Contenu associé

Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006 - Saisine par 60 sénateurs

Loi pour l'égalité des chances
Non conformité partielle

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
2 rue de Montpensier 75001 Paris
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution les articles 8, 21, 48, 49 et 51 de la loi pour l'égalité des chances telle qu'adoptée par le Parlement.
A titre liminaire, et pour éviter toute mauvaise interprétation de leur recours, les requérants entendent rappeler leur engagement total dans la lutte contre le chômage, et celui des jeunes en particulier. Si à leurs yeux tout doit être mis en oeuvre pour combattre ce fléau, ils ne sauraient toutefois admettre que soient institués des mécanismes créant des discriminations entre certains jeunes et leurs aînés ou bien entre les jeunes eux-mêmes. Le contrat dit première embauche s'avère, en droit comme en fait, contraire au principe d'égalité devant la loi. Il prive, en outre, les salariés concernés des garanties constitutionnelles qui s'attachent à l'ordre public social impératif et à l'équilibre des contrats. De surcroît, et paradoxalement, le dispositif critiqué est entaché de plusieurs imprécisions au point de générer une insécurité juridique qui sera préjudiciable tant aux salariés qu'aux entreprises. Monsieur le Premier ministre a fini par s'en apercevoir en reconnaissant lors d'un récent entretien télévisé qu'il fallait accroître les garanties des jeunes embauchés sur cette base. Au final, c'est le droit à l'emploi, dont la valeur constitutionnelle est incontestable, qui est atteint.
Cette loi dont on mesure les défauts constitutionnels, a, comme si cela ne suffisait pas, été votée dans des conditions marquées par la violation du principe de sincérité et de clarté de la procédure législative consacré, notamment, par les articles 6 de la Déclaration de 1789 et 3 de la Constitution de 1958.
C'est une certaine conception de la vie démocratique et de notre République sociale qui sont aujourd'hui en cause. A cet égard, votre tâche est importante.
I. Sur l'article 8
Cet article crée un nouveau contrat de travail dénommé « contrat de première embauche » en fixant son champ d'application et son régime juridique. Ce contrat s'applique aux nouvelles embauches de personnes de moins de vingt-six ans, dans les entreprises de plus de vingt salariés dans les conditions prévues à l'article L 620-10 du code du travail. Il se caractérise essentiellement par la non application, pendant une période de deux ans à compter de sa date de conclusion, des dispositions prévues aux articles L 122-4 à L 122-11, L 122-13 à L 122-14-14 et L 321-1 à L 321-17 du même code.
Autrement dit, pendant cette période de deux ans - période singulière que la loi ne qualifie en aucune façon - la quasi-totalité des règles de résiliation du contrat de travail à durée indéterminée ne s'applique pas.
Ainsi, se trouve principalement exclu du régime juridique du contrat de première embauche la procédure de l'article L 122-14 du code de travail prévoyant un entretien préalable au licenciement, au cours duquel l'employeur doit indiquer au salarié les motifs du licenciement et recueillir ses observations et explications, complétée par les articles L 122-14-1 et L 122-14-2 aux termes desquels l'employeur qui décide de licencier un salarié doit notifier le licenciement par lettre recommandée avec avis de réception contenant le ou les motifs de licenciement.
Il convient aussi de relever qu'en droit, des personnes du même âge et à qualification équivalente pourront se trouver soumises à des régimes juridiques différents au sein d'une même entreprise voire d'un même service. Et ce sans qu'aucune justification objective et rationnelle ne vienne au soutien d'une telle différence de traitement.
Cette discrimination est, à l'évidence, au coeur des questions constitutionnelles posées par le contrat dit première embauche.
Sur le fond, le contrat créé par l'article 8 de la loi, est, par son champ et son contenu, un dispositif législatif conséquent qui méconnaît gravement plusieurs principes constitutionnels, dont le principe d'égalité devant la loi, l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et les garanties qui s'attachent à l'exigence constitutionnelle du droit à l'emploi, ainsi que le principe d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, le droit au recours et la Charte sociale européenne.
Mais avant tout, sur la procédure, il ressort des conditions du débat parlementaire autour de cet article 8, comme pour le reste de la loi au demeurant, qu'ont été méconnus les principes de clarté et de sincérité des débats parlementaires tels qu'ils résultent notamment des articles 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et ensemble des articles 3, 39 et 44 de la Constitution.
1. Sur la procédure
Les conditions du débat parlementaire ayant abouties au vote de la loi critiquée, et particulièrement de son article 8 créant le contrat première embauche, révèlent un cumul parfait de tous les détournements de procédure possibles dans le cadre de l'examen d'un projet de loi. Les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire (n° 2005-526 DC du 13 octobre 2005) et, en particulier, les articles 6 de la Déclaration de 1789, et 3, 39 et 44 de la Constitution sont ainsi méconnus.
Certes, les outils de procédure utilisés dans le cadre de l'examen de ce texte peuvent apparaître, pris isolément, conformes aux prescriptions constitutionnelles. Mais, les apparences ne sauraient tromper votre vigilance tant l'accumulation du recours à ces procédures, dont certaines exorbitantes du droit commun parlementaire, ne peuvent, en l'espèce, se justifier par la nécessité de répondre à une démarche de « flibuste » de la part de l'opposition.
En tout état de cause, le recours à cet arsenal maximal de règles du parlementarisme rationalisé s'avère disproportionné au regard des conditions du débat parlementaire et de l'importance des questions posées par le sens et l'ampleur de l'amendement gouvernemental créant le contrat dit première embauche.
En effet, l'article 8 de la loi a été introduit :
- alors que, d'une part, malgré sa portée et son ampleur inédites, il a été présenté par voie d'amendement du Gouvernement, en privant donc le Conseil d'Etat de l'examen réel et sincère du projet de loi initial comme le prévoit pourtant l'article 39 de la Constitution ;
- alors que, d'autre part, l'urgence déclarée ne permettait donc qu'une lecture dans chaque assemblée ;
- alors que, par ailleurs, il n'a fait l'objet d'aucun vote par l'Assemblée Nationale dans la mesure où l'article 49 alinéa 3 de la Constitution a été utilisé par monsieur le Premier Ministre et que son adoption conforme par le Sénat a privé la Commission mixte paritaire de la possibilité d'en connaître ;
- alors que, l'Assemblée nationale, d'une part, n'a pu exercer son droit d'amendement que par le biais de sous-amendement ne devant pas être en contradiction avec l'amendement en application de l'article 98 alinéa 4 du Règlement de l'Assemblée nationale, et que le Sénat, d'autre part, n'a pas connu une telle contrainte ;
- et alors que, enfin, le Sénat a procédé à l'examen de la loi dans des conditions particulières, dans la mesure où de nombreux amendements ont été écartés au titre d'artifices de procédure sans être mis en discussion en séance.
Certes, au terme de votre jurisprudence, le droit d'amendement doit pouvoir s'exercer pleinement au cours de la première lecture, par chacune des deux assemblées parlementaires, des projets et des propositions de loi. Mais c'est à la condition cependant que les amendements, y compris ceux déposés par le Gouvernement, ne soient pas dépourvus de tout lien avec l'objet du projet ou de la proposition déposé sur le bureau de la première assemblée saisie, et que les exigences constitutionnelles de clarté et de sincérité du débat parlementaire soient pleinement garanties (Décision n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006).
On doit déduire de la logique de ces prescriptions constitutionnelles, de leur lettre comme de leur esprit, que ces exigences, et notamment celles tenant à la sincérité du débat parlementaire, s'imposent d'autant plus quand un texte fait l'objet d'une seule lecture dans chaque chambre.
