Décision n° 2007-558 DC du 13 décembre 2007 - Saisine par 60 sénateurs
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.
A l'appui de cette saisine, nous développons les griefs suivants.
A titre liminaire, les auteurs de la saisine entendent rappeler leur attachement aux principes constitutionnels qui garantissent le droit à la santé pour tous et l'égalité devant la solidarité nationale et les charges publiques. Ces principes issus notamment du 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et de l'article XIII de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 doivent conduire en toutes circonstances le législateur à concilier les améliorations apportées à la qualité des soins pour tous et à l'organisation du système de santé sur tout le territoire, d'une part, tout en recherchant les modalités d'un système de financement solidaire et pérenne y contribuant, d'autre part.
La responsabilisation des acteurs du système de santé et singulièrement des assurés sociaux ne peut conduire à cet égard ni à une moindre protection sociale pour les plus démunis ou pour les malades, ni à un système de sécurité sociale à vocation répressive.
La maîtrise des dépenses de santé se doit de respecter les normes constitutionnelles qui s'attachent à l'équilibre financier de la sécurité sociale. Pour autant, elle ne peut devenir un régime de régulation strictement comptable.
La conciliation entre ces différents principes est indispensable pour éviter en particulier un déséquilibre finalement préjudiciable au principe d'égalité. Mais elle ne peut aboutir à des dispositions qui contraignent tout assuré social, quel que soit son niveau de revenus, quels que soient ses problèmes de santé et les motifs de recours à tel ou tel professionnels, à une contribution obligatoire derrière laquelle se profile un système de protection sociale à deux vitesses.
Tout comme elle ne peut aboutir à une contribution qui remettrait en cause le principe même de solidarité entre l'ensemble des assurés sociaux quel que soit leur état de santé au profit d'un système où seraient appelées à contribuer de façon spécifique les seules personnes malades au risque de porter atteinte finalement au principe d'égalité.
A cet égard, les contributions forfaitaires mises en œuvre dans le cadre de l'article 52 constituent une double atteinte caractérisée au droit à la santé constitutionnellement garanti et au principe d'égalité.
Cet article complète l'article L 322-2 du code de la sécurité sociale et prévoit que les assurés sociaux acquitteront une contribution forfaitaire, dénommée franchise, pour les frais relatif aux médicaments mentionnés aux articles L 5111-2, L 5121-1 et L 5126-4 du code de la santé publique, à l'exception de ceux délivrés au cours d'une hospitalisation, aux actes effectués par un auxiliaire médical, à l'exclusion de ceux effectués au cours d'une hospitalisation, aux transports mentionnés au 2 ° de l'article L 321-1 du code de la sécurité sociale à l'exception des transports d'urgence.
Cette contribution forfaitaire s'applique aux prestations et produits de santé pris en charge par l'assurance maladie. Son montant est fixé par décret et peut être différent selon les produits de santé ou les prestations concernés. En réalité, il apparaît que cet article ne crée pas une franchise mais plus exactement trois franchises, dans la mesure où son montant dépend de la prestation ou du produit de santé.
Le fait qu'un plafond annuel de la franchise, lui aussi fixé par décret, s'applique à l'ensemble des contributions quel que soit son champ d'application, ne saurait signifier qu'il s'agisse d'une seule et même franchise. Ainsi, des plafonnements journaliers fixés par décret sont mis en œuvre pour les actes paramédicaux d'une part, et pour les transports sanitaires d'autre part.
Cet article crée donc trois franchises qui s'appliquent à des prestations de nature différentes. Le fait de les présenter comme le moyen de faire face à des nouveaux besoins de santé publique concernant la maladie d'Alzheimer, les soins palliatifs et le cancer, leur confère en apparence un caractère indissociable. En réalité, elles n'ont qu'un caractère cumulatif indépendamment du plafond global annuel.
Ces contributions constituent des tickets modérateurs d'ordre public dont le montant aujourd'hui annoncé à 50 centimes d'euros ou à 2 euros selon les cas, peut demain être ajusté à la hausse en application des procédures d'alerte prévue par la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie, face à une évolution de l'Objectif national des dépenses de santé supérieure d'au moins 0,75 % par rapport à la norme fixée par le Parlement.
