Décision n° 2006-533 DC du 16 mars 2006 - Saisine par 60 députés
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
2 rue de Montpensier 75001 Paris
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution l'article 10 bis A et l'article 17 du projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes tel qu'adopté par le Parlement.
1/ Sur l'article 10 bis A
Cet article complète l'article L 124-2-1-1 du code du travail, en définissant un cas supplémentaire de mise à disposition d'un salarié d'une entreprise de travail temporaire auprès d'un utilisateur. Ainsi, cette mise à disposition pourrait également intervenir lorsque la mission de travail temporaire en question vise à assurer un complément d'activité à des personnes titulaires d'un contrat de travail conclu avec une entreprise autre que l'entreprise utilisatrice.
Cet article a été adopté par le Sénat le 19 janvier 2006, lors de l'examen en deuxième lecture du projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes. Il résulte d'un amendement n°44 déposé par le Gouvernement le 18 janvier 2006 après la réunion de la commission des affaires sociales du Sénat portant sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi.
Il a été adopté sans modification par la commission mixte paritaire qui s'est réunie le 24 janvier 2006 pour élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion.
Comme l'indique l'exposé des motifs de cet amendement, il s'agit de traduire un engagement annoncé par le Premier ministre le 16 janvier lors d'une conférence de presse au cours de laquelle, il a présenté une nouvelle étape de la politique de l'emploi.
Cet amendement a été adopté dans des conditions qui méconnaissent les dispositions combinées des articles 39, 44 et 45 de la Constitution.
Le droit d'amendement appartient aux membres du Parlement et au Gouvernement. Il s'exerce pleinement au cours de la première lecture des projets de loi et des propositions de loi par chacune des deux assemblées. Ce droit s'exerce à ce stade de la procédure dans le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire tel qu'il résulte de l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
En première lecture, le droit d'amendement ne peut donc être limité que par les règles de recevabilité prévues par la Constitution et par la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie.
Votre décision n°2005-532 DC du 19 janvier 2006 a explicitement rappelé les règles en la matière. Vous avez ainsi indiqué que le droit d'amendement peut s'exercer pleinement dans les limites citées ci-dessus en première lecture.
En revanche, vous avez précisément rappelé qu'à partir de la deuxième lecture, les amendements des membres du Parlement comme ceux du Gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion, sauf s'ils visent à permettre le respect de la Constitution, à assurer une coordination avec d'autres textes en discussion ou à corriger une erreur matérielle.
Sous réserve de ces trois dérogations, il résulte de cette décision que tout amendement doit en deuxième lecture être en relation avec une disposition restant en discussion. A défaut, toute modification ou adjonction apportée en deuxième lecture dans des conditions différentes doit être considérée comme adoptée selon une procédure irrégulière.
L'article 10 bis A ne permet ni le respect de la Constitution, ni une coordination avec un texte en discussion, ni la correction d'une erreur matérielle. Il doit donc être en lien avec une disposition restant en discussion pour être considéré comme adopté selon une procédure régulière.
Tel n'est pas le cas. Aucune disposition restant en discussion ne porte sur les possibilités de recours à l'intérim, comme en témoignent les intitulés et les champs des articles restant en discussion au Sénat en deuxième lecture, mentionnés notamment dans le rapport de la Commission mixte paritaire (n°2807 de l'Assemblée nationale et n°170 du Sénat).
En conséquence, l'article 10 bis A doit être censuré car adopté dans des conditions ne respectant pas la Constitution.
2/ Sur l'article 17
Cet article complète l'article 1ier du code de l'industrie cinématographique, en permettant notamment au Centre national de la cinématographie de recruter pour l'exercice de ses missions des agents non titulaires sur des contrats à durée indéterminée. Il permet une dérogation aux dispositions selon lesquelles l'Etat et les établissements publics doivent embaucher en contrat à durée indéterminée des agents titulaires.
Il a été adopté par l'Assemblée nationale le 11 mai 2005, lors de l'examen en première lecture du projet de loi. Il résulte d'un amendement déposé par le Gouvernement. Il a ensuite été adopté dans les mêmes termes par le Sénat le 12 juillet 2005.
Cet article a été adopté dans des conditions qui méconnaissent les dispositions combinées des articles 39 et 44 de la Constitution.
Le droit d'amendement exercé par les membres du Parlement et par le Gouvernement en première lecture ne peut conduire à l'adoption d'une disposition dépourvue de tout lien avec l'objet du projet de loi ou de la proposition de loi en discussion.
Le projet de loi porte sur l'égalité salariale entre les femmes et les hommes. L'article 17 est sans lien avec les dispositions contenues dans le projet de loi déposé à l'Assemblée nationale, portant sur la suppression des écarts de rémunération, sur la conciliation de l'emploi et de la parentalité, sur l'accès à des instances délibératives et juridictionnelles, sur l'accès à la formation professionnelle et à l'apprentissage. L'article 17 n'a donc pas été adopté dans des conditions conformes à la Constitution.