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Décision n° 2007-558 DC du 13 décembre 2007 - Réplique par 60 députés

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2008
Non conformité partielle

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
2 rue Montpensier
75 001 Paris.
Les observations présentées par le Gouvernement en défense de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 ne peuvent sérieusement convaincre. Elles esquivent, en effet, l'essentiel des questions posées par le recours et feignent d'ignorer la véritable portée du dispositif créé par l'article 52.
Pour autant, les contributions forfaitaires à la charge des assurés sociaux, qu'elles portent sur les prestations ou les produits de santé, ne sont pas des contributions comme les autres, dans la mesure où elles pèsent sur tous les assurés sociaux sans considération de leur situation objective et rationnelle.
Loin de servir les objectifs annoncés de responsabilisation des assurés sociaux et d'équilibre financier de la sécurité sociale, aux fins de dégager des recettes nouvelles pour financer la prise en charge des besoins nouveaux en terme de santé publique, ce dispositif conduit à une forme d'arbitraire où les assurés sociaux sont mis à contribution en fonction de leur état de santé personnel ou ceux de leurs ayants droits, et non en fonction du régime de sécurité sociale auxquels ils sont affiliés.
Sans revenir sur l'ensemble des arguments de leur recours, les requérants entendent donc répliquer en précisant certains points parmi les plus importants.
1/ Sur l'atteinte aux exigences du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 résultant de l'article 52
En faisant référence à la décision n°2004-504 du 12 août 2004 sur l'article 20 de la loi n°2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie, le Gouvernement omet de rappeler les réserves formulées sur le niveau de la participation forfaitaire prévue au II de l'article L 322-2 du code de la sécurité sociale et sur le niveau qu'elle ne doit pas dépasser au risque de remettre en cause l'accès aux soins et la protection de la santé.
Si le Gouvernement a indiqué au cours des débats parlementaires que les montants des contributions fixés par décret ne remettront pas en cause les exigences constitutionnelles résultant du Préambule de la Constitution de 1946, il est aisé de conclure a contrario que de tels risques existent potentiellement.
La référence faite par le Gouvernement à l'article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 ne saurait servir de garantie au respect du principe constitutionnel de protection de la santé. En effet, cet article, détaché de l'article 52, impose la délivrance par le pharmacien de médicaments sous un grand conditionnement, à condition que ce dernier existe. Si tel n'est pas le cas, cette obligation faite au pharmacien ne permet en aucune façon d'atténuer l'effort ainsi imposé aux patients atteints d'une pathologie chronique.
De même, la référence faite à l'existence d'un dispositif d'aide au paiement d'une complémentaire santé créé par la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie ne peut être retenue. Ce dispositif, antérieur à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, ne peut autoriser l'augmentation des participations de chaque assuré social et justifier l'accroissement du reste à charge ainsi que les difficultés d'accès aux soins qu'il implique.
Par ailleurs, l'insistance du Gouvernement a montré que l'effort demandé aux assurés sociaux sera limité n'a de sens que si le pouvoir réglementaire fixe le montant et le plafond des différentes contributions à un niveau qui ne remettent pas en cause le droit à la santé constitutionnellement garanti.
En l'espèce la loi n'apporte pas les garanties suffisantes en la matière, et ce d'autant plus que les participations forfaitaires prévues par l'article 52 s'ajoutent à d'autres comme celle résultant de l'article 56 de la loi n°2005-1579 de financement de la sécurité sociale pour 2006 et qu'elles sont appelées à contribuer au financement de besoins de santé publique en expansion rapide à court et moyen terme.
Finalement, le Gouvernement reconnaît lui-même dans ses observations, que le taux moyen de remboursement des soins de ville devrait être réduit d'un point sous l'effet des nouvelles participations forfaitaires. La comparaison faite par le Gouvernement avec les autres pays de l'OCDE ne peut servir de justification à une remise en cause des principes constitutionnels issus du Préambule de la Constitution de 1946.
Au total, ces contributions compromettent effectivement l'accès aux soins et contreviennent ainsi aux exigences constitutionnelles de protection de la santé.
Le risque d'exclusion et d'arbitraire pour les assurés sociaux est renforcé par les dispositions de l'article 54 de la loi de financement pour la sécurité sociale pour 2008. En application de cet article, les bénéficiaires de la protection complémentaire de santé, telle que définie à l'article L 861-1 du code de la santé publique, perdraient une partie des avantages de cette protection et du dispositif du tiers payant dans l'hypothèse où ils n'auraient pas procédé au choix d'un médecin traitant. Il ressort de l'article 54 que les conditions ainsi imposées aux bénéficiaires de la couverture maladie universelle constituent une contrainte supplémentaire à celles exigées aux autres assurés sociaux, qui entraînent une remise en cause de l'accès aux soins sans que les critères objectifs et rationnels permettant de la justifier ne soient effectivement établis.
