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Décision n° 2006-542 DC du 9 novembre 2006 - Observations du gouvernement

Loi relative au contrôle de la validité des mariages
Conformité

Paris, le 23 octobre 2006
OBSERVATIONS DU GOUVERNEMENT
SUR LES RECOURS DIRIGES CONTRE LA LOI RELATIVE
AU CONTROLE DE LA VALIDITE DES MARIAGES
Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi relative au contrôle de la validité des mariages, adoptée le 12 octobre 2006.
Les recours mettent en cause les articles 3 et 7 de la loi. Ils appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
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I/ SUR L'ARTICLE 3
A/ L'article 3 de la loi déférée crée un nouveau chapitre II bis dans le titre V du code civil. Les nouveaux articles 171-1 à 171-8, qui se substituent aux articles 170 et 170-1, instituent un dispositif de contrôle des mariages des ressortissants français à l'étranger. La loi déférée soumet, d'abord, les mariages des Français à l'étranger aux exigences de forme qui s'appliquent aux mariages célébrés en France. Elle organise, ensuite, la procédure à suivre lorsqu'il existe, dans la phase préalable à la célébration du mariage, des indices sérieux laissant présumer que le mariage envisagé encourt la nullité, et détermine dans quelles conditions le procureur de la République peut s'opposer à cette célébration. La loi déférée améliore, enfin, le contrôle de la validité des mariages après leur célébration à l'étranger et érige, en particulier, à cette fin, la transcription du mariage en condition de son opposabilité du mariage aux tiers.
Les députés et sénateurs auteurs des recours invoquent, à l'encontre de ces dispositions, le respect de la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789. Ils font en particulier valoir que, compte tenu de la durée des délais laissés au procureur de la République pour exercer les pouvoirs qui lui sont confiés de s'opposer à la célébration du mariage ou à sa transcription, il est porté une atteinte excessive à cette liberté et au droit à la vie privée et familiale.
B/ Cette argumentation sera écartée.
1/ Les critiques portant, en premier lieu, sur les dispositions de l'article 3 de la loi déférée relatives à la phase antérieure à la célébration du mariage ne pourront être retenues.
Il convient de souligner que la loi déférée se borne, en substance, s'agissant des formalités préalables à la célébration du mariage, à aligner les conditions que doivent remplir les Français qui désirent se marier à l'étranger sur celles exigées des personnes qui souhaitent se marier en France.
Si les intéressés doivent obtenir de l'autorité diplomatique ou consulaire un certificat de capacité à mariage, la délivrance de ce certificat ne dépend que de l'accomplissement des prescriptions prévues de façon générale à l'article 63 du code civil. On peut relever, d'ailleurs, que la délivrance de ce certificat est déjà prévue par l'article 10 du décret n°46-1917 du 19 août 1946 sur les attributions des agents diplomatiques et consulaires en matière d'état civil. La réforme confère à la délivrance du certificat de capacité à mariage un caractère impératif et en tire des conséquences au regard des conditions de transcription du mariage.
En ce qui concerne la célébration du mariage, l'autorité étrangère souveraine pourra décider de célébrer le mariage en dépit de l'opposition du ministère public français. Toutefois, dans l'hypothèse où la règle de conflit de loi à laquelle elle est soumise lui imposera de respecter la loi française, elle devra refuser de célébrer le mariage. Dans ce cas, les futurs époux disposeront de la possibilité de contester l'opposition du procureur de la République devant le juge français dans les mêmes conditions, et avec les mêmes garanties, que celles applicables aux mariages célébrés en France.
Si l'autorité étrangère célèbre le mariage et que les époux n'ont pas préalablement obtenu la mainlevée de l'opposition, celle-ci ne sera susceptible d'avoir des conséquences que s'ils sollicitent ultérieurement la transcription de l'acte de mariage sur les registres de l'état civil français.