A cet égard, il s'agit de s'assurer de la sincérité de l'ensemble du processus d'élaboration de la loi qui forme un tout de nature à garantir que la loi votée sera bien l'expression de la volonté générale. C'est pourquoi, le cumul abusif de certaines règles peut aboutir à un vice de procédure flagrant.
1.1. En premier lieu, vous n'avez pas hésité à censurer une disposition législative pour irrégularité de procédure, au motif de la violation de l'article 39 de la Constitution pris en son deuxième alinéa selon lequel : « Les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État et déposés sur le bureau de l'une des deux assemblées ». Vous avez ainsi considérez que, si le Conseil des ministres délibère sur les projets de loi et s'il lui est possible d'en modifier le contenu, c'est, comme l'a voulu le constituant, à la condition d'être éclairé par l'avis du Conseil d'Etat, et que, par suite, l'ensemble des questions posées par le texte adopté par le Conseil des ministres doit avoir été soumis au Conseil d'Etat lors de sa consultation (Décision n° 2003-468 DC du 3 avril 2003).
Il s'ensuit que si le Gouvernement conserve, évidemment, la faculté d'amender son propre projet de loi pendant le cours de la procédure parlementaire, c'est à la condition, cependant, qu'il n'ajoute pas une disposition qui par sa nature, sa portée et son ampleur aurait dû figurer dans le projet de loi initial soumis à l'examen du Conseil d'Etat en application de l'article 39 de la Constitution. Autrement dit, le fait pour le Gouvernement d'amender sciemment, a posteriori, son projet de loi afin de contourner son obligation de sincérité et de clarté au stade de la phase consultative, constitue nécessairement un détournement de procédure.
Dans la décision n°2003-468 DC du 3 avril 2003 citée ci-dessus, les circonstances n'étaient, en définitive, guère différentes puisque le gouvernement avait modifié substantiellement la portée de son projet de loi après que le Conseil d'Etat ait rendu son avis sur la version précédente soumise à son examen.
Car, il serait trop commode, et cela viderait l'article 39 de la Constitution et votre propre jurisprudence de leur substance, si pour contourner ses obligations constitutionnelles, le Gouvernement pouvait, à loisir, introduire par voie d'amendement des dispositions qui bouleversent l'économie du texte précédemment soumis à l'avis du Conseil d'Etat.
Ainsi, la question n'est pas tant de savoir si l'article 8 est ou non dépourvu de lien avec le projet de loi, mais plutôt de garantir que le Gouvernement n'a pas contourné la prescription de l'article 39 de la Constitution alinéa 2 en modifiant substantiellement la portée de son projet de loi a posteriori de cette étape. Pour le dire autrement encore : si, comme le gouvernement l'a soutenu abondamment, le lien est si fort entre le contrat critiqué et le texte sur l'égalité des chances, alors il aurait dû introduire ce dispositif dans le projet de loi initial et le soumettre à l'avis du Conseil d'Etat.
A cet instant, ce sont bien les articles 6 de la Déclaration de 1789, 3 et 39 de la Constitution de 1958 qui sont violés et donc, la sincérité de la procédure d'élaboration de la loi qui est méconnue.
1.2. Bien sûr, en second lieu, cette argumentation tomberait si le Gouvernement expliquait dans ses observations en défense que l'article 8 était dépourvu de tout lien avec le projet de loi et qu'il n'avait donc pas à le soumettre à l'avis du Conseil d'Etat.
Mais dans cette hypothèse, cet article ne serait pas sauvé.
Bien au contraire, car il passerait sous la coupe de votre jurisprudence tout aussi classique qui tend à censurer les dispositions sans relation avec le texte dans lequel elles sont insérées.
Certes, les requérants n'entendent pas expliquer que le Gouvernement est privé de son droit d'amendement constitutionnellement reconnu, ni soutenir que les projets de loi sont figés au stade pré-parlementaire.
En revanche, la question est posée de la conciliation entre l'obligation de l'article 39 alinéa 2 de la Constitution et du droit d'amendement qui appartient au gouvernement. Il apparaît, à cet égard, que son droit d'amendement ne doit pas servir à vider de sa substance l'obligation de consultation du Conseil d'Etat. Il s'agit bien ici d'empêcher les détournements de procédure et de garantir la sincérité de l'élaboration de la loi.
1.3. Mais ce ne sont pas, en troisième lieu, les seules atteintes au principe de sincérité de la procédure d'élaboration de la loi qui ont été commises en l'espèce.
En effet, à l'absence de consultation du Conseil d'Etat au stade de la rédaction du projet de loi, s'ajoute l'examen en urgence du projet de loi puis l'usage de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution de 1958.
Force est d'admettre que le Gouvernement a contraint de façon totalement disproportionnée les conditions d'un examen normal et rationnel de l'article critiqué.
Vous vous montrez attentif à cette sincérité du débat parlementaire en jugeant que le bon déroulement du débat démocratique et, au-delà, le bon fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels supposent que soit pleinement respecté le droit d'amendement conféré aux parlementaires par l'article 44 de la Constitution, et que parlementaires comme Gouvernement puissent utiliser sans entrave les procédures mises à leur disposition à ces fins et que cette double exigence implique toutefois qu'il ne soit pas fait un usage manifestement excessif de ces droits (Décision 3 avril 2003, précitée).
Appliqué au recours massif d'armes de dissuasion parlementaire sans justification suffisante, votre raisonnement ne peut que conduire à la censure d'un article d'une portée majeure introduit par voie d'amendement gouvernemental en violation de l'article 39 alinéa 2 de la Constitution, dans le cadre d'un projet examiné en urgence pour lequel l'article 49 alinéa 3 de la Constitution de 1958 a été mis en oeuvre et dont le vote conforme par le Sénat empêche toute discussion au stade de la Commission mixte paritaire.
Encore une fois, ce ne sont pas les outils utilisés isolément qui sont en cause, mais le cumul abusif de tous ces instruments dans un même débat législatif.
La censure est donc certaine.
1.4. En dernier lieu, l'atteinte à la sincérité du processus d'élaboration de la loi est d'autant plus certaine que la lecture du projet devant le Sénat a montré qu'existent deux poids et deux mesures à l'égard des amendements selon leur origine.
Outre l'invocation de l'article 40 de la Constitution, diverses procédures ont été mises en oeuvre pour empêcher soit la discussion, soit le vote de certains amendements ou sous-amendements et articles additionnels :
- la demande de réserve jusqu'à la fin du projet de loi de tous les articles additionnels, ce qui a conduit à recommencer après l'article 28 des discussions dans l'ordre des articles à partir de l'article premier ;
- la levée de la discussion commune (article 49-2 du règlement du Sénat) ;
- la priorité de l'examen de certains amendements, afin de faire « tomber » les amendements contraires, en général ceux de l'opposition ;
- les irrecevabilités de l'article 44-2 du règlement du Sénat, pour les amendements considérés par la commission des affaires sociales comme « dépourvus de tout lien avec l'objet du texte en discussion » ;
- l'irrecevabilité de l'article 44, alinéa 2, de la Constitution contre des sous-amendements qui n'avaient pas été examinés par la commission, et pour cause puisque leur dépôt répondait à l'évolution des débats en séance ;
- la clôture du débat ;
- la réserve des votes sur les 86 amendements déposés sur l'article 3bis (devenu l'article 8), en raison d'une faible mobilisation des sénateurs de la majorité sénatoriale.
Ainsi, l'application combinée des différentes procédures à la disposition de la commission et du Gouvernement pourrait conduire à interdire la discussion et le vote d'un seul amendement sur les articles en discussion.
Paradoxalement, l'examen de la loi au Sénat montre qu'à l'exercice abusif du droit d'amendement par le Gouvernement a répondu une restriction disproportionnée du droit d'amendement des parlementaires tel que reconnu par l'article 44, alinéa 1 de la Constitution.
