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Décision n° 2008-574 DC du 29 décembre 2008 - Observations du gouvernement

Loi de finances rectificative pour 2008
Non conformité partielle

Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés d'un recours dirigé contre la loi de finances rectificative pour 2008, et spécialement son article 6.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.

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L'article 6 de la loi déférée constitue le dernier élément d'un ensemble de dispositions qui ont déterminé les conditions du transfert de charges et de recettes lié à l'accession au statut de collectivité d'outre-mer des deux communes de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, qui faisaient antérieurement partie de la Guadeloupe.

Cet article fixe le montant des différentes dotations prévues par la loi organique du 21 février 2007 et prévoit en outre, pour trois ans, le maintien du bénéfice de l'octroi de mer, normalement perçu par les seules communes appartenant à la Guadeloupe, pour la collectivité de Saint-Martin.

I/ Les auteurs de la saisine font grief à cet article de méconnaître le principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques, d'empiéter sur le domaine de compétence du conseil régional de la Guadeloupe, d'introduire une inégalité entre ce département et les autres départements d'outre-mer, d'irrégulièrement prévoir une péréquation financière de recettes entre la Guadeloupe et une collectivité qui ne fait plus partie de son territoire - en créant dans le même temps une tutelle sur la nouvelle collectivité, d'entraver la libre administration des collectivités territoriales et, enfin, de ne pas respecter la décision du Conseil de l'Union européenne du 10 février 2004 relative au régime de l'octroi de mer dans les départements français d'outre-mer.

II/ De telles critiques ne sont pas fondées.

1/ A titre liminaire, il convient de rappeler le contexte dans lequel est intervenu l'article 6 de la loi déférée.

La loi organique n°2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer a érigé en collectivités d'outre-mer obéissant au régime défini à l'article 74 de la Constitution ce qu'il était convenu de dénommer en Guadeloupe les deux « îles du Nord », c'est-à-dire les communes insulaires de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Chacune de ces deux nouvelles collectivités s'est substituée, sur son territoire, à l'ancienne commune qu'elle était, au département et à la région Guadeloupe.

Cette substitution s'est accompagnée d'un transfert de compétences de la part du département, de la région et, partiellement, de l'Etat. La loi organique, conformément aux prévisions de l'article 72-2 de la Constitution, a donc prévu un mécanisme de compensation de ce transfert, similaire pour les deux collectivités. Ce régime de compensation est défini, pour la collectivité de Saint-Martin, par les articles LO 6371-1 et suivants du code général des collectivités territoriales.

L'enchevêtrement des relations financières entre l'Etat, la région, le département et les nouvelles collectivités a impliqué d'agir en deux temps.

Tout en prévoyant qu'à compter de 2009 les deux collectivités n'émargeraient plus à la dotation d'octroi de mer prévue à l'article 47 de la loi n°2004-639 du 2 juillet 2004 relative à cette taxe perçue notamment en Guadeloupe, l'article 25 de la loi ordinaire n°2007-224 du 21 février 2007 portant elle aussi dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer a prévu le maintien à leur profit d'une fraction de cet impôt, pour les années 2007 et 2008, en insérant une disposition expresse en ce sens à l'article 51 de la loi du 2 juillet 2004. Et l'article 104 de la loi de finances rectificative pour 2007 a fixé le régime de l'autre partie du mécanisme de transfert, relatif au montant des différentes dotations prévues aux articles LO 6271-5 pour Saint-Barthélemy et LO 6371-5 du CGCT pour Saint-Martin.

En 2007, c'est-à-dire avant que les collectivités ne commencent réellement à fonctionner, le mécanisme ne pouvait toutefois revêtir qu'un aspect évaluatif. L'article 6 de la loi déférée a pour objet de l'asseoir désormais sur le montant réel du financement requis par les deux collectivités, constaté par arrêté conjoint des ministres chargés du budget et de l'outre-mer après avis des commissions consultatives d'évaluation des charges prévues par le législateur organique.

S'agissant de Saint-Martin, l'article 6 fixe le montant des différentes dotations qui seront versées à la collectivité au titre de l'article LO 6371-5, avant de prévoir, à son VII, le maintien jusqu'en 2011 d'une quote-part d'octroi de mer au bénéfice de la collectivité.