S'agissant de la procédure d'opposition, l'article 171-4 du code civil, dans sa rédaction résultant de l'article 3 de la loi déférée, crée, de la même manière, un mécanisme qui ne présente pas de différence sensible avec celui prévu, pour les mariages célébrés en France, par les dispositions de l'article 175-2 du code civil. Constatant l'existence d'indices sérieux laissant présumer que le mariage encourt la nullité, l'autorité consulaire saisit le procureur de la République qui dispose d'un délai de deux mois durant lequel il peut, par décision motivée, s'opposer à la célébration du mariage. Cette décision peut être contestée devant le tribunal de grande instance qui se prononce dans les dix jours conformément aux dispositions des articles 177 et 178 du code civil. La procédure ainsi envisagée est similaire à celle que le Conseil constitutionnel n'a pas regardée comme portant une atteinte excessive à la liberté du mariage (décision n°2003-484 DC du 20 novembre 2003).
S'agissant, en particulier, de la durée des délais, le mécanisme prévu par la loi déférée n'est pas moins protecteur que celui figurant à l'article 175-2 du code civil : le procureur de la République est tenu de se prononcer sous deux mois pour un mariage célébré à l'étranger alors qu'il peut décider de surseoir à la célébration d'un mariage en France pour une période d'un mois renouvelable une fois. La différence entre les deux mécanismes s'explique par la prise en compte des distances s'agissant des mariages célébrés à l'étranger. On doit souligner que la durée maximum du délai d'intervention du procureur de la République est de deux mois et demi s'agissant d'un mariage célébré en France, compte tenu du délai initial de quinze jours qui lui est accordé pour prendre une première décision par les dispositions de l'article 175-2 du code civil, alors qu'il n'est que de deux mois dans le mécanisme organisé par la loi déférée.
Le dispositif de l'article 3 de la loi déférée permettant au procureur de la République de s'opposer à un mariage n'encourt donc pas les critiques qui lui sont adressées par les députés et sénateurs saisissants.
2/ En ce qui concerne, en second lieu, la phase postérieure à la célébration du mariage, les reproches adressés par les recours à l'article 3 de la loi déférée ne sont pas davantage fondés.
L'article 171-5 du code civil issu de cet article prévoit que, pour être opposable aux tiers en France, l'acte de mariage d'un Français célébré par une autorité étrangère doit être transcrit sur les registres de l'état civil français. En l'absence de transcription, le mariage ne produit ses effets civils en France qu'à l'égard des époux et des enfants.
La transcription était déjà requise, d'une part, pour souscrire la déclaration de l'article 21-2 du code civil, en vertu de l'article 14 du décret n°93-1362 du 30 décembre 1993 relatif à la manifestation de volonté, aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, et, d'autre part, dans certaines hypothèses, pour obtenir un titre de séjour, par application des dispositions des 4 ° de l'article L. 313-11 et 1 ° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France. La condition de transcription est seulement étendue : elle doit désormais être remplie pour que le mariage soit opposable aux tiers.
A cet égard, il convient d'insister, d'une part, sur le fait que cette nouvelle condition de transcription ne porte que sur les effets du mariage d'un Français à l'étranger et non sur sa célébration. Ce mariage conserve, d'autre part, en tout état de cause, sa portée dans l'Etat dans lequel il a été célébré. La réduction des effets du mariage faute de transcription est, enfin, limitée à la seule opposabilité aux tiers. L'absence de transcription du mariage célébré à l'étranger demeure sans incidence sur les effets civils du mariage entre époux : ceux-ci sont tenus par les droits et les devoirs du mariage, ils ont vocation alimentaire l'un envers l'autre et vocation successorale si cette vocation n'entre pas en concurrence avec les droits héréditaires de tiers (par exemple les enfants d'un premier lit). L'absence de transcription n'a pas davantage d'incidence sur les effets civils à l'égard des enfants et, en particulier, sur la filiation.
La privation des effets du mariage est donc limitée et proportionnée à l'un des objectifs poursuivis par le législateur qui est d'éviter le détournement de l'institution du mariage. Les règles fixées par la loi déférée ont ainsi en particulier pour but d'empêcher que des mariages de complaisance ou des mariages forcés, dont l'accroissement est sensible sur la période récente, ne soient contractés à l'étranger dans le seul but de permettre à l'un des conjoints de s'en prévaloir en France.
Le législateur a distingué trois situations, en faisant dépendre les conditions de transcription de l'accomplissement par les intéressés des formalités préalables à la célébration du mariage.