Aujourd'hui, l'Union nationale des caisses d'assurance maladie peut décider de l'admission au remboursement des actes et prestations, de fixer le niveau de remboursement en déterminant le montant du forfait hospitalier, celui du ticket modérateur et celui de la participation forfaitaire sur les actes et consultations. Demain, elle pourra également fixer les niveaux et les plafonds de chaque franchise créée par l'article 52.
Le processus de décision au sein du conseil d'administration de l'Union nationale des Caisses d'assurance maladie permet une modification du niveau de prise en charge des soins par la collectivité nationale sans intervention du ministre en charge de la sécurité sociale, ni vote du Parlement. Le ministre ne peut s'opposer aux décisions de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie que pour des motifs de santé publique.
Globalement, l'Union nationale des caisses d'assurance maladie prend la décision de réduire la prise en charge par la collectivité des dépenses d'assurance maladie. Dans la limite des bornes fixées par l'article 52 aux nouvelles contributions demandées aux assurés sociaux, rien ne s'oppose à une augmentation de leur montant, sans intervention ni contrôle du législateur.
Ces trois franchises sont des contributions forfaitaires obligatoires pesant sur tous les assurés sociaux sans considération de leur situation objective et rationnelle. Elles portent atteinte, d'une part au droit à la santé et à la protection sociale, tel que reconnu par le 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, et d'autre part au principe d'égalité.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel a régulièrement, et encore très récemment, rappelé les obligations faites au législateur d'une part et au pouvoir réglementaire d'autre part pour concilier et respecter ces principes.
1 - Sur le droit à la protection de la santé
La décision n° 2002-463 DC du 12 décembre 2002 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 a indiqué que le niveau du tarif forfaitaire dit de responsabilité devait être fixé à un niveau tel que ne soient pas remises en cause les exigences constitutionnelles relatives à la protection de la santé (considérant 21 et 22)
De même, la décision n° 2004-504 DC du 12 août 2004 a précisé que la participation forfaitaire pour certains actes ou consultations médicaux pris en application du II de l'article L 322-2 du code de la sécurité sociale devait être fixée à un niveau tel que ne soient pas remises en cause les mêmes exigences (considérant 19).
Dans cette même décision, la majoration en application de l'article L 162-5-3 du code de la sécurité sociale pour un patient n'ayant pas choisi de médecin traitant ou consultant un autre médecin sans prescription de son médecin traitant ne peut pas également être fixée à un niveau pour lequel les exigences du 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 seraient alors méconnues.
Il apparaît à la lecture de cette jurisprudence constante et régulière que l'assuré social ne peut pas être la variable d'ajustement de la politique de protection sociale. Les franchises proposées par l'article 52 s'ajouteraient pourtant désormais à la contribution rationnelle et proportionnelle pouvant être établie au titre du I de l'article L 322-2 du code de la sécurité sociale et à la participation forfaitaire prévue au titre du II du même article.
Le cumul de toutes les contributions à la charge de l'assuré, définies à l'article L 322-2 du code de la sécurité sociale, tel que complété par l'article 52 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, peut désormais aboutir à un reste à charge pour les assurés sociaux d'un niveau très élevé de nature à réduire radicalement la dimension solidaire de la protection sociale. Ceci est renforcé par le fait que le législateur a clairement affiché son intention de ne pas inciter les organismes complémentaires d'assurance santé d'inclure dans leurs contrats l'assurance du dispositif de franchises de l'article 52, comme cela est déjà le cas pour la participation définie au II de l'article L 322-2 du Code de la sécurité sociale.
Mécaniquement, elles seront plus coûteuses pour les personnes disposant de faibles ressources mais aussi et surtout pour les personnes les plus malades. De telles contributions au montant non défini dans la loi peuvent, par additions répétées selon l'état de santé des patients, représenter une somme qui dans certains cas s'avérera financièrement insupportable.
