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Décision n° 2009-577 DC du 3 mars 2009 - Réplique par 60 sénateurs

Loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision
Non conformité partielle

Le gouvernement a produit des observations en défense sur le recours formé à l'encontre de la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public audiovisuel.

Ces observations appellent de notre part les brèves remarques suivantes.

I. Sur les articles 13 et 14 de la loi

L'argumentation du gouvernement ne répond pas, en réalité, aux griefs de la saisine et laisse pour le moins perplexe.

I.1. Certes, comme les auteurs de la saisine l'avaient relevés eux-mêmes, le législateur peut modifier un dispositif encadrant l'exercice d'une liberté fondamentale si, et seulement si, il maintient des garanties équivalentes au regard des exigences constitutionnelles.

Le législateur ordinaire a donc tenté d'éviter la censure du fait d'une modification des pouvoirs du CSA et d'une diminution des garanties constitutionnelles dont le pluralisme doit pourtant bénéficier. Pour y parvenir, il a été obligé, au prix d'une construction complexe et peut-être sans s'en apercevoir, de restreindre le sens et la portée de l'article 13 de la Constitution.

Or, il n'est pas possible pour la loi ordinaire de modifier une disposition de nature constitutionnelle. A moins que vous ne souhaitiez par votre décision changer la nature de notre Constitution et remettre en cause le principe même de hiérarchie des normes.

La tentative désespérée du gouvernement consistant à prétendre que le dispositif critiqué résulte de la conciliation entre deux normes constitutionnelles, l'article 11 de la Déclaration de 1789 et l'article 13 de la Constitution, ne pourra évidemment pas convaincre.

Car, sinon, il faudrait admettre contre le texte de la Constitution que toutes les fois où une norme constitutionnelle serait concernée, le législateur ordinaire pourrait modifier tel ou tel pouvoir constitutionnel propre du Président et, a fortiori, du gouvernement et en limiter la portée et l'exercice, voire, plus largement, modifier l'équilibre général des pouvoirs. C'est une hypothèse intéressante mais de nature à vider le principe de la séparation des pouvoirs de sa substance.

Admettre ce raisonnement, conduirait, après avoir changé la nature de notre Constitution, à modifier la nature même du régime et à transformer radicalement notre système institutionnel.

Ceci est bien évidemment un scénario de fiction étranger à la volonté du législateur qui a commis, plus simplement, une erreur constitutionnelle majeure.

Encore une fois et en tout état de cause, l'article 13 alinéa 5 de la Constitution se contente de renvoyer à la loi le soin de déterminer les Commissions parlementaires permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés mais, en aucune façon, il ne permet à la loi ordinaire d'ajouter une autorité autre que ces commissions parlementaires permanentes parmi les organismes titulaires d'un pouvoir de codécision quant à l'exercice d'un pouvoir propre du Président de la République.

D'autant plus, au demeurant, que les commissions parlementaires n'ont pas pour leur part un tel pouvoir de codécision. En conférant au CSA une compétence d'avis conforme, le législateur irait plus loin que le constituant est allé pour les commissions permanentes du Parlement.

Une fois cette inconstitutionnalité constatée, force est alors d'admettre que la portée de l'avis du CSA ne peut être que celle d'un avis simple. Mais dès lors, son rôle de garant du pluralisme sera réduit à une portion congrue et les conditions de son intervention ne pourront plus être considérées comme une garantie équivalente au sens de votre jurisprudence.

I.2. Conscient de l'inconstitutionnalité à cet égard, c'est en vain que le gouvernement tente de présenter l'intervention des commissions permanentes parlementaires comme constituant alors une telle garantie équivalente de substitution.

En effet, l'article 13 de la Constitution, précise que « le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions ».

Il s'en infère que, d'une part, les commissions saisies rendent en principe un avis simple et que, d'autre part, l'avis contraire empêchant une telle nomination ne pourrait être obtenu qu'à la majorité des 3/5ème des suffrages exprimés au sein des deux commissions. C'est dire, et nul ne peut le contester car telle était bien l'intention revendiquée du constituant, que l'hypothèse d'avis contraire - sorte d'avis conforme négatif - n'est susceptible d'intervenir que dans des hypothèses constitutionnellement et politiquement marginales.

En réalité, les travaux parlementaires comme le rapport du Comité Balladur montrent bien que l'intervention des Commissions a, principalement, pour but de favoriser la transparence de la procédure de nomination mais pas d'établir une procédure de codécision.

I.3. A cet instant, il faut souligner que le principe de pluralisme ne pourrait être garanti par l'intervention de Commissions parlementaires permanentes dont la composition est par nature politique et établie à la proportionnelle des groupes politiques. Ainsi, on ne peut considérer que leur avis simple pris selon une majorité politique est constitutionnellement équivalent au rôle décisionnel que joue une autorité administrative indépendante.

