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Décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 - Réplique par 60 députés

Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information
Non conformité partielle

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
2 rue de Montpensier
75001 Paris
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous adresser le mémoire en réplique suivant en réponse aux observations du Gouvernement sur le recours dirigé contre la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.
Les longues observations présentées par le Gouvernement en défense ne peuvent sérieusement convaincre. Elles esquivent, l'essentiel, des questions posées, banalisant parfois à l'extrême les griefs invoqués.
Sans revenir sur l'ensemble des arguments de leurs recours, les requérants entendent répliquer en reprenant les points les plus importants.
I. Sur la procédure législative
Le Gouvernement se défend d'avoir procédé à des agissements contraires aux règles constitutionnelles régissant la procédure législative. Pour ce faire, il n'hésite pas à fournir une liste de précédents laissant à penser que le retrait d'un article de loi ayant fait l'objet d'amendements votés en cours de discussion serait une pratique courante sous la Vème République. Parmi les nombreux exemples cités par le Gouvernement pour se justifier, un seul présente en réalité une similitude avec la procédure contestée, c'est celui sur la loi sur les prix agricoles (1ère séance du 13 décembre 1961, JO AN, année 1961-1962 p. 5558). Il paraît dès lors singulièrement abusif aux requérants de pouvoir déduire de ce seul précédent que ce retrait s'inscrit dans « les prévisions de l'article 84 du règlement de l'assemblée nationale ».
Il convient d'ailleurs de noter que le Gouvernement a été dans l'impossibilité de trouver dans votre jurisprudence une décision susceptible de légitimer cette pratique puisqu'à l'époque, en 1961, les parlementaires n'avaient pas la faculté de vous saisir.
Par ailleurs, quand bien même, comme le plaide le Gouvernement le retrait de l'article 1er et le dépôt simultané de l'amendement n°272 auraient disparu du fait de la décision ayant « rapporté le retrait et la reprise du débat sur l'article 1er » (Observations du Gouvernement p. 5). Il convient de remarquer préalablement, que la « réintroduction » de l'article retiré ne se fonde ni sur la Constitution, ni sur le règlement de l'Assemblée nationale. Le Gouvernement a pris un acte et utilisé une procédure qui ne sont prévus nulle part dans la procédure parlementaire.
En tout état hypothèse, l'irrégularité constatée ne peut donc faire l'objet d'aucune régularisation car elle a conduit à priver les parlementaires de leur droit d'amendement.
Vos décisions sont claires à cet égard : « Le droit d'amendement, qui appartient aux membres du Parlement et au Gouvernement, doit pouvoir s'exercer pleinement au cours de la première lecture des projets et des propositions de loi par chacune des deux assemblées ; qu'il ne saurait être limité, à ce stade de la procédure et dans le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité ainsi que par la nécessité pour un amendement, quelle qu'en soit la portée, de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie. » (Décision n° 2006 534-DC du 16 mars 2006 ; Décision n°2006- 535-DC du 30 mars 2006 ; Décision n°2006- 532-DC du 19 janvier 2006).
Or, la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information entre exactement dans ce cadre. Au cours de la première lecture, le Gouvernement a pris des actes et utilisé une procédure qui ont indéniablement limité le droit d'amendement parlementaire. Cette limitation, à ce stade de la procédure, a porté atteinte aux exigences de clarté et de sincérité du débat et ne résultait d'aucune règle de recevabilité. La procédure suivie pour l'adoption du projet de loi s'avère donc directement contraire à votre jurisprudence.
Ce faisant le Gouvernement a manifestement mis à mal votre contribution au « bon déroulement du débat démocratique » issue de la réforme de 1974. En effet, conscient que les lois mal débattues sont de mauvaises lois, vous n'avez eu de cesse de plaider pour une procédure parlementaire plus sincère et plus rationnelle.
Les requérants souhaitent, à nouveau, rappeler que le Gouvernement porte l'entière responsabilité de l'organisation d'un travail parlementaire précipité et confus, déclarant l'urgence sur un projet de loi, le 4 octobre 2005, alors que celui-ci était déposé depuis le 12 mai 2003, amendant dans la démesure et ce de manière répétée (amendements du Gouvernement déposé le 20 décembre n°225, 227, 228, 228 rect, 229, 230 et 231, 232 déposés après la commission à l'article 88) en méconnaissance du deuxième alinéa de l'article 39 la Constitution qui veut que le Conseil d'Etat ait été préalablement consulté (Décision n° 2003-468 DC du 3 avril 2003).
L'usage abusif fait par le Gouvernement de son droit d'amendement est d'ailleurs tel qu'il a fait, y compris, l'objet d'une vive critique du Président de l'Assemblée nationale : « Ainsi il n'est pas rare qu'en plein milieu de la discussion du projet de loi, le Gouvernement amende lui-même son propre projet se rendant compte qu'il est mal rédigé. A titre d'exemple, j'évoquerai le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées ou bien encore celui relatif au droit d'auteur. Au cours du débat sur ce dernier texte, le Gouvernement a présenté deux amendements de quatre pages ! » (Discours du 3 janvier 2006, Voeux de Jean-louis Debré et du Bureau au Président de la République)
En outre, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, l'ensemble de ces procédés n'a pas permis de contribuer à la clarté des débats, aucun texte n'a obtenu aussi peu de suffrages à l'occasion d'un vote solennel au cours de la XII°législature en première lecture.
Enfin, en totale méconnaissance avec les engagements pris à maintes reprises par M. le ministre de la culture et de la communication (JO AN, N°22 A.N. CR, vendredi 10 mars, première séance p.1701, 1704, deuxième séance, 1709, 1712, 1716, 1724), le Gouvernement a limité le débat à une lecture dans chaque chambre alors que nul ne conteste que le projet de loi est ressorti « substantiellement modifié de son passage devant la chambre haute » (Editorial de Christophe Caron, Revue mensuelle LexisNexis Jurisclasseur, Communication, Commerce électronique, juin 2006, p.1), faisant le choix de convoquer une commission mixte paritaire.
C'est d'ailleurs pourquoi, lors de la commission mixte paritaire, il a été adopté pas moins de 55 amendements aboutissant à réécrire des dispositions essentielles de la loi aboutissant à ce que de trop nombreux articles arrêtés « sans avoir fait l'objet d'un examen lors des lectures antérieures à la réunion de la commission mixte paritaire » (Décision N° 98-403 DC du 29 juillet 1998).