Ces trois contributions obligatoires concernent les assurés sociaux indépendamment de leur niveau de ressources. Il est de plus inexact de soutenir qu'elles peuvent contribuer au but de responsabiliser les assurés sociaux. Le rapport du Haut Conseil de l'assurance maladie, préalable à la loi de 2004 relative à l'assurance maladie indiquait notamment que « l'introduction d'un reste à charge systématique, c'est-à-dire automatiquement lié à chaque produit consommé ou à chaque acte exécuté, sous forme de franchise, de ticket modérateur, ne paraît pas un moyen pertinent pour orienter la consommation de soins ».
En revanche les effets d'exclusion que portent en elles de telles contributions obligatoires ne font pas de doute. Ils seront renforcés par l'augmentation inéluctable des nouvelles dépenses de santé pour lesquelles elles doivent contribuer au financement. L'augmentation des trois contributions obligatoires est d'ores et déjà programmée. L'atteinte au principe constitutionnel de protection de la santé n'en est que plus élevé.
2 - Sur le principe d'égalité
Le Conseil constitutionnel a déjà indiqué que la situation des assurés sociaux peut varier en fonction du régime d'assurance maladie obligatoire dont ils relèvent, mais que dans ces circonstances les différences de traitement qui en résultent quant à la part des dépenses de santé susceptibles de rester à leur charge ne sont que la conséquence de la différence de situation (décision n°91-296 DC du 29 juillet 1991). En l'espèce les différences de reste à charge entre les assurés sociaux dépendent du régime de sécurité sociale aux-quels ils sont affiliés pas de leur état de santé personnel ou de celui de leurs ayants droits.
Autrement dit, toute contribution, tout ticket modérateur d'ordre public qui ne tiendrait pas compte des différences objectives de situation des assurés sociaux sur la base de critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi, serait voué à la censure, car contraire au principe d'égalité.
En l'occurrence, aucun critère objectif et rationnel fondé sur une quelconque différence de situation des assurés sociaux n'encadre le nouveau dispositif de participation forfaitaire. Par définition, ce sont simplement les personnes les plus malades qui paieront ces nouvelles contributions. Un tel critère ne peut être considéré comme objectif et rationnel au regard de la nécessité de prendre en charge de nouvelles dépenses de santé publique, ni au regard de la volonté de responsabiliser les assurés sociaux.
Les nouvelles franchises créées par l'article 52 s'appliqueront sans que la situation des assurés sociaux concernés ne justifie qu'ils payent ces nouvelles contributions au regard du principe d'égalité. Elles s'appliquent sans tenir compte au travers de critères objectifs et rationnels de la réalité de la situation des assurés sociaux.
L'exemple des personnes en situation de handicap est de ce point de vue très révélateur. C'est en vain que peuvent être mis en évidence les critères objectifs et rationnels qui conduisent à les soumettre à ces franchises. Par définition ces personnes sont plus vulnérables et de ce fait se trouvent davantage pénalisées par les nouvelles franchises.
Elles viennent concrétiser la protection sociale inversée, c'est-à-dire proportionnelle à l'état de santé de chacun. Plus les personnes seront malades, plus elles paieront et ce quelles que soient leurs ressources.
La dimension solidaire de notre système de protection sociale est brutalement remise en cause. Les débats parlementaires ont, concernant notamment la franchise sur les médicaments, apporté la démonstration que les malades payaient pour les malades et que par voie de conséquence les assurés sociaux, fort heureusement en bonne santé, se trouvaient finalement épargnés d'une contribution obligatoire.
L'exemple des personnes victimes d'accidents du travail ou atteintes de maladies professionnelles est également très révélateur de ce point de vue. Le fait de leur appliquer les contributions porte atteinte aux principes fondamentaux de la responsabilité et de la réparation du dommage corporel. Les victimes du travail sont titulaires d'un droit à réparation et d'une prise en charge ne relevant pas de l'assurance maladie mais de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, financée par les entreprises.