Ainsi, pour exemple, l'irrecevabilité de l'article 44-2 du règlement du Sénat a été invoquée a deux reprises, lors de la séance du 24 février (p.987 du compte rendu intégral) puis dimanche 5 mars (col.43 du compte rendu analytique) en violation du droit d'amendement.
Le vendredi 24 février, une motion a été déposée par la commission des affaires sociales pour considérer que les amendements nos 215, 224, 225, 227, 231, 271, 233, 238, 243, 247, 244, 221, 249, 245, 251, 252, 256, 272, 216, 217, 222, 229, 230, 250, 262, 218, 219, 258, 259, 260, 257, 255, 254, 220, 253, 248, 240, 239, 235, 234, 242, 241, 232 et 228 « ne s'appliquent pas effectivement au texte de l'article 1er du projet de loi pour l'égalité des chances et qu'ils sont donc en contradiction avec l'article 48, alinéa 3, du règlement du Sénat, le Sénat les déclare irrecevables en application de l'article 44, alinéa 2, du règlement du Sénat ».
Immédiatement, le bien fondé de cette motion a été contesté par les sénateurs de l'opposition (p. 988 à 991 du compte rendu intégral).
Bon nombre de ces 44 amendements avaient en effet un rapport incontestable avec le projet de loi égalité des chances et avec l'objet de l'article premier, relatif à l'apprentissage, qui modifiait l'article L. 337-3 du code de l'éducation nationale.
D'autres amendements, qui entendaient, comme ceux déclarés irrecevables, combattre l'échec scolaire et favoriser l'égalité des chances dès l'école ont pourtant été adoptés. Le Sénat a ainsi voté un amendement n°833 complétant l'article L. 111-1 du code de l'éducation, afin, selon son exposé des motifs, « d'ajouter aux principes fondamentaux qui régissent l'éducation l'apprentissage et la maîtrise de la langue de la République, sans laquelle il n'y a pas d'intégration possible ». Il est vrai que cet amendement de M. Nicolas About, sénateur, pouvait difficilement être déclaré irrecevable par M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.
L'appréciation de la commission des affaires sociales a donc été abusive et essentiellement dirigée contre les amendements de l'opposition. Les 44 amendements déclarés irrecevables n'étaient pas dépourvus de tout lien avec l'objet du projet de loi et de l'article premier.
Ainsi, le texte de l'amendement n°833 (« L'école garantit à tous les élèves l'apprentissage et la maîtrise de la langue française. ») qui a été adopté, peut être utilement rapproché d'autres amendements déclarés irrecevables :
[les missions de l'école maternelle] « et développe leur maîtrise orale de la langue française. » (amendement n°272) ;
« Le droit à l'éducation et à la formation tout au long de la vie est garanti à chacun sur l'ensemble du territoire. La scolarité obligatoire constitue le socle de ce droit. » (amendement n°215) ;
« Le droit à l'éducation est garanti à chaque jeune sur l'ensemble du territoire. » (amendement n°224),
puisqu'ils visent, tout comme l'amendement n°833 adopté, à compléter l'article L.111-1 du code de l'éducation nationale proclamant les principes généraux du droit de l'éducation.
Il ne peut donc y avoir inégalité de traitement entre les amendements de sénateurs.
Ces quelques exemples tirés de la lecture par le Sénat de ce projet de loi, ont pour but de montrer que les conditions du débat parlementaire ont été, dans leur ensemble, contraires au principe de sincérité qui s'impose au titre de l'article 6 de la Déclaration de 1789.
A l'Assemblée nationale, le Gouvernement utilise son droit d'amendement pour contourner l'article 39 de la Constitution, et empêche les parlementaires de discuter pleinement la loi. Au Sénat, le droit d'amendement des élus de l'opposition est réduit à sa portion congrue en violation de l'article 44 de la Constitution. La souveraineté nationale n'a pas pu exercer la plénitude de ses pouvoirs.
En définitive, et pour conclure sur la procédure, force est d'admettre que le processus d'élaboration de la loi critiquée, et singulièrement son article 8, a méconnu les articles 6 de la Déclaration de 1789, 3, 39 et 44 de la Constitution de 1958.
2. Sur le fond
L'article 8 critiqué viole le principe d'égalité devant la loi, le principe de clarté et d'intelligibilité de la loi, l'article 4 de la Déclaration de 1789 et ensemble l'objectif constitutionnel du droit à l'emploi tel que proclamé par le Préambule de la Constitution de 1946, et le droit au recours.
2.1. Sur la violation du principe d'égalité devant la loi
L'article 8 créant le contrat dit « première embauche » rompt l'égalité entre les salariés alors qu'en droit, d'une part, il peut s'appliquer à des jeunes de moins de 26 ans quand parallèlement des jeunes du même âge et disposant d'une qualification équivalente peuvent être employés en CDI dans la même entreprise, et alors que, d'autre part, il placera sans raison valable certains jeunes dans une situation plus défavorable au regard du droit constitutionnel à l'emploi.
(i) Les requérants n'ignorent pas que vous admettez des traitements différenciés définis par la loi dès lors que sont concernés des situations objectivement distinctes, et qui correspondent à l'objet de la loi. Ainsi, en matière de droit social, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, à condition toutefois que dans ces deux cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui la définit et l'établit (décision n°2004-509 DC du 13 janvier 2005, considérants 17 à 19).
Cette jurisprudence est constante, et elle vous a conduit, par exemple, à déclarer conforme à la Constitution la loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi. Il est tout aussi vrai que vous avez déjà jugé « qu'aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'interdit au législateur de prendre des mesures propres à venir en aide à des catégories de personnes défavorisées ; que le législateur pouvait donc, en vue d'améliorer l'emploi des jeunes, autoriser des mesures propres à cette catégorie de travailleurs ; que les différences de traitement qui peuvent résulter de ces mesures entre catégories de travailleurs ou catégories d'entreprises répondent à une fin d'intérêt général qu'il appartenait au législateur d'apprécier et ne sont, dès lors, pas contraires à la Constitution » (n° 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, cons. 31).
Cependant, vous avez également jugé dans la décision sur le contrat nouvel embauche qu'aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'interdit au législateur de prendre des mesures propres à venir en aide à des catégories de personnes rencontrant des difficultés particulières, qu'il pouvait donc, en vue de favoriser le recrutement des jeunes âgés de moins de vingt-six ans, autoriser le Gouvernement à prendre des dispositions spécifiques en ce qui concerne les règles de décompte des effectifs. Mais vous ajoutiez, en quelque sorte pour limiter les risques de l'habilitation, que les salariés ne seront pas traités différemment selon leur âge au sein d'une même entreprise (considérant n° 13).
Pareillement, vous avez considéré, à cette occasion, que le moyen tiré de la rupture d'égalité manquait en fait car, ainsi qu'il ressort des travaux parlementaires, le domaine des entreprises visées n'a jamais compris les entreprises de plus de vingt salariés.
Le commentaire autorisé paru dans les Cahiers du Conseil Constitutionnel, note que le dispositif du « contrat nouvel embauche » « englobe les entreprises, en effet très petites, pour lesquelles culmine le » risque d'embauche " (risque de retournement de conjoncture ou d'évaluation erronée des compétences professionnelles ou des qualités personnelles de la personne embauchée). Objectif, ce risque est également subjectif. En le diminuant, le contrat « nouvelles embauches » est susceptible de desserrer un frein psychologique à l'embauche, frein beaucoup plus fort dans les petites entreprises, notamment à défaut de service des ressources humaines et de service contentieux. Les petites entreprises constituant une réserve d'emplois potentiels, l'économie générale de la mesure présente un lien direct avec sa finalité (lever un obstacle à l'embauche)".