Certes, au terme de votre jurisprudence, le droit d'amendement doit pouvoir s'exercer pleinement au cours de la première lecture, par chacune des deux assemblées parlementaires, des projets et des propositions de loi. Mais c'est à la condition cependant que les amendements, y compris ceux déposés par le Gouvernement, ne soient pas dépourvus de tout lien avec l'objet du projet ou de la proposition déposé sur le bureau de la première assemblée saisie, et que les exigences constitutionnelles de clarté et de sincérité du débat parlementaire soient pleinement garanties (Décision n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006).
Or, nul ne peut nier que dans le cas qui nous occupe le Gouvernement a abusé de son droit d'amendement et perturbé « le bon déroulement du débat démocratique » dont vous êtes en dernier ressort le garant (Décision n° 2003-468 DC du 3 avril 2003).
Il en ressort que la loi se trouve frappée d'un vice d'inconstitutionnalité et qu'à tout le moins les articles 1ier, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24 encourent eux inévitablement la censure du fait de leur condition d'adoption, sans d'ailleurs que l'obligation de transposition de la Directive en soit affectée.
II. Sur les articles 1, 2 et 3
La saisine fait grief aux dispositions critiquées d'imposer à toute personne voulant bénéficier des exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins le respect d'une obligation légale indéterminée et impossible sous peine de condamnation pénale pour contrefaçon. Cette obligation est dite du « test en trois étapes ».
Ce faisant, la garantie d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi font défaut et le principe de la légalité des délits et des peines est méconnu.
Le Gouvernement, ne pouvant contester le caractère indéterminé et impossible de l'obligation faite aux utilisateurs, se retranche, par une fausse interprétation, derrière l'existence d'instruments internationaux et la nécessité de transposer la Directive n°2001-29 du 22 mai 2001.
a) Selon le Gouvernement le législateur serait tenu par des obligations communautaires et internationales
Il n'en est rien.
La prétendue obligation communautaire de transposition est inexistante, comme la décision de plusieurs pays de ne pas transposer cette disposition et le projet de certains l'ayant fait de revenir en arrière (par exemple : l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Irlande et la Belgique).
Les instruments internationaux sont invoqués à tort, révélant en cela le vice de la démarche du législateur qui, ne s'imposant pas le respect de ces instruments, en a transféré la charge sur chaque utilisateur.
En effet, « le test en trois étapes » institué par les instruments internationaux constitue une obligation à laquelle les législateurs nationaux eux-mêmes doivent s'astreindre lorsqu'ils instaurent une exception au droit d'auteur et aux droits voisins. Ce n'est pas au consommateur de vérifier si le test est respecté mais au législateur de s'assurer que les conditions qu'il fixe dans la loi, pour bénéficier d'une exception, sont compatibles avec le test en trois étapes. L'examen de la conformité au test en trois étapes relève du législateur et non du consommateur.
Cette analyse s'impose.
Tout comme le soulignait M. Thiollière dans son rapport au Sénat « Le législateur allemand n'a pas jugé utile de transposer explicitement en droit interne le test en trois étapes, estimant que celui-ci constituait un rappel adressé au législateur qui doit le prendre en compte dans la délimitation des exceptions aux droits qui relèvent de sa compétence. » (Rapport n°308 Session ordinaire 2005-2006, p. 56).
Le Gouvernement le reconnaît lui même lorsqu'il écrit « ces instruments visent à s'assurer que la législation des Etats parties ne comportent pas d'exceptions au droit des auteurs dont la mise en oeuvre serait attentatoire à leur intérêts » (Observations du Gouvernement, p. 7).
Cette analyse est celle de l'ensemble de la Doctrine.
L'argument soutenu par le Gouvernement pour tenter d'écarter la censure de votre Conseil est donc de pure circonstance. Il est inopérant.
b) L'absence de contestation du Gouvernement quant à l'imprévisibilité de la loi et donc l'insécurité juridique dénoncée par la saisine, et confirmée par l'ensemble de la Doctrine
Le Gouvernement ne conteste pas que le consommateur se trouve dans l'impossibilité de pouvoir déterminer s'il respecte ou non l'obligation du test en trois étapes, autrement que par un simple rejet sans argument.
Le voudrait-il qu'il ne le pourrait pas, c'est pourquoi il ne le tente même pas tant la réalité à force d'évidence.
Ce que la Doctrine unanime souligne, stigmatisant l'insécurité juridique dans laquelle l'utilisateur est placé (notamment V.-L. Bénabou ; Ph. Gaudrat ; A. Lucas ; P. Sirinelli ; M. Vivant).
Cette insécurité juridique a été abondamment soulignée par la Doctrine :
Professeur Valérie-Laure BENABOU :
« L'appréciation in concreto du triple test en fonction de l'impact économique a posteriori de l'usage visé par l'exception peut s'avérer extrêmement déstabilisante pour l'usager, [...] elle induit des incertitudes juridiques majeures dans le chef des utilisateurs et des ayants droit. Le risque d'une application judiciaire du test est clair pour l'usager. Incapable de prévoir le sort de l'exploitation de l'oeuvre reproduite ou représentée au moment où il l'utilise, il s'expose, à travers une appréciation économique ex post, à subir les foudres de la contrefaçon. Comment l'utilisateur peut-il mesurer en son âme et conscience l'impact économique dévastateur de » sa « copie ? [...] »
(Commentaire de l'arrêt de la Cour de cassation dit « Mulholland Drive » du 28 février 2006 : « Les dangers de l'application judiciaire du triple test à la copie privée », Juriscom.net, 20 avril 2006, p. 3 et 4).
Professeur Philippe GAUDRAT et Frédéric SARDAIN :
« La mise en oeuvre du test en trois étapes par le juge n'est nullement imposée par la Directive. Nos voisins belges, beaucoup plus clairvoyants, ont estimé le test évalué par le législateur lors de l'adoption des exceptions. Le faire évaluer par le juge ne vise qu'à réduire encore le champ des exceptions légales en y superposant le mécanisme du fair use américain. »
(« De la copie privée (et du cercle de famille) ou des limites au droit d'auteur », Com. Com. Elect. JurisClasseur, novembre 2005, p. 15)
Professeur André LUCAS :
« Il est indiscutable que le » triple test " a été conçu, aussi bien dans la Convention de Berne que dans l'Accord ADPIC, comme étant destiné aux États. [...]