Par l'instauration de nouvelles franchises médicales, elles sont ainsi amenées à financer elles-mêmes une partie des soins nécessités par leur accident ou leur maladie professionnelle. Elles reviennent à mettre à contribution les victimes du travail pour des soins nécessités par la réalisation de risques professionnels imputable à un tiers. L'article 52 remet en cause le principe selon lequel tout fait quelconque d'une personne, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. L'instauration des franchises médicales vient en effet amputer une partie de la réparation des victimes du travail au titre des dépenses de santé et porte atteinte au principe de la gratuité des soins dont elles bénéficient.
Elles mettent à la charge de la victime d'un dommage corporel une partie du préjudice subi. Pire encore puisque les victimes d'accident du travail bénéficiant de la dispense d'avance de frais pour les dépenses de médicaments et les frais paramédicaux, les sommes dues au titre de la franchise pourront être, soit récupérées lors d'une prestation à venir, soit versées directement par l'assuré à l'organisme d'assurance maladie. Aucune justification ne permet d'expliquer que la victime du travail soit contrainte de prendre à sa charge un élément quelconque du préjudice subi.
Au-delà de la situation des victimes d'accidents du travail ou des personnes atteintes de maladies professionnelles, c'est bel et bien tous les principes généraux de système de protection sociale qui sont bouleversés sans que les ruptures du principe d'égalité qui en résultent ne soient justifiées pour régler de façon différente des situations différentes, ni que les dérogations à ce principe ne soient justifiées par des raisons d'intérêt général. Les différences qui résultent entre les personnes malades d'une part, et les assurés sociaux en bonne santé d'autre part, ne sont pas en rapport direct avec l'objet de responsabilisation des patients, ni avec celui de prendre en charge de nouveaux besoins de santé publique.
La recherche de l'équilibre financier global de la sécurité sociale ne peut à lui seul justifier une contribution obligatoire qui pèserait sur chaque assuré social en fonction de sa « participation » à l'éventuel dépassement des objectifs de financement de l'assurance maladie.
De même, la recherche de l'équilibre financier de la sécurité sociale ne peut reposer sur les assurés sociaux qui sont atteints de telle ou telle pathologie, au profit des personnes en bonne santé, sauf à considérer que finalement certains risques seraient à l'avenir pris en charge par l'assurance maladie et d'autres ne le seraient plus. La référence faite, dans les travaux parlementaires sur l'article 52, à la nécessité de prendre en charge de nouveaux besoins de santé publique ne peut se faire au détriment de la couverture maladie actuelle.
Le débat qui surgit au travers de l'article 52 sur la notion de petits risques et de risques plus importants conduit à un risque d'arbitraire, d'autant plus inacceptable qu'un droit fondamental est en jeu. De ce point de vue, les différences de traitement qui en résultent entre les assurés sociaux n'étant fondées que sur le fait d'être plus ou moins en bonne santé, une telle notion ne peut pas être considérée comme un critère objectif et rationnel.
Ainsi, le mécanisme des franchises créées par l'article 52 conduit à diminuer la part de remboursement des assurés sociaux au moyen d'un système très disproportionné par rapport au but recherché.
Pour l'ensemble de ces raisons, l'article 52 ne peut qu'être censuré.
En conclusion, les auteurs de la saisine entendent également rappeler leur attachement au respect des normes issues de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociales. A ce titre, il appartient au Conseil constitutionnel d'exercer une vigilance toute particulière en ce qui concerne la sincérité des prévisions de recettes et des objectifs de dépenses d'assurance maladie d'une part, et le domaine des lois de financement de la sécurité sociale d'autre part, pour que les lois de financement ne deviennent pas des lois portant diverses dispositions d'ordre social, pour que les dispositions de la loi organique ne soient pas détournées de leur objet. Les lois de financement ne peuvent être entachées d'erreur manifeste d'appréciation et ne peuvent devenir des lois portant diverses dispositions d'ordre social. Les auteurs de la saisine entendent rappeler leur attachement à voir la vigilance du Conseil constitutionnel s'exercer pleinement en cette double matière.