Il s'évince donc de votre jurisprudence qu'en revanche le principe d'égalité est méconnu dès lors que la différence de traitement ne répond à aucun critère objectif et rationnel et que, par ailleurs, des personnes se trouvant dans une même situation sont traitées différemment.
Tel est bien le cas en l'espèce.
Il apparaît clairement, en effet, que dans une même entreprise, une personne de moins de vingt-six ans embauché dans le cadre d'un contrat première embauche pourra être licenciée sans motif et sans recours pendant une période de deux ans, alors qu'une autre personne, embauché le même jour dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, qu'elle ait plus ou moins de vingt-six ans et qu'elle est ou non la même qualification et le même niveau de diplôme, sera licenciée selon les règles et procédures prévues aux articles L 122-4 à L 122-11, L 122-13 à L 122-14-14 et L 321-1 à L 321-17 du code du travail.
Il n'est pas contestable, ni contesté, que dans la même entreprise, deux salariés en situations objectivement identiques seront bel et bien traités différemment, sans que cette situation ne réponde à un motif d'intérêt général particulier ni à un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi.
Certes, les travaux parlementaires ont tenté de préciser l'objet de cette loi. Il s'agirait d'inciter les entreprises à embaucher les jeunes de moins de vingt six ans par le moyen du contrat première embauche en lieu et place des formes actuelles.
La période de deux ans est présentée dans l'exposé des motifs de l'amendement du Gouvernement, comme une période de transition pour le salarié concerné, pendant laquelle il lui suffit de gravir une marche vers un contrat à durée indéterminée.
Au bout de la période de deux ans, et dans l'hypothèse où le salarié en contrat première embauche est toujours salarié de l'entreprise, les deux salariés engagés selon des contrats différents, se trouvent enfin dans la même situation. Mais, pour l'un, il aura fallu attendre une longue période de deux ans pour permettre la concrétisation définitive d'une embauche, alors que pour l'autre, salarié en contrat à durée indéterminée, de moins ou plus de vingt six ans, il aura suffit d'attendre la durée d'essai de trois mois.
A moins que le gouvernement, las d'avancer masquer, réponde que désormais tous les jeunes de moins de vingt six ans seront inéligibles au contrat à durée indéterminé ! Au moins dans cette hypothèse les choses seraient claires et les questions posées prendraient une autre nature toujours au regard du principe d'égalité devant la loi.
(ii) D'autre part, et à la différence du contrat nouvelle embauche, le contrat créé par l'article 8 de la loi ne vise pas les entreprises de moins de vingt salariés. Celles-ci, quoi qu'en pensent les requérants, avaient permis au législateur de fixer un critère objectif lié à leur structuration et à la nécessité de lever les freins à l'embauche (voir, commentaires parus dans les Cahiers du Conseil Constitutionnel, précités).
En l'espèce, il s'agit d'une généralisation d'un contrat privant le salarié de nombreuses garanties sans que l'on puisse sérieusement affirmer que les grandes entreprises sont dépourvues de services de ressources humaines.
Il serait fantaisiste d'affirmer qu'une entreprise comptant, par exemple, 10 000, 20 000 ou 30 000 salariés, ne dispose pas des moyens humains et matériels pour assumer l'obligation de motivation et d'entretien préalable avant un licenciement.
Du point de vue de l'objectif de la loi et de l'intérêt général, on ne voit donc pas très bien ce que le contrat créé par l'article 8 apporte objectivement et rationnellement pour favoriser l'emploi des jeunes de moins de vingt-six ans.
D'ailleurs, il est remarquable qu'un rapport, demandé par le Gouvernement et rédigé par un patron de grande entreprise ait conclu que ce contrat de précarité ne correspondait pas aux besoins des entreprises de plus de 20 salariés (rapport Proglio).
(iii) Le CPE est également contraire au regard de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 « portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail » qui s'impose au titre de l'article 88-1 de la Constitution.
Votre jurisprudence notamment fondée sur l'article 88-1 de la Constitution admet la primauté du droit communautaire originel comme dérivé sur la loi (Décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004 ; du 19 novembre 2004). A cet égard, l'article 8 querellé méconnaît la directive précitée dont les termes clairs et inconditionnels sont éclairés par la jurisprudence la plus récente de la Cour de Justice des Communautés Européennes.
Dans son article 3, 1 c), le champ d'application de la directive comporte :
Les conditions d'emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération
L'article 6 dispose que des différences de traitement fondées sur l'âge pourront être justifiées dans les conditions suivantes :
1. Nonobstant l'article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.
Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre :
a) la mise en place de conditions spéciales d'accès à l'emploi et à la formation professionnelle, d'emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d'assurer leur protection ; (...).
Il en résulte que l'ouverture aux seuls salariés âgés de moins de vingt-six ans d'un contrat de travail comportant moins de garanties en matière de licenciement constitue un traitement moins favorable lié à l'âge, donc une discrimination prohibée par la directive 2000/78/CE.
L'arrêt de la CJCE du 22 novembre 2005 (Werner Mangold / Rüdiger HELM, C-144/04) y a vu une discrimination contraire à l'article 6 de la directive.
Rendu sur question préjudicielle d'un tribunal du travail allemand, la décision de la CJCE visait une loi du 23 décembre 2002 décidant que, pour les salariés âgés de 52 ans et plus, il n'y avait plus à respecter les conditions prévues par le droit du travail allemand pour autoriser l'établissement d'un contrat à durée déterminée. Ces salariés pouvaient donc subir jusqu'à l'âge de leur départ en retraite une succession illimitée de tels contrats.
La CJCE a jugé cette loi incompatible avec la directive 2000/78/CE car elle édicte une mesure :
* de portée très générale, puisque l'âge est le seul critère « déclenchant » la disposition dérogatoire.
" (...) l'application d'une législation nationale telle que celle en cause au principal aboutit à une situation dans laquelle tous les travailleurs ayant atteint l'âge de 52 ans, sans distinction, qu'ils aient ou non été en situation de chômage avant la conclusion du contrat et quelle qu'ait été la durée de la période de chômage éventuel, peuvent valablement, jusqu'à l'âge auquel ils pourront faire valoir leur droit à une pension de retraite, se voir proposer des contrats de travail à durée déterminée, susceptibles d'être reconduits un nombre indéfini de fois. " [considérant 64 de l'arrêt].
* aux conséquences graves pour les salariés concernés.
" (...) Cette catégorie importante de travailleurs, déterminée exclusivement en fonction de l'âge, risque ainsi, durant une partie substantielle de la carrière professionnelle de ces derniers, d'être exclue du bénéfice de la stabilité de l'emploi, (...) " [considérant 64].
Elle conclu alors au point 65 de son arrêt :
Une telle législation, en ce qu'elle retient l'âge du travailleur concerné pour unique critère d'application d'un contrat de travail à durée déterminée, sans qu'il ait été démontré que la fixation d'un seuil d'âge, en tant que tel, indépendamment de toute autre considération liée à la structure du marché du travail en cause et de la situation personnelle de l'intéressé, est objectivement nécessaire à la réalisation de l'objectif d'insertion professionnelle des travailleurs âgés au chômage, doit être considérée comme allant au-delà de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi. Le respect du principe de proportionnalité implique en effet que chaque dérogation à un droit individuel concilie, dans toute la mesure du possible, les exigences du principe d'égalité de traitement et celles du but recherché (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2002, Lommers, C-476/99, Rec. p. I-2891, point 39). Une telle législation nationale ne saurait donc être justifiée au titre de l'article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78.