En toute hypothèse, l'application du texte par les tribunaux se heurte à des objections dont le total ne laisse pas d'être impressionnant. D'abord, la mission qui lui est ainsi confiée place le juge dans une position intenable. Dans la rigueur des principes, il doit se limiter à une appréciation in concreto, mais la décision qu'il est amené à prendre a forcément une portée générale. Ensuite, même s'il est vrai que le « triple test » peut conduire à s'interroger sur la finalité de l'exception, par exemple pour savoir si l'on est en présence d'un cas spécial, ou pour peser les intérêts en présence afin d'examiner si le préjudice subi par le titulaire du droit est ou non justifié, l'appréciation passe surtout par une analyse économique qui n'entre pas dans la mission ordinaire du juge.
En pratique, la conviction de celui-ci ne pourra être emportée que par des études sérieuses, donc coûteuses. Mais le risque est alors de placer les utilisateurs dans une situation d'inégalité. Enfin, et surtout, on a beau lire et relire les trois conditions posées, on est bien obligé de constater qu'elles peuvent se prêter à toutes sortes d'interprétations. L'appréciation à porter variera selon les pays, les supports, les marchés, les époques. Une telle incertitude n'est pas admissible. N'oublions pas qu'il s'agit de tracer une frontière entre le licite et l'illicite, dont les incidences pénales ne sont pas anodines. "
(Commentaire de l'arrêt de la Cour de cassation dit « Mulholland Drive » du 28 février 2006 : « L'apposition d'une mesure technique de protection sur un DVD est légitime au regard de l'exception de copie privée », JCP Edition Générale n° 21, 24 Mai 2006, II 10084)
Professeur Pierre SIRINELLI :
" [ ...] cette solution constitue un risque pour la sécurité juridique. Il convient d'ores et déjà d'expliquer à certains utilisateurs que l'acte qu'ils sont susceptibles d'accomplir en tout en bonne foi, en contemplation du Code de la propriété intellectuelle, peut être regardé comme contrefaisant."
(« Les droits d'auteur et droits voisins dans la société de l'information », Actes du Colloque organisé par la Commission française pour l'UNESCO, 28-29 nov. 2003, BNF, Paris, p. 19)
Professeur Michel VIVANT :
" [...] il y a là une illustration manifeste du risque d'insécurité juridique grave lié à ce choix : désormais nul ne peut plus à l'avance dire ce qui est permis et ce qui est interdit ! "
(« Droit d'Auteur et Liberté d'Expression », Journées d'Études ALAI, Barcelona 19-20 Juin 2006, p. 25, http://www.aladda.org/docs/06Barcelona/Quest_France_fr.pdf)
La certitude de cette insécurité est encore confirmée par l'arrêt de la Cour de cassation cité par le Gouvernement faisant application, avant la lettre, de la disposition législative critiquée, la Haute juridiction impose à l'utilisateur de connaître pour chacune de ses utilisations l'amortissement des coûts de production de chaque oeuvre utilisée, l'importance économique de l'exploitation du support et du vecteur en cause, l'atteinte causée par son comportement individuel et les risques inhérents au nouvel environnement numérique.
Les précisions qu'il apporte sur l'étendue du test en trois étapes démontrent que l'utilisateur n'est pas en mesure d'apprécier si son utilisation de l'oeuvre est licite ou illicite. La Cour de cassation rappelle en effet que :
" [...] l'atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre, propre à faire écarter l'exception de copie privée s'apprécie au regard des risques inhérents au nouvel environnement numérique quant à la sauvegarde des droits d'auteur et de l'importance économique que l'exploitation de l'oeuvre, sous forme de DVD, représente pour l'amortissement des coûts de production cinématographique. " (Cass. Civ. I., 28 fév. 2006, « Mulholland Drive »).
Informations et capacité d'évaluation dont ne dispose évidemment pas le consommateur, outre le caractère confidentiel de ces informations et contingent de cette évaluation.
Ainsi, le principe de clarté de la loi et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi qui découlent des articles 4, 5, 6 et 16 de la déclaration des droits de l'homme ont été manifestement méconnus.
L'existence dans le Code de la propriété intellectuelle d'une disposition relative au test en 3 étapes concernant les logiciels ne modifie en rien cette situation, et ne constitue pas un motif de constitutionnalité. D'une part, cette disposition introduite par la loi n°94-361 du 10 mai 1994 n'a pas fait l'objet d'un contrôle de constitutionnalité. D'autre part, il suffit de rappeler que les logiciels sont soumis à un régime spécifique ainsi que le confirme notamment le fait que les utilisateurs sont interdits d'effectuer des copies privées. L'argument n'est donc pas pertinent
Enfin, non seulement le consommateur est soumis à une obligation impossible mais il est de plus privé de la possibilité de se défendre car les informations nécessaires pour déterminer son comportement et, donc, pour se défendre ne lui sont pas accessibles.
C'est la conséquence résultant de la disposition de la loi déférée qui opère transfert de la charge du respect de l'obligation du « test en trois étapes » du législateur sur le consommateur lequel est dans l'impossibilité raisonnable de l'assumer malgré les sanctions pénales qu'il encourt.
Il est en effet inopérant de soutenir, comme le fait le Gouvernement, que les exceptions aux droits d'auteur et voisins relevant du régime civil, le principe constitutionnel de la légalité délits et des peines n'aurait pas à être respecté.
Alors que la définition des conditions de l'exception au droit d'auteur et aux droits voisins constitue un élément indispensable à la définition de la contrefaçon, donc de l'incrimination pénale. En effet, le non bénéfice des exceptions place la personne dans la situation délictuelle de contrefaçon passible de peines de prison et d'amende considérables et qu'il est dès lors particulièrement indispensable de lui garantir la clarté et l'intelligibilité de la loi et l'effectivité du principe de légalité des délits et des peines.
La censure est inévitable.
III. Sur l'article 14
La saisine fait grief à la loi déférée de priver les bénéficiaires de l'interopérabilité, consommateurs et titulaires de droits d'auteur et voisins, d'un droit à un recours effectif en leur interdisant d'accéder à l'autorité spécialement créée pour garantir cette interopérabilité.
Le ministre a reconnu au cours des débats que le consommateur est bien le bénéficiaire final de l'interopérabilité : « Je l'ai déjà dit à de très nombreuses reprises [...]. Je veux bien le redire haut et fort ce soir : c'est la liberté d'utiliser le support de son choix, de choisir un logiciel libre ou propriétaire, et de faire en sorte que la lecture d'une oeuvre légalement acquise soit possible sur tous les supports. » (Débat 2ième séance, mardi 14 mars)
Le Gouvernement le reconnaît également : le consommateur est bien le destinataire du dispositif légal d'interopérabilité qui « a pour finalité ultime la satisfaction des consommateurs » (Observations du Gouvernement, p. 10).
Et pourtant, le consommateur est néanmoins privé de la possibilité de saisir l'autorité garante de l'interopérabilité.