On doit observer que, contrairement à ce que prévoyait l'article 25 de la loi n°2007-224 du 21 février 2007, le VII de l'article 6 de la loi déférée ne prescrit pas le maintien temporaire, à montant inchangé, de la fraction d'octroi de mer autrefois perçue par Saint-Martin comme par toutes les communes de Guadeloupe. Le dispositif résultant de ces dispositions est différent : loin de pérenniser une dérogation, il organise son extinction progressive en trois ans, en aménageant une « sortie en biseau » dont la pente est au demeurant marquée. L'assiette de référence pour le versement de la quote-part d'octroi de mer demeure celle perçue par la collectivité en 2008, mais l'abattement sur cette somme sera de 10 % en 2009, de 40 % en 2010, de 70 % en 2011. En 2012, aucune ressource résultant de l'octroi de mer ne sera plus versée à Saint-Martin.

2/ Le Gouvernement estime que le VII de l'article 6 de la loi déférée est au nombre des dispositions qui peuvent figurer dans une loi de finances.

Il est possible de soutenir en premier lieu qu'il constitue l'une des formes de compensation des charges globalement transférées, notamment par l'Etat, à la collectivité.

Cette interprétation suppose, il est vrai, que l'article LO 6371-5 ne soit pas regardé comme fixant la liste exhaustive des instruments susceptibles d'être mis en oeuvre pour cette compensation. Mais, sur ce point, on peut considérer que l'article 74 de la Constitution n'a pas réservé au législateur organique une compétence exclusive à cet égard et que l'intervention du législateur ordinaire ou financier peut se recommander du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, qui prévoit d'une part que « tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice » et d'autre part que « toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ».

En second lieu, on peut considérer que le VII de l'article 6 de la loi déférée, à supposer qu'il ne soit pas regardé intrinsèquement comme un élément du mécanisme de compensation résultant de la création de la collectivité de Saint-Martin, est indissociable des éléments du dispositif de compensation par dotation prévus par les I à VI du même article 6.

A cet égard, il ne fait pas de doute que l'équilibre général du régime de transition financière aménagé au cours des deux dernières années implique de faire figurer ensemble, en loi de finances, à la fois les dispositions de ce régime qui, comme la dotation de compensation, doivent obligatoirement y figurer en application de l'article LO 6371-5, et sa composante fiscale, même purement locale.

On peut, enfin, observer que l'insertion du VII de l'article 6 en loi de finances se justifie aussi à raison de ses effets, en ce que ces dispositions permettent en réalité d'éviter une dépense de l'Etat. En effet, sans son intervention, l'Etat aurait dû abonder à due concurrence le montant de la dotation globale de compensation inscrite à son budget.

3/ Sur le fond, aucun des griefs soulevés par les auteurs de la saisine n'emporte la conviction, en raison du caractère transitoire, temporaire et dégressif du dispositif envisagé, des liens historiques et géographiques qui unissent la Guadeloupe et Saint-Martin, des caractéristiques du régime de cet impôt très particulier que constitue l'octroi de mer et de l'intérêt général qui s'attache à ce que la collectivité nouvellement créée puisse établir progressivement, sans risque de défaut financier majeur, sa propre fiscalité indirecte.

Il faut relever, en premier lieu, que l'article 6 de la loi déférée ne provoque pas de rupture dans l'égalité des citoyens devant les charges publiques. Contrairement à ce que font valoir les auteurs de la saisine, l'octroi de mer n'est pas prélevé sur les seuls consommateurs guadeloupéens. Pour des raisons historiques et géographiques, une part très substantielle des produits importés destinés à la consommation locale des habitants de Saint-Martin transite préalablement par un port de Guadeloupe, qu'il s'agisse de celui de Jarry Baie-Mahault ou de celui de Basse-Terre.

Cette réalité est prise en compte par l'article 10 de la loi du 2 juillet 2004 prévoyant que l'octroi de mer est exigible dès l'entrée sur le territoire de la Guadeloupe. Les produits vendus à Saint-Martin sont passés par la Guadeloupe et ont acquitté l'octroi de mer à leur entrée en Guadeloupe. Ainsi, les habitants de la collectivité de Saint-Martin contribuent indirectement, même si l'impôt n'a jamais été perçu à l'entrée du propre territoire de cette dernière, à une fraction du fait générateur de l'octroi de mer qui ne sera plus perçu, à terme, que par les seules communes de Guadeloupe.

En deuxième lieu, le grief tiré de ce que l'article 6 de la loi déférée empièterait sur les compétences de la Guadeloupe ne pourra être retenu. Il est vrai que l'article 48 de la loi du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer prévoit que la répartition globale du produit de l'impôt résulte d'un décret pris sur la proposition du conseil régional. Mais il était loisible au législateur de déroger à ce principe et de désigner lui-même l'affectataire d'une fraction de ce produit, sans méconnaître les prescriptions d'aucun des deux premiers alinéas de l'article 72-2 de la Constitution, alors surtout que cette affectation est temporaire et que le régime dérogatoire fixe lui-même les conditions et le calendrier de son extinction. Il convient d'observer, au demeurant, que le deuxième alinéa de l'article 48 de la loi du 2 juillet 2004 prévoit dans le même esprit un mécanisme dérogatoire au profit du département de la Guyane en prescrivant que ce dernier reçoit de plein droit 35 % de la dotation globale d'octroi de mer servie sur ce territoire.