Ces considérations s'appliquent évidemment au cas du CPE qui est un dispositif :
? de portée générale, puisque tous les moins de vingt-six ans sont concernés « qu'ils aient ou non été en situation de chômage avant la conclusion du contrat et quelle qu'ait été la durée de la période de chômage éventuelle », pour reprendre les termes de l'arrêt de la CJCE.
? Il faudrait ajouter, à la différence du CNE, quelque soit leur qualification, la taille de l'entreprise, la situation économique du secteur d'activités.
? aux conséquences lourdes pour le jeune salarié : malgré la durée théoriquement indéterminée du CPE, le fait de rester pendant deux ans sous la menace d'une rupture non justifiée est un facteur incontestable de précarité, et ce à un âge où la prise d'indépendance (logement, vie privée, etc.) se heurte déjà à d'immenses difficultés.
Il est donc certain que dans le cas de l'article 8 critiqué, la violation des principes d'égalité et de proportionnalité peut être relevée dans les mêmes termes que dans l'espèce allemande.
En substance, quels que soient les objectifs assignés au CPE, les moyens de le réaliser ne sont pas « appropriés et nécessaires » au sens de l'article 6.1 a) de la directive 2000/78/CE.
On retrouve là votre logique : une différence de traitement doit être objectivement et rationnellement justifiée et ne pas être disproportionnée au but à atteindre. Du point de vue de nos principes constitutionnels, on a vu que les conditions d'une différence de traitement n'étaient pas remplies. Loin s'en faut. Au regard de la directive précitée telle qu'interprétée par la CJCE, les mêmes conclusions s'imposent.
Ainsi fondée, votre décision d'invalidation ne pourra donc qu'être renforcée.
(iv) De surcroît, cette discrimination porte atteinte, par voie de conséquence, au droit à l'emploi.
En effet, un salarié en situation de recherche d'emploi après avoir été embauché dans le cadre d'un contrat première embauche rompu pendant la « fameuse » période de deux ans, sera dans l'impossibilité de justifier auprès d'un futur employeur la raison de son licenciement. Que dire si un salarié a enchaîné plusieurs CPE rompus avant la période de deux ans ? Face aux interrogations légitimes de son futur employeur sur les raisons de son départ de telle ou telle entreprise, il sera dans l'incapacité de répondre et finalement ce sont ses capacités professionnelles qui seront mises en doute.
La motivation, exprimée oralement dans le cadre d'un entretien préalable, et écrite dans le cadre de la lettre de licenciement, permet de distinguer de façon explicite les licenciements d'origine économique des licenciements tenant à la responsabilité du salarié. Elle constitue pour le salarié une garantie qui permet notamment le respect du droit à l'emploi.
En l'absence de motivation de la rupture du contrat première embauche, le salarié sera dans l'incapacité de justifier tout ou partie de son parcours professionnel et se trouvera dans une situation très défavorable par rapport à la situation actuelle dans le cadre d'un entretien d'embauche, voire tout simplement dans la rédaction et la présentation de son curriculum vitae.
Du point de vue du principe d'égalité et de l'objectif constitutionnel du droit à l'emploi, cette différence de traitement aboutira, contrairement à l'objectif affiché de la loi, à affaiblir les chances de retrouver un emploi pour les jeunes ayant accumulés ce type de contrat à la durée aléatoire.
2.2. Sur l'incompétence négative résultant de la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution et ensemble sur la violation du principe de clarté et d'intelligibilité de la loi
Vous avez jugé qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie l'article 34 de la Constitution. A cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle du même article de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, lui imposent d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques.
Au cas présent, le législateur a refusé de qualifier précisément la période de deux ans critiquée. Or, cette imprécision, ce flou, auront des conséquences pour les salariés et pour les entreprises en créant un risque d'insécurité juridique préjudiciable au droit à l'emploi et à la liberté d'entreprendre.
(i) Ainsi, d'abord, en application de l'article L 122-4 du code du travail, en cas de rupture avant le terme de la période d'essai les règles relatives à la résiliation du contrat de travail à durée indéterminée ne sont pas applicables.
Or, les règles sur le licenciement telles que prévues à la Section 1 du Chapitre II du Titre II du Livre I du code du travail, et qui ne s'appliquent pas à la période d'essai, sont, pour l'essentiel, celles qui ne s'appliquent pas à la période de deux ans du contrat première embauche.
S'applique à cette période de deux ans, tous les articles de la Section du code du travail citée ci-dessus, sauf les articles L 122-12 et L 122-12-1. Autrement dit, vingt-trois des vingt-cinq articles de la section du code du travail qui prévoient les modalités de résiliation du contrat à durée indéterminée et leur non application à la période d'essai fixée par voie conventionnelle, ne s'appliquent pas non plus à la période de deux ans du contrat première embauche.
Dans ces conditions, quelles que soient les précautions de langage utilisées par le Gouvernement pour sa défense du contrat première embauche, la période de deux ans n'est rien d'autre qu'une période d'essai.
Dès lors, cette période ne saurait être excessive compte tenu des fonctions exercées par le salarié. La Cour de cassation a ainsi eu l'occasion de se prononcer sur le caractère déraisonnable d'une période d'essai à de nombreuses reprises en fonction de la nature de l'emploi. Elle s'est prononcée, par exemple, sur le caractère déraisonnable d'une période d'essai d'un an pour un cadre supérieur.
Cette jurisprudence peut utilement se revendiquer des engagements internationaux de notre pays dont la Convention n°158 de l'Organisation internationale du travail. Selon ce traité international ratifié par la France, les dérogations à l'application du droit commun du licenciement ne sont possibles que dans le cas où le salarié est en période d'essai et si celle-ci a un caractère raisonnable. Il apparaît à la lecture de nombreux arrêts de la Cour de cassation qu'une période de deux ans est loin d'être raisonnable.
Nul doute qu'une période d'essai de deux ans pour un jeune de moins de vingt six ans doit être considérée comme excessive. Or, du fait de la supériorité des traités régulièrement ratifiés sur la loi, il sera loisible au juge du contrat de faire prévaloir la règle internationale sur la loi, et particulièrement sur l'article 8 créant le CPE.
De la même façon, il est probable qu'un juge ordinaire fasse prévaloir la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 telle qu'interprétée par la Cour de Justice des Communautés Européennes. Ceci ne renforcera, loin s'enfaut, pas la clarté et l'intelligibilité de la loi.
On imagine alors la difficulté qui sera ainsi faite aux entreprises et aux salariés.
Si vous vous refusez toujours à examiner la conformité d'une loi à un traité international, vous admettez, en revanche, de censurer une loi qui par sa rédaction ou par l'absence de précision suffisante est de nature à rendre inintelligible et difficilement accessible, voire concrètement applicable, certaines dispositions normatives.
En l'occurrence, l'absence de qualification de la période de deux ans et le risque évident de requalification par le juge, au regard des obligations internationales de la France, rendent cette loi inintelligible et difficilement accessible aux entreprises qui ne sauront pas nécessairement quelle règle appliquer comme aux salariés qui ne sauront pas nécessairement comment faire prévaloir leurs droits.
De ce chef, encore, la censure est encourue.
(ii) Ensuite, le dispositif critiqué est en conflit avec la procédure disciplinaire qui demeure applicable au salarié engagé sur la base du CPE.
Il s'ensuit une confusion sur les droits et devoirs du salarié et de l'entreprise préjudiciable à la garantie des droits telle reconnue par l'article 16 de la Déclaration de 1789.
En effet, pendant la période de deux ans subsiste pour un salarié la procédure disciplinaire prévue aux articles L 122-40 à L 122-41 du code du travail qui peut aboutir au licenciement du salarié. En l'occurrence, d'une part, la convocation du salarié concerné, l'information par écrit des griefs retenus contre lui, sont obligatoires, et d'autre part, le recours devant le conseil des prud'hommes est possible.