Il considère que le législateur a fait un choix. Ce choix consiste à réserver aux seuls industriels, à savoir les éditeurs de logiciel, les fabricants de systèmes techniques et les exploitants de service, la possibilité de saisir l'autorité administrative indépendante et le législateur n'ayant donc pas entendu garantir au bénéfice de chaque consommateur un droit individuel d'interopérabilité des systèmes qu'il utilise.
On ne saurait mieux reconnaître que le législateur, ce faisant, a privé le consommateur de tout droit à un recours, alors que l'absence d'interopérabilité est de nature à lui porter préjudice, notamment pour accéder à la culture, ou encore pour l'exercice de son droit de propriété sur les oeuvres qu'il a légalement acquises et qu'il souhaite utiliser dans le respect de la propriété intellectuelle.
Il importe donc peu de quereller, comme le fait le Gouvernement, sur la question de savoir si le consommateur jouit ou non d'un droit à l'interopérabilité.
Il suffit de constater qu'en raison du préjudice dont il peut être victime, il a le plus haut intérêt à agir pour bénéficier de l'interopérabilité instauré à son profit, mais que cet intérêt à agir est paralysé par l'interdiction qui lui est faite de saisir l'autorité institué pour lui garantir, et qu'il est ainsi privé d'un droit à un recours effectif, et cela malgré le préjudice qu'il peut subir et le caractère de premier importance que cet intérêt représente pour lui, puisqu'il relève de l'exercice de la liberté d'accès à la culture et de l'exercice du droit de propriété sur les produits culturels acquis.
La censure de cet article s'impose qui, touchant une autorité de régulation non imposée par la Directive, n'entraîne pas de défaut direct ou indirect de transposition (Décision n° 2004-496 DC 10 juin 2004).
A moins de considérer que le consommateur victime d'une absence d'interopérabilité puisse saisir le juge du droit commun.
Mais une telle hypothèse est douteuse car incohérente.
En effet, le législateur en instaurant une autorité indépendante ayant compétence spéciale et en organisant un recours spécial a décidé, dans un souci d'efficacité légitime en raison de la complexité des questions d'interopérabilité, d'un dispositif spécialisé dans un domaine qui requiert une forte compétente et cohérence, notamment au regard des engagements internationaux de la France.
Ce faisant, il a voulu centraliser et spécialiser la régulation comme le contentieux de l'interopérabilité. L'hypothèse de permettre au consommateur victime d'une absence d'interopérabilité de saisir le juge du droit commun va donc manifestement à l'encontre de l'objectif du législateur. Elle ruine l'édifice dans sa cohérence et son effectivité, ajoutant une insécurité et une incohérence supplémentaire.
L'incohérence aggravée est encore révélée au constat qu'un consommateur peut saisir l'autorité administrative indépendante s'il invoque le bénéfice d'une copie privée (article 8 de la loi déférée) mais que cette autorité devra se déclarer aussitôt incompétente si elle constate que la difficulté relative à la copie privée trouve sa source dans une question d'interopérabilité, puisqu'elle ne peut pas être saisie par un consommateur de ce chef.
Faut-il, là encore, en déduire que le consommateur devra ou pourra saisir le juge du droit commun au détriment de la compétence de l'autorité indépendante de la copie privée au motif que la même autorité compétente pour l'interopérabilité des mesures techniques ne peut être légalement saisie par le consommateur ?
Si bien, que de deux choses l'une, soit le consommateur doit pouvoir accéder à l'autorité à compétence spéciale, instituée pour être garante de l'interopérabilité et au recours juridictionnel correspondant, soit il doit pouvoir saisir la juridiction de droit commun, et cette faculté doit lui être reconnue, car dans les deux cas l'existence de son intérêt à agir est incontestable et d'ailleurs reconnu et non contesté par le Gouvernement, ni par le législateur compte tenu du préjudice dont il est susceptible d'être victime du fait de l'absence d'interopérabilité notamment par l'atteinte à sa liberté d'accès à la culture et l'atteinte à l'exercice du droit de propriété sur les produits culturels acquis.
La censure, à tout le moins une réserve d'interprétation s'impose.
IV. Sur l'article 16
Le Gouvernement nie contre toute évidence que le régime juridique de la copie privée est gravement frappé d'incohérence par l'intervention de la loi, alors que le texte même de ses observations juxtapose les termes de la contradiction la plus sérieuse : le Gouvernement commence par rappeler à juste titre que ce régime est fondé sur l'article L. 122-5 « qui détermine les actions auxquelles ne peut s'opposer l'auteur » (Observations du Gouvernement, p. 6), pour ensuite soutenir à tort que la Directive l'obligeait à introduire le principe exactement inverse selon lequel les ayants droits se voient désormais reconnaître positivement le pouvoir de limiter le nombre des copies privée (et donc d'interdire toute copie excédentaire), tout en prétendant que « le régime de cette exception n'a pas été modifié » (p. 12).
En réalité, alors que ce régime était depuis 1957 fondée sur la plus nette délimitation entre le domaine du droit exclusif (monopole du droit d'autoriser et d'interdire) et celui de l'exception pour copie privée (définie précisément comme une action qu'il est légalement interdit d'interdire), les nouvelles règles, en se combinant avec les dispositions précédentes dans des termes qui ne sont en rien repris de la Directive, ruinent cette architecture de principes, introduisent une véritable chimère juridique participant pour partie du droit exclusif (sous la forme du pouvoir de limiter les copies), pour partie d'une exception, désormais rendue partielle ou conditionnelle, mais qui suffisent à rendre des plus incertains l'exercice effectif du pouvoir nouveau attribué aux ayants droit.
Ce sont donc les contradictions insurmontables d'un tel régime mixte qui se manifestent, comme l'analyse en détail le recours, par des incertitudes majeures pour les ayants droit comme pour l'usager sur la licéité au regard des incriminations pénales des pratiques de copie, et sur les conséquences économiques susceptibles de s'attacher aux copies désormais autorisées de manière limitative au regard des diverses formes légales de rémunération (droit exclusif, copie privée).
Les arguments avancés pour le Gouvernement pour tenter de masquer ces contradictions ne font qu'en confirmer la réalité et la gravité.
La loi est ainsi présentée sous le jour le plus fallacieux comme instaurant désormais « un nouveau dispositif garantissant l'exercice effectif de la copie privée ». La seule mesure allant dans ce sens est cependant la création d'une autorité de régulation censée fixer le nombre minimal de copies pouvant être réalisé à titre privé. Mais le Gouvernement s'empresse lui-même d'interpréter la loi de manière plus que restrictive en disant que cette possibilité ne peut s'exercer que « sous réserve » des décisions prises par les ayants droits (Observations du Gouvernement, p. 12).