On en voudra pour preuve votre récente décision du 8 janvier 2009 (DC n° 2008-573) par laquelle vous avez jugé « que la commission prévue par l'article 25 de la Constitution est chargée de veiller au respect du principe d'égalité devant le suffrage ; qu'elle est, par la volonté du constituant, dotée d'un statut d'indépendance ; que, si la délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés ou la modification de la répartition des sièges de députés ou de sénateurs participent de la vie démocratique de la Nation, la garantie d'indépendance et les règles d'incompatibilité prévues par l'article L. 567-3 du code électoral qui l'assurent interdisent que les partis ou groupements politiques soient directement ou indirectement représentés au sein de la commission ; que, dès lors, le grief tiré de ce que la composition de la commission méconnaîtrait le troisième alinéa de l'article 4 de la Constitution doit être écarté ».

Certes, il s'agit d'une procédure distincte de celle jugée présentement. Mais elle concerne cependant le principe du pluralisme pris dans une autre de ses dimensions et il s'évince de votre raisonnement qu'est incompatible avec la garantie d'indépendance d'une autorité chargée de veiller au pluralisme, la circonstance de faire siéger en son sein des représentants des partis ou groupements politiques.

Une commission parlementaire dont la composition est, par construction, politique, puisqu'émanant de groupes parlementaires, ne peut, en effet, pas être davantage considérée comme indépendante au sens de votre jurisprudence la plus récente sur le pluralisme.

Dans ces conditions, il serait manifestement contraire à votre jurisprudence et aux garanties dues aux exigences constitutionnelles de pluralisme, de considérer comme équivalent au dispositif protecteur existant jusque là, un mécanisme dont la réalité serait en définitive : une décision propre du Président de la République relevant de sa seule initiative prise après avis simple du CSA (après censure inévitable du caractère conforme de cet avis) puis avis simple des commissions parlementaires permanentes compétentes.

La censure qui interviendra ainsi du fait de l'absence de garanties équivalentes pour le principe de pluralisme ne posera, à cet égard, aucune difficulté puisque le rôle du CSA sera maintenu en l'état actuel du droit.

Pour toutes ces raisons, les articles 13 et 14 doivent être invalidés.

II. Sur l'article 28 de la loi

Le gouvernement prétend que la suppression de la publicité relève bien du domaine de la loi quant à son principe dès lors que la suppression ou la création d'une ressource de l'audiovisuel public constitue un élément de l'indépendance de ce type de média au sens de l'article 34 de la Constitution (page 6 des observations du gouvernement).

Ce raisonnement est intéressant et les auteurs de la saisine y voient un autre vice d'inconstitutionnalité résultant de l'incompétence négative du législateur et donc de la violation de l'article 34 de la Constitution.

En effet, si, comme le soutient le gouvernement, la création ou la suppression des ressources publicitaires relèvent bien du domaine de la loi au titre des garanties d'indépendance des médias publics, il importe alors que la loi détermine également les ressources de substitution qui permettent de garantir ce statut indépendant de l'audiovisuel public.

Or, le gouvernement dans ses mêmes écritures prend soin de marteler que tel n'a pas été le cas et qu'aucune recette n'a été affectée à l'audiovisuel public.

Ainsi, sa défense sur l'article 33 de la loi est construite sur l'idée que les taxes votées dans le cadre de la loi querellée sont des impositions de toute nature ayant « pour seul objet de concourir au financement du budget général de l'Etat ». Pour être certain d'être bien compris, il ajoute plus loin : « Et, quoi que puissent en laisser penser les déclarations, de portée strictement politique, prononcées devant le Parlement, la taxe qu'il instaure constitue bien, en droit, une simple recette du budget de l'Etat » (p. 9 des observations en défense). Et si cela ne suffisait pas, il insiste en indiquant qu'il « est exact qu'aucun principe de droit national n'interdisait que le législateur fasse le choix d'une affectation de cette taxe à la société France Télévisions. Mais aucun principe constitutionnel, non plus que les dispositions de la loi organique relative aux lois de finances, ne lui faisaient obligation de le faire » (p. 11 des observations en défense). On croit comprendre qu'il ne l'a donc pas fait !

Autrement dit, et si l'on s'en tient au raisonnement du gouvernement, il s'ensuit que la suppression de la publicité sur les ondes du service public audiovisuel relève du domaine de la loi car cela constitue un élément de l'indépendance des médias publics au sens de l'article 34 de la Constitution, mais que les taxes instituées dans la loi supprimant ladite publicité ne sont pas affectées à l'audiovisuel public.

Dans ces conditions, il faut en déduire que le législateur en supprimant les ressources publicitaires du service public sans prévoir de financement de substitution pour garantir l'indépendance du même service public de l'audiovisuel n'a pas épuisé la compétence qu'il tire de l'article 34 de la Constitution.