Le contrat première embauche fait donc coexister deux procédures de rupture du contrat de travail. L'une exonère l'employeur de toute information sur le motif du licenciement. L'autre lui impose une procédure d'information strictement encadrée. Ce paradoxe traduit à quel point la caractéristique essentielle du contrat première embauche est source de confusion et de complication pour les employeurs et pour les salariés.
Autrement dit pendant une période de deux ans, en cas de faute grave imputée à un salarié en contrat première embauche, soit l'employeur n'avance aucun motif et il n'est pas tenu de respecter la procédure disciplinaire, soit il avance un motif d'ordre disciplinaire et il est tenu de respecter la procédure. Il est tout à fait possible d'imaginer que, profitant de l'imprécision de la loi, l'employeur, dans une situation où il veut rompre un contrat de première embauche, privilégie la procédure la plus simple à mettre en oeuvre.
Cette imprécision a d'ailleurs été relevée par monsieur le Rapporteur au Sénat qui note qu'il « reviendra à la jurisprudence d'éclairer l'articulation entre la procédure disciplinaire obligatoire et les dispositions allégeant les conditions de rupture du contrat à l'initiative de l'employeur . Il semble alors que la rupture non motivée du CPE ne devra pas être liée à une faute susceptible d'être sanctionnée en application de l'article L. 122-40 » (Sénat, Rapport n° 210, page 46).
On ne saurait mieux avouer l'imprécision du dispositif voté ni davantage exprimer le fait que le législateur ignore la portée exacte du texte adopté et propose au juge plus de doutes que de certitudes à cet égard : " (...) il reviendra à la jurisprudence (...) " ; " (...) il semble (...) ".
En tout état de cause, le législateur n'a pas, au cas présent, adopté un dispositif suffisamment clair et précis.
Plus gravement, rien n'interdirait qu'un employeur peu scrupuleux utilise l'absence de procédure du CPE pour contourner les règles protectrices applicables en matière disciplinaire. A cet égard, sauf à méconnaître une autre fois le principe d'égalité, il n'est pas possible de créer une telle confusion entre les procédures existantes pour évincer un salarié d'une entreprise. Car, in fine, ce sont les garanties des droits qui sont affaiblies.
S'agissant des règles de l'ordre public social, un tel flou ne peut faire que l'objet d'une censure.
2.3. Sur l'article 4 de la Déclaration de 1789, les garanties constitutionnelles attachées au droit à l'emploi et le droit au recours de l'article 16 de la Déclaration de 1789
Vous avez régulièrement considéré qu'en application de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'auteur de la rupture d'un contrat devait procéder à l'information du cocontractant. Qu'à cet égard, le salarié faisant l'objet d'une procédure de licenciement doit pouvoir bénéficier du droit de se défendre au terme d'une procédure contradictoire. Alors que c'est une conséquence nécessaire du droit à l'emploi de pouvoir se faire entendre pour conserver son travail et éviter une rupture de contrat infondée et alors que l'absence de procédure contradictoire est de nature à créer une insécurité juridique préjudiciable au salarié comme à l'entreprise.
(i) Ainsi, vous avez jugé que « si le contrat est la loi commune des parties, la liberté qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 justifie qu'un contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement par l'un ou l'autre cocontractant, l'information du cocontractant, ainsi que la réparation du préjudice éventuel résultant des conditions de la rupture, devant toutefois être garanties ; qu'à cet égard, il appartient au législateur, en raison de la nécessité d'assurer pour certains contrats la protection de l'une des parties, de préciser les causes permettant une telle résiliation, ainsi que les modalités de celle-ci, notamment le respect d'un préavis » (Décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999).
Rapportées au droit du travail, droit protecteur du salarié en situation de subordination et de faiblesse à l'égard de l'employeur, ces prescriptions s'imposent d'autant plus.
Vous l'avez rappelé dans votre décision n° 98-401 DC du 10 juin 1998, dans laquelle vous jugiez que l'article 34 de la Constitution « ne saurait dispenser le législateur, dans l'exercice de sa compétence, du respect des principes et règles de valeur constitutionnelle, en ce qui concerne en particulier les droits et libertés fondamentaux reconnus aux employeurs et aux salariés ; que figurent notamment parmi ces droits et libertés, la liberté proclamée par l'article 4 de la Déclaration de 1789, dont découle en particulier la liberté d'entreprendre, l'égalité devant les lois et les charges publiques, le droit à l'emploi, le droit syndical, ainsi que le droit reconnu aux travailleurs de participer à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprises ».
Il appartient donc au législateur de concilier ces différents droits. Vous l'avez clairement affirmé dans votre jurisprudence et notamment dans la décision n° 2001-455 DC du 11 janvier 2002 en précisant que si le législateur peut apporter au droit à l'emploi des limitations liées à l'exigence représentée par la liberté d'entreprendre, il ne doit pas en résulter une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif suivi par le législateur.
Or, rien dans l'article 8 ne vient véritablement encadrer le régime juridique du contrat de première embauche quant aux garanties rendues nécessaires par les exigences constitutionnelles s'appliquant en la matière, notamment sur les conditions d'information du cocontractant sur les causes de la résiliation lesquelles, s'agissant de droit du licenciement, doivent être réelles et sérieuses.
La seule obligation qui s'impose à l'employeur est celle d'une simple notification par lettre, certes recommandée, de sa décision de rompre le contrat de travail sans qu'aucun motif objectif ne soit précisé.
En matière de droit du travail, afin de protéger la partie la plus faible, le législateur doit préciser les conditions de la rupture. Mais en l'espèce, ni l'information sur les motifs de la rupture, ni une procédure contradictoire avant la décision de rupture, ne sont obligatoires pour l'employeur.
L'existence d'une indemnité de rupture égale à 8 % du salaire brut dû depuis le début du contrat et l'existence d'un préavis si le salarié est présent dans l'entreprise depuis au moins un mois ne peuvent être considérées à elles seules comme une réparation suffisante du préjudice né de la résiliation du contrat.
Par ailleurs, l'absence de procédure contradictoire en cas de résiliation du contrat de première embauche ne permet pas le respect du droit de la défense pourtant de valeur constitutionnelle et qui en matière de droit du travail est un corollaire nécessaire du droit à l'emploi. Pendant une période de deux ans, le contrat pourra être rompu à tout moment, sans motif communiqué au salarié. On chercherait en vain en quoi l'affaiblissement des garanties du salarié est de nature à avoir un impact favorable pour l'emploi des jeunes de moins de vingt-six ans, notamment dans les grandes entreprises.
C'est en vain que l'on chercherait dans l'objectif de la loi en cause - « l'égalité des chances » - une raison pour justifier de telles limitations disproportionnées à l'équilibre des parties à un contrat et au droit à l'emploi.
(ii) De telles situations sont, d'une part, sources d'insécurité juridique pour les salariés et pour les employeurs et sont, d'autre part, de nature à priver le salarié de son droit au recours.
L'absence de motivation au licenciement représente dans les cas exposés ci-dessus une atteinte au droit à l'emploi puisqu'un salarié engagé sur la base d'un CPE ne pourra pas faire valoir son point de vue si les raisons de son licenciement sont infondées ou reposent sur des faits inexacts.
Elle est encore une fois en contradiction avec la Convention n°158 de l'Organisation internationale du travail selon laquelle « un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise ».
Ce traité international pourra fonder un recours. En raison de la supériorité des conventions internationales régulièrement ratifiées sur la loi, un juge ordinaire pourra donc faire prévaloir cette norme plus protectrice sur l'article 8 ici critiqué. On imagine ici la précarité juridique du contrat première embauche qui produira sûrement davantage de contentieux et de désordre qu'il ne créera d'emploi.