Ainsi, en premier lieu, selon l'article 171-6 du code civil issu de l'article 3 de la loi déférée, lorsque le mariage a été célébré malgré l'opposition du procureur de la République, la transcription ne peut intervenir qu'après remise par les époux d'une décision de mainlevée judiciaire. Une telle exigence n'a rien d'excessif : en pareil cas les époux avaient été informés, avant la célébration de leur mariage, de ce que le procureur de la République s'opposait à celle-ci ainsi que des motifs de sa décision. Les intéressés disposaient de la possibilité de solliciter la mainlevée de cette opposition avant de se marier. Ils ont choisi de ne pas user de cette faculté de contestation avant la célébration du mariage mais il n'apparaît pas disproportionné de leur imposer d'obtenir une décision de mainlevée, après le mariage, pour obtenir la transcription de l'acte.
Lorsque, en deuxième lieu, l'ensemble des formalités préalables au mariage ont été accomplies, l'article 171-8 du code civil issu de la loi déférée prévoit que la transcription est de droit sauf si des éléments nouveaux fondés sur des indices sérieux laissent présumer qu'il encourt la nullité. Les intéressés, qui avaient accompli les formalités préalables à leur mariage célébré à l'étranger, bénéficient donc d'une présomption de régularité sauf éléments nouveaux de nature à remettre en cause cette présomption.
En vertu, en dernier lieu, du nouvel article 171-7 du code civil issu de l'article 3 de la loi déférée, lorsque le mariage a été célébré malgré l'absence de délivrance d'un certificat de capacité à mariage, la transcription doit être précédée de l'audition des époux. Si des indices sérieux laissent présumer que le mariage encourt la nullité, l'autorité diplomatique ou consulaire sursoit à la transcription et saisit le procureur de la République qui se prononce sur la transcription dans les six mois à compter de sa saisine. En l'absence de décision expresse ou en cas de refus de transcription, les époux peuvent saisir le tribunal de grande instance qui statue dans le mois, de même, en cas d'appel, que la cour.
Les députés et sénateurs auteurs des recours insistent sur le caractère disproportionné de ce délai maximum de huit mois qui ferait peser « une incertitude sur le mariage ». En réalité, ainsi qu'il a été dit, l'absence de transcription ne fait peser aucune incertitude sur le mariage lui-même : elle n'a d'impact que sur ses effets, et parmi eux sur sa seule opposabilité aux tiers. Le régime prévu par l'article 171-7 du code civil résultant de l'article 3 de la loi déféré apparaît, de surcroît, équilibré. Il est, en effet, conçu pour s'appliquer aux personnes qui n'ont pas demandé, avant leur mariage, un certificat de capacité à mariage. Sur le principe, il est donc justifié de ne pas les faire bénéficier de la présomption réservée par l'article 171-8 aux Français qui avaient obtenu la délivrance d'un tel certificat puisqu'ils ont omis d'accomplir les formalités préalables exigées par le code civil pour se marier à l'étranger. Les parlementaires ne peuvent, par ailleurs, faire valoir que le texte critiqué serait muet quant aux délais impartis à l'autorité diplomatique ou consulaire pour saisir le ministère public en cas de doute sérieux sur la validité du mariage puisqu'il est précisé qu'en pareil cas le ministère public est informé « immédiatement ».
S'agissant du délai de six mois accordé au procureur de la République pour se prononcer, on peut observer que le législateur n'a fait que reprendre le délai qui figurait à l'ancien article 170-1 du code civil. Certes, le nouveau mécanisme ne prévoit pas, à l'inverse de l'ancien, que, faute de décision au terme de ce délai, la transcription est acquise aux intéressés. Mais cet abandon de la règle de la transcription automatique à l'expiration du délai de six mois ne s'applique qu'au cas dans lequel le certificat de capacité à mariage n'avait pas été délivré avant la célébration. La transcription est de droit, dans les conditions prévues par l'article 171-8 du code civil, lorsque les formalités préalables à la célébration ont été accomplies. Le mécanisme de contrôle est donc seulement renforcé, dans l'hypothèse où les intéressés ont négligé ou se sont délibérément abstenus de s'acquitter des obligations préalables à la célébration du mariage, afin de vérifier si cette omission ne dissimule pas un mariage dont la validité serait susceptible de devoir être remise en cause. La contrepartie de ce renforcement est la garantie supplémentaire accordée aux personnes qui se trouvent dans la situation prévue par les dispositions de l'article 171-7 du code civil : ils bénéficient d'une voie de recours exceptionnelle devant le tribunal de grande instance puis, le cas échéant, devant la cour d'appel qui devront statuer chacun dans un délai d'un mois. Par comparaison, dans le système organisé par l'ancien article 170-1 du code civil, un refus de transcription opposé par le procureur de la République ne pouvait être contesté que suivant les voies de recours de droit commun.