Cette interprétation, si elle donne corps au pouvoir d'interdire des ayants droit (et aggrave donc la contradiction de principe signalée ci-dessus), vide donc de toute réalité la seule « garantie » d'exercice effectif de la copie que la loi était censée avoir introduit.
Ceci est d'autant plus vrai que le Gouvernement a, par avance, vigoureusement repoussé au cours du débat parlementaire les amendements proposant que la loi précise que tout usager légitime d'une oeuvre pourrait réaliser une copie au moins à titre privé, et qu'au contraire ses observations se réfèrent par deux fois, pour en approuver les conséquences, l'arrêt de la Cour de Cassation du 28 février 2006 qui pourrait conduire à valider, au moins pour le DVD, l'empêchement total fait au consommateur de réaliser quelque copie que ce soit.
Le régime nouveau et profondément contradictoire ainsi introduit conduit ainsi, de l'aveu même du Gouvernement, à des restrictions majeures dans l'exercice effectif de la copie privée et non pas à une « garantie » de celle-ci.
En même temps, ce même régime expose les ayants droits à des risques majeurs dans l'exercice de leur pouvoir de limitation, risques exposés en détail dans le recours et dont le Gouvernement ne démontre en rien l'inexistence. Ceci vaut tout particulièrement en ce qui concerne le risque d'une requalification des copies ainsi autorisées comme relevant de la rémunération contractuelle et du droit exclusif, et non plus de la rémunération pour copie privée, rémunération dont la justification globale pourrait de ce fait se trouver à terme fortement ébranlée.
De ce dernier point de vue, la loi, par l'incohérence de son dispositif, pourrait porter la responsabilité au regard des principes d'exception culturelle dont se prévaut par ailleurs si volontiers le Gouvernement, d'avoir placé les ayants droit dans une position de fragilité juridique significativement accrue face à la grave remise en compte de la gestion collective de la copie privée et de son usage légal pour des fins d'intérêt culturel général, voire de son principe même dans l'univers numérique, qu'annoncent très ouvertement et en rupture avec les termes actuels de la Directive, certaines élaborations récentes de la commission européenne (Stakeholder consultation on copy right levies in a converging world, June 2006).
Il faut par ailleurs que le Gouvernement ressente le plus grand embarras pour oser prétendre qu' « il ne voit pas en quoi » l'application des nouvelles dispositions « porteraient atteinte au droit constitutionnel au respect de la vie privée » (Observations du Gouvernement, p. 12-13).
Le recours explique en effet très précisément, dans des arguments auxquels il n'est apporté aucune réponse, en quoi les distinctions maladroites et non définies avec la précision nécessaire introduites par la loi, d'une part entre les « fins personnelles » conditionnant le caractère contraventionnel du téléchargement soumis à contravention et « l'usage privé du copiste » conditionnant la pratique licite de la copie, d'autre part avec le critère de l'« accès licite » distinguant désormais le caractère licite ou délictuel de cette même copie, ne pouvaient être constatées ou prouvées sans ingérence publique majeure dans l'intimité de la vie privée.
La mauvaise foi à laquelle est réduit le Gouvernement face à la réalité de ces risques et au chef majeur d'inconstitutionnalité résultant du fait que le législateur n'ait pas établi les conditions de légalité de telles incursions, est d'autant plus manifeste que le Gouvernement reconnaît lui-même par ailleurs que la constatation en ligne d'actes de téléchargement à des fins personnelles ne peut se faire « sans recourir à des moyens intrusifs de surveillance », et même « à des moyens déloyaux incitant à commettre l'infraction » (Observations du Gouvernement, p. 18).
D'ailleurs, le groupe de travail dit article 29, qui réunit les autorités de protection des données personnelles des pays de l'Union (dont la CNIL) se dit « préoccupé par le fait que l'utilisation légitime de technologies en vue de protéger les oeuvres pourrait se faire au détriment de la protection des données à caractère personnel des individus » (Documents de travail sur les questions de protection des données liées au droit de propriétté intellectuelle, 18 janvier 2005, wp 104, groupe de travail article 29).
On peut en outre ajouter qu'ainsi que le souligne l'un des meilleurs auteurs de la Doctrine (Séverine Dussollier, « L'utilisation légitime de l'oeuvre : un nouveau sésame pour le bénéfice des exceptions en droit d'auteur ? », Communication et Commerce électronique, novembre 2005, p. 17-20), sur le fond l'introduction en matière d'exceptions au droit d'auteur du critère de « l'accès licite », outre les difficultés de sa définition précise, « signifierait qu'elles ne résultent pas de la loi mais des autorisations successives que le titulaire de droit accorderait pour éditer des copies de l'oeuvre. On ne serait plus très loin de la condition d'un utilisateur légitime lié à la conclusion d'un contrat de licence avec l'auteur ». On ne saurait mieux dire combien cette disposition de faux bon sens, ajoutée à celles déjà mentionnées, vient encore aggraver la confusion totale introduite par la loi dans la frontière entre droit exclusif et exception pour copie privée, et partant dans celle entre usage licite et délit pénal.
La censure de cet article s'impose qui, touchant une autorité de régulation non imposée par la Directive, n'entraîne pas de défaut direct ou indirect de transposition.
V. Sur l'article 21
L'article 21 manque au regard des exigences constitutionnelles par l'indétermination de l'infraction pénale visée.
L'interprétation de ces dispositions par le Gouvernement le confirme.
En effet, trois manquements constitutionnels affectent les dispositions législatives en cause :
a) Le dispositif instaure une responsabilité pénale pour le fait d'autrui dans une incohérence manifeste
Le législateur a pris soin par l'emploi des adverbes « sciemment » ou « manifestement » d'apporter des précisions dans l'incrimination pénale, comme le souligne le Gouvernement.
Mais ces précisions deviennent insuffisantes et donc inopérantes si la responsabilité de cette personne résulte de l'usage par des tiers qui sera fait des logiciels en cause.
Or, le Gouvernement le reconnaît dans ses observations, en rappelant d'ailleurs l'intention de l'auteur de l'amendement, que « seuls certains usages de cette technologie sont répréhensibles » (Observations du Gouvernement, p. 14, 2ème
du point 2).
