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Décision n° 2008-563 DC du 21 février 2008 - Observations du gouvernement

Loi facilitant l'égal accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller général
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante sénateurs, d'un recours dirigé contre la loi facilitant l'égal accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller général, adoptée le 6 février 2008.
Il appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes. *
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A. - L'article unique de la loi déférée a pour objet de modifier le premier alinéa de l'article L. 221 du code électoral, par l'insertion d'un renvoi à l'article LO 151-1 du même code, afin de prévoir que lorsqu'un parlementaire élu conseiller général démissionne de ce dernier mandat pour cause de cumul, son suppléant de l'autre sexe le remplace sans qu'il soit besoin d'organiser une élection partielle.
Les sénateurs auteurs du recours soutiennent que ces dispositions contreviendraient à la « tradition républicaine » ainsi qu'à un principe fondamental reconnu par les lois de la République, selon lequel les règles applicables à une élection ne pourraient être modifiées au cours de l'année qui précède les opérations de vote. Les auteurs du recours soutiennent, en outre, que la loi déférée, qui aurait pour effet de permettre à un parlementaire élu conseiller général de choisir si son suppléant siégera ou non au conseil général, porterait atteinte à la liberté de choix de l'électeur, à l'égalité devant le suffrage ou à la sincérité du scrutin. Ils font, enfin, valoir que la loi déférée ne satisferait pas aux exigences constitutionnelles tenant à la clarté et à l'intelligibilité de la loi.
B. - Ces différentes critiques ne sont pas fondées.
1 ° En premier lieu, on observera que l'invocation de la « tradition républicaine » ne saurait, en soi, conduire le Conseil constitutionnel à juger la loi déférée contraire à la Constitution.
En effet, ainsi que l'expose la jurisprudence, « la tradition républicaine ne saurait utilement être invoquée pour soutenir qu'un texte législatif qui la contredit serait contraire à la Constitution qu'autant que cette tradition aurait donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République » (décision n° 88-244 DC du 20 juillet 1988).
Or, en la matière, aucun principe fondamental reconnu par les lois de la République n'interdit au législateur, contrairement à ce que soutiennent les sénateurs requérants, de modifier des règles applicables à un scrutin peu de temps avant la tenue des élections. La jurisprudence constitutionnelle n'a pas, à ce jour, reconnu l'existence d'un tel principe. Et le Gouvernement considère que les conditions auxquelles est subordonnée l'identification d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République ne sont, en l'espèce, pas réunies.
Le Conseil constitutionnel n'est, en effet, susceptible de reconnaître l'existence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, au sens donné par le premier alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel renvoie le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, qu'à la condition que ce principe ait trouvé sa traduction dans des textes issus de la législation républicaine intervenue avant l'entrée en vigueur de la Constitution du 27 octobre 1946 et qu'aucun texte républicain n'y ait dérogé (décision n° 88-244 DC du 20 juillet 1988 ; décision n° 89-254 DC du 4 juillet 1989 ; décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002).
Au cas présent, d'une part, force est de constater que l'idée invoquée par les parlementaires requérants, selon laquelle aucune modification de la législation électorale ne pourrait intervenir peu de temps avant l'élection à laquelle elle se rapporte, n'a été traduite par aucun texte législatif républicain avant l'entrée en vigueur de la Constitution du 27 octobre 1946. D'autre part, on peut observer que, dans l'histoire, des textes législatifs sont parfois intervenus pour modifier des règles applicables à des scrutins peu de temps avant qu'ils ne se tiennent. Ainsi, par exemple, sous la IIIe République, la loi du 16 juin 1885 a modifié les règles relatives à l'élection des membres de la Chambre des députés, en instituant un scrutin de liste par département, peu de temps avant les élections législatives des 4 et 18 octobre 1885.
Sous la IVe République, la loi n° 51-519 du 9 mai 1951 a modifié le mode de scrutin applicable aux élections législatives, en prévoyant que les députés seraient élus au scrutin de liste départemental majoritaire à un tour avec apparentement des listes et panachage et vote préférentiel, seulement quelques semaines avant les élections législatives qui se sont tenues le 17 juin 1951.
Sous la Ve République, des dispositions organiques ont modifié des règles en rapport avec les élections parfois peu de temps avant le scrutin. On peut citer, en particulier, les lois organiques n°s 88-35 et 88-36 du 13 janvier 1988 qui ont modifié et complété les dispositions de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République (décisions n°s 87-235 et 236 DC du 5 janvier 1988) ; ces lois organiques ont modifié les règles relatives à la présentation des candidats à l'élection présidentielle très peu de temps avant qu'elles ne trouvent application dans le cadre de l'élection présidentielle de 1988. De même, la loi organique n° 88-226 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique s'est appliquée à l'élection du Président de la République organisée le mois suivant (décision n° 88-242 DC du 10 mars 1988). De même, il y a peu, la loi organique du 7 décembre 2007 a modifié le régime électoral de l'assemblée de la Polynésie française et s'est appliquée à l'élection des représentants de cette assemblée organisée à sa suite dès le mois suivant (décision n° 2007-559 DC du 6 décembre 2007).