Ainsi, le nouveau régime de transcription du mariage célébré à l'étranger par une autorité étrangère, issu de l'article 3 de la loi déféré, ne saurait mettre en cause la liberté du mariage dès lors, d'une part, que les conséquences du défaut de transcription sont strictement limitées à l'absence d'opposabilité aux tiers et que, d'autre part, le dispositif prévoit une gradation des exigences pesant sur les personnes réclamant la transcription d'un acte de mariage, qui est fonction de leur propre comportement dans l'accomplissement des formalités préalables à la célébration du mariage. Dans les trois hypothèses envisagées par le législateur, les obligations mises à la charge des intéressés sont proportionnées, pour chacune des situations, et encadrées par des garanties instituées en faveur des personnes concernées.
Dans ces conditions, le Gouvernement considère que ni le grief d'atteinte excessive à la liberté du mariage ni celui d'une méconnaissance du droit à la vie privée et à une vie familiale normale ne peuvent être retenus.
II/ SUR L'ARTICLE 7
A/ Le II de l'article 7 de la loi déférée substitue au mécanisme introduit aux alinéas deux à cinq de l'article 47 du code civil par la loi n°2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité un nouveau régime de contrôle de la régularité des actes d'état civil étrangers. Ce nouveau dispositif, inséré dans la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations à un nouvel article 22-1, prévoit qu'en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles après de l'autorité étrangère compétente. Le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet.
Les parlementaires auteurs des recours font valoir que ce délai de huit mois, en tant qu'il s'applique à une demande faite au titre du regroupement familial par un étranger résidant régulièrement en France, est excessif et qu'il porte, par suite, atteinte au droit à mener une vie familiale normale.
B/ Un tel grief n'est pas fondé.
On doit relever, en premier lieu, que le délai de huit mois institué par le
II de l'article 7 de la loi déférée n'est pas excessif, dès lors qu'il s'agit du seuil minimum en deçà duquel il est, en pratique, difficile d'obtenir une réponse de la part des autorités étrangères. L'efficacité du dispositif de vérification de l'authenticité ou de l'exactitude d'un acte d'état civil étranger repose, en effet, sur ces dernières qui doivent, elles-mêmes, disposer d'un délai d'examen suffisant pour fournir une réponse fiable aux autorités françaises.
En deuxième lieu, on peut observer que le législateur a réduit le délai maximum de vérification. L'application de l'ancien article 47 du code civil était en effet susceptible porter ce délai maximum jusqu'à 14 mois. Par comparaison également, les troisième et quatrième alinéas de l'article 34 bis de l'ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945, qui seront abrogés à compter de la publication des dispositions réglementaires du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, prévoient une période de vérification maximale de quatre mois renouvelable une fois s'agissant d'une personne qui forme une demande de visa.
Il faut souligner, enfin, que la procédure de vérification de la validité des actes d'état civil organisée par la loi déférée ne porte pas atteinte à la substance du droit au regroupement familial. Les nouvelles dispositions, qui remplacent un dispositif complexe et inadapté, visent seulement, à s'assurer, dans un délai raisonnable, de ce que les actes d'état civil produits au soutien, notamment, d'une demande de regroupement familial sont exacts et authentiques. Elles ne remettent nullement en cause les règles de fond qui conditionnent la mise en oeuvre de la procédure de regroupement familial.
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Pour ces raisons, le Gouvernement considère que les critiques adressées par les auteurs des recours ne sont pas de nature à justifier la censure de la loi déférée. C'est pourquoi il estime que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.