Par ailleurs, il convient de s'interroger sur les conditions dans lesquelles le droit au recours, dont le droit au juge, pourra être accessible au salarié qui privé des motifs de son licenciement n'aura aucun élément tangible à faire valoir devant une juridiction. Dans ces conditions, le droit au recours tel que garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789 ne parait pas respecté.
Monsieur le Premier Ministre paraît avoir lui-même mesuré l'absence de protection suffisante dans la mesure où, lors de son entretien télévisé du 12 mars 2006 accordé à la chaîne TF1, il a déclaré qu'il fallait accroître les garanties liées à ce nouveau contrat !
La censure est certaine.
2.4. Sur la violation de la Charte Sociale européenne
Pour les mêmes motifs que précédemment énoncés, l'article 8 de la loi méconnaît les stipulations de la Charte Sociale européenne révisée et notamment son article 24 qui énonce qu'en " vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître :
a) Le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ;
b) Le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
A cette fin les Parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial.
Certes, vous avez toujours refusé d'examiner la conformité d'une loi à un traité international. Vous avez pourtant jugé en 1992 que le quatorzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958, proclame que la République française « se conforme aux règles du droit public international » ; qu'au nombre de celles-ci figure la règle Pacta sunt servanda qui implique que tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ; que l'article 55 de la Constitution de 1958 dispose, en outre, que "les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie (Décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992, considérant 7).
S'agissant du droit de l'Union européenne, vous avez, en application notamment de l'article 88-1 de la Constitution jugé dans les décisions rendues le 10 juin et les 1er et 29 juillet 2004, que sont opposables à la transposition d'une directive communautaire les dispositions expresses de la Constitution française propres à cette dernière. Les autres règles constitutionnelles doivent « céder le pas » à l'application ou à la transposition du droit communautaire.
Si la primauté du droit communautaire joue bien en droit français, et dispose même d'un fondement constitutionnel (art. 88-1), sauf dispositions spéciales contraires dans la Constitution, rien n'interdirait que les règles d'un traité international garantissant les droits et libertés fondamentaux y compris en matière de droits sociaux, bénéficient de la même logique, et des mêmes contraintes, fondée sur le respect par la France de ses engagements internationaux.
Dans ces conditions, sauf à laisser au juge ordinaire le loisir de faire prévaloir la Charte européenne des droits sociaux, ou la Convention de l'OIT, sur la loi et particulièrement sur l'article 8 critiqué, il vous est possible d'invalider le contrat dit première embauche au motif qu'il a méconnu les engagements de la France en matière de garantie des droits du salarié.
Par tous ces motifs, la censure est encourue.
II. Sur l'article 21
Cet article complète les articles L 620-10, L 423-7 et L 433-4 du code du travail afin de modifier le calcul des effectifs des entreprises et ainsi l'électorat des élections professionnelles. Il est contraire à l'article 8 du préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. ».
Ainsi, la nouvelle rédaction de l'article L 620-10 du code du travail permet d'exclure de l'effectif d'une entreprise les salariés intervenant en exécution d'un contrat de sous-traitance. Elle permet de diminuer le nombre de salariés en deçà des différents seuils requis pour l'application de règles protectrices en matière de représentation des salariés, en matière de santé et de sécurité au travail, en matière d'emploi de personnes handicapées.
L'article L 422-1 du code du travail permet pourtant aux salariés d'entreprises extérieures, qui dans l'exercice de leur activité ne sont pas placés sous la subordination directe de l'entreprise utilisatrice, de pouvoir faire présenter leurs réclamations individuelles et collectives concernant les conditions d'exécution du travail par les délégués du personnel de cette entreprise.
Cette possibilité offerte notamment aux salariés travaillant dans le cadre d'un contrat de sous-traitance a été renforcée par différents arrêts de la Cour de cassation venant préciser la notion de salariés « mis à disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure » afin d'apporter aux salariés concernés les dispositions protectrices du code du travail. La représentation des salariés est possible que ces salariés soit ou non sous la subordination de l'entreprise utilisatrice, que le travail soit réalisé en toute indépendance avec des moyens humains et matériels utilisés sous leur responsabilité (Cass soc, arrêt n°98-60440 du 28 mars 2000, arrêt n°00-60252 du 27 novembre 2001).
En conséquence, et en raison des pratiques d'externalisation de la production ou d'autres services, l'article 21 prive de nombreux salariés du droit constitutionnel à la représentation, alors qu'ils participent aux activités nécessaires au fonctionnement de l'entreprise utilisatrice, même si ces activités ne sont pas liées au seul métier de l'entreprise, même si ces salariés n'interviennent que dans le cadre d'une simple prestation.
Cette situation a également été confirmée par la Cour de cassation (Cass soc, arrêt n°03-60125 du 26 mai 2004, arrêt n°05-60124 du 10 janvier 2006).
Les nouvelles rédactions des articles L 423-7 et L 433-4 du code du travail reviennent à exclure de l'électorat pouvant participer à l'élection des délégués du personnel et des représentants des salariés au comité d'entreprise, des salariés qui, bien que mis à disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure, travaillent en permanence dans l'entreprise. Le droit constitutionnel de représentation de ces salariés est également méconnu.
Cette possibilité offerte notamment aux salariés travaillant dans le cadre d'un contrat de sous-traitance a été renforcée par différents arrêts de la Cour de cassation venant préciser la notion de salariés « mis à disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure » afin d'apporter aux salariés concernés les dispositions protectrices du code du travail. La représentation des salariés est possible que ces salariés soit ou non sous la subordination de l'entreprise utilisatrice, que le travail soit réalisé en toute indépendance avec des moyens humains et matériels utilisés sous leur responsabilité (Cass soc, arrêt n°98-60440 du 28 mars 2000, arrêt n°00-60252 du 27 novembre 2001).
En conséquence, et en raison des pratiques d'externalisation de la production ou d'autres services, l'article 21 prive de nombreux salariés du droit constitutionnel à la représentation, alors qu'ils participent aux activités nécessaires au fonctionnement de l'entreprise utilisatrice, même si ces activités ne sont pas liées au seul métier de l'entreprise, même si ces salariés n'interviennent que dans le cadre d'une simple prestation.
Cette situation a également été confirmée par la Cour de cassation (Cass soc, arrêt n°03-60125 du 26 mai 2004, arrêt n°05-60124 du 10 janvier 2006).
Les nouvelles rédactions des articles L 423-7 et L 433-4 du code du travail reviennent à exclure de l'électorat pouvant participer à l'élection des délégués du personnel et des représentants des salariés au comité d'entreprise, des salariés qui, bien que mis à disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure, travaillent en permanence dans l'entreprise. Le droit constitutionnel de représentation de ces salariés est également méconnu.
Par ailleurs, cet article a été adopté dans des conditions contraires au droit d'amendement prévu par l'article 44 de la Constitution, précisé par votre jurisprudence récente (décision n°2005-532 DC du 19 janvier 2006). Le droit d'amendement, reconnu au Gouvernement et aux membres du Parlement, s'exerce pleinement en première lecture des projets et des propositions de loi à condition de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte.
L'article 21 prévoit de réformer le mode de calcul des effectifs des entreprises et de modifier l'électorat des élections professionnelles. Il est dépourvu de tout lien avec le contenu du projet de loi pour l'égalité des chances déposé sur la bureau de la première assemblée saisie, sauf à considérer qu'avec l'introduction de l'article instituant le contrat première embauche le projet de loi est bel et bien devenu un projet de loi réformant de façon substantielle le code du travail.
Pour toutes ces raisons, l'article 21 doit être déclaré contraire à la Constitution.
Sur le Titre III de la loi
Les articles 48 et 49 constituent le Titre III de la loi.