En tout état de cause, le Gouvernement observe que la loi déférée ne modifie pas les règles législatives applicables à l'élection. Elle ne porte pas sur l'organisation ou le déroulement de l'élection ; elle ne modifie pas le mode de scrutin ; elle n'affecte pas les délimitations des circonscriptions électorales. Elle se borne, dans un cas particulier, à adapter une règle relative au remplacement, après l'élection, des conseillers généraux élus et placés dans une situation d'incompatibilité.
2 ° La loi déférée ne porte, en deuxième lieu, aucune atteinte au principe de sincérité des élections ou au principe d'égalité.
Les sénateurs requérants font état, sur ce point, de ce que le législateur n'avait pas souhaité, lorsqu'il a adopté la loi n° 2007-128 du 31 janvier 2007, permettre le remplacement par le suppléant dans le cas des parlementaires élus au conseil général. Mais il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de compétence que lui assigne l'article 34 de la Constitution, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Dès lors qu'aucun principe de valeur constitutionnelle ne peut lui être opposé, le législateur peut toujours revenir sur un choix auquel il a antérieurement procédé. Au cas présent, le législateur pouvait ainsi, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation et sans méconnaître aucune règle constitutionnelle, disposer qu'un parlementaire élu conseiller général mais décidant de renoncer à ce dernier mandat pour cause de cumul des mandats serait dorénavant remplacé par son suppléant.
Ce faisant, le législateur n'a porté aucune atteinte à la liberté de choix des électeurs ou à la sincérité du scrutin. Depuis la loi du 31 janvier 2007, les électeurs votent, aux élections cantonales, pour un « ticket » de deux personnes ; ils connaissent le candidat et son suppléant et n'ignorent pas si le candidat est, par ailleurs, déjà parlementaire. On peut relever qu'il n'est pas inhabituel que les électeurs votent sans savoir exactement quels sont ceux ou celles qui exerceront effectivement le mandat à l'issue de l'élection : tel est, en effet, la situation pour tous les scrutins de liste comme, par exemple, pour les élections européennes : l'expérience a montré, pour ces élections, que certaines « têtes de liste » qui s'étaient présentées et qui avaient été élues ont finalement renoncé à siéger au Parlement européen. Les choix qui sont ainsi effectués par les élus ne peuvent être regardés comme constitutifs de « manœuvres ». La loi déférée ne peut donc être critiquée de ce point de vue.
Par ailleurs, on peine à voir en quoi la loi déférée serait de nature à porter atteinte au principe d'égalité entre les candidats, selon qu'ils sont parlementaires ou non. Les uns et les autres sont identiquement traités au regard du suffrage.
Sans doute la loi déférée a-t-elle pour effet, en faisant référence au seul article LO 151-1 et non aussi à l'article LO 151, de créer une asymétrie entre la situation du parlementaire élu conseiller général frappé par le cumul qui décide d'abandonner son second mandat, cas où le suppléant de l'autre sexe le remplacera, et la situation du conseiller général élu parlementaire qui renonce à son premier mandat, cas où se déroulera une élection partielle.
Un tel traitement asymétrique ne traduit toutefois pas une rupture du principe d'égalité. La loi régit deux situations différentes, dans lesquelles l'ordre des élections est chronologiquement inversé. La loi ne traite pas différemment des personnes qui seraient placées dans une situation identique.
L'asymétrie retenue par le législateur, au demeurant, se justifie par la considération suivante : il n'est pas illégitime de renoncer à organiser une élection partielle très peu de temps après les élections générales qui ont pourvu au mandat considéré, en prévoyant qu'alors le suppléant remplace le candidat élu qui a démissionné pour cause de cumul des mandats à la suite de ces élections générales. En revanche, il se comprend moins de ne pas organiser d'élection partielle longtemps après les élections générales, lorsqu'un conseiller général a exercé son mandat pendant un temps avant de devenir parlementaire à l'occasion d'élections législatives ou sénatoriales ultérieures.
3 ° Enfin, le Gouvernement estime que la loi déférée satisfait pleinement aux exigences constitutionnelles tenant à la clarté et à l'intelligibilité de la loi.
Contrairement à ce que soutiennent les sénateurs requérants, la loi déférée n'accroît aucunement la complexité de la loi électorale. Elle se borne à substituer une règle à une autre en cas de démission d'un parlementaire élu conseiller général de ce dernier mandat pour cause de cumul. L'article unique de la loi est clair et intelligible et ne porte aucune atteinte à la sécurité juridique.
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Pour ces raisons, le Gouvernement considère qu'aucun des griefs articulés par les sénateurs requérants ne peut justifier la censure des dispositions de la loi facilitant l'égal accès des hommes et des femmes au mandat de conseiller général. Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.