En troisième lieu, le grief tiré de ce que l'article déféré introduirait une rupture d'égalité entre les différents départements d'outre-mer en prévoyant le prélèvement d'une fraction d'octroi de mer pour la seule Guadeloupe sera lui aussi écarté. A supposer que la méconnaissance du principe d'égalité puisse être utilement invoquée entre collectivités, la Guadeloupe se trouve en tout état de cause, vis-à-vis de Saint-Martin, dans une situation différente des trois autres départements d'outre-mer, pour les raisons historiques et géographiques précédemment exposées.

En quatrième lieu, la circonstance que la collectivité de Saint-Martin soit régie par l'article 74 de la Constitution apparaît dépourvue de conséquence en l'espèce. Aucune disposition des articles 73 et 74 de la Constitution n'interdit au législateur d'adopter des dispositions comme celles de l'article 6 de la loi déférée, qui s'expliquent précisément par l'accession de Saint-Martin au statut de collectivité d'outre mer régie par l'article 74. Au demeurant, le dernier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution ouvre au législateur la faculté de prévoir des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales sans assortir cette possibilité d'une condition tenant à l'identité de statut de ces collectivités.

En cinquième lieu, le dispositif résultant de l'article 6 de la loi déférée ne peut être regardé comme portant atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales ou comme conduisant à ce qu'une collectivité exerce une tutelle sur une autre collectivité.

Il faut relever que supprimer brutalement la fraction d'octroi de mer autrefois attribuée à Saint-Martin provoquerait une perte de plus d'un sixième des recettes de la collectivité, alors même que la situation particulière de cette dernière, qui partage, sans frontière physique, le territoire de l'île sur laquelle elle se situe avec un territoire autonome du Royaume des Pays-Bas à la fiscalité indirecte peu élevée, ne lui permet que très difficilement - et, en tout état de cause progressivement - d'établir sa propre fiscalité sur la consommation. Le niveau de vie à Saint-Martin est moins élevé qu'à Saint-Barthélemy : selon l'institut d'émission des départements d'outre-mer, le PIB par habitant ne s'élevait encore, en 1999, qu'à 14.500 euros annuels, et le chômage y touche 27 % de la population active.

Inversement, l'article 6 ne se traduira pas par une baisse des ressources des communes de la Guadeloupe, affectataires de l'octroi de mer en vertu de l'article 47 de la loi du 2 juillet 2004. L'article 6 ne prive pas ces communes de ressources dont elles auraient jusque là disposé. En effet, en 2008, les communes de Saint-Martin et Saint-Barthélemy bénéficiaient encore toutes deux d'une fraction d'octroi de mer en application de l'article 51 de la loi du 2 juillet 2004 relative à l'octroi de mer. En application de l'article 6, la part servie aux communes de Guadeloupe augmentera dès 2009 de deux façons : par la sortie de la collectivité de Saint-Barthélemy du mécanisme et par la mise en oeuvre d'un premier abattement de 10 % sur l'assiette de la collectivité de Saint-Martin. Et l'effet de biseau aboutira à l'extinction complète de la part servie à Saint-Martin en 2012. Loin d'entraver la libre administration des communes de Guadeloupe, l'article contribuera bien plutôt à renforcer leurs ressources de près de 11 millions d'euros par an à terme.

Et, en fixant lui-même le niveau de départ de l'assiette et le rythme de progression de l'abattement au cours des trois prochaines années, le législateur a conjuré, dans son principe même, le risque que l'article 6 puisse déboucher sur une quelconque tutelle de la Guadeloupe sur la collectivité de Saint-Martin.

Enfin, on relèvera que la décision du 10 février 2004 du Conseil de l'Union européenne relative au régime de l'octroi de mer dans les départements français d'outre-mer ne fait pas obstacle à ce qu'à la suite d'un changement institutionnel affectant une partie des attributaires d'origine de l'octroi de mer, le législateur puisse, à périmètre global inchangé, modifier la liste de ces derniers, alors surtout que leur statut de région ultra périphérique demeure inchangé.

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Pour ces raisons, le Gouvernement est d'avis qu'aucun des griefs articulés par les députés requérants n'est de nature à conduire à la censure des dispositions de l'article 6 de la loi de finances rectificative pour 2008.