Ainsi, l'usage de la technologie par les utilisateurs constitue un élément de la qualification pénale, c'est-à-dire le fait d'autrui.
b) L'imprécision confirmée par le besoin que le législateur aurait eu, selon le Gouvernement, d'illustrer des faits qui n'entrent pas dans les incriminations de la loi
La saisine a souligné l'imprécision, et donc l'insécurité et l'absence de clarté et d'intelligibilité de la loi, outre le non respect du principe des légalité des peines et délits, résultant de la disposition écartant l'incrimination lorsque les logiciels concernés sont « destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l'échange de fichier ou d'objet non soumis à la rémunération du droit d'auteur ».
Cette disposition a donc pour objet de marquer la volonté du législateur d'écarter l'incrimination pour ce type de logiciels à raison de l'usage qui en est fait, bien que ces logiciels puissent entrer dans les critères de définition de l'incrimination.
La disposition concourt donc à la définition de l'incrimination. C'est pourquoi elle doit apporter les garanties constitutionnelles exigées en pareille matière pénale.
Dès lors, on ne saurait admettre en pareille matière l'observation du Gouvernement (p.14) selon laquelle la formule du dernier aliéna de l'article 21 : « Ne doit pas être interprété comme instituant des dérogations ou des exonérations aux dispositions pénales résultant des trois premiers aliénas, mais comme livrant simplement des exemples de comportement licites qui ne doivent pas être réprimes. Elle constitue l'aveu même de l'absence de clarté de la définition de l'incrimination incompatible avec vos exigences constitutionnelles. Ainsi, vous avez jugé que le législateur pouvait instaurer des régimes de sanctions pénales distincts qu'à condition » de fixer, dans le respect des principes constitutionnels, les règles concernant la détermination des crimes et délits qu'il crée, ainsi que les peines qui leur sont applicables ; qu'il peut aussi prévoir, sous réserve du respect des règles et principes de valeur constitutionnelle et, en particulier, du principe d'égalité, que certaines personnes physiques ou morales bénéficieront d'une immunité pénale ; qu'il résulte de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de la légalité des délits et des peines posé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la nécessité pour le législateur de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale, de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour permettre la détermination des auteurs d'infractions et d'exclure l'arbitraire dans le prononcé des peines, et de fixer dans les mêmes conditions le champ d'application des immunités qu'il instaure " (Décision n° 98-399 DC du 5 mai 1998).
En outre, sur le plan de la méthode législative, on ne peut manquer de s'interroger sur l'interprétation du Gouvernement selon laquelle les dispositions ici visées ne constitueraient pas des dérogations à l'incrimination mais des illustrations de cas qui n'entreraient pas dans le champ de l'incrimination.
Ainsi, selon le Gouvernement, le Législateur aurait fait par là même l'aveu de l'insuffisance de la définition de l'incrimination au point de devoir, pour tenter de la satisfaire aux exigences constitutionnelles, se sentir tenu de fournir des illustrations de cas qui n'entreraient pas dans la définition de l'incrimination pénale.
Votre Conseil ne pourra manquer de tirer toutes les conséquences de ce constat que ces dispositions ne répondent pas aux exigences constitutionnelles de « la bonne loi ».
c) Concernant la discrimination injustifiée et l'atteinte au droit de propriété intellectuelle provoquée par la disposition qui exclut de l'incrimination les fichiers « non soumis à rémunération du droit d'auteur »
Le Gouvernement considère que cette disposition vise « les fichiers non soumis aux droits d'auteur et les oeuvres diffusées gratuitement » confirmant ainsi l'incohérence du dispositif et sa non compatibilité avec les exigences constitutionnelles.
Si le législateur avait entendu soustraire l'incrimination des contenus non protégés par les droits d'auteur, comme le soutient le Gouvernement, il n'aurait pas mentionné les contenus « non soumis à la rémunération [... ] du droit d'auteur ».
On ne peut réduire le « droit d'auteur » à sa seule « rémunération ».
De plus, l'incrimination a pour objet la répression de l'utilisation illicite d'oeuvres protégées par le droit d'auteur. Il est dès lors difficile de concevoir, comme le soutient le Gouvernement, que le législateur ait cru nécessaire de préciser que des logiciels permettant l'utilisation d'oeuvres non protégées par le droit d'auteur n'entraient pas dans l'incrimination, car la définition de l'incrimination impose que sont visés les logiciels permettant l'utilisation illicite des oeuvres protégées.
Quant aux oeuvres diffusées gratuitement, le Gouvernement n'a pas répondu.
Or, la saisine a souligné que la décision par l'auteur d'autoriser une diffusion gratuite ne constituait pas un motif pour faire perdre aux titulaires de droits la protection du droit d'auteur.
Car c'est l'effet produit par le législateur qui, en opérant la distinction de traitement entre des oeuvres diffusées à titre payant, lesquelles sont protégées, et les oeuvres diffusées à titre gratuit, lesquelles perdent le bénéfice de la protection puisqu'elles sont exclues.
Ce faisant, il a opéré une discrimination non justifiée objectivement et de surcroît contraire à l'objet même de la loi qui est de protéger la propriété intellectuelle.
Il a également porté atteinte, sans justification d'intérêt général et de façon non proportionnée, à la propriété des titulaires de droits. Le fait pour un auteur de ne pas vouloir commercialiser ses créations ne signifie pas pour autant qu'il entend abandonner ces créations à n'importe quel usage. La disposition dénature le droit de propriété intellectuelle.
Pour chacun de motifs la censure est justifiée.
VI. Sur les articles 22 et 23
L'absence de définition de la notion d'interopérabilité, alors que l'interopérabilité constitue une cause exonératoire de responsabilité pénale, a été relevée dans la saisine comme révélant une carence de la loi incompatible avec les exigences constitutionnelles, ainsi que la réalisation des objectifs législatifs visés, outre la méconnaissance du principe de la légalité des délits et des peines.
Le Gouvernement dans ses observations admet que l'interopérabilité constitue une cause exonératoire de responsabilité pénale et donc qu'elle participe de la définition de l'infraction.
Il reconnaît également l'absence de définition de l'interopérabilité.
Selon lui, le législateur n'était pas requis de donner une définition de l'interopérabilité, en estimant que cette notion « s'entend très naturellement ».
L'ordre naturel ne peut suppléer la carence législative.
En effet, la grâce du « naturel » apparaît peu compatible avec la recherche de la définition précise d'une notion aussi technique que celle de l'interopérabilité, dont tous, et en premier lieu le législateur, s'accordent à considérer que l'appréciation et la mise en oeuvre justifient la création d'une institution indépendante à compétence spéciale en raison de sa complexité.
Une définition est indispensable, pour la conformité constitutionnelle, comme le Gouvernement en fait lui-même la démonstration en ayant dans ses observations une interprétation divergente de celle du ministre, par ailleurs, elle-même différente de celle proposée par chacun des rapporteurs.
