mettant à la charge de tous les médecins conventionnés, généralistes ou spécialistes, une contribution assise sur les revenus professionnels, et ce quel qu'ait été leur comportement en matière d'honoraires et de prescriptions, le législateur n'avait pas fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi ».

[9] 77. Considérant que l'égalité devant la loi énoncée par l'article 6 de la Déclaration de 1789 et « la garantie des droits » requise par son article 16 ne seraient pas effectives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des règles qui leur sont applicables et si ces règles présentaient une complexité excessive au regard de l'aptitude de leurs destinataires à en mesurer utilement la portée ; qu'en particulier, le droit au recours pourrait en être affecté ; que cette complexité restreindrait l'exercice des droits et libertés garantis tant par l'article 4 de la Déclaration, en vertu duquel cet exercice n'a de bornes que celles qui sont déterminées par la loi, que par son article 5, aux termes duquel « tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas . »
78. Considérant qu'en matière fiscale, la loi, lorsqu'elle atteint un niveau de complexité tel qu'elle devient inintelligible pour le citoyen, méconnaît en outre l'article 14 de la Déclaration de 1789, aux termes duquel : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».