L'article 48 institue un contrat de responsabilité parentale conclu entre le président du conseil général et les parents du mineur en situation d'absentéisme scolaire et, plus largement, en cas de carence éducative manifeste.
Quant à l'article 49, il « précise » les conditions dans lesquelles les prestations familiales sont suspendues au foyer qui n'a pas voulu signer le contrat de responsabilité parentale ou n'en a pas respecté les termes.
Ces articles méconnaissent par leurs imprécisions l'article 34 de la Constitution et sont donc entachés d'incompétence négative. D'autre part, ils violent le droit au recours et les droits de la défense.
Force est ici de constater que ces articles créent un régime de sanction administrative se traduisant par une punition consistant dans la suspension de certaines prestations familiales. La qualification de sanction ne fait aucun doute tant elle ressort des travaux parlementaires et qu'elle n'a été contestée à aucun moment.
Dans ces conditions, il est nécessaire, au terme de votre jurisprudence classique, que ce mécanisme respecte les principes constitutionnels du droit répressif. D'abord, il importe que la définition des faits pouvant donner lieu au prononcé des sanctions soit suffisamment précise. Or, on s'interrogera sur la portée de certaines expression utilisée dans le premier alinéa de cet article 48 pour justifier la signature d'un contrat de responsabilité parentale pouvant aboutir à la privation temporaire des prestations familiales. Ainsi, les mots « ou de toute autre difficulté liée à une carence de l'autorité parentale » laisse ouvert un champ de décision singulièrement vaste.
Ces mots ne permettent pas de définir ce qu'est le champ exact d'intervention dudit contrat.
D'autant plus, en outre, que le président du Conseil Général est seul à décider que les obligations liées audit contrat n'ont pas été respectées pour demander au directeur de l'organisme débiteur des prestations familiales de procéder à leur suspension.
Force est de relever qu'aucune procédure contradictoire ni possibilité pour les parents concernés de se faire entendre et d'exercer leurs droits de la défense au préalable du prononcé de la sanction n'existe dans le dispositif critiqué.
On ajoutera que l'emploi d'expressions floues - « toute autre difficulté » - cumulé avec l'absence de procédure contradictoire aggrave les risques d'arbitraire.
On relèvera que le décret prévu ne couvre pas ces aspects.
Cette atteinte aux principes applicables en matière de sanctions ayant le caractère d'une punition est d'autant plus flagrante que l'article 49 de la loi énonce que la proportion et la durée de la suspension des prestations sociales est décidée par le seul Président du Conseil Général et que le directeur de l'organisme débiteur est, pour sa part, en situation de compétence liée.
Ainsi donc, même au stade de la mise en oeuvre de la mesure de suspension, les personnes punies ne pourront pas faire valoir leurs droits.
La censure est donc encourue.
IV. Sur l'article 51 de la loi
Cet article consacre de nouveaux pouvoirs en faveur du maire. Il crée un nouvel article 44-1 dans le code de procédure pénale dont les cinquième et sixième alinéas permettent respectivement au maire, d'une part, de proposer au contrevenant ayant commis un acte faisant préjudice à la commune une transaction consistant en un travail d'intérêt général après que le juge de proximité ou le tribunal de police ait homologué la mesure, et, d'autre part, de saisir le procureur d'une demande de composition pénale pour le contrevenant n'ayant pas causé de tel préjudice à la commune.
A l'évidence, le cinquième alinéa de l'article 51 de la loi méconnaît le principe de la séparation des pouvoirs et, en outre, viole les droits de la défense et le droit à un procès équitable.
Certes, de tels mécanismes existent déjà. Mais - grande différence avec le dispositif en cause - ils sont exclusivement mis en oeuvre par des magistrats appartenant à l'Autorité judiciaire. Ainsi, l'article 41-1 du code de procédure pénale permet au procureur de prendre ou de proposer une mesure alternative qui suspendra l'action publique si elle est effectivement mise en oeuvre : rappel à la loi, avertissement, réparation des dommages, médiation, etc. Les articles 41-2 et 41-3 autorisent le procureur à proposer une composition pénale aux auteurs de délits. La composition pénale doit être validée par un magistrat du siège. Elle prend la forme de mesures autres que des peines de prison, comme une amende ou un travail non rémunéré.
Or, d'une part, vous prenez soin de distinguer les pouvoirs qui relèvent de la prévention et ceux qui relèvent de la répression et faites respecter cette frontière constitutionnelle au titre de la séparation des pouvoirs (Décision du 19 janvier 2006).
En l'espèce, on ne peut que voir une atteinte à la séparation des pouvoirs quand l'autorité ayant constatée, par ses agents, une contravention est en situation de prononcée une mesure équivalente à une punition. Certes, une homologation est prévue par un juge qui, cependant, ne sera pas nécessairement un juge professionnel puisqu'il pourra s'agir d'une juridiction de proximité dont on sait aujourd'hui les limites quant à la qualité des décisions.
A cet égard, on ne saurait assimiler cette procédure à celle prévue par les articles 41-1 à 41-3 du code de procédure pénale dès lors que dans ces dispositifs n'interviennent que des magistrats. Ceux-là, membres du parquet et juges du siège, appartiennent, selon votre jurisprudence, à l'autorité judiciaire (Décision du 29 août 2002). Cela justifie dans votre jurisprudence qu'existent des procédures dérogatoires au droit commun de la procédure pénale.
En revanche, on ne saurait admettre qu'un maire, serait-il officier de police judiciaire, puisse proposer une mesure alternative aux sanctions pénales alors qu'il n'a pas la qualité de magistrat. Admettre une telle situation aboutirait à rompre l'équilibre de nos institutions judiciaires et affaiblirait la séparation des pouvoirs.
En tout état de cause, d'autre part, les conditions dans lesquelles le maire propose au contrevenant de transiger et de se soumettre au travail d'intérêt général violent les droits de la défense et le droit à un procès équitable qui résulte de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
En matière de procédure pénale, y compris lorsqu'il s'agit de mesures alternatives, vous vous montrez toujours exigeant (Décision du 2 février 1995). Qu'ainsi, vous avez admis, pour partie, la procédure du plaider coupable dès lors que les conditions du procès equitable était respectée dont la présence de l'avocat tout au long de la procédure y compris lorsque le procureur propose la peine. En revanche, vous avez censuré l'absence de publicité des débats (Décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004).
Au cas particulier, rien n'est dit dans l'article 51 sur les conditions dans lesquelles le contrevenant sera conduit à prendre connaissance de la proposition de travail forcé faite par le maire. On ignore s'il pourra être assisté par un avocat et si oui, à partir de quand. On ignore si la phase de discussion avec le maire sera précédée d'un échange de documents, si le contrevenant pourra contester les faits qui lui sont reprochés. A cet égard, le fait qu'il s'agisse de faits simples ne signifie pas que toute personne poursuivie admette la matérialité des faits ! On ignore selon quelle procédure, y compris pour ce qui est de la publicité, le juge homologuera.
Autrement dit, on ignore tout des garanties liées au droit à un procès équitable.
Quant au sixième alinéa de l'article 51, enfin, il pose des questions assez proches. En effet, sans ce cadre, le maire ne « pourra » que saisir le procureur. Mais il pourra le saisir de faits auxquels lui et sa commune seront étrangers puisqu'il s'agira de punir des faits commis sur le territoire de la commune mais sans toutefois concerner les biens de la collectivité locale. Admettre cette intervention sans raison particulière pose le problème de l'action publique popularis. On voit tous les dangers d'utilisation démagogique et populiste qui s'y attachent. Autoriser le maire à pourchasser tous les délinquants de la sorte porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.
La censure des cinquième et sixième alinéa ne pourra qu'intervenir.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.