En effet, le Gouvernement limite l'interopérabilité à une compatibilité de lecture entre deux ou plusieurs machines (Observations du Gouvernement, p. 16, 3ème
: " très naturellement, comme la capacité de plusieurs lecteurs différents de lire les oeuvres acquises auprès de distributeurs différents).
Or, l'interopérabilité ne se limite pas à la lecture mais elle est susceptible de comprendre d'autres opérations notamment la copie, ou encore la représentation de l'oeuvre, comme l'indique le ministre lui-même dans sa définition de l'interopérabilité : " [...] c'est la liberté d'utiliser le support de son choix, de choisir un logiciel libre ou propriétaire, et de faire en sorte que la lecture d'une oeuvre légalement acquise soit possible sur tous les supports. " (Débat 2ième séance, mardi 14 mars)
Ce faisant, le Gouvernement, par son interprétation restrictive de l'interopérabilité a le mérite de confirmer la nécessité d'une définition, spécialement dès lors qu'il s'agit de la définition d'une cause exonératoire de responsabilité pénale qui participe donc à la définition de l'infraction.
Une telle carence incompatible avec les exigences constitutionnelles ne pourra qu'aboutir qu'à la censure de ces deux articles.
VII. Sur l'article 24
L'article 24 insère un nouvel article L.355-11 du Code de la propriété intellectuelle, qui déroge aux articles L. 335-2, L.335-3 et L.335-4 du même code afin d'écarter l'incrimination délictuelle de contrefaçon en cas de reproduction ou de mise à disposition non autorisée d'une oeuvre protégée par un droit d'auteur ou par un droit voisin à des fins personnelles et non commerciales, au profit d'un régime contraventionnel.
a) Ce faisant le législateur n'a pas fondé « son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi », comme l'exige pourtant votre jurisprudence (Décision n° 98-404 DC du 18 décembre 1998).
Contrairement à ce que prétend le Gouvernement, les modes de diffusion non autorisés des oeuvres grâce à Internet autres que par l'usage des logiciels d'échange de pair à pair ne sont pas « plus confidentiels », ni « utilisés par des groupes organisés qui interviennent en amont pour alimenter de façon illicite les réseaux d'échange de pair à pair [...] ».
Par exemple, une étude Médiamétrie révèle que l'utilisation de la messagerie électronique est loin d'être marginale dans le phénomène d'échange de fichiers entre particuliers, 40 % des internautes n'ayant jamais téléchargé sur des réseaux peer-to-peer échangent des fichiers via email ou messagerie instantanée avec leurs proches (Enquête Médiamétrie sur la distribution des oeuvre en ligne, octobre 2005).
Or, concernant cette catégorie d'usages, les observations du Gouvernement (p.14), laissent indéterminée la question centrale de savoir si elles relèvent d'une incrimination pour contrefaçon ou de l'exception pour copie privée. Le Gouvernement avoue en effet une complète incertitude quant à la qualification de ce type de comportement en écrivant : " [...] qu'indépendamment de ce qui pourrait relever de la copie privée, les modes de téléchargements autres que par des logiciels de pair à pair [...] justifient naturellement une sanction délictuelle, soumise à l'appréciation du juge, avec les procédures d'enquête qu'elle permet. "
Vous avez jugé que le législateur pouvait instaurer des régimes de sanctions pénales distincts qu'à condition « de fixer, dans le respect des principes constitutionnels, les règles concernant la détermination des crimes et délits qu'il crée, ainsi que les peines qui leur sont applicables ; qu'il peut aussi prévoir, sous réserve du respect des règles et principes de valeur constitutionnelle et, en particulier, du principe d'égalité, que certaines personnes physiques ou morales bénéficieront d'une immunité pénale ; qu'il résulte de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de la légalité des délits et des peines posé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la nécessité pour le législateur de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale, de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour permettre la détermination des auteurs d'infractions et d'exclure l'arbitraire dans le prononcé des peines, et de fixer dans les mêmes conditions le champ d'application des immunités qu'il instaure » (Décision n° 98-399 DC du 5 mai 1998).
En l'espèce il est difficilement contestable que la rédaction de l'article L. 355-11 ne répond à aucune de ces exigences. Les personnes qui diffusent à des fins non commerciales des oeuvres protégées sans recourir à un logiciel d'échange pair à pair seront soumis à une rupture d'égalité que visiblement tant le législateur que le Gouvernement sont dans l'incapacité de justifier. Quant aux autres, force est de constater que faute pour le législateur d'avoir défini une infraction « en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire », leur situation est contraire à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (Décision n°80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981).
De surcroît, il ressort des observations du Gouvernement que le législateur a été guidé par des motivations contraires à la Constitution.
b) En effet, on comprend que le choix de poursuivre dans un cadre contraventionnel seulement certains échanges d'oeuvres protégées par un droit d'auteur ou par un droit voisin tient au fait que le téléchargement en ligne avec mise à disposition « peut faire l'objet d'une constatation ligne, permettant facilement d'apporter la preuve de l'infraction sans moyens spécifiques » (Observations du Gouvernement, p. 18).
Ainsi le Gouvernement reconnaît explicitement le choix du législateur d'instaurer un régime de responsabilité automatique des abonnés à Internet, dès lors qu'il aura pu être constaté le téléchargement d'une oeuvre protégée sur leur ordinateur, sans qu'il puisse bénéficier de causes exonératoires de responsabilité.
Or,
* En prévoyant que tout abonné à Internet est systématiquement redevable de l'amende encourue pour les téléchargements effectués à partir de son ordinateur, l'article L. 315-11 institue une peine automatique, sans considération de la nature et des circonstances de la commission de l'infraction, en méconnaissance de l'interdiction d'automaticité des peines reconnues par votre jurisprudence (Décision n°97-389 DC du 22 avril 1997) ;
* En établissant une responsabilité automatique de tout abonné à Internet, quand bien même ce dernier n'aurait en aucune manière participé à la commission de l'infraction, l'article L. 315-11 méconnaît les principes de personnalité des peines et de responsabilité personnelle, issus des articles 123-24 et 121-21 du Code pénal (Décision n° 70 DC des 19 et 20 janvier 1981, Décision n°99-411 DC du 16 juin 1999) ;
* En instaurant un régime contraventionnel excluant tout élément moral, l'article L. 315-11 établit une présomption de responsabilité à l'encontre de tout abonné à Internet contraire à l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (Décision n°99-411 DC du 16 juin 1999).