En l'occurrence, le principe d'égalité est également contrarié. Les dispositions de l'article 54 entraînent, elles aussi, un risque de protection sociale inversée dans la mesure où les exigences faites aux bénéficiaires de la CMU sont plus contraignantes que celles faites aux autres assurés sociaux, sans autre considération que la faiblesse de leurs ressources.
2/ Sur l'atteinte au principe d'égalité résultant de l'article 52
Le Gouvernement rappelle qu'il ne résulte pas du principe d'égalité l'obligation de traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes. Il omet de préciser que dans cette circonstance, la différence doit être fondée sur des critères objectifs et rationnels.
Il aurait pu aussi rappeler qu'il est toujours loisible au législateur de déroger au principe d'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
Le Gouvernement n'apporte aucun éclaircissement sur la nature des critères objectifs et rationnels justifiant une quelconque différence de traitement entre les personnes malades d'une part, et les personnes en bonne santé d'autre part. Le mécanisme des participations forfaitaires ne conduit qu'à ce que les malades payent pour les malades, sans qu'il soit démontré qu'être atteint d'une pathologie chronique ou non soit un critère objectif et rationnel au regard du principe d'égalité.
En l'occurrence, le législateur confère aux participations forfaitaires un double objectif, celui de concourir à la responsabilisation des assurés sociaux d'une part et celui de contribuer à l'équilibre financier de la sécurité sociale d'autre part, dans le but de financer des nouveaux besoins de santé publique.
La comparaison faite par le Gouvernement dans ses observations entre la contribution instituée par l'article 20 de la loi n°2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie et les nouvelles contributions forfaitaires fixées par l'article 52 ne peut être retenue.
En effet, à la différence de cette contribution, les participations issues de l'article 52 portent sur des prescriptions pour lesquelles la responsabilité du seul médecin prescripteur est engagée et engageable. Ceci est singulièrement vrai pour les prescriptions pharmaceutiques. Il est illusoire d'imaginer que le patient exerce une quelconque responsabilité sur la prescription et le contenu de l'ordonnance qui lui est délivrée.
L'objectif de responsabilisation des assurés sociaux est par conséquent inatteignable notamment en ce qui concerne la consommation de médicaments. Le bénéficiaire de soins se trouve mécaniquement sanctionné sans qu'il ne puisse adapter son comportement tant du point de vue du droit que du point de vue des faits. L'exigence de responsabilisation est dénaturée. L'objet retenu par le Gouvernement ne peut pas être invoqué pour justifier la dérogation au principe d'égalité.
Ce premier objet de la loi devant être écarté pour justifier la dérogation au principe d'égalité, ne reste que la contribution à l'équilibre financier de la sécurité sociale afin de dégager des recettes nouvelles pour améliorer la prise en charge des maladies dues au vieillissement et développer les soins palliatifs.
En l'espèce, l'atteinte au principe d'égalité résulte d'un moyen sans proportion avec l'objet de la loi. L'évolution inéluctable des nouvelles dépenses de santé que les participations forfaitaires sont censées couvrir renforce la crainte des requérants de voir la contribution des seuls assurés sociaux malheureusement malades ou de leurs ayants droits s'accroître et ce quelles que soient leurs ressources.
Le mécanisme des participations financières est hors de proportion par rapport à la recherche de l'équilibre financier de la sécurité sociale, sauf à considérer que le montant et le plafond des contributions forfaitaires s'accroissent en raison des nouveaux besoins de financement qu'elles doivent contribuer à prendre en charge. Les participations forfaitaires issues de l'article 52 constituent de ce point de vue un moyen disproportionné par rapport à cet objectif de prise en charge des besoins nouveaux.
La dérogation au principe d'égalité qui en résulte n'est pas justifiable au regard de cet objet. La recherche de l'équilibre financier de la sécurité sociale ne peut justifier d'accroître le reste à charge des assurés sociaux, singulièrement sur la prescription de médicaments sur laquelle ils ne peuvent agir, uniquement parce qu'ils ont la malchance d'être en mauvaise santé, d'être atteints d'une pathologie chronique, d'être victime d'un accident du travail ou encore de souffrir d'une maladie professionnelle.
Le risque d'arbitraire est trop fort pour les assurés sociaux dans un tel système de protection sociale inversement proportionnelle à l'état de santé de chacun et l'article 52 doit être censuré.