Cette incompétence négative particulièrement grave dès lors que l'indépendance du service public de l'audiovisuel et donc le principe de pluralisme sont en cause, ne pourra qu'entraîner la censure de l'article 28 de la loi.

III. Sur l'article 33 de la loi

Comme on l'a vu, le gouvernement argue que la taxe instituée sur le chiffre d'affaires des opérateurs de communication électronique est une imposition de toute nature, donc non affectée. Que dès lors, la catégorie des assujettis est définie de manière suffisamment précise et que votre jurisprudence sur la fiscalité incitative n'a pas à s'appliquer en l'espèce.

Cette argumentation n'est absolument pas convaincante tant elle tord le cou au principe même de l'égalité de tous devant les charges publiques affirmée par l'article 13 de la Déclaration de 1789.

III.1. En premier lieu, il convient de rappeler que votre jurisprudence, fondée sur les principes républicains les plus forts, considère de façon constante que la différence de traitement ne peut en aucun cas être arbitraire. Votre considérant de principe que l'on doit rappeler à cet instant est sans ambiguïté :

« Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ».

Ce principe a reçu de multiples applications en matière fiscale y compris lorsque sont en cause des impositions de toute nature.

Or, en l'occurrence, on peine à comprendre en quoi cette taxe est en rapport direct avec l'objet de la loi puisque le gouvernement s'échine à nous expliquer qu'elle n'a pas pour vocation de financer le service public de l'audiovisuel mais le budget général de l'Etat.

Dès lors, on ne voit pas pourquoi les opérateurs de communication électroniques seraient taxés plutôt qu'une autre catégorie d'entreprises ou qu'un autre secteur industriel. Quel est le fondement de cette taxe ? A cette question, le gouvernement semble répondre : l'abondement du budget général de l'Etat. Mais ce n'est pas une réponse constitutionnellement satisfaisante.

Si telle est la réalité le respect de l'article 13 de la Déclaration de 1789 oblige alors à répartir la contribution commune entre tous les citoyens à raison de leur faculté.

De deux choses l'une : ou bien cette imposition de toute nature est effectivement sans lien avec l'objet de la loi et il n'y a aucune raison objective de taxer ce secteur plutôt qu'un autre sauf à soumettre l'impôt au règne de l'arbitraire ; ou bien, elle est implicitement destinée à être affectée mais alors il fallait établir d'autres critères objectifs et rationnels précis pour assujettir les entreprises qui font de la publicité leur source de revenus principale voire exclusive.

En tout état de cause, la jurisprudence n'a jamais admis qu'une imposition de toute nature puisse frapper de façon arbitraire une catégorie de contribuables.

Contrairement à ce que le Gouvernement prétend, ceci serait absolument sans précédent. Aucune taxation ne présente à la fois les caractéristiques de celle-ci, qui frappe des personnes morales, limitativement désignées sans lien avec l'objet du texte et à la poursuite de la finalité exclusivement budgétaire que trahit l'absence d'affectation revendiquée.

A cet égard, la décision 84-184 DC du 29 décembre 1984 n'est pas pertinente. D'abord, était alors en cause un secteur très large de l'économie - celui de l'intégralité des établissements financiers - tandis que ne sont concernés ici que les opérateurs d'un secteur incomparablement moins important et plus restreint. Ensuite, la taxe en question portait sur une partie des frais généraux des entreprises concernées, qu'il leur était d'ailleurs loisible de réduire, et nullement sur l'essentiel de leur chiffre d'affaires. Enfin, le dernier alinéa de cet article 21 de la loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984 de finances pour 1985 prévoyait un régime particulier pour les entreprises déficitaires, totalement absent ici. Outre ces différences notables, ce précédent est trop ancien, douteux et isolé pour être probant.

Quant aux autre décisions citées, soit elle visait à assurer, et non certes pas rompre, une égalité réelle entre revenus de types différents (83-164), soit elles tendaient à apporter des avantages fiscaux à des sommes pouvant les justifier (97-388, 99-416), sans que, dans aucun de ces cas, il ne se fût agi de frapper discrétionnairement des contribuables choisis eux-mêmes de manière discrétionnaire.

III.2. En second lieu, l'assiette de la taxe encourt le même grief d'arbitraire.

Car rien n'est plus faux que d'affirmer que le chiffre d'affaires constitue « un critère représentatif de la capacité contributive d'un acteur économique ».

De nombreux opérateurs spécialisés, quoi que réalisant un chiffre d'affaires nettement supérieur à 5 millions d'euros, demeurent cependant structurellement déficitaires et le resteront plusieurs années encore, de sorte que, s'agissant d'eux notamment, se trouve imposée une capacité contributive inexistante ou, à tout le moins, insuffisante.

Pour toutes ces raisons, l'article 33 devra être invalidé.

Par ces motifs et tous autres à déduire ou suppléer même d'office, les saisissants persistent de plus fort dans leur recours.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.