Paradoxalement, la rédaction de l'article L. 355-11 du Code de la propriété intellectuelle aboutit à priver les contrevenants des garanties constitutionnelles issues des articles 6, 7,8, 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, que leur offre le délit de contrefaçon. C'est d'ailleurs ce que démontre l'état de la jurisprudence (TGI Nanterre, 6 février 2006, Ministère Public c/ Cédric C ; TGI Toulouse, 4 janvier 2006, Le Procureur de la République et SCPP c/ Emilie R. ; TGI Paris, 8 décembre 2005, Anthony G. c/ Ministère public et SCPP)
c) Enfin, le Gouvernement reconnaît lui-même dans ses observations (p.18) que « la constatation en ligne d'actes de téléchargement à des fins personnelles, hors de toute mise à disposition », c'est-à-dire le contrôle et la preuve des actes les plus massifs et les plus bénins que le législateur entend contraventionnaliser « ne peut se faire en l'état des techniques sans recourir à des moyens intrusifs de surveillance de communication ou à des moyens déloyaux incitant à commettre l'infraction ». En cela même, la loi ne satisfait pas à l'exigence constitutionnelle de légalité d'un tel mode de preuve pourtant ainsi atteinte tant aux droits fondamentaux de la défense qu'à l'intimité de la vie privée.
Pour toutes ces raisons, les requérants ne peuvent que réaffirmer le caractère inconstitutionnel de l'article 24.
VIII. Sur l'article 44
La saisine a souligné l'atteinte injustifiée au droit de propriété et au principe d'égalité que constituaient les dispositions de l'article 44 de la loi déférée.
En effet, un tel régime d'exception au profit d'une seule institution opère une discrimination au préjudice d'autres établissements poursuivant les mêmes objectifs d'intérêt général de conservation et de diffusion de fonds documentaires.
En outre, en conférant aux organisations de salariés représentatives des artistes interprètes le pouvoir de définir les conditions d'exploitation des interprétations des artistes interprètes, la loi dépossède ces derniers d'un attribut essentiel du droit de propriété et par conséquent les cessionnaires ou mandataires choisis par eux, dont les sociétés de perception et de répartition de droits.
a) Sur l'atteinte au principe d'égalité
Le Gouvernement soutient que ces dispositions ne violent pas le principe d'égalité au motif que l'Institut National de l'Audiovisuel s'est vu confié par le législateur une mission de service public spécifique et qu'il est donc placé dans une situation particulière, différente des autres personnes morales susceptibles d'exploiter des archives audiovisuelles.
Or, le Gouvernement ne justifie pas en quoi ces missions de service public se distinguent suffisamment des missions de la Bibliothèque Nationale de France, du Centre Français du Cinéma, des Archives françaises du film, de la Bibliothèque du Film, des Archives de France, pour justifier une telle discrimination.
L'ancienneté du fond ne constitue pas un motif pertinent de discrimination. Il n'est ni justifié ni allégué que les autres personnes publiques chargées de missions équivalentes gèrent des fonds plus récents.
De même, la nature des oeuvres gérées, à savoir audiovisuelles, ne constitue pas non plus un motif pertinent. Les oeuvres musicales, scientifiques connaissent également un nombre important de titulaires de droits différents.
b) Sur l'atteinte au droit de propriété
Le Gouvernement soutient que ces dispositions ne violent pas le droit de propriété des artistes interprètes ou de leurs ayants droit au motif que le pouvoir de négocier les conditions d'exploitation des prestations et la rémunération conféré aux organisations syndicales ne serait que subsidiaire au pouvoir exclusif des artistes interprètes.
Or, en aucun cas la loi ne précise que, comme le prétend le Gouvernement, « le recours à des contrats conclus avec des organisations de salariés représentatives des artistes interprètes ne sera mis en oeuvre que pour autant que l'artiste interprète n'aura exprimé une volonté différente ».
En effet, selon les dispositions de l'article 44 de la loi, « les conditions d'exploitation des prestations des artistes-interprètes (...) et les rémunérations auxquelles cette exploitation donne lieu sont régies par des accords conclus entre les artistes-interprètes eux-mêmes ou les organisations de salariés représentatives des artistes-interprètes et l'institut ».
Contrairement à l'affirmation du Gouvernement, la loi ne précise pas que la volonté individuelle exprimée par l'artiste interprète pourrait déroger à l'accord conclu par l'organisation syndicale, la dérogation expresse aux articles L. 212-3 et L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle impose même une interprétation contraire.
De plus, la disposition critiquée prévoit que l'artiste interprète peut définir sa rémunération et les conditions d'exploitation de son interprétation mais ne garantit pas que ce dernier puisse autoriser ou interdire la communication au public ou la reproduction de son interprétation.
Ainsi, l'artiste interprète est dépossédé de l'attribut essentiel de son droit de propriété sur son droit voisin institué à l'article L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle.
Enfin, l'interprétation du Gouvernement n'est pas conforme au texte de la loi, en effet l'artiste interprète peut certes « exprimer une volonté différente » de celle de l'organisation syndicale, mais cette volonté différente ne s'imposera à l'INA que pour autant qu'elle conclue un accord avec l'artiste interprète. La disposition critiquée confère ainsi à l'INA le droit de refuser l'expression de la volonté individuelle de l'artiste interprète au profit des conditions négociées avec les organisations syndicales.
Au surplus, il convient de rappeler que cette interprétation du Gouvernement ne résout en rien l'atteinte portée aux droits de propriété des titulaires des droits des artistes interprètes. Les sociétés bénéficiaires d'apports de droits voisins des artistes interprètes se voit dépossédées de leur droit de propriété ou, en tout état de cause, des attributs essentiels de ce droit.
La loi précise en effet que seuls « les artistes-interprètes eux-mêmes » (ou les « organisations de salariés ») peuvent conclure les accords avec l'Institut.
Les sociétés titulaires de droits de propriété sur les droits voisins en cause se voient ainsi dépossédées de leurs droits, ou à tout le moins d'un attribut essentiel.
Ainsi, les dispositions de l'article 44, par leur nature même, constituent nécessairement une exception aux droits d'auteur et aux droits voisins : c'est son objet et elle en produit tous les effets. Or, une telle exception n'est pas prévue par la liste limitative de la Directive. De plus, le législateur n'a pas établi, comme cela lui incombait, non seulement aux termes des engagements internationaux liant la France, mais aussi de par la Directive, qu'elle satisfaisait les exigences du « test en trois étapes ».
La censure s'impose donc.
* * *
Par tous ces motifs, et tous autres à ajouter qu'il vous plairait, les requérants persistent de plus fort dans leurs précédentes conclusions.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.